« L’émotion est le sentiment d’un plaisir ou d’un déplaisir actuel qui ne laisse pas le sujet parvenir à la réflexion. Dans l’émotion, l’esprit surpris par l’impression perd l’empire sur lui-même » Emmanuel Kant
Une émotion est une réaction psychologique et physique à une situation.
Les progrès effectués en neurosciences et physiologie permettent d’identifier les systèmes d’interactions complexes qui les régissent, et de comprendre leur dimension très concrète.
Tous ces mécanismes émotionnels activent ou inhibent la transmission des informations sensitivo-sensorielles à notre mémoire, et notre capacité à réagir de façon appropriée.
Au-delà de colorer nos réactions et notre relation au monde, à travers les mécanismes de régulation de l’organisme, les émotions ont un impact majeur sur l’énergie de la personne.
Elles ne peuvent plus être écartées dans l’environnement économique d’où elles ont souvent été bannies, et il est fondamental d’apprendre à les comprendre et les utiliser, tant pour soi, pour les personnes avec lesquelles nous sommes en interaction, que pour l’efficacité des écosystèmes dans lesquels nous sommes engagés.
Des techniques de préparation mentale ont été développées en ce sens depuis plusieurs dizaines d’années, et il est grand temps que les dirigeants s’en emparent !
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“ Fin 2013, nouveau tournant. Après un débat interne, Areva démobilise les sous-traitants en charge de la construction et se focalise sur l'ingénierie. Ce qui va affaiblir sa position dans l'arbitrage. Areva remobilise un an plus tard. Le dialogue de sourds persiste. « Luc Oursel disait qu'avec les Finlandais, il ne se passait jamais rien émotionnellement », se souvient un ancien.”
Cet article des Echos - sur la saga des EPR français, met bien en évidence l’enjeu majeur des émotions à plus haut niveau du business. Nous allons donc tenter de décortiquer ce que sont les émotions, et comment les utiliser.
L’étymologie du terme « émotion », qui vient du latin e movere, signifie « ébranler », « mettre en mouvement ». L’émotion est avant tout mouvement, que le Larousse définit comme “un trouble subit, une agitation passagère causée par un sentiment vif de peur, de surprise, de joie, etc.”
Elle a d'abord une manifestation interne et génère une réaction extérieure. Elle est provoquée par la confrontation à une situation, et à l'interprétation de la réalité [1].
L’expression de l’émotion est fondamentalement corporelle, et une équipe de chercheurs finlandais a pu dresser une cartographie, sur laquelle on observe quelles parties du corps réagissent selon le ressenti émotionnel [2]. La honte a pour effet de faire rougir le visage de certains. La colère aussi, a tendance à faire monter le rouge au visage mais pas de la même façon, contracter les muscles du cou et serrer les poings. La peur et l'anxiété, elles, se localisent plutôt dans la poitrine voire dans le ventre jusqu’à éventuellement créer des douleurs, quand l'amour lui se manifeste un peu partout sous la forme de chaleur.
Elle précède le sentiment ou l’humeur, qui possèdent une durée plus longue.
Le psychologue américain Paul Ekman, considéré comme l'un des cent plus éminents psychologues du xxe siècle, fut l'un des pionniers de l'étude des émotions. Par l’étude des expressions faciales humaines, il pose en 1971 six émotions fondamentales, qu’il élargit ensuite au nombre de 16 :
Robert Plutchik s’empare de ces recherches, et développe en 1980 une “roue des émotions”, dans laquelle les émotions fondamentales de Paul Ekman apparaissent au 2è cercle. Les couleurs et la distance au centre de la roue de Plutchik illustrent les émotions de base dans leurs divers degrés d'intensité.
Enfin, elles peuvent se combiner l'une à l'autre pour former des émotions différentes. Le cercle représente également les combinaisons primaires (dyades primaires) de deux émotions contiguës, par exemple l’association de l’anticipation et de la joie conduit à l’optimisme. Plutchik développe également des dyades secondaires et tertiaires, l’association de la joie et de la peur (dyade secondaire) générant de la culpabilité ; celle de la colère et de la confiance (dyade tertiaire) générant de la domination [3].
