Camille Vever : relancer une Maison familiale

Faire renaître une Maison mythique : le pari audacieux de Camille Vever

Camille Vever : Le premier déclic est survenu à l’âge de seize ans.
Ma grand-mère avait choisi cet âge-là pour nous transmettre un bijou Vever. Ma sœur aînée avait reçu un collier de perles fines, et moi, une broche.

Ce fut un choc émotionnel d’une grande intensité.

Cette transmission, de grand-mère à petite-fille, la beauté du bijou, le nom gravé qui n’était plus seulement celui de ma famille mais aussi celui d’une maison emblématique de la joaillerie ayant marqué l’histoire… Tout cela m’a bouleversée.

J’ai alors pris conscience que cette histoire familiale d’une grande richesse vivait dans les musées, les articles, les écoles, les salles de vente avec une cote très élevée. Ce moment fut un véritable passage de témoin. Une petite voix s’est alors éveillée en moi, qui n’a cessé de m’accompagner tout au long de ma vie professionnelle.

« Il fallait que cette histoire retrouve un présent et s’invente un futur. »

Camille Vever

À trente ans, cette voix s’est rappelée à moi.

Je me suis renseignée sur la propriété intellectuelle de Vever et j’ai découvert qu’un fonds d’investissement luxembourgeois avait déposé la marque à l’échelle mondiale. Ce fut un autre choc, plus rude cette fois. J’en ai parlé à ma famille ; l’étonnement a été général, sans réelle compréhension du sujet. J’ai étouffé ma voix.

Le troisième déclic fut le véritable appel à l’action.

À trente-neuf ans, ce projet est devenu pour moi une nécessité impérieuse. J’ai annoncé à mon entreprise que je souhaitais partir pour un projet personnel. J’ai accompagné la transition, engagé un avocat en propriété intellectuelle afin de récupérer le nom, puis levé des fonds pour racheter la marque. Mon frère jumeau, Damien, m’a rejointe très rapidement.

J’ai intégré l’incubateur de l’Académie des métiers d’art — et là, nouvelle surprise : l’une des salles de cours portait le nom Vever, et en effet on y étudiait largement Vever dans le cadre du cursus! J’y ai été accueillie comme une ambassadrice inattendue.

Cet incubateur m’a permis de m’ouvrir au marché, de rencontrer des artisans d’exception et de collaborer avec un atelier avec lequel je travaille encore aujourd’hui.
Ainsi, l’histoire de Vever s’est remise en mouvement.

Camille Vever : J’avais acquis la conviction intime que j’en étais capable ; que j’étais suffisamment armée pour réussir.

J’ai suivi des études de commerce, puis débuté ma carrière dans la finance, les fusions-acquisitions et la stratégie. En 2016, j’ai décroché un poste de bras droit du CEO d’une business unit de 30 millions d’euros dans un laboratoire biopharmaceutique. Je souhaitais me rapprocher de l’opérationnel. Mère célibataire, j’avais également le désir de revenir à Paris, d’être plus entourée, tout en poursuivant ma carrière.

Je sentais que j’étais faite pour cela : ce que j’aimais particulièrement chez Eurofins, mon précédent poste en Belgique, c’était de créer des synergies, d’insuffler un esprit entrepreneurial dans mes missions de fusion-acquisition.

Six mois plus tard, je suis devenue directrice générale de cette entreprise, Keyrus Biopharma.
À trente-cinq ans, être une femme CEO dans un environnement masculin, empreint de paternalisme, relevait du défi. Je travaillais avec des experts chevronnés, des scientifiques brillants, et il a fallu composer avec beaucoup d’affects.

J’ai accepté le poste à condition d’être accompagnée par un coach. Ce qui a été décisif.
Avec ce soutien et la force des équipes, nous avons redressé l’entreprise et regagné la confiance de nos clients.

Ces trois années ont été fondatrices : elles ont consolidé ma légitimité, nourri ma confiance, et m’ont donné l’élan nécessaire pour entreprendre à mon tour.

Camille Vever : C’est avant tout une conviction intime, et cela me paraissait profondément cohérent avec la symbolique de la joaillerie : une ode à l’amour et un geste de transmission. 

Je voulais ancrer la renaissance de Vever dans son histoire tout en lui insufflant des valeurs fortes et contemporaines. Notre univers artistique célèbre la nature et la femme, avec l’influence marquée de l’Art nouveau et du japonisme.

Nous avons donc voulu aborder les enjeux environnementaux et sociétaux du secteur autour de trois piliers :

  • la protection de l’environnement,
  • la préservation du savoir-faire français,,
  • et le soutien des femmes.

