Responsabilité et liberté : comment exercer une liberté responsable ? 

En tant que dirigeant, vous devez prendre des décisions, trancher, arbitrer, orienter, dans un emploi du temps contraint, et être ainsi capable de percevoir le plus rapidement possible les enjeux du problème posé. 

Lorsque l’on a la tête dans le guidon, avec le souci de garder la trajectoire et d’embarquer tout le peloton sur le bon chemin, on est parfois frustré de ne pas prendre le temps de regarder le paysage. 

"Regarder le paysage", faire ce pas de côté et prendre de la hauteur pour penser, c’est ce que Mainpaces vous propose dans ses bulles philosophiques. 

Cette troisième bulle philosophique aborde les notions de liberté et de responsabilité. 

Comment être à la fois libres et responsables ? Comment exercer notre liberté (agir, décider, arbitrer, communiquer, s'exprimer...) tout en veillant à agir avec responsabilité ? La question est classique en philosophie, mais elle se colore depuis quelques années de vert et de bleu : l'écologie implique d'intégrer la responsabilité à travers le prisme de notre rapport à la planète. A partir de la définition sartrienne de la liberté, radicale car existentialiste, nous découvrirons quelques grands textes sur la responsabilité qui nourriront notre réflexion. 

Article librement inspiré de la conférence de Camille Prost

Qu’est ce que la responsabilité ? 

Le terme “responsabilité” est issu du latin « respondere » qui signifie répondre. L’expression  « répondre de ses actes » exprime que l’on assume pleinement ses actes, que l’on s’en reconnaît l’auteur. 

Dans le langage courant, responsabilité porte trois sens distincts :

  • Désigne une certaine maturité psychologique, la faculté de bien juger, de prendre des décisions raisonnables et avisées (exemple : « cet adolescent est très responsable »)

  • Désigne aussi une charge qu’on accepte d’assumer (prendre la responsabilité de…, avoir des responsabilités…) et qui renvoie à des capacités de décision dans un domaine donné (notamment professionnel) 

  • Porte un sens juridique, avec une distinction structurante entre deux responsabilités 
    • La responsabilité civile, qui établit entre un acte dommageable et une personne donnée, une relation directe qui fait de la personne responsable l’auteur de l’acte (fonction réparatrice, indemnisation d’une victime…) ;
    • La responsabilité pénale, qui a pour fonction de punir.

En philosophie, la responsabilité pose le problème de la nature du lien entre l’homme et ses actes. Si nous sommes responsables des actes que nous avons commis : 

  • Pourquoi le droit reconnaît-il, par exemple, qu’un criminel qui tue en état de folie n’est pas responsable de son acte ? 
  • Pourquoi les parents sont, aux yeux de la loi, responsables des actes de leurs enfants ? 

La responsabilité ne peut être pensée sans questionner la liberté. Etre libre, c’est être en mesure d’assumer l’ensemble de ses actes, être responsable, c’est pouvoir répondre de ceux-ci. Ainsi, une grande liberté implique une grande responsabilité. Plus une personne a du pouvoir, plus les conséquences de ses actes peuvent s’avérer impactantes.

Liberté et responsabilité, quelles articulations chez Sartre ? 

Jean-Paul Sartre était l’une des figures clés de la philosophie de l’existentialisme et de la phénoménologie. 

L'existentialisme est un courant philosophique et littéraire qui considère que l'être humain forme l'essence de sa vie par ses propres actions, celles-ci n'étant pas prédéterminées par des doctrines théologiques, philosophiques ou morales. L'existentialisme considère chaque individu comme un être unique maître de ses actes, de son destin et des valeurs qu'il décide d'adopter. 

"L'existence précède l'essence"

Jean-Paul Sartre

L'existentialisme sartrien est résumé par la célèbre formule : « l'existence précède l'essence », c'est-à-dire que chaque individu surgit dans le monde initialement sans but ni valeurs prédéfinies, puis, lors de son existence, il se définit par ses actes dont il est pleinement responsable et qui modifient son essence ; à sa mort, son essence se fige.

Lecture 1 - Sartre

« Jamais nous n’avons été plus libres que sous l’occupation allemande » Jean-Paul Sartre, Les lettres françaises, 1944. Cette citation qui fait polémique s'explique par le fait que l’Homme, sous la contrainte, est obligé de faire des choix et en faisant des choix, on prend des décisions qui nous poussent à agir d’une certaine manière. Le pouvoir de la liberté ne réside pas seulement dans le pouvoir d’action, mais également dans la conception que nous-nous faisons du monde extérieur. Nos actions dessinent une certaine vision de l’humanité, notre responsabilité engage l’humanité entière. 

Lecture 2 - Sartre

La responsabilité comme pilier de l’éthique

L’éthique est très proche de la morale, mais en philosophie, ce sont deux notions différentes. 

L’éthique se définit comme les déterminations du comportement de chaque sujet. Elle s’incarne dans des valeurs et elle est rapportée à un ici et maintenant (un « être ensemble »).

La morale quant à elle est universelle, irréductible, transcendante. La morale est loi.

