Sasha Lanièce : de la performance solitaire à la puissance collective

Cette interview a été réalisée le 17/03/2025 par Thérèse Lemarchand 

Cette histoire n’était pas écrite d’avance 🙂 Je suis une personne assez anxieuse. J’ai grandi dans un environnement où la pression des résultats académiques est importante. 

J’ai découvert la voile par hasard en faisant un stage aux Glénans. Ça a été une révélation et j’y suis retournée. Lorsque j’ai terminé mes études j’avais envie de naviguer.

J’ai passé 6 mois sur un bateau. J’étais tellement bien à cet endroit, tellement au fait de mes capacités physiques, intellectuelles, émotionnelles, que j’ai réalisé que ces capacités étaient étouffées dans ma vie courante.

Être en mer et détachée de la société me permettait d’être qui j’étais.

Avoir à gérer son bateau et les éléments sont des règles très pures car tu ne peux pas tricher. Cette impression d’être moi-même m’a ouvert un sentiment de grande liberté.

J’ai passé mon diplôme de skippeuse professionnelle pour pouvoir convoyer des bateaux. Je me suis mise à faire des régates pour continuer à naviguer, car ces bateaux cherchent souvent des équipiers. J’y ai découvert le plaisir de la course.

C’était également une immense satisfaction en tant qu’ingénieur et chercheur d’aller chercher la performance, d’affiner les réglages, de tout optimiser et de bricoler les bateaux.

J’ai été heureuse de voir que je pouvais mettre à profit de la navigation ce que je savais faire.

Je ne connaissais pas le monde de la course au large mais l’exemple de Clarisse Crémer qui avait été dans le même lycée m’a permis de croire que c’était à ma portée.

En fait cela n’a pas été un choix, je ne me suis pas posée cette question. Pour être prise dans un équipage il faut déjà savoir naviguer, ou être une amie d’ami(e). Il m’a fallu près d’un an pour passer sur un bateau un peu “race”. Le solo donc s’est imposé assez vite pour pouvoir réaliser mon projet.

Personne ne pouvait m’empêcher d’essayer. 

Ce que j’apprécie particulièrement en solitaire, c’est qu’il n’y a pas d’excuses possibles. Le résultat reflète exactement ce que tu es capable de donner sur l’eau : les succès comme les échecs t’appartiennent entièrement. Cela te confronte à tes propres limites et t’incite à aller plus loin.

C’est une expérience qui rend humble et qui constitue une véritable force, précieuse bien au-delà de la navigation, dans la vie de tous les jours. Elle permet d’avancer et de progresser constamment.

Sasha Lanièce : entreprendre et découvrir son écologie personnelle

J’avais terminé ma thèse, mis un peu d’argent de côté et décidé de prendre une année sabbatique. J’avais rencontré des personnes ayant fait la Mini-Transat qui étaient retournés travailler, et pour chacun d’eux, cette expérience avait été un véritable tremplin. Je n’avais rien à perdre.

Tous les jours, j’apprenais. Gérer un budget, rechercher des sponsors, repousser mes limites, pitcher, aller voir des réseaux d’entrepreneurs, naviguer le plus possible. Je me disais c’était là ma place. J’ai été confortée immédiatement dans ma décision.

Le sentiment de communauté a également été pour moi essentiel. Être entourée de personnes qui vivent la même expérience, avec qui je pouvais partager mes difficultés et mes peurs en me sentant véritablement comprise, m'a beaucoup soutenue.

Mon projet a paru fou à tout mon entourage et mon départ a été très dur pour ma famille. Pour moi c’était complètement raisonnable. Je n’ai jamais eu l’impression que c’était dangereux ni risqué professionnellement. J’ai déménagé en  Bretagne avant d'avoir le bateau mais mon projet était clair dans ma tête, il fallait que j’y aille.

En revanche, je peux voir un grain de folie dans l’inconfort auquel on accepte de se confronter en navigation. En course il y a toujours un moment où l’on se dit “ Qu’est ce que je fais là ? Je me suis battue pendant des années pour en arriver là ? Souffrir un peu plus est aberrant, ça n’a aucun sens.” Et puis tu commences à voir la terre sur le GPS, et tu n’as plus du tout envie d’arriver.

Je mets beaucoup de temps pour redescendre de cette bulle du grand large. Débarquer me donne l’impression d’être arrachée à la vraie Sasha, d’enfiler un costume et de jouer un rôle. C’est étonnant de se dire que l’endroit où l’on est vraiment bien c’est seule en mer, ce n’est pas tout à fait comme ça que la société aborde les choses.

J’étais très timide et j’avais tendance à ne pas vouloir déranger. Au début de ma recherche de sponsors, j’avais l’impression de quémander de l’argent. Puis j’ai compris qu’il s’agissait en réalité de vendre un service, et que ce modèle fonctionnait très bien. Adopter une approche plus confiante – en me disant 'vous avez besoin de moi' – a complètement changé ma manière d’aborder les gens. Je ne prenais plus les refus comme un rejet personnel, et à partir de là tout a beaucoup mieux fonctionné.

