Ariane Imbert est entraîneur de l’équipe de France de kitefoil pour les Jeux Olympiques de Paris 2024, ainsi que manager et coach mentale dans l'école de Kitesurf qu'elle a crée à Hyères. Ariane gère son rôle de coach de kite et d'entrepreneuse selon les mêmes principes. Pour elle, "Le capital confiance est un élément très important [...] Parfois il faut recadrer, mais quand ta base est de faire confiance, les jours où tu recadres ton message est écouté."
Audacieuse, énergique et inspirante, sa vision des projets de vie replace notre curseur d'aspirations au bon endroit, nous amenant à nous recentrer sur nos envies profondes. "Je me suis dit que le meilleur moyen de savoir ce qui se passe en compétition était de remettre un lycra sur le dos, et d’aller au front."
Cette interview nous donne envie de tenter, d'oser, de faire des erreurs et de recommencer. "Ce sont des touches de caractères qui génèrent de l’ambition. Les ambitions accompagnent les grands projets. Il y a rarement de grands projets sans ambition." Comme Thibault Cauvin, Ariane Imbert croit que "c’est important d’être rêveur, d’accepter ses rêves, et d’y aller (...) s'en rapprocher est joyeux !"
Interview réalisée le 13/11/2023 par Thérèse Lemarchand, CEO Mainpaces
Je suis niçoise, j’ai toujours été partagée entre la mer et la montagne, et ma première passion était le snowboard, donc j’ai fait du snowboard en compétition.
La compétition a toujours été difficile pour moi, j’ai vraiment le goût du défi et du challenge, mais en compétition je n’ai pas un bon mental. Comme je ne perçais pas dans le snow, j’ai du me débrouiller un peu. Pour payer mes compétitions je me suis investie auprès de mon club, j’ai monté un emploi jeune, et de 17 à 24 ans j’ai coaché des jeunes en parallèle de ma formation STAPS. Je n’avais pas le niveau en ski pour passer mon BE, donc j’ai arrêté, j’avais plus d’ambition que ça. J’ai arrêté, j’ai eu un surfshop et un snack à Isola 2000, et le parc aventure en été. Je me suis mariée tôt et j’ai eu un enfant tôt, à 24 ans.
Très vite j’ai réalisé que ce n’était pas du tout cela que je voulais faire, que je passais à côté de ma vie. J’ai déménagé à Hyères pour des raisons familiales et pour faire du kite, je me suis inscrite en STAPS pour refaire un master d’ingénierie physique, je me posais la question de faire de la psycho car toute la partie mentale m’intéressait déjà, mais ce qui m’intéressait le plus, c’était d’enseigner et de transmettre. Le naturel revenant au galop, j’ai passé mon BP de kite, et j’ai monté une école de kitesurf.
J’ai amené les 3-4 premiers gamins que j’ai coachés en compétition, et il y a eu en parallèle la reconnaissance du haut niveau dans le kite. La Fédération s’est appuyée sur la dynamique que j’avais commencé à monter, et a créé le premier diplôme d'entraîneur à Quiberon, dont j’ai été la 1ere diplômée.
Mon mémoire portait sur la création d’un centre permanent d'entraînement à Hyères, je voulais le mettre en application, mais je n’avais pas assez de connaissance pour cela. Alors je me suis dit que le meilleur moyen de savoir ce qui se passe en compétition était de remettre un lycra sur le dos, et d’aller au front.
J’ai fait ma première compétition de kite pour le fun, puis j’ai échangé une semaine de formation contre une participation au championnat du monde où j’étais hébergée avec l’équipe de France. Je suis arrivée 4è à froid, alors je me suis prise au jeu, et de fil en aiguille, j’ai fait de la compétition de 2011 à 2016, pendant 5 ans. Être immergée dans la compétition m’a permis d’en apprendre tous les aléas.
En parallèle mon petit centre d'entraînement a gagné la reconnaissance ministérielle en tant que pôle espoir. Mes gamins gagnaient de plus en plus de médailles en freestyle et en race. J’ai demandé à la Fédération de monter une équipe de France jeune, ils ont tout déchiré. En 2016, j’ai été nommée cheffe du kite, et j’ai récupéré l’équipe de France en complément de l’équipe de France de kite jeunes. Je me suis retrouvée à gérer celles et ceux qui couraient avec moi.
J’ai eu ma fille, elle avait 3 mois ½ quand je suis partie faire un championnat du monde en Chine, alors que j’avais peu navigué en raison de ma grossesse, et que j’avais aussi à coacher 12 athlètes de la délégation. C’était trop dur, et très frustrant parce qu’en même temps ça marchait bien, mais je sentais que je me perdais.
A ce moment-là nous sommes passés de la Fédération Française de Voile Libre à la FFV (Fédération Française de Voile), et le Directeur Technique National (DTN) m’a demandé de faire un choix : “ Ariane, tu cours, ou tu coaches ”. J’avais 38 ans, plus d’avenir dans le coaching que dans la compétition. J’ai arrêté de courir, et je me suis mieux occupée de mon bébé, et de mes athlètes.