Le philosophe Max Weber porte ses interrogations sur les changements opérés sur la société avec l'entrée dans la modernité (analyses sur le capitalisme industriel, la bureaucratie, le processus de rationalisation en Occident…). En réfléchissant sur la relation entre éthique et politique, Max Weber distingue deux types d'éthique :

  • l'éthique des intentions (ou des principes)
  • l'éthique de la responsabilité (ou des conséquences) 
Lecture 3 - Weber

M. Weber questionne alors l’intention dans l’action, et les conséquences qui pèsent alors cette action. Cela nous amène à une réflexion sur la cohérence et l’alignement de nos actions avec nos valeurs. 

Responsabilité, éthique : qu’en est-il de la temporalité ? 

Hans Jonas (1903-1993) est un historien et philosophe allemand connu pour son éthique pour l'âge technologique qui est développée dans son œuvre principale, Le Principe responsabilité (1979).

Il est l'un des rares philosophes du XXe siècle à avoir réfléchi sur les problèmes environnementaux avant l’heure. Il a en effet choisi de développer l’éthique de la responsabilité pour faire face aux défis planétaires futurs et aux défis technologiques.

Il part du constat suivant : l’éthique traditionnelle fondée sur la simultanéité (présent) et la réciprocité (égalité des droits) n’est plus adaptée à notre monde dont la survie n’est plus garantie... Il faut donc repenser cette question.

Lecture 4 - Jonas

« Nous autres, civilisations, nous savons maintenant que nous sommes mortelles. »

Paul VALÉRY (1871-1945), La Crise de l’esprit (1919)

Le technique échappe progressivement au contrôle de l’homme et comporte des effets néfastes à long terme : pollution, déchets industriels, informatiques... La technologie menace même l’homme lui-même (manipulation du patrimoine génétique...). La nature et l’homme sont donc désormais dans une situation très précaire. 

Se focaliser uniquement sur le présent peut être dommageable pour l’avenir. C’est là que se situe le principe de responsabilité : les générations présentes ont le devoir moral de rendre possible la continuité de la vie et la survie des générations futures. La technique implique la nécessité de persévérer pour la tâche morale. 

Ce n’est plus l’amour ou le respect qui fonde l’éthique, mais le maintien sur la terre d’une vie qui ne va pas de soi, qui a cessé d’être une donnée naturelle.

3 aspects sous tendent ce principe :

  • L'existence d'un monde habitable : il présuppose une interaction entre l'humanité elle-même et les différentes ressources qui l'entourent, l'existence d’un monde habitable dans lequel l'humanité agit rationnellement. 

  • Un monde sans hommes n'est rien pour Jonas : sans humanité, l'être disparaît. Ce monde sans nous n'a aucun sens. 

  • L'être de l'humanité et l'humanité créative : si l'être humain n'agit pas avec des valeurs ou avec une conscience rationnelle ou morale, il ne fait pas partie de l'humanité elle-même. L'être humain crée de la valeur, et une humanité non créative ne serait pas strictement humaine.

« Il est beaucoup plus probable que la peur obtienne ce que la raison n’a pas obtenu et qu’elle parvienne à ce à quoi la raison n’est pas parvenue. Paradoxalement, l’espoir réside à mes yeux dans l’éducation par l’intermédiaire des catastrophes »

Hans Jonas

La responsabilité en 4 piliers

La responsabilité est complexe à théoriser, et un exercice pratique personnel peut être bénéfique. Faire le point sur l’étendue de sa liberté personnelle : ai-je plus de libertés que dans d’autres pays ? Ai-je plus de libertés au travail que d’autres personnes ? Puis-je décider, arbitrer, m’exprimer, faire des choix, trancher ? Est-ce que je savoure toujours cela à sa juste valeur ? Puis mettre en rapport ce degré de liberté avec la prise de conscience des responsabilités qui l'accompagnent, puisque l’un ne va pas sans l’autre. 

Nous pouvons alors résumer la notion de responsabilité sur 4 niveaux : 

  • Responsabilité à l’égard de nous-même : est-ce que je suis en accord avec moi-même ? mes valeurs ? Est-ce que je suis toujours honnête avec moi-même ?

  • Responsabilité à l’égard de mon cercle proche : amour, amis, enfants, collègues, salariés...

  • Responsabilité à l’égard d’autrui au sens large : dans une optique sartrienne, dans laquelle mes choix conditionnent l’ensemble des êtres humains (le vote, mon bilan carbone, mon rapport à la citoyenneté...)

  • Responsabilité à l’égard de la planète puisque Hans Jonas nous invite à pratiquer une éthique du lointain: « Agis de façon que les effets de ton action soient compatibles avec la permanence d’une vie authentiquement humaine sur terre. »

Il s'agit donc d'une responsabilité qui va au-delà de l'individu et de ses simples fins, et qui prend en compte les conséquences de ses actes. L'attention éthique concerne non seulement la contemporanéité des relations interpersonnelles, mais s'élargit aussi dans l’espace et le temps.  

C’est extrêmement exigeant mais, petit pas par petit pas, cette prise de conscience peut être formidable à appréhender !

Article librement inspiré de la conférence de Camille Prost, docteure en philosophie, Mainpaces vibes, février 2023.

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