Paul Meyer : entraînement, intuition et direction d’équipe

Paul Meyer est un clarinettiste et chef d'orchestre français. Depuis ses débuts fulgurants, en remportant les prestigieux concours de l’Eurovision et Young Concert Artist à New-York en 1982 à l’âge de 17 ans, Paul Meyer n’a cessé de surprendre.

Considéré dès son plus jeune âge comme un instrumentiste exceptionnel, son parcours est jalonné des plus belles rencontres musicales. Toujours à la recherche de sensations musicales extrêmes, il s’oriente très vite vers la direction d’orchestre, tout en développant son jeu qui lui confère une place unique comme clarinettiste reconnu dans le monde entier.

Dans cette interview, Paul nous explique son parcours : la place de l'intuition dans ses prises de décisions musicales et ses choix de carrière, l'impact du désir et de l'intention dans sa préparation, et l'importance du collectif et de la communication dans la direction d'un orchestre.

Interview réalisée le 10/11/22 par Thérèse Lemarchand, CEO Mainpaces

Paul Meyer, la construction d’un musicien de talent

Bonjour Paul, tu es clarinettiste, soliste international, Chef d’orchestre, ta carrière de musicien fait partie des parcours d’exception, qu’est-ce qui t’a amené là ?

Une carrière dans la musique est particulière car elle prend ses racines dans l’enfance, sans être liée à une projection professionnelle. Je n’ai pas été programmé pour être musicien, musicien professionnel, ou encore plus musicien à succès, mais il y a eu un bon enchaînement.

Je suis entré très jeune au conservatoire de Paris. J’ai toujours aimé ce que je faisais, travailler mon instrument. A 9 ans je faisais une heure de clarinette tous les matins avant d’aller à l’école. La musique est une discipline, tu es obligé d’être constant, tu ne peux pas jouer un jour, puis ne pas jouer pendant trois jours. Plus on avance, et plus cette discipline musicale est importante, ce qui n’empêche pas par ailleurs d’être joyeux et d’aimer la vie !

La musique est une discipline, tu es obligé d’être constant, tu ne peux pas jouer un jour, puis ne pas jouer pendant trois jours.

Paul Meyer

J’ai eu la chance d’avoir des rencontres avec des professeurs qui ont été importantes pour moi. Quand on est jeune, on est influençable, on tâtonne. Quand tu te retrouves avec quelqu’un qui te coache, il faut qu’il y ait une bonne rencontre. Je pense que j’avais aussi la qualité d’être ouvert aux critiques, ce qui permet de se découvrir, de voir vers où on peut aller. 

Gérard Caussé - François-René Duchâble - Paul
Gérard Caussé - François-René Duchâble - Paul

Tout n’a pas été forcément facile pour autant. Quand j’étais au conservatoire de Paris, il y a eu une mode dans la manière de jouer que je n’aimais pas. Je me suis inscrit un peu en faux. Cela m’a posé des problèmes techniques, de réussite, psychologiques, jusqu’au moment où j’ai reçu des sentiments d’ouverture, des encouragements venant des gens du métier qui m’ont complètement libéré. J’ai gagné des concours, j’en ai raté certains, et puis j’ai joué avec Benny Goodman. Il m’a dit « vas-y à fond, tu es bon, tu es fort, tu peux y aller comme ça ». Il a ouvert le sésame, les portes. Parce que cela venait de lui, de ce musicien immense, cela a résonné, et m’a libéré de beaucoup de mes doutes.

Il faut avoir confiance dans un monde un peu plus large que son propre périmètre

Paul Meyer

La musique, c’est beaucoup de gammes, de techniques, et ce qui en fait l’excellence est l'interprétation, comment travailles-tu ? 

Avec la danse et le sport, la musique a un rapport au physique et au mental intimement lié. Tu ne peux pas détacher les gammes de la réalisation, du côté intellectuel, musical, interprétatif. C’est toujours l’un au service de l’autre. Je n’imagine pas Roger Federer faire des exercices techniques sans penser à l’utilisation de son point en match. Tous les exercices que l’on fait sont intellectualisés, ils doivent servir à quelque chose. 