J’ai aussi un côté perfectionniste et très scolaire : j’aime faire les choses correctement, dans les délais. Mais j’ai réalisé qu’on peut toujours améliorer ce que l’on fait sauf que cela demande du temps ou de l’argent. Il faut donc faire des choix. J’ai appris à accepter de ne pas aller au bout de certains projets, comme une série de vidéos que j’avais commencée mais jamais diffusée. Parfois, j’ai même laissé passer des opportunités incroyables, simplement parce que j’avais perdu un mail… Accepter ces imperfections a été un vrai défi pour moi.

Après ma thèse, j’ai traversé un burn-out et je me suis promis de ne plus jamais porter un projet seule. Pourtant, juste avant la Transat, j’ai failli retomber dans le même schéma. J’avais cette pression de devoir avoir déjà un projet solide et abouti pour la suite, ce qui me submergeait mentalement. Finalement, j’ai pris une décision radicale : quitter mon travail, me concentrer pleinement sur la Transat et laisser l’après… pour plus tard.

Avec le recul, tout s’est mis en place naturellement, comme un puzzle dont les pièces s’imbriquent au bon moment.

J’ai compris qu’il y a une vraie différence entre relever des défis, ce que j’adore, et se surcharger inutilement.

Aujourd’hui, je dirige une petite structure avec un programme sportif exigeant. Je suis passée du Mini 6.50 au Class 40, j’ai monté mon écurie, je transmets à Karen tout ce que j’ai appris sur le Mini, et j’ai un Boat Captain qui gère la logistique et la technique – un domaine que j’adore, mais auquel je ne peux plus consacrer autant de temps.

L’une des clés pour gérer mes priorités a été d’apprendre à écouter mon rythme naturel. À chaque moment de la journée, je sais où en est mon niveau d’énergie et comment l’équilibrer. Je m’impose au moins une demi-journée de repos par semaine (oui, sur 7 jours !) et j’ai arrêté de travailler le soir.

Ça change tout. J’essaye désormais de ralentir, de prendre du recul, plutôt que de toujours chercher à cocher une case de plus.

J'ai beaucoup appris par l’expérience. J’ai toujours eu un emploi du temps où j’ai choisi mes horaires. J’ai vite compris que mon sommeil était essentiel pour me ressourcer, et les heures où j’étais efficace : pour moi c’est tôt le matin et tard le soir - j’en profite l’après-midi pour faire du bricolage.

Je travaille régulièrement en Préparation mentale. On y inclut également la sophrologie. La respiration, la projection mentale, le body scan sont des outils qui marchent particulièrement bien pour moi. C’est important de comprendre la théorie, et ensuite d’apprendre à découvrir ce qui nous convient particulièrement - ses propres rythmes, de voir les patterns qui s’expriment et de savoir ce que je peux adapter et mettre en œuvre pendant les courses, comme pour la nutrition par exemple.

Souvent après les courses j’ai besoin de réaligner tout mon corps car nous réalisons des mouvements intenses sur un corps à froid dans des positions inadaptées. Je fais également du yoga, cela m’apporte de la détente. J’ai besoin de sentir mon corps, de sentir où j’étais blessée, plus faible, et de rétablir mon équilibre global.

Il y a une écologie personnelle à trouver dans tous les projets. Cela impose de  respecter ses ressources et de les mettre au bon endroit au bon moment. Je pense que c’est la clé d’une certaine performance et de l’énergie au quotidien. C’est ce qui permet de s’adapter aux conditions extérieures. Si je vois en course que la méteo va être terrible, je sais qu’il va me falloir être en pleine forme pour tenir et donc avoir la veille une journée au ralenti. 

Choisir ses ressources implique de se poser la question du facteur limitant. Par exemple en compétition on a vite tendance à prendre systématiquement des voiles neuves, mais est-ce que ça en vaut vraiment la peine ? Quel en sera le coût pour le projet en temps et en argent et est-ce que c’est là que je dois mettre mon effort ? Je pense que pour toute entreprise il est important de se poser la question de ce qui est vraiment essentiel, du coût économique et écologique et de ce que ça rapporte.

Être écologique est une façon d’être, de naviguer, et de gérer son projet

Sasha Lanièce

Avec Les Déferlantes j’ai eu envie de faire les choses de façon plus lente que ce que j’avais fait en Mini, et pour reprendre l’exemple précédent de ne pas faire ces changements de voiles sur toutes les courses car je sais qu’aujourd'hui ma performance va plus dépendre de la gestion de mon sommeil et de mon énergie. 

