Apprendre, s'enraciner, transmettre : la méthode Catherine Barba

Interview réalisée le 10 Avril 2025 par Thérèse Lemarchand

Le parcours inspirant de Catherine Barba

J’ai raté Normale Sup. Je me préparais à intégrer la rue d’Ulm et à devenir un grand professeur de philosophie. C’était mon projet et mon rêve. J'ai raté l'oral parce que je n'avais pas assez travaillé, je faisais en même temps du théâtre – assez piteusement je dois avouer. J’ai présenté l'ESCP, un peu par dépit, et j’ai intégré cette école de commerce qui finalement me ressemblait.

Le premier événement qui a commencé à m'orienter vers qui je suis est un échec.

Cet échec a été une chance. J'étais bien plus taillée pour le business que pour enseigner la philosophie ! Puis j’ai fait mon mémoire de fin d'études sur l'arrivée d'Internet en France. On était à la fin des années 90, personne ne connaissait encore cette «e-chose » à peine naissante. Moi Internet m’avait d’emblée fascinée, j'avais passé plusieurs mois en stage aux États-Unis, tout le monde commençait à en parler, j'avais pris de l'avance. 

Le sujet de mon mémoire m’avait été inspiré par un concours vu dans un magazine. J’avais décidé de faire d’une pierre deux coups. J’ai participé …et j'ai gagné le premier prix ! La présidente du jury s’appelait Viviane Prat, elle dirigeait un grand groupe de conseil media, OMD, elle m'a recrutée, et je suis ainsi devenue responsable du département multimédia de l’entreprise où tout était à inventer. J'ai commencé à travailler comme pionnière du Web, on était une poignée, j’étais là au début de cette révolution numérique, une rupture anthropologique inédite. Ma vie a basculé par la chance de cette rencontre avec la « fée » Viviane.

Le troisième événement qui a marqué mon histoire est une autre rencontre, avec un grand entrepreneur français. C’était un de mes clients, j’avais acheté une campagne de publicité sur son site, je l’ai rencontré avec son associé, ils m’ont recrutée dès la fin de notre premier déjeuner. Marc Simoncini et Thierry de Passemar. J'ai eu la chance inouïe de travailler pour eux. Ils ont réveillé en moi la fibre entrepreneuriale qui était là, tapie en embuscade. J'ai compris que pour développer sa capacité d'action et son mindset entrepreneurial, il fallait frayer avec des entrepreneurs. 

Dès lors, depuis le début des années 2000 jusqu'à aujourd'hui, je n'ai cessé d'exister en créant des entreprises, parfois en les revendant et en faisant un saut financier. Ce qui m’anime, me guide est de découvrir, comprendre et construire. Explorer l’e-commerce. Explorer la transformation numérique des entreprises. Explorer d'autres marchés comme les États-Unis. Et aujourd'hui, explorer le futur du travail.


Quand quelque chose naît, j'y suis. J’aime les commencements. Comprendre ce qui transforme notre façon de travailler, notre rapport au temps, à l’espace, à l’autre, à nous-mêmes. Et j’aime identifier de nouveaux besoins, ce que je saurais rendre comme service à des clients prêts à payer pour cela.

Catherine Barba : le lien et l’innovation dans l’action


Mon moteur est l'apprentissage. J’ai une espèce de boulimie de connaissance. Le week-end dernier, je me disais que je ne me rappelais plus des formules de probabilités : je me suis refait une journée d'exercices de maths ! Ou je peux me dire, « qu'est-ce qui caractérise la littérature russe » ? et me replonger dans Tolstoï et Dostoïevski une nuit entière.

J’adore apprendre, un peu dans un esprit de concours de beauté intellectuelle qui correspond à ma formation de khâgneuse exigeante. Mais au fond ce qui me plaît, c'est de traduire ce que j’ai appris en action. Je crois qu'un savoir qui ne se traduit pas en acte, qui ne se transmet pas, ne sert pas à grand-chose. J’ai toujours cette idée de « endgame », de finalité tournée vers l’action. 

La capacité à être orienté résultats caractérise d’ailleurs profondément les entrepreneurs, les entreprenants. Cela me rappelle aussi les Exercices Spirituels d'Ignace de Loyola, qui invite à se questionner ainsi :

  • Qu'est-ce que j'ai fait ? 
  • Qu'est-ce que ça m'a fait ?
  • Qu'est-ce que j'en fais ? 

Je dois être très jésuite ! En tout cas je dissous l’angoisse dans l’action.

Je ressens une grande satisfaction à créer de la valeur, et pour moi cela passe par créer de la valeur humaine par le lien autant que créer de la valeur économique.

