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Antoine Pérel est para triathlète français. Une maladie génétique depuis l’âge de ses 9 ans affecte gravement sa vue. Passionné de foot, Antoine rêvait de devenir professionnel. Il s’engagera finalement en saut en longueur (Jeux de Pékin en 2008), puis dès 2016 en para triathlon. Ce sont 750 m de natation, 20 km de cyclisme, et 5 km de course à pied qu’Antoine parcourt en symbiose avec son guide Yohann Le Berre. Antoine Pérel vient de gagner la médaille de bronze aux Jeux de Paris 2024. 

Antoine et sa compagne sont parents de 2 enfants de 5 et 10 ans.

Cette interview a été réalisée le 9/09/2024 par Thérèse Lemarchand. 

Bonjour Antoine Pérel, vous venez de gagner une médaille de bronze au triathlon aux Jeux Paralympiques de Paris 2024, quel est votre état d’esprit aujourd’hui ?

Nous avons vécu un moment extraordinaire, inoubliable. Pour tout dire j’ai très peu dormi, nous avons passé la nuit à faire la fête au Club France, après une cérémonie de clôture incroyable. Cette médaille était mon rêve, et je l’ai réalisée la semaine dernière. Je suis dans un état d’euphorie dont j’ai du mal à redescendre, ce qu’on a vécu était tellement fou et c’est passé tellement vite ! 

Pour autant, cela fait quelques heures que je suis rentré à la maison et j’en suis très content. C’est l’instant présent qui est le plus important. Le passé est derrière moi et le futur est à venir. C’est cet instant présent que je veux vivre.

Le temps de la construction : en athlétisme comme en entreprise c’est une aventure humaine qui se dessine

Comment en êtes-vous arrivé là ?

Je me suis tourné vers le para triathlon en 2016 après mon absence de sélection en saut en longueur pour les Jeux de Rio. J’avais besoin d’une nouvelle aventure. La médaille de bronze de Gwladys Lemoussu aux Jeux paralympiques d'été 2016, qui s’inscrivait pour la première fois le para triathlon à leur programme, m’a donné des ailes. J’ai eu envie de m’engager dans cette discipline et de vivre ce rêve-là.  

Cette médaille est le résultat de 3 ans de travail approfondi avec mon guide Yohann le Berre. Nous l’avons construit progressivement. Notre objectif la première année n’était pas forcément d’aller chercher une médaille aux Jeux mais d’apprendre à nous connaître.

Le para triathlon est une aventure humaine, nous voulions nous orienter vers des objectifs communs.

Nous nous sommes donc beaucoup vus cette première année pour nous ajuster. La deuxième année nous voulions concrétiser avec quelques résultats. Nous sommes allés chercher une médaille de bronze aux Championnats du monde en 2022. En 2023 nous avons poursuivi sur la même formule de préparation, qui nous a permis de décrocher ensemble une deuxième médaille mondiale et la médaille d’or aux Championnats d’Europe en format duathlon.

C’est alors que nous avons compris que nous étions potentiellement médaillables aux Jeux. Nous avons continué à travailler pour rester dans le top 9 mondial, puis à être focus pour aller chercher la plus belle des médailles. Nous l’avons décrochée ce 2 septembre 2024.

En para triathlon vous courez avec un guide sur les 3 épreuves. Comment avez-vous choisi votre guide Yohann le Berre ? Quelles sont les qualités essentielles que vous cherchez en lui ?

A Tokyo, mon guide avait décidé de mettre un terme à sa carrière. Tout en continuant à m'entraîner, j’ai eu l’occasion de voir plusieurs guides et de faire un stage avec Yohann. 

Notre duo a assez vite matché. Yohann est très généreux, très humain. C’est un très grand sportif valide, qui se nourrit également d’une carrière professionnelle très enrichissante. Yohann est enseignant dans un lycée professionnel de menuiserie, il est tourné vers les autres et y partage sa vocation. Il est très minutieux et professionnel dans ce qu’il fait et il a ainsi beaucoup d’expérience à transmettre.

