Jean-Philippe Gatien : marquer l'histoire du Ping

Jean-Philippe Gatien : Le déclic et la vision long terme

Jean-Philippe Gatien : Tout part d’un discours visionnaire de mon entraîneur de l’époque, Michel Gadal. J’avais 11 ans, il m’a dit : « écoute Jean-Philippe, on voit que tu as des capacités. Moi, j'aimerais t'accompagner. J’ai envie de voir grand pour toi, et de voir grand dans notre sport. J'ai envie que tu deviennes un jour l’un des meilleurs joueurs du monde du tennis de table et pourquoi pas le meilleur ! Tu connais l'univers de ton sport comme moi. Si tu ne le connais pas, je vais te l'expliquer. »

Michel avait fait un vrai travail d’analyse : en Chine, les enfants commencent à s'entraîner dès 6 ans avec des volumes d’entraînement colossaux. Ils ont une connaissance intrinsèque de la discipline bien meilleure que la nôtre. Les moyens mis en œuvre dans tous les domaines sont gigantesques. Le ping a été  introduit par Mao dans les foyers chinois, comme un outil d'éducation de masse. C'est donc plus qu'un sport là-bas, c'est culturel.

Son idée a été de se différencier : « Globalement, on ne peut pas reproduire leur système. Donc, essayons d'avoir une stratégie de différenciation, avec un axe stratégique très fort basé sur la vitesse, avec comme objectif de les surprendre un jour et les battre. »

C’était audacieux, et pour être tout à fait honnête, je me suis dit à l’époque, c'est quand même étrange. Je n’étais pas un prodige. J’étais bon, mais pas exceptionnel. Et soudain, quelqu’un me projetait dans un futur où je pouvais dominer mon sport et renverser la domination chinoise. Je trouvais ça valorisant et ça a tout changé.

Ce discours m’a donné deux choses précieuses : du sens à mon travail quotidien, et une inscription dans le temps qui m'a permis d'évoluer dans  un certain confort.

Je savais que ça prendrait des années, que ce serait long et exigeant, mais ça m’a libéré d’une partie de la pression immédiate. Même dans les périodes de doutes ou de résultats décevants, je pouvais me raccrocher à ce cap.

Nous avions une feuille de route, avec des objectifs intermédiaires : des objectifs quantitatifs – viser une médaille à tel championnat – mais aussi qualitatifs : enchaîner les coups en réduisant ma gestuelle, améliorer la vitesse d’exécution, développer mes appuis... Chaque entraînement avait un sens.

Je crois que c’est très proche de ce que vivent les entrepreneurs : quand on a une vision claire, on accepte mieux les aléas, et les étapes intermédiaires rythment le chemin.

Jean-Philippe Gatien : Détermination résiliente, curiosité et climat positif

Jean-Philippe Gatien : Quand tu te lances dans une aventure de sport de haut niveau, je pense que tu as forcément en toi le goût de l'effort. La notion de résilience est complètement associée à ta détermination – lobsession du résultat - et cest cela qui nourrit ton effort.

Là, ce qui était encore plus excitant est que j'explorais une piste nouvelle. Je voulais savoir si tout ce qu'on mettait en place allait marcher. Je pense que ça m'a maintenu dans un niveau de vigilance et de performance permanent.

Enfin j'ai toujours aussi raisonné en termes d'efficacité. Je n’étais pas forcément le joueur qui m'entraînait le plus, mais probablement celui qui s'entraînait le mieux. Je pense que travailler intelligemment, cibler les périodes, avoir des périodes de calme relatif ou moins stressantes, était aussi une manière pour moi de m'inscrire dans la durée. La rigueur était permanente et tout ce que je faisais, je le faisais vraiment à 100%.

Intégrer l’INSEP à 12 ans a été une épreuve très rude pour moi. Ma mère était opposée à mon départ, et mon père était pour. Ça a été compliqué mais pour le coup  très formateur. Arraché à ma famille, plongé dans un univers de grande rigueur avec 4 à 5 heures d’entraînement par jour, ces années ont été, malgré leur complexité, un accélérateur de maturité formidable. De retour dans ma chambre le soir, face à moi-même, un petit dialogue intérieur se créait. J’ai rapidement développé cette culture du feedback interne. Chaque soir, je repassais mentalement mes séances, je cherchais ce qui avait fonctionné ou pas. Je me projetais sur la suite... Et j’ai ainsi développé cette connaissance qu'un sportif de haut niveau peut avoir de ses émotions, de son corps, de sa tête.