Mon école de kite a 14 salariés, c’est l’une des plus grosses structures en France. Derrière l’école, il y a le centre d'entraînement régional, nous formons en structure privée des jeunes jusqu’à ce qu’ils entrent au pôle espoir. Au pôle espoir, ce sont déjà des petits athlètes de haut niveau dans leur tête, à truster les podiums. Ensuite ils intègrent l’équipe de France jeunes, et ils deviennent tous champions du monde junior les uns après les autres. Et puis ils passent en équipe de France senior. On en est là, et il y a les Jeux Olympiques dans 8 mois. Axel Mazella est l’un des premiers athlètes de toute cette histoire.
Oui, moi ce qui me fait kiffer c’est la gestion de projets, l’aventure de la création et du développement. C’est ce que j’aime vraiment.
Mon projet de vie était de monter 3 projets qui tournent tout seuls, et que j’aie du temps en étant en back-up derrière. Finalement sur les projets j’y suis, en revanche sur le temps je n’y suis pas du tout, ça c’est un échec total ! Mais à chaque fois j’en rajoute 🙂
C’est un vrai sujet par rapport au code déontologique des coachs, et j’ai d’ailleurs fait mon mémoire de coaching sur les outils du coach que l'entraîneur peut utiliser pour ses athlètes. Quand tu coaches des athlètes ou que tu manages une équipe, indirectement tu fais de la préparation mentale. Pour moi, la préparation mentale c’est adapter des outils pour sublimer l’être humain mentalement, pour être aligné, se sentir bien, connaître ses zones de confort, ses zones de défis, se challenger, gérer le stress… Forcément ça va avec le physique, et pour moi cela s’adapte à un athlète et à n’importe qui.
Derrière, tu peux avancer dans n’importe quel projet qu’il soit sportif, artistique, intellectuel, entrepreneurial.
Tout est en lien. Ce ne sont que des outils au service de la personne et de ses désirs d’accomplissement.
Même si on intègre ces pratiques à l'entraînement, nos athlètes ont tous leur préparateur mental. C’est avec lui qu’ils font des séances spécifiques sur le sujet. Je suis très en lien avec lui. En fonction de ce qui se passe à l'entraînement et de ce qui pêche, je dis à l’athlète de vérifier tel ou tel sujet avec son préparateur mental, et je glisse un mot au préparateur mental. Cela donne des ouvertures.
Prenons l’exemple de la “Double tâche”. C’est la capacité à faire 2 choses en même temps pour entraîner sa lucidité. C’est essentiel pour nous. Notre activité est ouverte, il faut tout checker, la stratégie, la météo, le vent, le plan d’eau, les adversaires, le timing, et ensuite sa performance, son matériel, se centrer sur soi, respirer. Il faut faire tout ça en même temps, donc il faut vraiment que ça te percute sur plein de sujets à la fois.
Les entrées pour y revenir seront un peu différentes selon les athlètes. Par exemple quand l’un se perd son process, son approche sera de se recentrer sur lui, ses sensations, son matériel - après il s’ouvrira vers sa trajectoire - ensuite l’adversaire, la tactique - et puis il y aura de la prise de décision, tout en gardant son discours interne, et les distractions à distance, c’est à dire sa concentration.
Par exemple, quand un athlète remonte au bateau alors que je l’ai vu faire une chute, je lui pose la question “ dans ta tête, tu étais où ” ? Il me répond “ à Hawaï “ 🙂 Il y a donc à ce moment un sujet de gestion des distractions, et ce sera intéressant de remettre un topo sur la concentration, ou peut-être de le recentrer sur ses objectifs. Peut-être qu’il y aura aussi autre chose à aller creuser, de la lassitude par exemple.
Ils ont tous autour d’eux un préparateur mental, un préparateur physique, des techniciens, des ingénieurs, un ponceur, un analyste qui va analyser les données sur logiciels, des kinés, un médecin… Ce sont des personnes extérieures au Centre avec lesquelles nous travaillons régulièrement. Cela permet aux athlètes de faire leurs choix, en fonction de leurs préférences personnelles et de leurs besoins du moment.
Par exemple pour les kinés, certains sont plus spécialisés dans des pathologies spécifiques, comme par exemple la cheville, d’autres sur les championnats sont plus sur du massage de récupération… Les athlètes adaptent leurs soins en fonction des spécialités des uns et des autres, et de leur besoin à l’instant t.
Mon objectif est surtout d’éviter la lassitude, donc j’essaie de leur faire des séances qui changent, qu’on fasse de la routine sans qu’ils en aient l’impression. J’essaie de leur tendre des pièges, de les surprendre, d’y mettre côté ludique, à la fois pour stimuler leur vigilance comme nous en parlions, et pour qu’ils aient plaisir à naviguer 2h30 sans voir le temps passer.
Ils font beaucoup de navigation en autonomie, à l'entraînement je cherche à créer la différence, à apporter vraiment de la valeur. C’est ce qui les motive le plus, de sentir qu’ils continuent à progresser, et d’avoir la sensation de ne pas perdre leur temps.