Pour ma part, j’avais besoin d’une personne assez sereine, assez humaine, prête à me guider dans toutes les situations. Mon guide est avec moi pendant les compétitions bien sûr, mais c’est aussi un guide de vie sur les lieux de compétition. Il me décrit les contextes, les ambiances. Je les mets en perspective de ce que je ressens, de l’attention que je porte à d’autres détails… Nous avons besoin de très bien nous comprendre.

La synchronisation avec son associé est un processus qui se travaille

Comment développez vous cette puissance de synchronisation ? Comment se joue la partie plus individuelle de la préparation à la compétition, et la partie d'équipe ?

Yohann habite à Tours, j’habite dans le Nord, on se voit une fois par mois pour la synchronisation. J’ai besoin de Yohann, sans lui je ne peux pas pratiquer l'enchaînement du triathlon. Lui doit être très performant et concentré, pour me mettre à l’aise et faire en sorte que je sois à 100% de mes capacités dans mes trois sports.

Lorsque nous sommes chacun chez nous, nous nous entraînons indépendamment dans chacune de ces trois disciplines. Quand nous nous voyons, nous mettons en place la synchronisation. C’est tout un processus qui se travaille.

Yohann est beaucoup plus fort que moi en athlétisme. Je suis très admiratif de ses chronos et avide de ses conseils. Lui travaille sur mes allures, à mon allure, et ensemble on se rapproche d’une forme d’excellence qui fait la haute performance. C’est comme en entreprise, cela ne sert à rien d’aller très vite d’un côté si l’autre côté ne suit pas. Yohann voit que je suis performant, que je suis un rageux, que j’ai envie de me surpasser, d’aller chercher des médailles et d’atteindre les résultats que nous nous fixons ensemble. C’est ce qui guide notre duo.

Antoine Pérel, quels sont vos critères de synchronisation ? Portent-ils sur le souffle, sur le mouvement ?

Nous avons développé beaucoup de points de comparaison sur la foulée, sur le point d’impact au sol, sur le pied, sur le bruit… Ce sont beaucoup de petits codages qui font que l’on est synchronisé.

Notre point commun est qu’on ne lâche rien. Nous sommes toujours à faire en sorte d’aller chercher la perfection, notamment dans les transitions car c’est là qu’on perd le plus de temps dans ma catégorie et qu’il faut éviter des pénalités. Nous les répétons systématiquement jusqu’à ce qu’elles soient parfaitement réalisées.

Cette médaille est la concrétisation de tout ce travail, de toutes ces heures passées ensemble. Nous nous sommes entraînés plus de 20h par semaine pendant des mois et des années pour une heure de cours. C’était une heure intense, une heure parfaitement synchronisée, une heure à 100% de mes capacités. C’était mon rêve.

Entre vous retournant derrière vous et tout ce parcours, qu’avez-vous eu de plus difficile à dépasser ?

Le plus difficile dans mon métier est l’éloignement. J’adore m'entraîner, j’adore ce que je fais, mais quand je pars en stage ou en compétition j’ai aujourd’hui plus de mal à laisser mes enfants et ma compagne seuls à la maison. 

J’ai travaillé spécifiquement sur ce sujet avec le préparateur mental qui m’accompagne. Cela me fait énormément de bien. Nous mettons en place avec la famille tout ce qui est nécessaire en termes de logistique pour que la vie de famille se passe bien pendant mon absence, pour protéger ma compagne (qui travaille également) des contraintes, et que moi je parte la tête sereine.

Depuis quand avez-vous un préparateur mental ?

J’ai un préparateur mental depuis janvier 2023. Il m’accompagne sur la vie professionnelle comme sur la vie sportive, sur des choses que j’avais mal à maîtriser. Nous avons travaillé sur beaucoup de sujets, sur la gestion du stress, sur l’imagerie, sur le fait d’avoir peur, sur le fait d’être dans un état euphorique.

J’ai découvert l’imagerie et je l’utilise beaucoup pour me ressourcer. J’en fais aussi sur des entraînements assez durs, pour préparer des compétitions où il faut amener de la performance.

