Antoine Albeau est une légende du windsurf. Sportif français le plus titré de l’histoire, il détient 26 titres de champion du monde et en particulier le record de vitesse en planche à voile avec 53,27 nœuds (soit 98,66 km/h), obtenu à Lüderitz (en Namibie) en 2015.
Cette longévité exceptionnelle tire ses racines dans une sensation de plaisir toujours renouvelée : “Ma motivation était de passer du temps sur l'eau dans un élément que je connaissais par cœur et que j'appréciais, et sur lequel je suis très à l’aise. (...) Cette facilité me donne une grande sensation de liberté. (...) C'est encore quelque chose que je ressens à chaque fois que je vais naviguer, sur mes premiers plannings ou mes premiers vols en foil. C'est une forme d'euphorie, c'est de la joie."
Pour les records de vitesse “c’est de la performance pure. C’est beaucoup de concentration, et de force physique.” Quant au mental, tout est une question de préparation et d'entraînement “J'ai appris au fil des ans que même si tu es le meilleur, si tu n’es pas prêt le jour J de la compétition, tu as peu de chances de gagner. Être prêt, c’est être prêt sur tout, le matériel, et tous les types de conditions.”
Aujourd’hui Antoine développe avec Marc Amerigo le projet Zephir, pour allier performance de glisse et performance environnementale. Son dernier message ? “Il faut se rapprocher de l’écologie !”
Interview réalisée le 17/04/2023 par Thérèse Lemarchand, CEO Mainpaces
Je suis né dedans. Mes parents étaient sportifs, ils faisaient beaucoup de natation, de nage avec palme, et dans les années 70 ils ont monté un club de plage à l'île de Ré. Deux ans après ils ont monté un club de voile. Quand la planche à voile est arrivée, mon père a sauté dessus, il a fait quelques compétitions, et le premier show de France à l'île de Groix en 78.
Je suis arrivé à ce moment-là, j’ai commencé à l'âge de 5 ans. A l'époque il n’y avait pas le matériel qu'on a maintenant pour les enfants. Mon père a fait couper la tête d'une voile et m'avait confectionné un petit bout de planche. A 5 ans je m'amusais avec ça entre deux châteaux de sables.
L’engouement pour le windsurf s’est développé. Il y avait des petits entraînements pour le les jeunes de mon âge à l'école de voile, et des compétitions régionales sur l'île de Ré. Il y avait une catégorie de moins de 14 ans, donc je faisais toutes ces compétitions les week-ends de l'été avec mes amis. Ensuite je suis rentré en sport études, et j'ai gagné championnat de France minimes port Camargue. J'ai continué avec des entraînements réguliers chaque semaine, le week-end durant toute l'année, et il n’y a jamais eu un moment où je me suis dit que je n’avais pas envie de faire de la planche.
Oui c’est sûr, entre mes entrainements, mes compétitions, ça prenait quand même pas mal de temps, mais finalement je n’avais pas envie de faire autre chose. Pour moi c'était plus un amusement, comme si tu allais faire du vélo, jouer au tennis, ou je ne sais pas, lire une BD J
Quand je suis passé en professionnel là c'était 7 jours sur 7. Mais c’était sympa. Je m’entrainais sur le pôle de La Rochelle, je m'entraînais aussi seul, et avec d'autres gens qui faisaient la Coupe du monde on se retrouvait Tarifa ou à Maui l'hiver. Quand je suis rentré chez Neil Pryde, ils avaient des bureaux de développement là-bas, donc je passais mes hivers à Hawaï à développer et tester le matériel.
A cette époque il y avait beaucoup de riders qui allaient à Hawaï l’hiver pour pouvoir naviguer sans avoir froid, les conditions étaient vraiment bonnes. Maintenant il y en a moins, c'est devenu trop cher ils vont plutôt passer l'hiver à Ténérife.
Ce n’est pas courant mais quand j'ai commencé il y avait 3 disciplines, les vagues, le slalom, et la race. Il y avait un titre de champion du monde dans chaque discipline plus un titre Overall, donc tous les riders faisaient toutes les disciplines. Ce n’est que quelques années plus tard qu’ils ont enlevé le titre Overall et que les riders se sont spécialisés. Certains étaient gênés avec leur gabarit parce qu'ils étaient trop lourds pour faire des vagues, ou trop légers pour la vitesse, donc ils se sont concentrés dans leur discipline.
Moi j'ai toujours tout fait, parce que pour moi c'est plus ou moins la même chose, tu as une planche dans les pieds, un wishbone dans les mains. Les heures passaient sur l'eau et c'était bénéfique pour toutes les disciplines, j'étais à l'aise, j'étais agile pour mon gabarit. Quand j'ai été champion du monde de freestyle en 2001 je devais faire 95 kilos, alors que je me battais face à des gars qui faisaient 1m65 et 60 kilos, j'étais un peu l'exception.
Ma motivation était de passer du temps sur l'eau dans un élément que je connaissais par cœur et que j'appréciais, et sur lequel je suis très à l’aise. Je m’ennuie à faire toujours la même chose, donc j’avais besoin de tout pratiquer, y compris le surf, le kite ...
Cette facilité me donne une grande sensation de liberté. Quand tu arrives à aller à une certaine vitesse et à te déplacer quasiment où tu veux avec un support qui s'appelle la planche à voile et en utilisant l'essence du vent, c'est top. C'est encore quelque chose que je ressens à chaque fois je vais naviguer, sur mes premiers plannings ou mes premiers vols en foil.