Il y a 15 ans j’avais rencontré cet homme formidable qui nous a quittés récemment, il s’appelait Jean-François Zobrist (1). Quand je l’ai connu il dirigeait l’entreprise Zodio du groupe Adeo. Je suis tombée sur un hommage que lui rendait Nicolas Cordier sur LinkedIn, il rappelait cette phrase qui m’accompagne souvent : 

Il n’y a pas de performance sans bonheur, ni de bonheur sans responsabilité

Pour moi la sensation d’accomplissement est là quand ces trois planètes s’alignent : la performance économique dont je suis à l’origine ou à laquelle je contribue, la satisfaction des clients que je mesure sans cesse, et la responsabilité, environnementale ou sociétale - un impératif, une urgence.

Jean-François Zobrist m'avait aussi beaucoup appris sur la capacité à créer du lien à distance, à mettre de la chair dans tout ce qui est digital, dans un site marchand. On ne crée pas de valeur sans cette dimension de lien, cette dimension de relation, c'est notre vocation d'humains.

Une autre chose qui me fait dire que je suis sur le bon chemin, ma boussole qui ne ment pas, est quand je fais grandir les autres. Est-ce que je transmets ce que j’ai appris ? Est-ce que je suis une passeuse de confiance ? Je pense que toi aussi Thérèse tu vis cela chaque fois que tu accompagnes des dirigeants : tu les vois s’ouvrir, grandir, tu leur donnes des clés pour les rendre capable d’emmener une très grande organisation vers un autre sommet, quelle satisfaction !

Après, bien sûr, restons humbles. Mes actions peuvent être transformantes mais à ma mesure, c’est-à-dire au fond assez peu. Mais construire le monde dans lequel j'aspire à vivre est indéniablement mon moteur !

Bien sûr. Mais nous sommes et restons des êtres de relation. Nous ne sommes pas condamnés à l’individualisme, au « tout à l'ego », au chacun pour soi comme dans un naufrage, disait Marcel Duchamp

Petite ou grande, une entreprise qui va bien, qui attire et donne envie, se reconnaît à ce petit truc en plus: la solidité du lien humain. Si on occulte la dimension de lien, on régresse, on s’expose à la médiocrité. Dès que l’on ose abaisser son centre de gravité de la tête vers le cœur, dès que l’on crée des espaces informels, humains, où chacun se sent reconnu, alors naît un “nous” solide et vivant. Et avec lui, la joie partagée de créer de la valeur ensemble. Les racines du collectif, « the glue that binds us together » à échelle de l’entreprise est un sujet clé dans mes réflexions et expérimentations du moment.
Plus largement je suis fascinée par le mouvement de tectonique des plaques géopolitiques,  la manière dont le monde est en train de se redessiner sous nos yeux. La fin de l’alliance Europe-États-Unis, le rapprochement de l’Europe qui va nécessairement s’opérer avec la Chine… Il faut désapprendre et regarder autrement. Cela nous oblige à quelque chose que toi et moi partageons, comme tous les entrepreneurs, les entreprenants, c'est la capacité à s’adapter vite. Le lien est mouvant. Rien n’est jamais figé.

Je me méfie de l’intuition – à tort sûrement ! Avant d’agir je prends toujours le temps de m’assurer que je pars sur des fondamentaux solides. Je travaille en profondeur sur quatre sujets déterminants pour le succès de tout projet :

Je prends le temps de beaucoup écouter mes cibles, leurs problèmes, leurs frustrations, leurs attentes. Cela me permet de valider qu’il y a un vrai besoin et que c’est le bon moment. J’étudie par le menu les entreprises et les personnes qui y répondent déjà, comment elles font, les bonnes idées à prendre. J’en conclus qu’il manque quelque chose, qu’il reste une place à prendre. Je valide ensuite qu’il y a moyen de gagner de l’argent avec ce que je compte vendre.

Enfin, je choisis avec qui développer cette nouvelle aventure : des personnes que je connais bien, en qui j’ai une totale confiance, qui ont les qualités que je n’ai pas et avec qui je partage une même éthique, une même visée, les mêmes valeurs.


Mon école Envi est ma quatrième aventure comme entrepreneure. Je sais que rien ne se passera comme prévu. Je sais aussi que ce travail préliminaire sur les cibles, leur besoin, l’offre, le modèle économique et le choix de ses coéquipiers est indispensable. On a toujours besoin de partenaires. On n’innove que par les rencontres ! J’aime fréquenter des gens qui vibrent pour leur projet. Ils entretiennent comme un feu mon envie de faire. On se vivifie toujours au contact des entrepreneurs.

Catherine Barba : construire sa confiance et dépasser l’incertitude

Je ne sais pas d'où ça vient, mais j’ai très vite appris à intégrer l'échec comme une option. Je raisonne toujours en perte acceptable, en me disant « si tu décides d'agir, n’oublie pas que la contrepartie est que ça peut ne pas marcher ». Un projet qui marche est un miracle ! 

Avant toute nouvelle aventure, je me pose la question de ce que je suis prête à perdre si elle ne marche pas. Du temps, de l’argent, ma réputation… Dès lors que je suis OK avec cela, et mes coéquipiers aussi, alors le projet peut prendre son essor.