Pouvez-vous préciser ce qu’est cet état euphorique et ce qu’il entraîne ?

Depuis les mois de Mai-Juin je me sentais toujours à l’aise, à chaque entraînement effectué tout allait bien. Donc a priori je n’avais rien à lui dire puisque c’était le grand beau temps. En fait c’était important d’en parler avec lui pour voir ce qui était constitutif de cet état de pleine forme. Nous avons capitalisé sur ces moments de pleine capacité pour pouvoir retranscrire des éléments utiles les jours où ça va moins bien et balayer les nuages.

J’ai été blessé une semaine avant les Jeux, ça a été assez dur. Nous avons travaillé dessus. Nous avons fait de l’imagerie sur cette blessure (une élongation à l’ischio) pour essayer d’optimiser une guérison psychologique, pour accepter cette douleur, attendre, la soigner et faire un protocole plus médical ensuite. Ça a bien marché, j’ai eu mal, mais j’ai pu courir et être performant.

Antoine Pérel, avez-vous une maxime dans la vie ?

J’ai une petite phrase que je me répète assez souvent, « essaye de toujours faire de tes rêves une réalité ». Les rêves sont quelque chose d’imaginaire, il faut les transformer en concret, et pour cela il faut travailler et s’entraîner. C’est ce que je transmets à mes enfants également.

Quel est le dernier message que vous voudriez passer à ceux qui nous lisent ?

Peu importe le niveau que vous avez, peu importe la situation que vous avez, entretenez-vous, faites du sport !

Il n’y a pas que la performance, il y a le sport loisir, le sport partage… Aller marcher, se promener, faire simplement une activité physique bénigne, même quand on est en situation de handicap, est essentiel. Cela apporte beaucoup de plaisir. Ça permet de décompresser, d’arrêter de réfléchir quand on pense trop. Paradoxalement cette pause permet aussi de résoudre des problèmes, de laisser émerger des solutions parfois enfouies. Le sport crée des lumières ! 

Propos recueillis par Thérèse Lemarchand, CEO Mainpaces

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Patrick Roult est chef du pôle de haut niveau à l’INSEP et membre du Conseil Scientifique Mainpaces. Dans cette interview, il nous parle d'impact « Toute la manière dont je pense le travail qui est fait, la manière dont je l’organise, est guidée par cet objectif d’impact. » Exigence, liberté, travail bien fait et rapport à l'autre, dans une vision beaucoup plus large que l'action immédiate, sont les ingrédients essentiels de cet impact.

Au sein de l'INSEP, il accompagne les sportives et les sportifs à donner le meilleur d'eux-mêmes. « J’attends (...) qu’ils assument pleinement leur propre responsabilité dans leur projet. On ne peut pas vouloir la liberté et la sécurité. Quand on veut la liberté, on rentre nécessairement dans une sphère insécure. C’est du reste le problème de nos sociétés modernes. Ce dogme de la sécurité, de la prévention, aliène une partie de notre liberté. »

La réussite reposera sur l'engagement : « Je ne crois qu’à une chose, c’est l’engagement. […] Ce qui permet de tenir le niveau d’intensité de l’engagement c’est la force du rêve. »

Enfin Patrick Roult évoque le leadership et le management dans le sport : « La question centrale est celle du leadership des sportives et des sportifs. Notre enjeu quotidien est de mettre en mouvement et d’entrainer avec eux tout ce que la France sait faire de mieux pour qu’ils puissent réaliser leur rêve. C’est un vecteur d’énergie, et donc ça a un sens. » Et nous parle des parallèles entre sport de haut niveau et l'entrepreneuriat : « Chez les sportifs très tôt, tu apprends à gagner mais tu apprends aussi à perdre, et tu sais bien que ce n’est pas parce-que tu as perdu que ça s’arrête. […] Je vois chez beaucoup d’entrepreneurs une frousse bleue de perdre. » Or c'est parce que le sportif est vivant et confronté au réel qu'il peut performer. Travailler sur soi sans relâche et appréhender son environnement en évolution permet d'appréhender avec plus de lucidité une réalité complexe.