Vever a été inscrite dès sa relance comme Entreprise à mission. C’était une évidence pour moi.

Camille Vever : Je suis d’une nature profondément engagée. Le refus de l’injustice m’a toujours habitée. J’ai toujours été investie dans le bénévolat, les maraudes, les actions associatives.

Je ne suis pas née avec les sujets d’écoresponsabilités ; ma prise de conscience s’est faite progressivement, mais elle est profonde. Aujourd’hui, je mesure à quel point notre planète est fragile, et combien il est urgent de repenser les modes de direction et d’action de nos entreprises.
Il m’était impensable de relancer Vever sans m’attaquer aux enjeux cruciaux de la joaillerie : les dérives de l’extraction minière, la préservation du savoir-faire français, le respect du vivant dont l’humanité fait partie.

S’obstiner à maintenir le “classique” sera désormais considéré comme un aveu d’impuissance à créer du nouveau.

Maud Ernstyl (Henri Vever), 1900

On n’en parle pas assez, mais il y a en joaillerie un savoir-faire français exceptionnel, en particulier sur le maquettage, les techniques de sertissage,… qui permettent à la fois un travail de texture extraordinaire et d’assurer la longévité de la pièce. Maintenir ces savoir-faire en France à travers les sept ateliers avec lesquels nous collaborons est pour moi une bataille essentielle — que je partage avec quelques autres grandes maisons comme Van Cleef & Arpels.

Et de façon plus personnelle, la création, le contact avec les ateliers sont pour moi de grands espaces de ressourcement dans mon quotidien professionnel.

Leadership féminin : les conseils de Camille Vever

Camille Vever : Je travaille dans un univers féminin, je suis entrepreneure et femme : le leadership féminin est au cœur de mon expérience et de mon engagement.

Être entrepreneure n’a rien de “glamour” : c’est un parcours fait de montagnes russes émotionnelles, de solitude, de résilience. Même les figures emblématiques de l’entrepreneuriat comme Marc Simoncini ont connu leurs échecs. La santé mentale de l’entrepreneur, et plus encore de l’entrepreneure, est un vrai sujet.

Je crois donc qu’il faut regarder cela bien en face, et au risque de ne pas être consensuelle, commencer par faire un travail sur nous-mêmes.

J’ai le sentiment que les hommes sont plus conquérants : ils se posent moins de questions, ils négocient différemment. J’ai été très « masculine » dans la façon dont je me suis emparée de mes fonctions chez Eurofins, puis chez Keyrus Biopharma. Je crois que les femmes doivent s’autoriser cette audace, cet esprit de conquête et de pouvoir. 

Et pour oser, pour développer ces capacités émotionnelles et de rebond, durer et s’épanouir elles peuvent, comme vous le proposez chez Mainpaces, être accompagnées pour cela.

Je suis également favorable aux quotas.

Les études le démontrent : plus la diversité est grande au sein des instances dirigeantes et dans les entreprises en général, plus les entreprises sont performantes. Mais il faut dépasser l’application mécanique des quotas, parfois contre-productive. Les femmes doivent être préparées à exercer ces responsabilités : il faut créer des viviers de femmes dans les entreprises, identifier les talents, les former, créer des parcours d’ascension féminins.

Et puis, pour que les femmes comptent, il faut pouvoir les compter : deux femmes dans un comité de dix hommes, c’est trop peu pour influencer une culture managériale, affirmer un point de vue plus nuancé.

Je crois enfin que tout commence par l’éducation.

Les biais de genre apparaissent dès le CE1 sur les mathématiques, alors qu’ils sont absents dans les classes non mixtes. Nous devons encourager les jeunes filles à se diriger vers les sciences, l’ingénierie, la tech, l’intelligence artificielle : ce sont les métiers du leadership de demain.

coaching executif

Gouvernance, stratégie et audace : la vision entrepreneuriale de Camille Vever

Camille Vever : Nous avons une holding familiale où interviennent mon père, ma mère, des cousins…

Lors de mon dernier board, j’ai souhaité qu’un membre de la holding siège au conseil de Vever. Nous avons intégré mon cousin, Dimitri Boulte. Il y a beaucoup d’avantages à cela. Dimitri est un atout précieux pour nous, son parcours peut beaucoup apporter à la Maison. Il offre un autre regard, un canal d’information supplémentaire pour la famille, plus de recul, et plus de lien.