Oui, sachant que la différence pour la vitesse c'est le développement du matériel, j’en ai fait quasiment toute ma vie. C’est un matériel beaucoup plus radical. C'est génial parce que tu essayes de produire des planches et des voiles qui vont être plus faciles pour toi pour les emmener le plus rapidement possible sur la mer. C'est de la recherche et développement, ce que font tous les ingénieurs qui développent des iPhone ou d’autres produits dont ils optimisent la taille ou les fonctionnalités, sauf que nous on n'a pas d'électronique. On a des formes, des profils, des matériaux, ou des placements, à utiliser au mieux pour être plus léger, pour voler sur l'eau, et ça ouvre énormément de possibilités de réglages.
Ensuite, pendant les records de vitesse, c’est de la performance pure. C’est beaucoup de concentration, et de force physique. Les conditions sont très fortes, on sait que tomber veut dire se faire mal, ou casser du matériel.
Je n’ai jamais vraiment fait de préparation mentale, à l'époque ça ne se faisait pas trop, sauf peut-être dans certains sports plus populaires. Je pense que mentalement j'étais fait pour ça, j'étais programmé pour avoir un bon mental, même assez fort par rapport aux autres riders de planche à voile, c’est ce que les gens disent.
C'est important parce que tu peux avoir des sportifs qui vont être très doués, super forts, et mentalement ils vont lâcher prise. Ce qui contribue à ça aussi est ton entourage, c’est primordial d’avoir du soutien familial, de bons amis, cela te donne toujours plus de facilité à endosser les problèmes inévitables ou le stress des compétitions.
Je pense que j'ai aussi appris à avoir un bon mental avec toutes ces années de compétitions. Ce n’est pas venu comme ça du jour au lendemain, j'ai pu apprendre progressivement à être bien mentalement. Tout est une question de préparation et d’entrainement. J'ai toujours essayé de préparer mes saisons, et de préparer les événements qui arrivaient. Avec le PWA (Professional Windsurfers Association – qui organise les championnats du monde de windsurf) on a pu avoir jusqu’à 25 épreuves dans l'année, 2 par mois. C'est énorme et ça veut dire arriver 2 ou 3 jours avant l'événement, naviguer, et repartir vite pour aller à l’autre épreuve. J'ai appris au fil des ans que même si tu es le meilleur, si tu n’es pas prêt le jour J de la compétition, tu as peu de chances de gagner. Être prêt, c’est être prêt sur tout, le matériel, et tous les types de conditions.
Avec Zephir on essaye de révolutionner les sports de glisse avec une recherche basée entre-autres sur le biomimétisme, avec une approche durable d’un point de vue environnemental, et en développant de l'activité en France. Moi je teste le matériel, on fait des simulations sur ordinateur et en soufflerie. C’est hyper intéressant parce qu’on croise et recroise les calculs et mes ressentis, les conclusions que l’on peut en tirer, c’est très itératif et beaucoup plus précis en termes de validation.
On a démarré ce sujet sur une envie, avec des personnes qui y ont toutes contribué bénévolement. On avance en collaboration avec plusieurs laboratoires et entreprises basés sur La Rochelle, Nantes, Lorient, Brest, Saint Malo et ailleurs en France pour mettre en œuvre des solutions techniques issues du biomimétisme. C'est à présent possible avec les nouvelles techniques d'impression 3D et de nouvelles résines recyclables, en utilisant aussi des fibres plus naturelles comme le lin par exemple pour remplacer la fibre de verre. Nous voulons limiter notre empreinte carbone tout en développant la performance.
Aujourd’hui nous avons besoin de financer notre R&D, et nos campagnes de prototypage et de tests. On recherche 1.2 M€ sur 3 ans sous forme de sponsoring puis d'investissement pour atteindre nos objectifs sportifs et de sensibilisation, et déployer nos innovations.
On veut montrer que l'on peut allier la performance de glisse et la performance environnementale. On a le bon sport pour cela. On utilise une "essence" naturelle qui est le vent, mais on pollue trop avec notre matériel plastique et très carboné, on génère beaucoup trop de déchets. Il faut changer de modèle, et prendre le sujet par tous les bouts, du côté des grosses entreprises et aussi du côté de structures beaucoup plus agiles comme la nôtre et qui vont permettre de penser et de faire différemment.
Il faut se rapprocher de l'écologie, et je pense qu'on a les moyens de le faire. La France est un pays qui répond présent, on est en bonne voie, et il faut encore pousser parce que c'est difficile. C'est plus coûteux de produire à base de recyclage, ou des produits qui vont être recyclable, et de fabriquer en France, mais aujourd’hui c'est dans la la tête des gens, et ça rentre dans la vision des entreprises. Il faut accompagner cette prise de conscience et le passage à l’action en faveur de l’écologie, et on a la chance quand on est connu de pouvoir faire passer des messages. Pour que les mentalités changent, il y a aussi une question de confiance dans le discours politique à travailler et de cohérence du discours, car au niveau individuel on a peu de données et de compréhension globale de l’impact d’un produit sur son cycle de vie.
Après, le plus important est au niveau de l'école et de l'enseignement des tout-petits, parce que c’est là que les habitudes se prennent, que l’on se formate, et c'est difficile ensuite de revenir en arrière. Donc c'est peut-être cette nouvelle génération qui va aider la génération d'avant, des plus vieux, pour les empêcher de faire des choses qui pourraient être polluantes ou de détruire la nature.