Interview réalisée le 06/05/2024 par Thérèse Lemarchand, CEO Mainpaces

Se nourrir des expériences de la vie et avoir de l'impact

J’ai d’abord été un enfant qui a vécu à une époque de grande liberté pour les enfants. J’habitais à St Malo, au bord de la mer. Les vacances étaient toute l’année au bout de la rue, sur la plage. J’étais libre de mes mouvements, d’explorer et de faire l'expérience du monde.

Mon goût de la liberté s’est construit là, dans cette enfance où les adultes veillaient sur nous, dans un espace vaste où nous pouvions faire l’expérience des autres et de l’environnement. Pour moi, l'environnement était la mer. C’était un endroit extrêmement privilégié, et un refuge intéressant à explorer.

Cela m’a amené à faire beaucoup de sport, et le sport de mon enfance a structuré ma vie. Je nageais beaucoup, je faisais du bateau, j’étais confronté à toutes sortes de mers, paisibles, dures, tempétueuses, c’est dans cette expérience de la mer que j’ai été amené à prendre conscience que je pouvais aider les autres.

A 16 ans j’ai commencé à m’engager auprès de la SNSM (Société Nationale de Sauvetage en Mer). J’étais « bénévole défrayé » l’été, d’abord sur les plages, puis sur les vedettes de sauvetage. Cette expérience a été humainement extraordinaire, et j’y ai découvert un rapport à la technique et la technicité, à l’outil, qui m’a beaucoup plu.

Jeune adulte, je me suis engagé dans la Marine Nationale. J’étais considéré comme un bon marin, mais comme un piètre militaire. J’étais plutôt bien noté, mais mon goût de la liberté ne s’accommodait pas si bien avec certains aspects de la rigueur militaire. J’étais en phase avec la rigueur honnête et utile, mais l’arbitraire et l’injustice m’ont souvent heurté. J’en suis parti.

C’est à ce moment-là que j’ai rencontré ma femme, et il fallait pour l’épouser que je trouve un métier sérieux. J’ai pris le premier concours de la Fonction Publique d’État qui se présentait à moi, et je suis devenu instituteur. J’ai été un instituteur heureux pendant plus de 15 ans, et je pourrais toujours l’être. C’est un métier magnifique. J’ai enseigné dans plein d’endroits différents dont un hôpital psychiatrique, des lieux de soins intensifs … J’y ai appris que la vie pouvait être âpre, qu’elle pouvait être un combat que l’on perdait en un week-end. C’était humainement extrêmement riche, ça m’a secoué, j’y ai encore grandi.

En parallèle je continuais à faire du sport et en particulier du hockey sur gazon. J'habitais à Angers où quelques équipes ont fait l’histoire du hockey sur gazon français. Mon activité professionnelle d’alors, instituteur, a vite été sollicitée au service du développement de ce sport épatant et on m’a demandé de rejoindre les rangs de la direction technique nationale. J’ai buché le programme de 3 ans de STAPS en 4 mois, et j’ai passé le concours de professeur de sport. J’ai été conseiller technique régional pendant 1 an, puis j’ai dirigé la formation J’ai intégré le staff de l’équipe de France masculine en novembre 2002, et de fil en aiguille et quelques années plus tard je suis devenu Directeur Technique National et je me suis fait viré. C’est à l’issue de cette dernière expérience que le Directeur Général de l’INSEP est venu me chercher.

Toutes ces expériences sont constitutives de ce que je suis aujourd’hui : mon rapport à l’exigence, mon rapport à la liberté, mon rapport au travail bien fait, mon rapport à l’autre, font qu’aujourd’hui je suis dans une position où on me demande de diriger plein de gens et de les amener à libérer le meilleur d’eux-mêmes.

Partout où je suis passé et dans tout ce que je fais, j'essaye de comprendre le monde qui m’entoure, de comprendre ce qui se passe, de savoir comment fonctionnent les lieux, les objets et surtout les gens. Je me décolle du terrain pour voir ce que je fais et ce que font les autres, et avoir une vision assez précise de l’endroit où nous en sommes.