La gouvernance est un enjeu essentiel de l’entrepreneur qui dépasse celui de l’entreprise familiale. Certains entrepreneurs non aguerris sont tellement contents de lever de l’argent qu’ils ne font pas attention aux personnes qu’ils font rentrer au capital. C’est une erreur. Il faut qu’il y ait un fit, une confiance réciproque et de la smart money, pas uniquement de l’argent. Travailler le pacte d’actionnaire et s’impliquer personnellement dedans au-delà des discussions d’avocat est un moyen de se connaître et d’anticiper le déroulement des opérations. C’est une manière très saine de se préparer à toutes sortes de discussions y compris les plus difficiles, et c’est très instructif.

Camille Vever : Au tout début, le plus difficile a été la bataille pour la marque. J’y avais investi toutes mes économies ; voir fondre cet argent sans garantie de résultat a été extrêmement éprouvant

Camille Vever

Lorsque j’ai relancé Vever, je pensais naïvement que le démarrage serait immédiat. La haute joaillerie occupait une place centrale dans le business model, une erreur, car même si Vever fut l’un des plus grands joailliers, la maison n’était plus connue que des historiens et des passionnés, et restait largement ignorée du grand public.

Notre stratégie de communication initiale s’est également révélée inadaptée : nous avions trop investi en plan média, un effort disproportionné par rapport à nos moyens, et dérisoire face aux budgets colossaux des grandes Maisons de la place Vendôme.

J’ai tiré les leçons de ces erreurs. Le marché de la joaillerie de marque est extrêmement concurrentiel : il faut se distinguer par son offre, son univers, l’expérience client et sa vision. La clé, c’est de connaître sa cliente et de proposer une joaillerie différente, incarnée et authentique.

« L’achat d’un bijou est un acte intime. Il s’inscrit dans le temps, se transmet et porte une histoire. »

Camille Vever

Cette âme, cette authenticité doivent être au cœur même de la Maison, qui doit être pleinement incarnée.

C’est ce que nos clientes apprécient chez Vever : notre sincérité. Une maison familiale et historique, où l’intelligence du cœur et celle de la main sont indissociables de nos valeurs.

Nous avons repensé notre approche du retail en construisant, avec nos clientes, une véritable communauté engagée. Le showroom, les réceptions, le podcast Les Voix de l’Audace, les conférences… tout cela a donné naissance à un cercle de femmes inspirantes, prescriptrices, amies.

À travers mon podcast Les Voix de l’Audace, j’ai la chance de rencontrer des femmes affirmées et audacieuses comme Pauline Duval, Éliane Rouyer-Chevalier, Vitalie Taittinger, Olivia Grégoire, Brune Poirson ou Anne Bouverot. Ces échanges me nourrissent profondément : ils sont une véritable source d’énergie et de sens que je n’avais jamais connue dans mes précédentes vies professionnelles.

Je suis également heureuse de pouvoir transmettre ces expériences à d’autres femmes, qui peuvent les aider à oser à leur tour et se réaliser pleinement.

Aujourd’hui, je suis fière du chemin parcouru : Vever connaît une très belle croissance et porte de magnifiques projets d’expansion.

Camille Vever : Deux maximes m’accompagnent chaque jour :

« Il ne suffit pas de prédire l’avenir, il faut le créer. » — Abraham Lincoln
« Un pessimiste voit la difficulté dans chaque opportunité, un optimiste voit l’opportunité dans chaque difficulté. » — Winston Churchill

Elles me représentent bien. Je suis profondément intuitive. Cette intuition, je l’ai testée, éprouvée, affinée dans de nombreuses situations. Elle m’aide à imaginer, à expérimenter, à décider.

Face aux obstacles, je me dis toujours qu’une solution existe. Et lorsque j’ai fait tout ce qui était en mon pouvoir, je reste plutôt calme car ce qui doit arriver n’est plus entre mes mains.

Camille Vever : Je vous invite bien sûr à venir découvrir avec vos yeux l’univers de Vever !
C’est une expérience sensorielle avant tout.

Vous pouvez venir au showroom : nos podcasts y sont enregistrés en live, dans une atmosphère d’échange et d’audace. Cliquez ici pour vous y inscrire.

Et bientôt, en 20261, une grande exposition de 6 mois au Musée de Merz présentera une rétrospective inédite : bijoux d’archives, nouvelles collections, prêts du Petit Palais, du Musée d’Orsay, du Musée des Arts Décoratifs, de collectionneurs privés.

Vous y découvrirez également l’univers d’Henri Vever, collectionneur avant-gardiste, passionné d’art impressionniste, d’objets asiatiques et de miniatures persanes — un véritable voyage à travers le regard d’un homme visionnaire.

Propos recueillis par Thérèse Lemarchand.



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  1. Un ouvrage consacré à Vever sortira également à cette période. ↩︎

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