J’ai toujours fait du coaching, du sport de haut niveau, et je gère mon entreprise en parallèle. Je le fais naturellement, de la même manière que je gère mes sportifs de manière spontanée et naturelle.
Le coaching m’est utile pour mon entreprise. J’ai envie que mon équipe de salariés s’épanouisse, qu’ils soient contents de venir au boulot avec le smile.
Ils ont carte blanche sur la gestion de projet. Je leur demande de faire ce qu’ils disent, et je mets les moyens pour ça. Ça leur donne un espace de liberté, à la fois pour ouvrir des portes, et aussi pour trouver des réponses aux problématiques qui se présentent. Ce que je ne supporte pas en revanche dans l’entreprise sont les personnes qui apportent des problèmes ou des envies et ne proposent pas de solutions.
Quand ça ne va pas, on a droit à l’erreur. On en discute, cet échec doit servir à tout le monde, c’est comme ça que tout le monde avance. En revanche quelqu’un qui va faire une connerie, casser du matériel, rater son entraînement, et ne va pas le dire, sort de mon estime. Le capital confiance est un élément très important pour moi. On m’a reproché parfois d’être un peu naïve, de trop faire confiance aux gens. Mais je ne crois pas, je trouve cela hyper important. Ça permet d’être à l’écoute.
Globalement dans l’entreprise j’aime quand il y a une bonne entente, pas de conflit. Nous sommes des adultes, et quand il y a un sujet on se parle. Il faut aussi se rappeler qu’il y a beaucoup moins d'enjeux personnels que pour les athlètes. Il n’y a pas de hiérarchie, à part moi qui fait les chèques à la fin du mois, et qui recadre quand c’est nécessaire. Après, chacun connaît ses missions, et sait ce qu'il a à faire. Tout le monde est différent, chacun a pris des tâches qui lui correspondent plus, et ça se passe plutôt bien.
Ma valeur première personnelle est la famille.
Dans mon école j’ai envie qu’il y ait plus une image de famille que celle d’une usine ou d’une grosse structure. Cette valeur, je l’ai un peu aussi avec les athlètes. Quand on arrive à l’entreprise ou à l'entraînement on se dit bonjour, on est contents de se retrouver.
Et puis il y a le sujet de la persévérance, surtout à l’entraînement. Elle emmène avec elle le fait de ne jamais renoncer, et d’aller jusqu’au bout de ce que l’on fait. On n’a rien sans rien, ça n’arrive pas comme ça. Il faut un peu bûcher et se dépasser pour y arriver.
Le partage dans le haut niveau est essentiel, je crois que tout ce qui n’est pas donné ou partagé est perdu. Dans notre sport, c’est plus compliqué car c’est un sport individuel, mais c’est un collectif quand même. Jusqu’à présent les athlètes collaboraient à fond, sur le matériel, la technique, les sensations, ils avaient un bon niveau de partage.
Depuis le mois de Mars, avec les Jeux Olympiques qui arrivent, ça se dégrade. Il n’y aura qu’un seul sélectionné chez les garçons comme chez les filles, et il n’y a pas de pré-sélection comme en voile olympique. Les sélections seront annoncées début Avril 2024, et ils sont tous en observation aujourd’hui. J'entraîne 7 personnes pour les JO 2024 dans le collectif kite, 4 garçons et 3 filles. Les tensions sont apparues d’abord chez les garçons, maintenant elles sont aussi là chez les filles. C’est compréhensible au regard de l’enjeu, et c’est également très difficile, on sent de l’adversité au quotidien.
Être alignée. C’est la capacité à être alignée. Chacun a ses atouts, l’un va être plus talentueux, l’autre plus laborieux, l’autre plus fort, le quatrième plus lourd (le poids est important dans notre sport).
Celui qui n’est pas au clair avec lui-même rate toujours à un moment donné. On retrouve systématiquement des foirades répétitives, ils refont les mêmes erreurs.
Ma fille va te les dire ! [ j’entends la voix chantante de sa petite fille derrière 🙂 ]
“ Sans vitesse, on ne fait rien
Quand on veut on peut
Qui ne tente rien n’a rien
Si tu ne fais rien, il ne se passera rien ”
[ Et Arianne ajoute : ]
“ Détends-toi Simone, ça va bien se passer “.
Ca c’est ma petite phrase clé 😅
Tout ça c’est plus pour aller de l’avant et se rappeler qu’il faut oser, se dépasser, tenter, accepter ses erreurs, recommencer, saisir les opportunités, être curieux, ouvert à la vie. Ce sont des touches de caractères qui génèrent de l’ambition. Les ambitions accompagnent les grands projets. Il y a rarement de grands projets sans ambition.
Et puis à côté de cela je crois que c’est important d’être rêveur, d’accepter ses rêves, et d’y aller. On a tous des rêves, s’en rapprocher est joyeux.
Croyez en vous, et faites ce dont vous avez vraiment envie ! On en est tous capables. On n’a qu’une vie, elle est là pour que l’on s’y épanouisse.
Propos recueillis par Thérèse Lemarchand