Il y a donc toujours une intention ?

Plus qu’une intention, je pense que ce qui fait la différence, c’est la capacité à avoir un désir, à avoir une représentation de ce que tu veux faire. Même très jeune, alors qu’à 12 ans tu n’as pas encore de culture musicale, quand tu joues une partition il faut avoir une capacité à analyser les choses, savoir identifier si tu aimes la sonorité que tu crées, ce que tu ressens dans une œuvre, et avoir une projection.

Plus qu’une intention, je pense que ce qui fait la différence, c’est la capacité à avoir un désir, à avoir une représentation de ce que tu veux faire.

Paul Meyer

J’ai toujours su ça. Déjà à 14 ans les élèves du conservatoire venaient me voir pour me demander ce que je pensais de leurs interprétations. J’ai toujours eu un sentiment d’appropriation, un rapport à l’interprétation assez facile. Pour certains, la musique c’est une note, des codes, pour moi ça a toujours été plus que cela facilement. Aujourd’hui c’est ce que j’essaye de faire comprendre à mes élèves.

Paul Meyer, s’entraîner : l'alliance de la technique et du désir

On a parlé de travail, de confiance, d’intention, d’interprétation, comment relies-tu tout cela ?

Il faut déjà avoir les moyens de ces réflexions. Il n’est pas question de ne pas être bon, tu ne peux pas transfigurer une mauvaise interprétation. Comme pour n’importe quel étudiant, la confiance naît de la répétition d’exercices réussis.

De manière très simple, quand tu travailles un passage difficile, si tu le joues dix fois et que tu le réussis dix fois, la onzième fois quand tu le joues en concert tu as moins de chance de le rater, tu es confiant. Si tu ne le réussis qu’une fois dix à l'entraînement, il y a de fortes chances que tu paniques totalement au moment où tu te produis en concert.

Quand tu travailles un passage difficile, si tu le joues dix fois et que tu le réussis dix fois, la onzième fois quand tu le joues en concert tu as moins de chance de le rater, tu es confiant. 

Paul Meyer

Comme je travaillais beaucoup plus vite que certains, cela m’a donné la possibilité d’aller plus loin, et d’inventer mes outils, ma manière de travailler, en fonction de ce que j’ai envie de réaliser.

J’entends beaucoup de musiciens se dire « je vais travailler ma technique, et quand j’aurai ma technique je vais jouer bien ». Moi j’ai toujours pensé l’inverse : « Comme j’ai besoin de jouer ce morceau de telle façon, je vais m’inventer une technique, et c’est comme ça que je vais travailler ». 


Il faut inventer la technique après la vision, le désir, pour trouver la sonorité. Un peu comme un peintre qui mélangerait ses couleurs, ferait ses propres assemblages. Je ne pense pas que Soulages ait acheté une palette de peinture toute faite, il a passé sa vie à chercher du noir.

Paul Meyer accompagnement
Paul Meyer

Je ressens quelque chose de très yin-yang dans ce que tu me dis, dans cette alliance imbriquée de désir et de technique.

Oui bien sûr, et pour visualiser, pour cristalliser au moment concert, il faut avoir l’esprit ouvert, les antennes ouvertes. C’est un travail d’esprit, de curiosité, après ça vient à soi. C’est un travail complexe et très long de connaissance, de culture, qui va t’aider à prendre un choix.

Les gens qui ne sont pas musiciens ont une idée un peu vague de ce qu’est le processus musical. La musique est un langage. Il faut déjà pouvoir le lire, le jouer, le mémoriser. Ensuite il faut avoir un avis sur la pièce, une vitesse. Quand tu diriges, il faut en plus convaincre les musiciens de l’orchestre, les chanteurs pour un opéra…

Cette conviction est ancrée dans ton ADN, dans ton passé. Tu dois choisir. Si tu fais quelque chose sans le sentir, cela sera vide et creux, et le public va s’en détacher. Cela sonnera comme artificiel, il n’y aura pas ce sentiment organique d’une évidence totale, et les musiciens ne te suivront pas. 

