Intelligence de la vie et anatomie de la volonté, réflexion par Jean-Daniel Remond

Coach de dirigeants et de hauts responsables, conférencier et écrivain, Jean Daniel Remond est créateur d'une méthode de coaching centré sur l'optimisation du potentiel de dirigeants et de hauts responsables. Psychologue et biologiste, sa passion pour l’être humain et la compréhension de son fonctionnement ont guidé sa carrière et ses multiples contributions.

Dans cet article, Jean-Daniel Remond nous offre une réflexion sur l'intelligence de la vie et dissèque les composantes de notre volonté : qu'est ce qui nous anime, au niveau personnel ou en collectif ? Quels défis pour le dirigeant aujourd'hui et demain ?

Interview réalisée le 23/02/2023 par Thérèse Lemarchand, CEO Mainpaces

Bonjour Jean-Daniel, tu es coach de dirigeants et de hauts responsables depuis plus de 30 ans, après une longue carrière dans différentes entreprises et associations dont la Croix Rouge, écrivain, conférencier. Tu as une formation initiale en psychologie et biologie, avec une spécialisation en neuroscience. Nous avons aussi l’honneur de t’avoir au sein du Conseil Scientifique de Mainpaces.

Qu’est-ce qui a guidé ces choix ?

C’est ma passion pour l’être humain, pour la compréhension du fonctionnement de l’être humain, qui ont guidé ma carrière, les entreprises que j’ai créées ou auxquelles j’ai contribué. La base de ma formation m’a aidé à le comprendre, j’ai ensuite mené beaucoup d’actions sur le plan individuel et collectif pour toujours avancer dans cette recherche. L’approche globale du coaching de Mainpaces m’a séduit car elle nourrit cela, elle prend en compte la personne dans tout ce qui la constitue.

Le coaching comme mise en mouvement

Comment la neurobiologie, la compréhension de notre mode de fonctionnement, en tant qu’être biologique et vivant, peut aider dans une démarche de coaching ? 

Tout ce que le coaché, ou la personne, vit, s’explique à travers le fonctionnement de l’être humain de manière générale. Toute la dynamique d’une personne est issue de lois physiques, biologiques, de la santé au sens global de l’OMS, « un état de complet bien-être physique, mental et social », et de sa dimension spirituelle.

Quand les personnes comprennent les mécanismes qui les agissent, cela les aide beaucoup pour voir ce qui se joue dans telle ou telle situation.

C’est la même chose sur le plan psychanalytique. A partir du moment où on facilite la parole et le fait de nommer les choses, on peut nourrir la « représentation » que les personnes ont d’elles-mêmes, et donc les mécanismes qui jouent sur la constitution de sa représentation.

Il y a toujours des systèmes de représentation qui sont à l’origine de nos comportements. Plus on les éclaircit, plus la personne peut agir sur ces mécanismes, si elle le souhaite.

Le sujet est de donner l’envie de développer les mécanismes qu’on a en soi.

Passer de la compréhension au développement est tout le rôle du coach. C’est l’émotion (étymologiquement – mise en mouvement) qui va permettre de passer à l’action. La relation intime qu’il développe avec la personne provoque le déclenchement de cette émotion, qui crée l’envie de convertir la compréhension en action, en comportements plus conscients.

Peut-on dire que ce jeu de compréhension - action, est la représentation d’une interaction corps - mental ? 

Oui, c’est intéressant de le présenter dans ce sens ! La compréhension passe par le plan physique, car c’est une compréhension des mouvements, une compréhension intérieure, proprioceptive, sensible, il y a une grande richesse de facteurs, et autant de possibilités d’actions dessus.

La base de l’action est l’envie que tu déclenches. En tant que coach elle est liée à la motivation que tu sais créer chez l’autre. C’est une envie de mise en action, de ce que la personne a pu comprendre d’elle-même, des représentations sur lesquelles elle peut agi, mais qui l’agissent également, souvent inconsciemment. C’est pour cela qu’un coaching de longue durée peut être profond, parce que l’action peut s’enrichir de la relation que le coach développe avec les personnes que qu’il accompagne, pour mobiliser cette énergie là.

Prenons un exemple, que se passe-t-il quand on se fixe un objectif, et en quoi le corps aide le mental, dans une utilisation de ses ressources efficace ?

La notion d’objectifs est très particulière. La première question à se poser est : est-ce que cet objectif t’a été imposé, ou est-ce qu’il a été choisi ?

