Tout optimiser pour faire la différence, par Aloïse Retornaz

Passer une heure d’interview avec Aloïse Retornaz, c’est sentir le vent dans les cheveux, les embruns dans les yeux, remplir ses poumons, et se laisser griser par la vitesse.

Quel chemin parcouru depuis ses débuts en optimist dans la rade de Brest, jusqu’à cette dernière médaille de bronze en 470 aux JO de Tokyo ! A chaque étape ses sensations, ses secrets de préparation, ses engagements, et toujours une motivation hors norme. Avec une telle détermination, on sent que les médailles n’ont pas fini de tomber, et que le milieu de la voile Pro doit se préparer à l’accueillir.

Bon vent Aloïse !

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Bonjour Aloïse, tu as gagné l’an passé la médaille de bronze de 470 aux JO de Tokyo, peux-tu nous présenter rapidement le parcours sportif qui t’a amené jusque là ?

J’ai commencé la voile à 6 ans, poussée avec mes sœurs par mon père qui était fan de voile. C’était la Toussaint, à Brest, il faut imaginer le froid, le vent et l’humidité ! Au début je n'aimais pas ça, et puis j’ai commencé les régates vers 8-9 ans et là ça m’a vraiment plu, j’ai accroché. J’ai découvert un esprit de compétition qui me correspondait vraiment, et ce sentiment de liberté d'être sur l’eau.

Vers la fin du collège, j’ai changé de support et une amie m’a proposé de faire équipage avec elle. Nous avons fait du 29er[1] et du 420[2] , le petit frère du 470[3] . Le circuit international était plus fourni en 420, donc nous sommes restées dessus. Nous avons eu de bons résultats qui m’ont encouragée à continuer. J’ai choisi de faire un sport-études, et après le bac j’ai continué dans la voile de haut niveau en parallèle de mes études. 

Faustine Merret est venue nous présenter la médaille d’or olympique, et je me suis dit que ce n’était pas si loin que ça, que c’était possible.

Au centre d'entraînement du pôle espoir de Brest, j’ai été au contact des athlètes qui se préparent pour les JO, et ça m’a mis des étoiles dans les yeux. Un jour, Faustine Merret (planche à voile) est venue nous présenter la médaille d’or olympique, et je me suis dit que ce n’était pas si loin que ça, que c’était possible. 

Je me suis accrochée, j’ai continué avec le 470, les régates internationales, et nous avons gagné les championnats du monde jeune avec ma coéquipière.

A la fin de mes études je me suis demandé “qu’est ce que je fais” ? Ça se passait super bien, ma priorité était d’aller aux JO, et j’ai continué le haut niveau, avec quand même un compromis pour me lancer aussi dans le monde professionnel en parallèle.

Pourquoi ?

Pour moi il y a trois raisons :

  • le sujet du revenu : en voile olympique c’est compliqué de gagner sa vie ;
  • la sérénité : savoir que derrière si un jour tu dois arrêter ta carrière sportive tu as déjà une carrière professionnelle est pour moi très rassurant. Beaucoup de sportifs ne peuvent pas arrêter car ils n’ont plus ce choix. Mentalement ce n’est pas une situation facile. Je voulais rester dans l’envie, pas dans l’obligation ;
  • l’équilibre de vie : à ce niveau on est toujours aux quatre coins du monde, avec des étrangers, on décroche vite de la réalité. Avoir des fréquentations avec des gens qui travaillent en entreprise, qui se lèvent tous les matins pour aller travailler, voir qu’il y a aussi des attentes de résultat dans le business, me permet de garder un pied sur terre.

Ce double projet est important pour moi. C’est mon équilibre aujourd’hui (NdlLr Aloïse a 28 ans). On verra dans 3-4 ans ce que je ferai, aujourd’hui je suis libre, les opportunités sont ouvertes.

Lecointre Camille (FRA) and Retornaz Aloise (FRA) compete in Sailing Women's 470 during the Olympic Games Tokyo 2020, at Enoshima Yacht Harbour on July 28, 2021, in Tokyo, Japan, Photo Sailing Energy / KMSP || 000378_0014 SPORT 2021 OLYMPIC GAMES JEUX OLYMPIQUES VOILE

Qu’est-ce que tu ressens quand tu navigues ? Qu’est ce qui te motive ? 

C’est difficile à exprimer, quand je navigue j’ai une sensation d’être pleine. Oui, c’est un sentiment de plénitude, d’être bien dans mon élément, au contact de la nature. 

Après ce qui me motive, c’est la recherche de la performance, chercher à trouver le petit geste qui va te rendre efficace, trouver l’astuce qui va faire que tu vas être plus rapide que tes concurrents. 