Si tu fais quelque chose sans le sentir, cela sera vide et creux, et le public va s’en détacher. 

Paul Meyer

Paul Meyer, diriger : collectif, unité et prise de décisions

Pour moi cela fait beaucoup écho à la création d’entreprise. Quand on te demande pourquoi tu crées une entreprise, il y tellement de choses qui contribuent à cela ! C’est la somme d’une vie, un ensemble d’éléments et d’expériences que tu t’appropries, et qui représentent quelque chose pour toi. Tu as l’image future de ce que tu veux créer, et après il faut arriver à la conscientiser, la verbaliser, la rendre visible pour d’autres et embarquer, fédérer. On emploie d’ailleurs souvent l’image du Chef d’orchestre pour cela. 

Comment vis-tu ton rôle de Chef d’orchestre ?

Bien diriger est lié à une certaine capacité d’écoute, d’ouverture, une facilité à comprendre un système. 

Paul Meyer

La direction d’orchestre est complexe au niveau humain, car tu es face à une équipe, et c’est passionnant. En dirigeant, tu passes de l’innée à l’acquis, cet apprentissage est très difficile à définir. Bien diriger est lié à une certaine capacité d’écoute, d’ouverture, une facilité à comprendre un système. 

La manière dont on écoute est importante dans cet apprentissage. Je n’ai jamais porté de jugement direct quand j’écoutais une interprétation, je me suis toujours demandé pourquoi cette personne faisait cela, ce qui motivait sa trajectoire, comment elle avait pris cette décision. C’est un challenge de logiciel, de compréhension.

Paul - Seoul Philharmonic Orchestra
Paul - Seoul Philharmonic Orchestra

L’orchestre de Mannheim dont je suis le Chef d’orchestre titulaire est composé de 27 musiciens. La différence avec un orchestre où je serais invité, est que je joue plus souvent avec eux. Dans tous les cas, ce sont des musiciens professionnels, et nous n’avons que 3 - 4 répétitions ensemble avant un concert. Chacun connaît son rôle et sa partition, et en tant que Chef tu dois diriger. C’est un challenge, et il est composé de points importants :

  • Être au service du collectif

En tout premier lieu, tu es là pour faire en sorte que les choses se passent bien, et pour gérer les répétitions, le planning étant préparé à l’avance. Le Chef est là au service des autres.

Mais pas uniquement !

  • Créer une unité qui fonctionne

Pour faire en sorte que ça marche, il faut apprendre des autres, mémoriser les personnalités, leurs qualités, leurs défauts, leurs faiblesses, les reconnaître très vite, réaliser que celui-ci aura tendance à ne pas être sûr de lui, que celle-là a un sujet de discipline, l’autre un manque de volonté, une difficulté, que le dernier est en panique,… Ca, c’est ce qui est visible, et ensuite il y a l’invisible, ce qui fait leurs personnalités, et je dois rassembler tout cela.

  • Prendre des décisions par rapport à une partition

Prenons un exemple pour illustrer cela, par exemple diriger une œuvre de Mozart que je connais depuis que j’ai 10 ans. Les questions que je me pose alors sont « Quelle approche je vais avoir, qu’est-ce que je vais faire avec les musiciens, qu’est-ce que je recherche moi, comment je vais le leur présenter, est-ce que je me lance là-dedans ? » Tout cela dépend de l’orchestre. 

C’est de l’action – réaction : tu donnes un geste, un tempo, et tu vois s’il est compris, à travers toute une attitude physique, corporelle que les musiciens vont adopter.