L’étymologie du mot est intéressante. Il est formé du verbe jacere (« jeter ») avec le préfixe ob- (« devant »). L’objectif, c’est “jeter devant” - c’est donc quelque chose que tu projettes.

Si un objectif t’a été imposé, c’est à toi de le convertir, de le choisir, de trouver le moyen de le faire tien, de t’adapter à ce qui t’est demandé, et d’ajuster la tension qui va être nécessaire pour atteindre cet objectif. Cette notion de « tension » est capitale. Il faut toujours apprendre à identifier les deux pôles d’une tension, car c’est la tension qui crée le mouvement. 

Si on t’impose un objectif, le sujet sera de l'intérioriser, pour qu’il soit adapté à tes capacités, ou pour constater qu’il te dépasse, en fonction de ta sensibilité intérieure, ou des apprentissages passés. C’est tout l’enjeu de l’atteinte d’un nouveau record pour un sportif, car par définition il n’a jamais été aussi loin auparavant.

Si on prend l’exemple du saut à la perche pour illustrer cela, la tension sera posée entre ce que je ressens au temps t0, et comment je vais engager mon corps à passer les 6m22 (record du monde qu’Armand Duplantis – 23 ans, a ré-établi samedi 25 février 2023, battant son propre record de 6m21). Je vais m’obliger à rassembler tout ce que je connais de mon corps et de mes capacités, avec l’envie de dépasser les limites.

Armand Duplantis jumps 6.0 meters at Stockholm Stadium on August 24, 2019, credit : Frankie Fouganthin
Armand Duplantis jumps 6.0 meters at Stockholm Stadium on August 24, 2019, credit : Frankie Fouganthin

Cette envie est celle de découvrir quelque chose de moi que je ne connais pas. A chaque fois c’est une naissance nouvelle. On revient à un état d’adolescence, d’exploration de ses limites, de l’envie de les dépasser et donc de création de soi-même. 

Donc en synthèse, quand on atteint un objectif ambitieux, ou un record, on gère une tension qu’on a appris à connaître, entre son état du moment, et l’état intérieur qui nous est demandé au moment où l’on dépasse ce record du monde. C’est lié à la fois à une connaissance de soi, et une envie de se dépasser.

Développement du potentiel et écologie personnelle

Comment fait-on alors pour que cette nouvelle naissance soit la manifestation d’une écologie personnelle, fructueuse, et non pas épuisante ?

C’est l’enjeu de la connaissance de soi dans la performance, quel qu’en soit le domaine.

La promesse de réussite est la promesse de naître à un autre niveau de soi-même. Tu te prépares pour ça. 

Tout le moment de la préparation se déroule mentalement dans les couches sous-jacentes du cortex. Le cerveau y fonctionne de manière analogique. Tu vas te préparer, tu vas maturer ta prestation, tu vas essayer d’enregistrer l’état dans lequel tu vas être au meilleur niveau de toi. Cela crée un stock de data qui est enregistré, donc une sorte de mémoire spécifique et constamment actualisée.

La dernière couche du cortex est celle qui travaille en binaire, en digital. C’est là où se situe la prise de décision. Si les données enregistrées ne sont pas précises, on ne passe pas au niveau de cette couche du cortex.

Le coach, qu’il soit coach sportif ou coach de dirigeant, peut déclencher cela, l’envie de passer d’un système analogique dans lequel tout un ensemble de grandeurs évolue, à un système de décision, de données discrètes. Aider à éclaircir ce qui est flou dans le cerveau, pour déclencher cette décision d’y aller, franche et déterminée, est le rôle essentiel du coach, ou l’enjeu de la personne elle-même si elle n’est pas coachée. Et comme tu le sais, quand un objectif est précisément fixé, on ne pense plus qu’à ça et ce côté binaire est le gage de la réussite dans l’épreuve, car rien ne vient le parasiter.

Je vois ce que tu veux dire. A mon petit niveau, je vis cela en surf. Au moment d’un take-off un peu difficile, si je ne suis pas pleinement dedans ça ne passe pas.

Quand notre état intérieur est dissocié, il y a trop d’informations, trop de data qui se mélangent, qui ne sont pas classées. On ne peut pas aboutir à cette couche ultime du cortex. Cela peut être dû à une fatigue non ressentie, à un état qui n’est plus aussi clair inconsciemment dans notre corps.

Je vais donc émettre une hypothèse de ce qui peut se passer. Si en surf, ce scan de tous ces moments où tu as pratiqué ne se fait pas bien, tu ne te sens pas prête et tu ne fais pas le mouvement nécessaire. C’est un scan très rapide de tout ce que tu as enregistré en termes de préparation de ton corps et de ton mental en pleine performance. Si tout n’est pas réuni, tu ne passes pas au niveau où tu voudrais.