Et ce que j’aime aussi en voile, c’est faire de la stratégie et de la tactique avec le vent, pour trouver les schémas de navigation, et jouer avec le parcours pour être les plus rapides. 

J’aime vraiment régater, et j’ai besoin de tout ensemble, de la vitesse optimisée, et de la route optimisée. Ce sont des sentiments qui s’entremêlent et se complètent. Ils ne sont pas dissociés.

Quand je navigue, j'ai un sentiment de plénitude, d'être bien dans mon élément, au contact de la nature

Le 470 est un sport d’équipage, tu es équipière et tu as maintenant un nouveau barreur Kevin Peponnet, avec qui tu te prépares pour les JO de Paris, que signifie faire équipage pour toi ? 

J’ai choisi de faire du bateau en équipage parce que les bateaux solitaires en olympisme ne me plaisaient pas en terme de sensations. Et puis j’ai trouvé que c’était hyper intéressant de naviguer en équipe, de partager les bons et les mauvais moments, et de réussir cette symbiose. A deux, la communication est permanente à bord. Quand on est en compétition, on se partage les tâches, l’un est concentré sur la vitesse, et l’autre sur l'itinéraire selon les allures, et on se fait confiance.

C’est la meilleure formation pour passer sur des bateaux plus gros où tout se joue équipage.

Il y aura un seul bateau sélectionné par pays pour les JO de Paris, qu’est-ce que ça change pour toi ? 

Pour les JO 2024 le circuit est renouvelé, car on passe d’un équipage masculin et un équipage féminin par pays, à un seul équipage mixte. Les meilleurs gars et les meilleures filles naviguent ensemble. En France, il va y avoir quatre/cinq bateaux dans le match pour la sélection Olympique. Pour la préparation nous nous focalisons sur les étrangers, car ce qui compte c’est la médaille finale, et ce sera eux qu’il faudra battre. Donc on garde cet objectif, et on va chercher des podiums internationaux. Nous aurons des championnats du Monde et d’Europe tous les ans jusqu’aux JO, avec des objectifs de résultats. En voile c’est ta performance qui déstabilise l’adversaire, car au bout d’un moment tu instaures un statut de favori. 

Les JO pour un athlète, c’est un projet complet, que l’on gère de A à Z. Bien sûr nous sommes accompagnés, mais nous sommes leaders et managers de notre projet, comme une petite entreprise. Avec notre coach, nous formons un trio très fort pour l’ensemble projet. 

Notre premier enjeu est de trouver du budget, car les projets olympiques coûtent cher. 

Tout d’abord en raison du matériel, indispensable pour jouer en “ligue 1”. 

Et puis il y a nos préparateurs : le préparateur physique, le préparateur mental, notre coach. et toute la cellule performance humaine, kiné, médecin, nutritionniste…

Le troisième sujet important est la R&D. Avec l’Ecole Nationale de Voile, nous avons des ingénieurs qui travaillent sur le développement du matériel, sur des modélisations de coques, de voiles, de dérives, ils mettent en place des centrales de navigation pour étudier le comportement du bateau à l’eau… 

Aujourd’hui nous avons besoin de 60 000 €/an jusqu’aux Jeux, donc 180 000 € en tout car jusqu’aux Jeux. Nous cherchons des sponsors ☺

Retornaz Aloise and Lecointre Camille (Bronze Medal in Sailing Women's 470) at Live from Trocadero during the Olympic Games Tokyo 2020, on August 07, 2021, in Paris, France, Photo Baptiste Paquot / KMSP || 000519_0017 SPORT 2021 OLYMPIC GAMES JEUX OLYMPIQUES PARIS 2024 VOILE

Comment vous préparez-vous, en terme d'entraînement, de pression ? 

Notre coach, Gildas Philippe est au centre de notre préparation, et c’est lui qui nous entraine, son rôle est essentiel. 

Nous travaillons tous les trois avec notre préparatrice mentale, car il en a besoin aussi. Il est là avec nous jusqu’à 5 mn avant le départ. Toutes les informations qu’il nous donne sont importantes. Nous débriefons le soir tous les quatre ensemble.

D’un point de vue physique, l'entraîneur voit quand il y a un déficit quelque part, et il m’en alerte. Mais aujourd’hui avec mon expérience je vois bien où sont mes faiblesses et mes forces, donc je travaille seule avec mon préparateur physique.