De nombreuses recherches se sont déployées dans le temps depuis les travaux de l’anatomiste Franz Josef Gall (1758-1828), afin d’identifier une localisation anatomique du « cerveau des émotions » et de comprendre leur mode de fonctionnement. La période contemporaine a permis des développements expérimentaux très significatifs avec la neurophysiologie et les neurosciences. Elles réfutent l’existence d’un “cerveau limbique” entièrement dédié aux émotions, et parlent de système reliant des structures plus ou moins dédiées et/ou impliquées dans les émotions [4].
Les travaux des pionniers Paul Broca (1878), James Papez (1937), et Paul D. MacLean (1952) suggèrent que les émotions seraient associées à un groupe de structures au centre du cerveau appelé le système limbique, qui se compose de l’hypothalamus (régulation des glandes endocrines et du système immunitaire), le cortex cingulaire, l'hippocampe (mémoire et navigation spatiale), et d’autres structures (par exemple l’amygdale - essentielle dans la gestion du danger).
La réception d’un stimulus induit des mécanismes bio-chimiques, liés à la stimulation du système nerveux central, du système nerveux autonome, et du système hormonal.
Ces décharges électriques et chimiques viennent activer ou inhiber les synapses, en même temps que le cerveau est informé d’un changement d’état du corps. La recherche permanente de l’homéostasie (état d’équilibre) par le corps implique en retour une régulation.
Les émotions dites primaires sont les émotions innées, pré-programmées à la naissance. Mais leur prise de conscience permet d’élargir une stratégie de défense : si l’on apprend “qu’un animal, objet, une situation X provoque une réaction de peur, vous aurez deux façons de vous comporter vis-à-vis de X. La première est innée ; il ne vous est pas possible de la dominer. (...) La seconde (...) repose sur votre expérience vécue et est spécifique. (...) En bref, la perception de vos états émotionnels, autrement dit la conscience de vos émotions, vous permet une réponse modulable en fonction de l’histoire individuelle de votre interaction avec l’environnement.” [6]
Ainsi, les émotions influent sur l'activité de zones du cerveau qui gèrent notre attention, motivent notre comportement, et déterminent la signification de ce qui se passe autour de nous.
Pourquoi ce sont dans les plus grandes rencontres sportives comme les JO que les records sont dépassés, ou dans les finales de Coupe du Monde que les joueurs marquent leurs plus beaux buts ? Car l’état d’éveil émotionnel des athlètes est à ce moment maximal.
Tous ces mécanismes émotionnels activent ou inhibent (accélèrent ou ralentissent) la transmission des informations sensitivo-sensorielles à notre mémoire, et notre capacité à réagir de façon appropriée.
Corps et cerveaux fonctionnent de façon indissociable [7], et pour ressentir une émotion, il est nécessaire que les signaux neuraux en provenance des viscères, muscles, articulations, neurones modulateurs du tronc cérébral, les signaux endocrines et autres signaux chimiques parviennent au cortex cérébral.
“Lorsque les signaux relatifs à l’état du corps sont de nature négative, la production des images mentales est ralentie, leur diversité est moindre, et le raisonnement est inefficace ; lorsque les signaux émanant du corps sont de nature positive, la production des images mentales est vive, leur diversité est grande, et le raisonnement peut être rapide, quoique pas nécessairement efficace.”
D'un point de vue neuroscientifique, les émotions sont la représentation physiologique d'interactions entre les sens, la mémoire, les états du corps. Elles créent un mode particulier d'efficacité des processus cognitifs. Ce sont des indicateurs qui permettent au capitaine du bateau, au leader de naviguer. Ne pas écouter ses émotions revient à mener son business les yeux bandés.
Comme nous l’avons vu précédemment, l’émotion est une impulsion qui a un effet immédiat sur le métabolisme général.
Cette mise en mouvement va induire une réaction du système d’homéostasie de l’organisme, qui va chercher à retrouver un point d’équilibre. La finalité de cette régulation biologique est d’assurer la survie de l’organisme. Il va gérer, réguler, de façon génétiquement programmée pour fuir la douleur et rechercher le plaisir, dans le contexte de situations sociales. Ce mécanisme d’homéostasie est naturellement énergivore, dans le sens où il consomme de l’énergie jusqu’à avoir retrouvé un nouvel état d’équilibre.