C’est important de savoir ralentir. Je me suis beaucoup inspirée du livre SLOW Productivity de Cal Newport1. Il part de l’idée qu’on est dans un rythme où on doit toujours être dans l'action pour que ce soit considéré comme du travail alors que murir l’idée, faire des transposition, des parallèles, ne compte pas. C’est une erreur.

Être économe sur les choses dont on n’a pas besoin permet de faire un pas. Plus on avance et plus on se rend compte qu’il y a plein de choses dont on n’a pas besoin. En voile où la course à la technologie est constante, il y a plein de superbes projets de marins, notamment Tanguy Le Turquais2 ou Violette Dorange3, qui se font sur de vieux bateaux avec de petits budgets et qui naviguent très fort. 

Sasha Lanièce : transmission, confiance et collectif

Dès le départ j’ai eu cette idée d’écurie et j’ai appelé la boîte, Les Déferlantes”. Je voyais que rentrer dans le monde de la voile demandait beaucoup de coups de main et que pour les femmes c’était difficile. Ce n’est pas pour une raison de mauvaise volonté. Mais ces services se rendent naturellement entre personnes qui se sentent proches et tissent des liens sur les circuits et les femmes n’en font pas encore partie.

J’avais cette envie de faire changer les choses, et également de transmettre tout ce que j’avais appris sur mon projet Mini-transat.

J’avais passé tellement de temps à préparer le bateau, les courses, à devenir experte.

J’avais envie de me dire que pour une fois une femme aurait ainsi un coup d’avance.

Je leur transmets aujourd’hui mes compétences spécifiques en gestion de projet et de business, et elles complètent leurs compétences de navigation avec le pôle. 

J’ai choisi récemment une jeune femme très intuitive sur l’eau, de très bon niveau. Nous partageons la même détermination essentielle et nous naviguons différemment. Nous nous apportons mutuellement beaucoup.

Oser est pour moi un des facteurs clés de l’empowerment. Ma manière d’oser est de faire, pas à pas. Cela me permet d’engranger des petits “badges de scouts” que je mets dans ma confiance en moi. 

Souvent on a peur d’aller chercher le badge d’après. On a une sensation d’imposture, on ne se sent pas capable. Il faut se pousser. Je ne pense pas “il faut oser traverser l’Atlantique en solo”. Ce que je me dis c’est “il faut oser lancer le projet”. Ce ne sont que des petites marches. Si on arrive à monter la première, à franchir la suivante, on arrive à faire des grandes choses.

La représentation est également essentielle pour aider les jeunes femmes à oser, car voir une femme sur la marche d’après rend le chemin beaucoup plus accessible. C’est aussi la force d’une écurie.

J’ai deux maximes que je me répète souvent :

  • Toutes les choses sont difficiles avant d’être faciles ” 
  • Today we fight”, issue du Seigneur des Anneaux dont je suis fan et dont mon père m’avait offert le livre comme une bible quand j’avais 14 ans. Elle s’inscrit dans la suite de “Je vois dans tes yeux la même peur qui me prendrait le coeur …” La force mentale c’est de savoir faire “pause” quand on a peur et se dire aujourd’hui je tiens le coup et demain sera un autre jour.

Ces deux phrases me rappellent régulièrement que quand on est dans le dur c’est qu’on est au début d’un projet, et l’importance d’avancer par étapes. 

C’est tellement important d’apprendre à se connaître soi-même, de prendre du recul sur ce qu’on fait, les gens avec qui on travaille, et de ne pas oublier le plaisir.

On est vite poussés à la performance, au toujours plus et on oublie qu’au départ on a monté le projet pour se faire plaisir, pour apprendre, pour créer. Le risque est d’être tellement obnubilé par le quotidien et la pression qu’on en perd l’objectif.

Rejoignez l’aventure des déferlantes4, il nous manque des sponsors !


Si comme Alderan5, vous avez envie d’embarquer vos équipes dans une aventure hors norme et de pouvoir traiter ces sujets essentiels en entreprise sous un autre angle, il y a de la place à bord 🙂

Propos recueillis par Thérèse Lemarchand

>> Retrouvez Sasha sur https://www.sashalaniece.com/ et contactez-là via [email protected] 


  1. Slow productivity: https://www.fnac.com/a20687655/C-Newport-Slow-productivity ↩︎
  2. Tanguy Le Turquais – Skippershttps://www.vendeeglobe.org/skippers/tanguy-le-turquais ↩︎
  3. un documentaire à l’origine de la vague populaire Violette d’Orange. Disponible sur : https://www.ouest-france.fr/sport/voile/violette-dorange/vendee-globe-sur-disney-un-documentaire-a-lorigine-de-la-vague-populaire-violette-dorange-404a2204-0f9e-11f0-a359-3785f88c9270 ↩︎
  4. Site officiel de Sasha Laniecehttps://www.sashalaniece.com/ ↩︎
  5. Société de gestion immobilièrehttps://alderan.fr/ ↩︎


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