  • Prendre des décisions opérationnelles

Il faut trouver l’endroit où aller et le chemin à emprunter. Si je passe 10 mn sur un passage qui ne sert à rien, les musiciens décrochent. C’est comme si tu faisais attention à une petite tâche sur ta chemise, alors que tu as oublié de mettre tes chaussures ☺ 

Quand tu diriges un orchestre, chaque décision que tu prends à chaque moment t’amène à une réaction qu’il faut ensuite développer. C’est complexe, c’est passionnant, chacun joue sa partition au même moment. La musique, c’est le moment. Ça commence, ça finit. Et la minute 23 du concert, tu n’y reviens plus.

Paul Meyer, relation au public et relation aux autres

En entreprise aussi, il y a des partitions que tu ne rejoues pas. Une négociation, la première rencontre avec un partenaire clé, certains temps forts de rassemblement se jouent sur le moment !

Quelle est ta relation au public, est-ce que tu sens la salle, est-ce qu’elle est importante pour toi ?

En concert tu ressens tout, tu as des antennes, tu es complètement à l’écoute, et toujours dans cette action-réaction.

La première chose qu’il ne faut pas avoir, c’est peur. Comme un chef d’entreprise qui doit convaincre ses actionnaires, tu ne peux pas avoir peur.

Paul Meyer - Public
Paul Meyer - Public

Ensuite il faut écouter son public, et se livrer à 100%. Le public est a priori ouvert, mais il doit aussi participer à un moment unique. C’est impossible de jouer comme un robot. Il faut qu’il ressente, qu’il comprenne, qu’il soit totalement là avec toi. Le public a son histoire, son habitude, il peut aimer ce que tu fais a priori ou pas. Il est conquis quand tu es sincère, et que tu arrives à le faire passer avec un niveau de réalisation parfaitement au point. 

Je pense que c’est pareil pour un dirigeant d’entreprise, il doit savoir ce qu’il fait, au-delà d’avoir été formé pour prendre des décisions. Il faut convaincre avec des choses simples, trouver le langage adapté.

Est-ce que cette ouverture à 100 % implique une notion de vulnérabilité ?

Oui et non ! On ne s’ouvre pas psychologiquement en musique, il y a des codes, un protocole, on a le costume, la présentation, le public. On doit avoir une âme ouverte, ce qui est différent de se mettre à nu. Mais on peut explorer notre cerveau et aller où l’on veut.

Il faut bien sûr arriver à gérer le côté émotionnel. Pour moi le bon état d’esprit est d’être là pour m’éclater à fond, partager mon travail, et contribuer à la réussite de tout le monde, c’est primordial.

Tu ne peux pas bien jouer si tu n’es pas bien avec les autres, et si les autres ne t’aident pas. 

Paul Meyer

Tu ne peux pas diriger si les gens ne se sentent pas bien. La personne qui t’accueille, celui qui tient le vestiaire, tes collègues, c’est le service des autres à 100%.

Je suis impressionnée à quel point c’est métaphorique de ce que l’on peut vivre en entreprise, ces codes, ces costumes, selon l’écosystème dans lequel on se trouve. C’est aussi la façon dont, sur une rencontre, on essaye de comprendre le plus vite possible l’état d’esprit de l’autre et de créer une connexion, un projet commun, d’identifier la manière d’aborder les choses avec une intention initiale.

Oui c’est absolument ça. Créer un projet commun, et jouer, tout est dans le mot ! Toi et moi, vous et moi ensemble. Moi pour que je m’éclate maintenant, il faut que tu sois là avec moi.

Tu as toujours eu cette ouverture à l’autre ?

Oui je crois.

Un ami me disait en riant que je suis très dirigiste. Oui, mais j’ai besoin de comprendre. Je ne veux pas exiger. C’est dans le rapport avec l’autre que je vois la voie qui s’impose pour moi, et ensuite je la joue, et l’impose doucement. Et après je ne lâche pas.

C’est quelque chose que j’ai appris avec l’âge et l’expérience. Quand j’ai un sentiment, si j’ai imaginé autrement, que je sens que ce n’est pas ce que je veux entendre, maintenant j’insiste, je reviens, j’y retourne, je rentre par la porte de derrière, je le dis. 