Cette relation émotions-énergie est essentielle, et souligne à quel point la connaissance intime de soi est importante pour pouvoir agir sur les différents paramètres permettant une gestion de l'énergie pratique et efficace. La régulation de l’organisme peut elle-même être influencée par la volonté, des exercices appropriés, et donne ainsi à l’organisme une capacité d’adaptation phénoménale, pour toutes les difficultés de la vie quotidienne (enjeux majeurs, agressions, incompréhensions, maladies,...).
Les émotions sont ainsi “une sorte de câblage neurologique que l'on peut modifier avec un entraînement mental spécifique, explique Sylvain Baert dans un article dédié du Journal l’Equipe. C'est comme un quotient émotionnel qui peut se travailler ».
« Cette intelligence émotionnelle fait référence à la capacité à identifier, comprendre, gérer et exprimer nos émotions. Un sportif intelligent émotionnellement, c'est quelqu'un qui est capable de prendre conscience de ses émotions et de savoir les contrôler mais aussi de savoir capter et gérer celles des autres ».
Il en est de même pour un dirigeant, et le coaching et des techniques de préparation mentale peuvent être travaillés pour développer :
Le body-scan, la relaxation, les exercices de visualisation, la respiration et la cohérence cardiaque, la méditation pleine conscience sont des outils fréquemment utilisés dans ces objectifs.
Le philosophe Emmanuel Kant (1724 - 1804) avait clairement identifié et exprimé cet aspect automatique et potentiellement envahissant de l’émotion : « L’émotion est le sentiment d’un plaisir ou d’un déplaisir actuel qui ne laisse pas le sujet parvenir à la réflexion. Dans l’émotion, l’esprit surpris par l’impression perd l’empire sur lui-même ».
Intervenant dans toutes nos interactions qu’elles soient humaines ou avec notre environnement, les émotions colorent notre vie, lui donnent sa valeur par les sensations corporelles de plaisir et déplaisir qu’elles engendrent, et impactent notre énergie et notre fatigue.
Les progrès effectués en neurosciences et physiologie permettent d’identifier les systèmes d’interactions complexes qui les régissent, et de comprendre leur dimension très concrète.
Elles ne peuvent plus être écartées dans l’environnement économique d’où elles ont souvent été bannies, et il est fondamental d’apprendre à les comprendre et les utiliser, tant pour soi, pour les personnes avec lesquelles nous sommes en interaction, que pour l’efficacité des écosystèmes dans lesquels nous sommes engagés.
Des techniques de préparation mentales ont été développées en ce sens depuis plusieurs dizaines d’années.
Et comme le dit Antonio R. Damasio, “Expliquer l’expression et la perception des émotions comme des processus concrets, se développant sur les plans cognitif et neural, ne diminue en rien le caractère délicieux ou horrible des émotions, ni leur statut dans les domaines de la poésie ou de la musique. Comprendre comment nous voyons ou parlons ne rabaisse en rien ce qui est vu ou dit, ce qui est peint sur un tableau ou déclamé sur une scène de théâtre. Comprendre les mécanismes biologiques sous-tendant l’expression et la perception des émotions est parfaitement compatible avec la valeur romantique que ces dernières peuvent avoir pour l’être humain [8]”.
Thérèse Lemarchand
CEO Mainpaces
[1] En cela, une émotion est différente d'une sensation, laquelle est la conséquence physique directe (relation à la température, à la texture...). La sensation est directement associée à la perception sensorielle. La sensation est par conséquent physique.
[2] https://www.maxisciences.com/emotion/quels-effets-les-emotions-provoquent-elles-sur-notre-corps_art31719.html
[3] Source Wikipedia : https://fr.wikipedia.org/wiki/Robert_Plutchik
[4] Source Wikipedia https://fr.wikipedia.org/wiki/Émotion
[5] https://en.wikiversity.org/wiki/WikiJournal_of_Medicine/Medical_gallery_of_Blausen_Medical_2014
[6] Antonio R. Damasio, L’Erreur de Descartes - p186-187
[7] Largement issu de l’ouvrage de Antonio R. Damasio, L’Erreur de Descartes
[8] Antonio R. Damasio, l’Erreur de Descartes - p 227