Tout mon environnement était extrêmement positif et je pense que cela a également fortement contribué à ma réussite. Mes parents,, mon frère, mon entraîneur : j’ai toujours eu un entourage bienveillant, qui voyait le verre à moitié plein avec une posture constructive. Cela m’a donné de la sécurité, de la confiance. Pour moi, cest une des grandes leçons pour les managers : si vous voulez que vos équipes performent, commencez par créer un climat positif dans lequel des valeurs comme l’écoute, le respect et la reconnaissance sont clès. La pression existe toujours, mais si elle est accompagnée d’encouragement , elle devient un moteur au lieu de briser.

Enfin, il y avait cette rigueur au sens large : pas seulement à l’entraînement, mais aussi dans les différents maillons de la chaîne de performance: la récupération, le sommeil, l’hygiène de vie. À 16 ans, quand mes camarades sortaient, je choisissais plutôt la voie de la récupération . J’avais conscience que l’opportunité qui m’était donnée était exceptionnelle, et je ne voulais pas l’effriter ou la gâcher.

Jean-Philippe Gatien : L’équipe et la pluridisciplinarité

Jean-Philippe Gatien : Au départ, et vu mon très jeune âge, c’est l’entraîneur qui guide et décide de tout. Mais avec le temps, petit à petit la relation s’inverse, le joueur vient nourrir l’entraîneur et ce dernier apprend du joueur. J’ai commencé à partager mes sensations, mes analyses, pour nourrir l’ensemble du staff, et progressivement les rôles se sont inversés. C’est très intéressant comme parcours et comme cheminement, d’engranger les sensations et d’éclairer l’ensemble de l’équipe. J’ai voulu aller plus loin, en explorant des domaines nouveaux : nutrition, préparation mentale, travail spécifique de tonicité…

C’était assez atypique à l’époque, mais je pressentais que la performance ne se limitait pas à la technique. Ce que jai appris, cest que la réussite vient dune chaîne pluridisciplinaire : entraîneur, préparateur physique, préparateur mental, kiné, nutritionniste, psychologue. Chacun apporte une pièce du puzzle.

Cest intéressant, cest aussi ce que nous faisons avec les chefs dentreprise que nous accompagnons chez Mainpaces. Au début, ils suivent ce processus pluri-disciplinaire que nous leur proposons. Puis, peu à peu, ils sapproprient les méthodes, choisissent leurs interlocuteurs, deviennent les pilotes de leur développement. Ils gagnent énormément en maturité sur ce qui se joue.

On a souvent tendance à dire, champion du monde, quel moment retiens-tu ? Est-ce que c'est la balle de match ?

Alors, forcément, la balle de match, c'est la délivrance, mais moi, ce que je retiens, c'est toutes ces années, ce chemin parcouru. C'est l'ascension, les virages. Parfois  tu chutes, puis tu remontes. C'est ce parcours initiatique qui est absolument génial à vivre, qui plus est quand il est récompensé par le titre suprême. Je me sens ultra privilégié par ce résultat et dans la manière dont ce résultat a pu voir le jour. Je trouve que la démarche était dingue et originale, et construire ce système de jeu basé sur la prise de risque, sur la vitesse, a été également assez jubilatoire.

coaching executif

Jean-Philippe Gatien : De la table de ping-pong à Paris 2024

Jean-Philippe Gatien : Beaucoup de choses. Présider l’INSEP était symboliquement et émotionnellement très fort. Je me suis souvenu du gamin en larmes que j’étais en arrivant à 12 ans… et je me retrouvais de l’autre côté de la barrière. Je suis sorti de ma zone de confort, mais j’avais cette curiosité dont on parlait tout à l’heure. Je pense que ma personnalité, mon calme, ma prise de hauteur, mes réflexions font que les débats du Conseil d’Administration se sont toujours très bien passés. Ma connaissance intérieure de l'établissement, très axée sport-athlète, qui est quand même le cœur du métier de l'INSEP, a été bien utile pour valoriser la performance et l’excellence comme valeur cardinale de l’établissement.

Puis à Paris 2024, comme Directeur des sports, j’ai vécu une aventure incroyable, du dossier de candidature jusqu’à l’organisation.

Les parallèles sont frappants. Dabord, la vision : Paris 2024 voulait marquer l’histoire, comme moi je voulais dominer mon sport. Ensuite, le travail sur les points forts : on gagne sur ses points forts. Pour moi, c’était la vitesse ; pour les Jeux, c’étaient les sites exceptionnels, le Grand Palais, Versailles, la Tour Eiffel…, qui sont devenus des acteurs à part entière de l’événement. Enfin il y avait aussi l'audace et la créativité : faire une cérémonie sur la scène plutôt que de la faire dans un stade, faire pour la première fois un Champions Park, ouvrir un marathon au grand public, avoir des Jeux paritaires, en centre-ville… Beaucoup de premières fois.