Surfeurs sur la côte basque par gros temps

C’est là qu’il y a une différence entre la volonté et la capacité ?

Oui, en effet. La capacité est liée à un système inconscient fort, à toute une multitude de paramètres enregistrés dans le corps et dans le mental dans les moments d’excellence, aux meilleurs moments de tes performances. S’il manque un élément, si tout n’est pas réuni cela ne passe pas, et un excès de volonté, c’est à dire du volontarisme risque même d’annuler l’expression de certaines datas.

Comment alors développer son potentiel sans s’épuiser, mais tout en étant quand même moteur vers cette connaissance, ce dépassement qui est également réjouissant, et énergisant ?

Quand tu veux avoir une performance plus forte encore, il faut le temps de passer en revue cette carte mentale, et donc d’arriver à la connaître. C’est là qu’un coach ou quelqu’un d’extérieur est tout aussi important que ton propre regard sur toi, de ta propre connaissance de toi, pour passer en revue ces éléments, et accompagner ce temps de maturation nécessaire. Il faut que tout soit prêt au temps t0.

La justesse dans l’optimisation est permanente.

Si on prend l’exemple d’une course, un 100m ou un 110 m haies, quand tu vois certains se préparer, leur mime des gestes est fantastique à voir. Ils réactivent leur corps à tous les endroits qui vont être en mouvement. Ils réactivent la mémoire de l'entraînement. Et il faut qu’en plus il y ait l'envie ce jour-là de battre son propre record. C’est le mélange des deux, l’activation du corps et l’envie de se dépasser, parce que c’est le moment d’atteindre l’objectif que la personne s’est fixée. Les Jeux Olympiques sont pour cela fascinants, rejouer et rebattre son record par exemple 4 ans après. Ce que cela veut dire physiquement et mentalement comme programmation, est ahurissant.

Dirigeants : quels défis personnels, collectifs et pour la société ?

Comment ces enjeux de programmation, de préparation, et de décision binaire se traduisent dans la vie courante d’un dirigeant, dont les objectifs et les décisions se jouent sur de multiples plans, de façon permanente et rapide ?

En effet, il y a tellement de paramètres. Il faut d'abord que le dirigeant en question ait une vision très claire de ce qu’il souhaite, ce qui est déjà très rare. 

Prenons un objectif quantitatif de +10%, fréquent dans le monde économique. C’est un objectif qui se veut précis mais qui est relativement flou car ce n’est pas ça qui va déclencher l’envie en interne de l’entreprise, ni même l’envie de la personne qui la dirige. Pour qu’un objectif soit atteint, il faut qu’il soit absolu.

L’enjeu est de préparer ton entreprise à ces 10% théoriques, qui n’est pas un objectif en tant que tel. L’objectif du dirigeant est que tous les paramètres qui sont sous sa dépendance, sous son autorité, soient au rendez-vous pour atteindre ce chiffre.

Cela veut dire que l’entreprise suit, que son équipe suit, qu’il y a un mouvement interne fort qui va garantir la réussite.

C’est la tension du corps de l’entreprise, en interne, qu’il doit préparer et accompagner, pour que l’entreprise soit au faîte d’elle-même pour s’engager dans un objectif qu’elle est capable de dépasser.

Mais c’est aussi tout un environnement qu’elle doit être capable de maîtriser, et d’éléments contingents. C’est un travail probabiliste, qui permet de conclure qu’on a tous les éléments en main pour réussir. Qu’est-ce que je contrôle, qu’est-ce que je ne contrôle pas, et qu’est-ce que je fais avec ça ? Cela implique nécessairement une marge d’erreur.

Le potentiel interne et le potentiel externe constituent les deux pôles de tensions de l’énergie en action, en étant conscient que plus on touche à une masse de paramètres, plus la direction est fragile. On avance à l’aveuglette, avec un flou qu’il faut accepter en tant que dirigeant, même si on travaille à réduire toujours cette incertitude. 

Passer de l’individu à un groupe change complètement la donne. La maturation, l'adhésion, la préparation de l’équipe, et l’analyse de l’externe, c’est toute la difficulté du rôle du dirigeant. 

Quelles sont les qualités essentielles pour un dirigeant - un chef d’entreprise, pour toi aujourd’hui ?