Je pose beaucoup de questions, je responsabilise les musiciens. Le langage est important. En France on a un langage terrible, on n’apprend pas du tout à communiquer avec les gens.

Par exemple si je dis à quelqu’un « à ce passage tu joues trop fort » je suis forcément dans une critique, l’autre peut se sentir mal. Je prends un risque de mauvaise interprétation. En revanche « et si on essayait moins fort pour voir ce que ça donne ? » ça marche mieux. Déjà tu impliques l’autre, tu dis à l’autre « tu m’intéresses ». Il faut essayer de trouver le bon langage.

Tout cela repose sur l’intuition, la pratique, et puis à force sa voix interne. 

Paul Meyer

Quand on est jeune on peut s’emporter, mais après il faut apprendre à s’adresser aux autres. Et si j’ai envie que tu fasses ça, si j’installe une couleur, qu’est-ce que je peux faire pour que tu le sentes ? En musique, c’est ça à 100%. Il faut modeler, il faut que l’autre ait envie, il faut qu’il ait la capacité, c’est un chemin.

Tu exprimes une grande sensibilité, cette capacité de perception de l’autre, comment l’approfondis-tu ?

Être à l’écoute, être ouvert, le principe même de cela est la rencontre. C’est un échange, un dialogue. Comme toi et moi aujourd’hui. On va chercher à se comprendre, comprendre l’univers mental de l’autre, vers où il va. C’est une rencontre personnelle et profonde, dans un code qui est celui de la musique. 

En enseignement c’est un peu différent, car tu es dans une position dominante, une personne expérimentée avec quelqu’un qui est moins expérimenté. C’est plus facile et plus complexe car il faut guider en ouvrant des portes, et tu ne sais pas quelle va être la sienne.

Nous nous demandons en permanence comment installer notre rapport avec les autres, comment voir ce dont il a besoin. Est-ce qu’il faut être cassant, agressif, pour aider l’autre à sortir de sa zone de confort ? 

Tout ça c’est la musique, c’est notre obsession du matin au soir.

J’aurais presque envie de dire que c’est la partition de ta vie, comme pourrait être la terre pour un agriculteur ?

Oui, apprendre, échanger avec les autres, avec soi-même, lutter contre l’obsolescence en travaillant dur, en ne lâchant jamais le morceau. Ce sont des qualités qu’ont tous mes collègues. Eric (Eric Le Sage, pianiste Ndlr) c’est pareil, avec une manière de fonctionner qui est la sienne. Nous avons tous cette envie d’aller plus loin chevillée au corps. 

François-René Duchâble - Paul

Paul Meyer, rapport au temps et à la beauté

Je me rappelle un quatuor pour la fin du temps de Messiaen que tu avais joué au théâtre du Châtelet. C’était magnifique, le temps était comme suspendu. En musique le temps est essentiel, c’est le rythme, les silences, quel est ton rapport au temps ?

Le temps, en musique, on l’appelle le tempo. Le tempo, c’est la vitesse du temps. On peut jouer une œuvre rapidement, lentement. Il y a des nominations – allegro, andante, andantino - mais elles ne sont pas toujours précises. Le tempo est le temps qui s’écoule avec soi-même. C’est le temps qu’il faut pour dire des choses, et il n’est pas fixé, il faut le faire comprendre. Cela crée une sorte d’euphorie, à travers un discours, une participation. Par exemple, si nous jouons avec Eric Le Sage, je l’entends partir, je distingue son tempo, je vais me glisser là-dedans, transformer, aider, orienter, pour nous c’est ça le temps.

Le temps musical est également le temps qu’on a en commun. En musique il y a quelque chose que je n’ai jamais rencontré ailleurs, dans aucun moment de la vie, c’est que tu agis ensemble, précisément au même moment.