Ce qui est plus dur dans ce que l’on fait, c’est d’enchaîner les semaines de déplacement, de réguler sa fatigue et maintenir un équilibre, loin de chez soi. Il faut apprendre à bien se connaître, et identifier quand on dépasse la ligne rouge. La fatigue s’installe quand l’intensité physique trop dure trop longtemps.

Il faut apprendre à bien se connaître, et identifier quand on dépasse la ligne rouge

As-tu des techniques de pause, de récupération intermédiaire qui te permettent de tenir ? 

Je fais des mesures d’état de forme régulières avec des tests HRV[4]

Quand j’ai besoin de récupérer, j’augmente mes séances de streching, et bien sûr j’essaye de dormir plus. Si je n’y arrive pas, je fais de la méditation, j’aime ça.

Au bout d’un moment, il n’y a pas de secret pour récupérer il faut prendre des jours off, pendant lesquels on pourra faire des séances de récupération avec des exercices cardio à basse intensité[5]

As-tu des routines de performance en termes de préparation physique ou mentale ? Comment est-ce que tu te mets dans le flow ?

Oui, les jours de compétitions j’ai mes routines. Le matin je réveille mon corps tranquillement, je fais un test HRV sur du yoga, et 15 mn de réveil articulaire. Souvent après je prends un petit moment en autonomie avec de la musique pour me focaliser sur la journée. J’ai ma playlist personnelle, avec 2-3 musiques du moment, et des morceaux que j’écoute en boucle. Johnny Hallyday y est bien présent pour me donner la niaque ! Et nous avons souvent une musique qui sera celle de la régate – que l’on écoute alors pendant 3 semaines tous les matins.

Quelles sont les qualités essentielles que tu mets en œuvre pour gagner ? Qu’est-ce qui fait pour toi la victoire ? 

Je pense d’abord à la détermination, l’abnégation, la persévérance, parce qu’il faut vraiment être vouée à ce que tu fais, être entièrement plongée dedans, être prête un peu à tout pour tenir. 

Nous faisons beaucoup de sacrifices. Quand tu as des projets comme ça qui te prennent les tripes, tu mets beaucoup de choses de côté, et il faut être prêt à le faire. Si tu es tout le temps dans la rancœur, ou contre le temps, ça ne peut pas marcher. Il faut avoir confiance dans le fait que ça ne va pas être facile, mais que la passion te fera tenir.

Ce qui fait la différence, c’est l’esprit d’équipe. Être performante en équipe, c’est réussir à travailler en équipe. On voit beaucoup de marins qui ont du talent, mais qui n’arrivent pas à l’exprimer car les autres ne comptent pas pour eux. En entreprise c’est pareil, si tu ne respectes pas les gens avec qui tu travailles, derrière il y a un moment où ça ne suit plus.

Quand tu as des projets comme ça qui te prennent les tripes, tu mets beaucoup de choses de côté, et il faut être prêt à le faire.

Tu as une connexion très intime à l’Océan, et tu es devenue ambassadrice de la Surfrider Foundation, peux-tu nous dire ce que cette cause représente pour toi ?

Je suis rentrée chez Surfrider en janvier 2022. Cela faisait longtemps que je suivais ces sujets de protection de l’environnement et des océans, et j’ai franchi le cap avec l’idée de faire partie d’un collectif. Nous sommes au quotidien sur l’eau, et au fur et à mesure des années, nous voyons plus en plus de déchets dans la mer. Maintenant, il faut que l’on sauve ce qui nous reste. 

C’est assez dur comme position d’être sportif de haut niveau, car nous ne sommes pas forcément l’exemple à suivre en termes de bilan carbone, mais en contrepartie nous avons une image qui nous permet de toucher pas mal de monde. Beaucoup de gens nous suivent car ils ont besoin de rêver, de vibrer. Nous pouvons leur passer ce message qu’il est temps de faire des choses pour la planète, et c’est important de le faire.

Je fais également des interventions dans les écoles autour de mon sport et là encore, je peux sensibiliser les enfants aux enjeux de la planète. 

Le domaine sportif et en particulier celui de la voile est assez masculin, comment le fait d’être une femme a impacté ton parcours, as-tu rencontré des freins (personnels ou extérieurs) que tu as été amenée à lever ?

Il y a un an je t’aurais répondu « non pas du tout », car l’Olympisme a fait de gros efforts pour qu’il y ait cette équité homme-femme. Moi en 470, je ne me suis jamais sentie lésée. Il y avait une médaille pour les hommes et une pour les femmes, et aujourd’hui cette nouvelle mixité des équipages est hyper intéressante.