J’ai compris très tôt que ce que je faisais avait une importance beaucoup plus large que l’action immédiate. Quand tu sors quelqu’un de l’eau et que tu le ramènes à la vie, tu vois l’impact que ça a sur les gens et sur les autres. Cela ouvre quelque chose de très significatif. Devenu enseignant, l’impact que j’ai pu avoir sur certains enfants a été extrêmement fort. Je suis encore en lien avec plusieurs d’entre eux. Toute la manière dont je pense le travail qui est fait, la manière dont je l’organise, est guidée par cet objectif d’impact.

Je crois fondamentalement en la responsabilité individuelle, j’entends l’assumer, je ne souhaite pas que l’on m’en dégage. 

Patrick Roult

Dans la fonction publique d’État on peut être parfois en porte-à-faux sur ces sujets. Je n’entends pas que l’organisation se substitue à moi, et quand se présentent des engagements que je ne veux pas prendre, je le dis.

Mon goût inouï pour la liberté, dans le fait d’assumer mes responsabilités et d’être libre des choix que je fais, se décline dans ma vie personnelle. Je ne possède rien, je n’ai pas de maison, je ne suis tenu à rien, je vis en dessous de mes moyens. Je n’ai pas peur de perdre quoique ce soit de matériel. Cela me permet d’assumer des rapports houleux si cela s’avère nécessaire au risque de perdre ma situation, c’est arrivé.

S'engager pour réussir et réaliser ses rêves

J’attends qu’ils assument leur rêve. Ils rentrent à l’INSEP parce qu’ils ont un rêve de devenir champion ou championne olympique. Il n’y a aucun autre endroit en France où l’État met autant de moyens pour que les jeunes réalisent leurs rêves. Le minimum est qu’ils assument cela pleinement. S’ils se rendent compte que ce n’est pas leur rêve mais celui d’un autre (parents, entraîneur, copain ou copine, …), et surtout s’ils ne comprennent pas comment ce rêve pourrait devenir leur rêve, alors ils s’en vont. Ça n’est pas grave, on vit très bien sans être championne ou champion olympique heureusement. S’ils restent, il y aura des hauts et des bas, mais nous serons toujours là pour leur donner les moyens d’atteindre les objectifs qu’ils se fixent.

J’attends également d’eux qu’ils ne trichent pas et qu’ils assument pleinement leur propre responsabilité dans leur projet. On ne peut pas vouloir la liberté et la sécurité. Quand on veut la liberté, on rentre nécessairement dans une sphère insécure. C’est du reste le problème de nos sociétés modernes. Ce dogme de la sécurité, de la prévention, aliène une partie de notre liberté.

J’attends donc qu’ils s’engagent, et l’engagement est d’ailleurs la seule chose dans laquelle je crois vraiment pour leur réussite.

Cela fait hurler mes camarades qui s'occupent de psychologie du sport, mais je pense que le concept de motivation est un concept faible. C’est une grille de lecture un peu théorique. Je ne crois qu’à une chose, c’est l’engagement. On fait ou on ne fait pas.

Et on a le droit de choisir de ne pas faire, mais quand on décide de faire, on s’engage et on fait.

Patrick Roult

Cela a un rapport à l’intégrité, comme de respecter le code de la route. Je ne choisis pas de respecter le code de la route par peur du gendarme mais bien parce que je crois que ce cadre réglementaire nous permet, de vivre ensemble de façon respectueuse, donc je l’applique, « je fais ». Si une sportive ou un sportif vient à l’INSEP pour réaliser son rêve, alors elle ou il doit s’engager dans ce choix, et c’est à travers ses actes quotidiens, sa responsabilité personnelle assumée, qu’elle ou il intègrera ce qui lui permettra de monter sur le podium.

L’engagement doit être réinterrogé sans cesse, pour rester un engagement sain.

On n’a jamais fini de travailler sur soi, et d’appréhender l’environnement qui est aussi en évolution.