La première qualité d’une personne dirigeante est le niveau de conscience qu’elle a aujourd’hui des tensions qu’elle doit gérer, à l’intérieur - la dynamique de l’entreprise, à l'extérieur - son environnement, et en tant que personne, une capacité en permanence de faire le point de là où elle en est

Le bon dirigeant est également quelqu'un qui saura provoquer dans son environnement les opportunités qu’il peut lui offrir. Il aura en plus une qualité d’intuition, une disponibilité, le recul minimal nécessaire pour jouer avec, ou pour intégrer au dernier moment des données qu’il n’avait pas prévues, des choses qui ne sont pas de l’ordre de la rationalité, et qu’il va convertir.

On peut résumer cela en une « qualité de présence au monde », de présence à lui, et du recul. On y retrouve la santé, le repos, la conscience de son potentiel, et de sa capacité à réagir, de la connaissance qu’il a de lui-même, et de ce sur quoi il peut compter.

Il y a un sujet de rapport au vivant, de compréhension, d’apprentissage, de respect de ce que nous sommes, en tant qu’humains. Y-a-t-il un lien entre écologie personnelle et écologie globale ?

Tout à fait. C’est de là que naît aussi l’incertitude permanente, car c’est vivant. Si tu es vivant et que tu captes la vie le plus possible autour de toi, tu as toutes les chances de réussir. 

Cela implique une connaissance du vivant et de l’environnement, qui va bien au-delà de la simple question de la technique. Être capable de capter ce qui est vivant dans une situation, est une question d’alerte permanente sur ce qui est vivant.

C’est aussi le sujet de la prospective. Le vivant s’exprimera dans les tendances et les mouvements de fond. Il faut être en alerte sur ces tendances profondes, ces trends très intenses, les signaux faibles et forts que la société et l’environnement nous renvoient.

Il y a donc à maintenir un niveau de vigilance permanent, et une curiosité, ou dit autrement une qualité de présence avec une dynamique permanente.

L'intelligence du vivant

On vit dans une société où l’information est omniprésente, comment faire le tri dans ce foisonnement d’images et de paroles si on maintient un niveau de vigilance élevé ?

Il faut revenir à la base de la notion d’information. L’information n’est pas du bruit. L’information est un différentiel que tu captes, c’est quelque chose de différent par rapport à ce qui existait avant. Donc la vigilance, la curiosité, doit reposer sur ce qui est différent. 

La façon dont tu t'entraînes en tant que personne, en tant que dirigeante, à hiérarchiser tes informations est essentiel. Quelle est ta grille de lecture personnelle qui va permettre de classer ces informations ?

Qu’est-ce qui est de l’ordre 

  • du micro, de la cellule, de l’organe, de l’organisme dans son ensemble, de la personne,
  • de la matière : atome, molécule, environnement
  • du psychologique, du sociologique, de la société dans son ensemble 

A quel moment une information concerne une de ces catégories, me concerne, concerne mon corps, concerne la géopolitique, le planétaire, l’univers,... ?

Tout cela crée une échelle de valeurs, et permet de travailler sur la complexité de l’information. Si j’entends telle information, quel niveau ça touche ? Pour moi, pour mon équipe, pour les gens qui m’entourent, quelles sont les conséquences de l’information ? C’est une règle de prospective importante. Quand j'entraîne des responsables de haut niveau, je travaille toujours là-dessus avec eux en coaching. 

As-tu une maxime dans ta vie ?

Mon fil directeur est “développer tout ce que j’ai en moi”. Cela veut dire que je découvre à chaque fois ce que j’ai en moi, à l’occasion de tout ce que je vis.

C’est le but de ma vie. Je suis arrivé sur terre avec un capital, des ressources, mais c’est à moi d’en prendre conscience, et après de le développer. Et à 81 ans je n’ai pas fini ! Je me donne encore 10 ans de cognition à peu près correcte pour progresser là-dedans 🙂

Quel est le dernier message que tu voudrais passer à ceux qui nous lisent ?

Je suis un amoureux de la vie, pour moi le message est de découvrir la vie sous tous ses aspects en permanence, et de la respecter. 

La vie est d’une richesse ahurissante. C’est la vie qui m’anime, elle me traverse, c’est à moi de capter ce qu’elle me dit, ce qu’elle m’envoie. Je n’ai pas de puissance sur la vie, mais c’est à moi d’avoir l’intelligence de cette vie, d'écouter ce qu’elle me dit, ce qu’elle me raconte.

C’est ça qui m’intéresse, l’intelligence de la vie me tient vraiment à cœur.

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