En revanche, quand tu descends sur les pontons, c’est une autre histoire. La course au large ou la voile professionnelle, en GC 32 ou sur la Coupe de l’América, les circuits sont plus en retard. Depuis des années, ces circuits sont presque entièrement masculins, et dominés par l’idée que comme c’est physique, il ne peut pas y avoir de femmes. Barrer un bateau ce n’est pas physique, mais comme sur les circuits de Formule 1 où il y a très peu de conducteurs femmes, tu ne trouves pas de barreur féminin en voile Pro dans le monde.

Lecointre Camille (FRA) with Retornaz Aloise (FRA) practice during Sailing Women's 470 training session ahead of the Olympic Games Tokyo 2020, at Enoshima Yacht Harbour on July 21, 2021, in Tokyo, Japan, Photo Sailing Energy / KMSP || 000282_0017 SPORT PRACTICE 2021 TRAINING OLYMPIC GAMES JEUX OLYMPIQUES

Cette semaine nous avons fait un test en équipage féminin sur GC 32. Et bien la conclusion est que l’on comprend pareil, que l’on a la même volonté, que l’on n’a pas la même force physique mais qu’il y a aujourd’hui des mécanismes qui simplifient la tache physique et le mettent à l’échelle d’une femme. Toutes les 7, nous avons très bien tourné, c’était génial.

J’ai de la chance d’être à un moment où les mentalités changent. A la Coupe de l’América 2024, il y aura un circuit féminin pour la première fois. Sur des plus petits bateaux - à l’échelle des jeunes - mais c’est déjà pas mal, et peut-être en 2028 nous serons sur les plus gros !

Les gars sont sur ces circuits depuis 15 - 20 ans, ils ont pris beaucoup d’avance, et maintenant c’est à nous de rattraper ce retard. Dans le haut niveau il faut trouver des gens performants, il n’est pas question de rogner là-dessus, mais il faut un début à tout, et c’est le temps de faire monter les femmes car nous avons le niveau.

il faut s’accrocher et croire en son potentiel, car plein de gens pensent aujourd’hui que « ce n’est pas possible ». Il y a une seule chose à faire, c’est leur montrer le contraire.

Est-ce que tu aurais un message à passer aux femmes qui aujourd’hui entreprennent, prennent des risques et des responsabilités, se mettent en visibilité ?

Je pense qu’il faut s’accrocher et croire en son potentiel, car plein de gens pensent aujourd’hui que « ce n’est pas possible ». Il y a une seule chose à faire, c’est leur montrer le contraire. Il faut se battre, et faire preuve de persévérance et de détermination pour ne pas baisser les bras, c’est ça qui fait la différence !

Propos recueillis par Thérèse Lemarchand

CEO Mainpaces

PALMARES :

2012 : Vice championne d'Europe Junior
2013 et 2014 : double championnes du monde junior de 470 avec Maëlenn Lemaître.
En 2015, et pour 2 ans, Aloïse fait équipe avec Cassandre Blandin, toujours en 470. 
2017 : Championne de France Elite. 3ème Isaf Sailing World Cup. 4ème Isaf Sailing World Cup Finale

En 2018, Aloïse s’associe avec Camille Lecointre pour partager l’aventure Olympique jusqu’à Tokyo. 
2018 : Vice-championne de France Elite. 4ème Sailing World Championship
2019 : MARIN DE L’ANNÉE. Championne de France Elite. Championne d’Europe. Vainqueure Test Event. Vainqueure Finale de la World Cup. 
2020 : Vainqueure de la World cup series 3ème Championnat nord américain
2021 : Médaille de bronze aux Jeux Olympiques Tokyo. Championne d’Europe. 4ème au Championnat du Monde

[1] Se lit « Twenty niner » - c’est un dériveur à coque planante de 4,40 m, et à spi asymétrique. Il se navigue à deux, un barreur et un équipier.

[2] Dériveur de 4,20 m qui se navigue à deux, un barreur et un équipier

[3] Dériveur de 4,70 m qui se navigue à deux, un barreur et un équipier. Le 470 est nettement plus toilé que le 420.

[4] HRV - Heart Rate Variability, ou VFC – Vérification de Fréquence Cardiaque : ces tests s’effectuent avec un cardio-fréquence mètre. Ils sont effectués au repos, en action, et l’analyse des différences de fréquence cardiaque dans ces différentes situation permet d’identifier la fatigue / le niveau d’énergie du sportif (via la capacité du corps à s’adapter à la sollicitation).

[5] Les exercices cardiovasculaire de faible intensité sont des exercices effectués en dessous du seuil anaérobie, à 60-80% de votre fréquence cardiaque cible ou maximale.

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