Patrick Roult

En permanence il faut se réinterroger, se repositionner, développer la conscience de ce que l’on fait dans une vision beaucoup plus large. On n’a jamais fini de se poser la question de savoir si ce que l’on fait est en phase avec les valeurs et les vertus que l’on s’est choisies. Ce qui permet de tenir le niveau d’intensité de l’engagement c’est la force du rêve. On a des objectifs à la hauteur de ses rêves. À chacun ses rêves, et je n’en veux pas aux personnes qui ne rêvent pas de sortir de chemins plus traditionnels. Quand on rêve grand, l’engagement est l’endroit où se joue la différence entre ambition et prétention. Certains rêvent et de là, revendiquent un statut ou un titre mais ne s’en donnent jamais les moyens : c’est de la prétention. Certains rêvent, s’engagent et s’en donnent les moyens, c’est l’ambition. Il se crée alors un effet d’entraînement extrêmement positif. On découvre que l’on n’est jamais seuls sur rien. Il y a des gens devant, des gens derrière, qui tirent et qui poussent . Le mouvement que l’on créé porte les autres et nous porte nous-même, c’est la source du leadership et de toutes les dynamiques d’entraide.

C’est le rôle que l’État s’est donné pour accompagner les jeunes sportifs qui rêvent de devenir des champions.

Leadership et management dans le sport

Ce que l’INSEP amène est une certaine idée et une manière de faire, qui met à disposition des savoir-faire, des savoir-être, des savoirs de grande qualité, et tout ça relativement bien mis en musique et organisé pour que ce soit le plus efficace possible. La performance appartient ensuite à la sportive ou au sportif.

Le concept de management m’intéresse peu. À mon sens je manage 2 personnes, la Directrice Générale adjointe et le Directeur Général de l’INSEP, et mon rôle à moi est qu’ils prennent les bonnes décisions. Quand ils viennent me proposer des choses, j’essaye de voir quel impact elles vont avoir sur les personnes et l’organisation, et si elles nous permettront de mieux réaliser notre travail au bénéfice des sportifs que l’on accompagne. Mon rôle est de les orienter quand ce n’est pas le cas, et de les mettre en exécution sinon.

On pense souvent le management comme un truc qui descend, mais pour moi le management est montant. Ce qui descend, c’est le leadership. J’ai un service de 50 personnes, et mon boulot est d’entrainer ces personnes-là dans une direction qui me semble être la bonne et de marcher avec eux, leur rôle à eux c’est de me manager, de faire en sorte que j’aille dans la bonne direction. Je leur dis souvent de tenter des trucs, je préfère qu’on tente dix trucs et qu’on en réussisse deux. Au moins on aura réussi deux trucs. N’en tenter qu’un et échouer ne nous aurait pas beaucoup fait avancer. Et on n’est jamais à l’abri d’en réussir dix… Le boulot de l’INSEP est fondamentalement un enjeu de leadership plus que d’accompagnement. L’accompagnement est une problématique d’outils, c’est la manière de faire.

La question centrale est celle du leadership des sportives et des sportifs. Notre enjeu quotidien est de mettre en mouvement et d’entrainer avec eux tout ce que la France sait faire de mieux pour qu’ils puissent réaliser leur rêve.

C’est un vecteur d’énergie, et donc ça a un sens.

Il y a une double impulsion dans cette affaire. L’impulsion de l’État est l’énergie que l’on se donne collectivement à l’échelle d’une nation. En France, c’est le désir d’accompagner le sport de haute performance, l’État s’est donné cette prérogative. Après, l’accompagnement est la manière de faire. C’est notre affaire à nous en termes de structure et d’organisation de régler cette question-là.

L’autre vecteur d’énergie est celui qui est porté par le sportif ou la sportive, et son engagement dont nous venons de parler.

A un moment donné, ces deux vecteurs se rencontrent et créent une dynamique propre. Dans cette rencontre, l’enjeu majeur est un enjeu de leadership. Il est de déterminer l’endroit où on va aller ensemble, et l’énergie qu’on met pour y aller. Quand l’accompagnement est un outil, le moteur et son carburant sont le rêve, la volonté, et pour nous la politique de l’État.