J'ai été assez épargnée par les trahisons car j’ai appris à ne jamais attendre de quelqu'un plus que ce qu'il était capable de donner. Quand je rencontre une personne, j'essaie d'évaluer inconsciemment sa capacité de générosité, de coopération, de loyauté. Dès lors que je n’en n’attends pas plus que ce que j'ai estimé qu'elle pouvait donner, je ne suis que rarement déçue. 

Tous nous traversons de terribles épreuves de vie et je crois que nous recevons aussi, la plupart du temps, les ressources pour les dépasser. Ces blessures de vie peuvent rester brûlantes mais elles nous constituent aussi. A 15 ans, j'ai eu un cancer, et j’ai survécu. Quelle chance ! Chaque matin est un cadeau. Cette épreuve m'a tricoté une force, la vitalité que tu me connais. Une vraie joie aussi. Tous les matins, je suis dans la gratitude. Ma confiance a été nourrie par l’amour, celui du Big Boss, celui de mes parents, mes remparts, mes modèles. 

Je prie dès le réveil, je prie quand j’attends le bus, quand je fais la queue chez un commerçant, quand je vais commencer une réunion… Les bondieuseries c’est ma came !

Je sais qu’on me voit – à raison ! – comme quelqu’un de très actif, mais ce que l’on sait moins c’est d’où je tire cette énergie. Dieu est ma vitamine ! Il est la source qui empêche mon cœur de sécher. Il me connaît par mon nom. Ce mystère un soir a éclairé ma chambre et toute ma vie, et depuis je l’accueille chaque jour avec un étonnement renouvelé. Ça m’apporte énormément de joie.

Ma vie intérieure est mon socle. Dans le tumulte des jours, pouvoir faire cette spéléologie intérieure et être connectée à une présence aimante, me recharge, me nourrit. Je l’ai sûrement développée quand j’étais malade. A Gustave Roussy je me disais : « Ce n’est pas drôle ce qui m’arrive, mais je ne suis pas seule ». 


C'est important de connaître ses forces, car c'est toujours en s'appuyant sur ses forces que l'on réussit.  Je suis une bonne vendeuse - j'aime écouter les besoins de quelqu'un pour y répondre. Savoir vendre est quelque chose de noble,  et c’est tout simplement vital quand on est à son compte. Je suis aussi une bonne communicante, je n’ai pas peur de prendre la parole à l’oral (ça s’apprend chez Envi !) et je suis littéraire.

J’ai mis ces atouts à profit pour créer et développer mes entreprises, puis au service des startups où j'ai investi. A mon retour des Etats-Unis en 2021, quand j’ai vu que des centaines de milliers de Français étaient désireux de créer leur activité, je me suis dit que j’étais la bonne personne pour les aider à générer leurs propres revenus en leur apprenant à vendre et à communiquer comme je sais le faire. La vente devient leur deuxième métier. Ce n'est pas inné, ça s’apprend. Et ça marche ! Je me sens utile et à ma place. 

Je ne sais évidemment pas ce qu’il adviendra, mais je sais que je saurai m’adapter. J'ai confiance en ma capacité à accueillir ce qui arrive et à agir car je suis entourée des bonnes personnes, mon mari, ma fille, mes amis… Je suis en bonne santé, rien n’entame mon énergie ni mon espérance.

Bien sûr ! Il y a cette citation de mère Teresa : 

« Ne laissez personne venir à vous et repartir sans être plus heureux »

Mère Teresa

Je me reconnais bien aussi dans cette phrase que rappelle mon ami Philippe Bloch citant Jean Boissonnat : « À trop craindre le pire, on le fabrique ; à vouloir le meilleur, on y contribue ». Et pour finir sur l’humain, le lien, cette phrase qui ne me quitte jamais : “ Everyone you meet is fighting a battle you know nothing about ; be kind “. Chacun de nous porte un fardeau invisible dont vous n’avez même pas idée, alors soyez sympas !

Justement, il faut lire ! À l’heure du tout digital, de ChatGPT, de l’IA qui nous fait oublier le goût et le sens de l’effort, relisons les classiques. J’ai repris l’Odyssée d’Homère. Dans le Chant 11, Ulysse descend aux enfers et rencontre Achille, il lui dit : «Noble Achille, nul homme n'a jamais été ni ne sera jamais plus heureux que toi, tu es le plus valeureux des Grecs, tu es passé à la postérité». Achille lui répond : «J’aurais préféré être simple cultivateur, servir sous un homme pauvre qui ne posséderait qu'un faible bien ». Plus que peser sur le temps et accumuler les lauriers, il aurait aimé capter les chatoiements, goûter les bonheurs de la vie. Etre un promeneur plutôt qu’un meneur, un rôdeur des confins plutôt qu’un stratège… C'est bien de vouloir transformer le monde, mais n'oublions pas de le contempler.

Propos recueillis par Thérèse Lemarchand, CEO Mainpaces







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