Pour comprendre ce que cela veut dire, le temps musical est divisé en beats/mn : 60 – 120 – 186 …

60 battements par minute, c’est l’échelle de la seconde. Pour nous une seconde de décalage est impossible. Cela n’existe pas en musique.
La double croche est l’échelle du quart de seconde. Le décalage n’est encore pas possible.

La triple croche, c’est le seizième de seconde. C’est là où se situe la simultanéité de la musique

Et puis il y a le temps de la partition, ce temps de jouer, où tu ne fais absolument rien d’autre, sans téléphone, sans notification, sans interruption.

On est toujours dans le temps, dans le tempo, dans la performance, on a toujours des dates, c’est très mesuré. C’est pour cela qu’on fixe aussi les répétitions de façon systématique de 10h à 13h. C’est tellement dur, tellement compliqué, qu’on ne peut pas ouvrir de souplesse en fonction de notre état du moment. Beaucoup de musiciens ont des problèmes avec ce temps décidé. Ils n’arrivent pas à se coordonner au temps des autres. Cela peut être très compliqué, très frustrant, très stressant.

Comment fais-tu pour ne pas le subir, pour t’en emparer ?

Il faut l’accepter. On est dans un processus continuel d’apprentissage. Il faut arriver à décloisonner ces moments, à mettre du lien, que ce ne soit pas un stress du moment. Un concert est juste un concert, il y en aura un autre demain. Il faut faire en sorte que ça avance et rentrer dans un déroulé. Comme dans une entreprise, il y a toujours des décisions, mais elles s’inscrivent dans un temps long. Se créer ce déroulé est essentiel, il conserve l’importance fondamentale du moment, mais le temps devient un temps long.

Tu participes au développement de nouveaux instruments pour le facteur Buffet Crampon. Qu’est-ce qui te nourrit dans ce projet ?

C’est un travail passionnant. Je suis conseiller, et je conçois avec d’autres. Moi qui sais juste jouer et apprendre, j’ai affaire à des gens qui savent faire des instruments, les percer, à ceux qui achètent le bois, aux ouvriers spécialistes, ceux qui réparent les instruments, au Directeur Général, aux actionnaires … Je vois la complexité d’une entreprise, je suis plongé dedans, au sein d’une équipe où chacun est complémentaire. 

Il faut donner des impulsions, être sûr de l’endroit où aller. Ce qui est très particulier, c'est que les personnes avec qui je travaille ne savent pas utiliser ce que l’on crée. Les décisions musicales, techniques, qui doivent être prises, sont difficiles. Il faut que le produit marche, cela impacte la vie de l’entreprise (400 personnes).

Ce rapport entre expertise personnelle et réalisation me passionne. Cela me sort de ma musique. C’est important pour ré-ouvrir des perspectives.

Finalement j’ai un rôle de médiateur, je dois convaincre à tous les niveaux (recherche, conception, réalisation, essais, correction, conviction, fabrication, médias,…). Pour que les ouvriers me fassent quelque chose, il faut que je sache leur parler. On échange ! 

Comment ressens-tu le beau ? 

Le beau pour moi c’est le ressenti, c’est la vision. C’est aussi une question de goût ! Moi par exemple, j’aime tout ce qui est vieux et délabré. Les scories, l’histoire. Le neuf m’ennuie, comme pour les habits. Je commence à me sentir bien dans un pull quand il commence à avoir des trous. Ce qui m’intéresse, c’est la continuité.

Dans l’art, j’aime tout ce qui m’interpelle. Je n’ai pas de marotte, mais j’aime ce qui est abstrait et que je n’arrive pas à comprendre. Tout ce qui est concret m’ennuie. J’aime voir ce qui est derrière. Il faut que ça me fasse imaginer. 

Quel est le dernier message que tu voudrais passer à ceux qui nous lisent ?