D’abord il y a le rêve initial et c’est fondamental. J’ai l’impression qu’on ne devient pas entrepreneur par défaut. Il faut d’ailleurs se garder de faire cela par défaut, et dans le sport comme dans l’entrepreneuriat ça peut venir vite. Pour moi le sport de haut niveau et l’entrepreneuriat sont très proches. Ils reposent sur la poursuite d’un rêve, sa construction, l’engagement personnel, le fait de ne pas tricher, et d’être lucide. Là où je vois un écart c’est sur ce sujet de lucidité.

Je trouve qu’il y a un vrai problème de lucidité chez beaucoup de gens qui s’engagent dans l’entrepreneuriat.

Patrick Roult

Chez les sportifs très tôt, tu apprends à gagner mais tu apprends aussi à perdre, et tu sais bien que ce n’est pas parce-que tu as perdu que ça s’arrête. Donc tu continues à t’entrainer, à apprendre, à observer, à te réajuster. Un sportif qui perd régulièrement se rend compte que son idée n’est pas la bonne. Il va changer ses manières de faire, s’appuyer sur l’expérience de son ou ses entraîneurs y compris en en changeant, regarder comment l’autre gagne. Il s’appuiera sur deux approches possibles :

-   l’œil de maquignon de l’entraineur : on observe, on réajuste, on tâtonne, et on arrive à un optimum

-   la science : on capte des données, on les met en équation, et on détermine des trajectoires.

Nous avons beaucoup intégré la science dans l’entrainement des sportifs de haut niveau. Il est très intéressant de constater que : que ce soit avec l’empirisme de l’entraîneur ou avec la rationalité du scientifique, on arrive peu ou prou à un moment donné au même endroit.

Je vois chez beaucoup d’entrepreneurs une frousse bleue de perdre. Ils s’accrochent alors à leur idée même quand elle s’avère vaine.

Liberté et engagement work

L’entrepreneur se convainc parfois du bien-fondé de son idée au risque de faire capoter tout ce qu’il a mis en place. Il n’arrive pas à la réinvestir dans la manière de faire les choses. C’est extrêmement dommage. On voit des gens qui dépensent une énergie folle et qui se plantent et disparaissent. Ils persistent sur des idées de technicien alors qu’il n’y a pas de marché. Il y a eu aussi cette période finalement assez néfaste où l’argent ne coûtait rien, et où les entreprises se développaient à force de levées de fonds sans autre modèle économique. Des sommes colossales ont été injectées et perdues sans accompagner cet enjeu majeur de lucidité de l’entrepreneur et de son environnement.

C’est dans le rapport au réel que cela se joue. Le problème de l’entrepreneur est qu’il navigue dans un monde qui a parfois un certain écart avec le réel. La financiarisation du monde met le réel à distance. C’est déstabilisant. Ils ne voient qu’une toute petite partie de vérité, qui est tellement circonscrite qu’elle n’a plus grand chose à voir avec le réel.

La réalité est complexe à appréhender. Le vivant nous ramène au réel. Le sportif ne peut pas tenir le vivant éloigné de lui.

C’est parce que le sportif est vivant qu’il peut performer.

Notre monde tient le vivant de plus en plus éloigné de lui, et on ne va pas se raconter d’histoires, la prise de conscience de cet écart se fait souvent par une claque dans la gueule. Les chimères ne servent à rien quand le monde se rappelle à nous. On commence enfin à en prendre conscience au niveau global : les canicules, la montée des eaux, l’approvisionnement en eau potable, la toxicité de l’air... Tout cela nous rappelle à la réalité de ce qu’est la vie, et aux engagements que nous devons prendre maintenant pour la préserver.

L’important c’est d’aimer et d’être aimé. Il est difficile d’être aimé si on n’aime pas, et c’est justement l’expression du vivant et ce qui nous ramène à la réalité.