Et puis il y a eu l’adaptation. Tout le travail fait par Tony Estanguet et la direction générale, a été très tôt de banaliser l'adaptation. On avait des phrases sur les murs, « On s'adapte, on s'adapte, on s'adapte, on s'adapte. » Il y a ça qui nous arrive, qu'est-ce qu'on fait ?. « Ben, on s'adapte ! » Et ça devenait une boutade.

« Le plan A, c’est l’adaptation. »

On avait ce mantra partout. Rien ne se passe jamais comme prévu. La seule façon de tenir, c’est de banaliser l’adaptation, de ne pas paniquer, et de revenir sans cesse à la vision. Notre capacité d’adaptation ne se faisait pas par rapport à la contrainte qui nous arrivait à l'instant T, mais par rapport à l'ambition qui nous a toujours guidés. Il n’y avait pas de plan B.

Je trouve qu'en France, on se limite trop à ne pas avouer une certaine ambition. Il faut assumer son ambition. Plus l'ambition est grande, plus elle va être mobilisatrice en interne. Le simple fait de la verbaliser et de l'annoncer embarque déjà du monde. Si Tony a tenu, malgré les critiques, malgré tous les remous, c'est parce que la vision avait été partagée largement avec beaucoup de pédagogie. Il a été très bon dans la manière dont il a embarqué tout le monde, en laissant aux uns et aux autres leurs prérogatives dans leur domaine de prédilection tout en restant garant de l'intérêt général du projet. Il s'est toujours mis au-dessus de la mêlée. Tu comprends pourquoi il a été triple Champion Olympique. Ce n'est pas par hasard, il a son obsession du résultat, mais également il le guide en permanence.

Pour réussir, on sest appuyé, notamment à la Direction des Sports,sur des personnes clés qui connaissaient déjà lexercice, tout en construisant une équipe soudée autour dune vision et de valeurs communes : exigence, partage, créativité. L’enjeu, c’était d’embarquer tout le monde, du middle management aux équipes internationales, en leur donnant le sentiment de participer à une mission pour marquer l’Histoire. Il y avait beaucoup de nationalités représentées au sein du COJO et toutes ces personnes étaient également habitées par le projet. C’est cette appropriation collective qui a fait la différence.

Jean-Philippe Gatien : Les enseignements pour les dirigeants daujourdhui

Jean-Philippe Gatien : Plusieurs choses :

  • D’abord, donner du sens. Quand tu sais pourquoi tu te lèves le matin, tu es mieux armé pour affronter le quotidien et tu apprécies l’effort.

  • Ensuite, chercher l’efficacité plus que le volume. L’obsession n’est pas de travailler plus, mais de travailler mieux.

  • Créer un climat positif, qui sécurise et encourage.

  • Miser sur ses points forts, et s’entourer des bonnes personnes.

  • Enfin, assumer l’ambition et cultiver l’adaptation.

Je partage beaucoup de ces éléments à travers les interventions que je propose aux dirigeants d’entreprises, dans le cadre du concept Let’s Ping que j’ai imaginé. Des conférences originales mêlant un volet inspirationnel et un volet ludique et convivial en intégrant du Ping. C’est une autre façon de les transmettre, à retrouver sur mon site.

Jean-Philippe Gatien : Je crois que « rien n’est impossible. » Je suis devenu champion du Monde en étant issu d’un petit club du Sud de la France, Paris 2024 a été une réussite exceptionnelle en marquant l’Histoire et en faisant la fierté de tout un pays . Quand on a l’énergie, qu’on y croit, qu’on se donne les moyens, qu’on s’organise et qu’on se rassemble, tout est possible.

Jean-Philippe Gatien : Soyez audacieux, assumez votre ambition. Plus elle est grande, plus elle sera mobilisatrice. Et n’oubliez pas que rien ne se passera comme prévu. Anticipez l’adaptation, et pensez qu’avant de réussir il n’est pas impossible qu’on puisse échouer. Acceptez l’échec, il est formateur et ne doit pas être destructeur !

Chacun peut devenir champion de son quotidien.

Propos recueillis par Thérèse Lemarchand.



Précédent

Suivant

Restons en contact

Inscrivez-vous à notre newsletter #Leading pour recevoir mensuellement de l'énergie pour le corps et l’esprit, et un voyage prospectif, à consommer à votre rythme.
crosspointer-right