Suivre son instinct à 100%. Quand tu as un truc qui te travailles, il ne faut pas transiger. Il ne faut pas capituler, vas-y à fond, tout en consultant bien sûr, mais écoute l’instinct, l’instinct, l’instinct… 

J’ai de grands collègues, des musiciens importants, avec qui j’ai des relations de confiance et que je consulte souvent. Avec Michel Portal par exemple, nous nous appelons tout le temps, nous apprenons, nous jouons ensemble, nous faisons des essais, c’est un partage. Mais faire confiance à son instinct est la chose la plus importante de cette histoire. S’il y a quelque chose qui te travaille encore, questionne-toi encore, ne lâche pas le morceau. Si tu as le moindre doute, c’est que tu n’as pas trouvé le truc.

Notre quête en musique se trouve dans le monde des sensations des sentiments. Finalement je crois qu’il y a une forme de spiritualité dans cette recherche permanente d’orientation vers ce qui nous semble plus juste

Paul Meyer, biographie et engagements

Paul Meyer sous l'eau
Paul Meyer

Depuis ses débuts fulgurants, en remportant les prestigieux concours de l’Eurovision et Young Concert Artist à New-York en 1982 à l’âge de 17 ans, Paul Meyer n’a cessé de surprendre.

Considéré dès son plus jeune âge comme un instrumentiste exceptionnel, son parcours est jalonné des plus belles rencontres musicales : Benny Goodman, Isaac Stern, Rostropovitch, Jean-Pierre Rampal, Martha Argerich, Yuri Bashmet, Gidon Kremer, Yo-Yo Ma, Emmanuel Ax partenaires avec lesquels il a joué dans les salles de concerts les plus réputées au monde.

Toujours à la recherche de sensations musicales extrêmes, il s’oriente très vite vers la direction d’orchestre, tout en développant son jeu qui lui confère une place unique comme clarinettiste reconnu dans le monde entier.

Après avoir créé l’orchestre de chambre d’Alsace, il est de plus en plus sollicité pour diriger des orchestres. Chef associé de l’Orchestre Philharmonique de Séoul de 2006 à 2010, en 2009, il est nommé Chef Principal de l’Orchestre Kosei de Tokyo.

En 2018, il devient le Chef Principal de l'Orchestre de Chambre de Mannheim.

Très vite, la reconnaissance de son travail, basé sur une compréhension et une expérience de la pratique orchestrale, lui ouvre les portes de la direction des plus grands orchestres symphoniques et de chambre en Europe, Asie et Amérique du Sud.

Sa rencontre avec Pierre Boulez et Luciano Berio - ce dernier lui dédia sa pièce pour clarinette Alternatim - fut déterminante dans la place qu’il occupe dans le développement du répertoire de son instrument grâce aux créations de concertos écrits pour lui par les compositeurs contemporains tels que Krzysztof Penderecki, Michael Jarrell, Qigang Chen, Luciano Berio, Edith Canat de Chizy ou Thierry Escaich, et qui ont été créées dans les plus grands festivals tels que Salzburg, Vienne ou Amsterdam. Les prochaines créations seront des œuvres de Guillaume Connesson et Eric Montalbetti.

La carrière discographique de Paul Meyer, qui comprend plus de cinquante disques signés chez DGG, Sony, RCA, EMI, Virgin, Alpha et Aeon, a fait l’objet de nombreuses récompenses parmi lesquelles: Fono-Forum, Diapason d’Or, Choc du Monde de la Musique, Choc de Classica, Gramophon, Grammy Awards,et autres.

Ses derniers enregistrements comme chef d’orchestre sont le Cello Abbey avec Nadège Rochat et la Staatskapelle de Weimar et les concertos de Weber joués par lui-même avec l’Orchestre de Chambre de Lausanne. Est également paru le concerto de Thierry Escaich qui lui est dédié avec l’Orchestre National de l’Opéra de Lyon sous la baguette d’Alexandre Bloch.

Passionné de musique de chambre, il a fondé l’ensemble Les Vents Français et est cofondateur avec Eric Le Sage et Emmanuel Pahud du Festival International de Musique de Salon de Provence.

Décoration : Commandeur de l'ordre des Arts et des Lettres (2012)

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