J’aime les gens avec qui je travaille. Certains se moquent même de mon côté « bon samaritain ». Mais je suis convaincu qu’aimer y compris les moins aimables est la clé pour vivre en harmonie, singulièrement, dans le monde du travail. Là encore, il faut parfois une dose d’engagement importante mais je crois que dans une équipe lorsque chacun considère l’autre comme le plus important, le succès, au-delà de la simple réussite, devient alors possible.

Propos recueillis par Thérèse Lemarchand

Mainpaces est une approche unique du coaching exécutif, qui rassemble les voies du corps et du mental, pour développer l'accès à son écologie personnelle et à son plein potentiel. Elle s’inspire de l’accompagnement des sportifs de haut niveau, et s’appuie sur les neurosciences

En individuel ou en collectif, nous accompagnons les dirigeants dans une performance durable, basée sur l'alignement et la conscience. Pour cela, nous formons une équipe coordonnée pour conjuguer les techniques les plus efficaces et optimiser l’énergie et la clairvoyance du dirigeant, avec des coachs réputés, préparateurs physique et mentaux, et autres expertises, au service de l'accomplissement de nos bénéficiaires. 

Vibes s’inscrit naturellement dans le développement des accompagnements Mainpaces : du coaching de dirigeant pour avancer sur ses objectifs individuels … mais en collectif afin de bénéficier de l'énergie et des interactions positives du groupe. 

Ce projet Vibes émane de la volonté de 2 coachs executives Mainpaces, Annelaure Crestot et Catherine Greiveldinger, qui, fortes des demandes des clients et de leur envie de créer de nouvelles modalités d'accompagnement, ont su embarquer le collectif Mainpaces dans cette nouvelle aventure. Elles nous en parlent en détails dans cette interview. 

Interview réalisée le 16/05/2024 par Marion Soler, responsable communication et marketing Mainpaces

Une nouvelle manière de penser le coaching de dirigeant  

Au quotidien je suis seule dans mon activité, donc c’est surtout le fait de pouvoir travailler en collectif qui me motive : la richesse, les interactions, les moments de partage avec les autres coachs, les experts. Le modèle Mainpaces est extrêmement puissant. Nous travaillons sur une même problématique avec plusieurs angles différents (cognitifs, corporels, émotionnels, énergétiques). Dans cette approche holistique des synergies sont mises en place entre les différentes disciplines avec les experts et coachs. Cela a beaucoup plus d’impact pour les bénéficiaires. 

J’apprécie aussi beaucoup notre rôle d'accompagnement. En plus d’accompagner les bénéficiaires, en tant que coach, nous sommes en fil rouge sur tout le parcours avec un rôle de coordination des interventions des différents experts. Au niveau interne, nous participons aussi à l’animation du collectif des coachs : chacun apporte son expérience de coaching aux événements du collectif comme par exemple, lors de l’animation d’ateliers ou de séminaires internes. 

Oui exactement, c’est cette complémentarité des approches qui m’intéresse le plus. Sur un sujet donné, trouver le bon angle d’approche, la bonne pratique, et le bon expert permet de s’adapter plus finement à la personne et à ce qui fonctionne pour elle. Par exemple, avec l’hypnose ou l’ostéopathie, on arrive à débloquer des choses que je n’arriverais pas à atteindre avec la parole seule (ou alors ce serait beaucoup plus long). Agir sur le corps ou l’inconscient dans cet exemple, peut être une méthode plus efficace dans certains cas et pour certains profils. Parfois c’est l’approche multi facettes et le fait d’associer à la parole la prise en compte du corps, de l’inconscient, du mouvement … qui permet de libérer une problématique. Tout dépend de l’individu et de ce qui marche pour lui ! 

Et puis ce qui me pousse à fond chez Mainpaces, c’est la qualité des gens qui sont là : que ce soit le collectif Mainpaces de coachs et d’experts, ou les bénéficiaires eux-mêmes. Nous sommes entourés de belles personnes dotées d’un professionnalisme exemplaire, et confrontés à tellement d’expertises complémentaires. 

Il faut d’ailleurs souligner que les bénéficiaires Mainpaces sont hyper motivés. 99% des personnes accompagnées en individuel ont envie, sont en demande et vraiment engagées. C’est très appréciable en tant que coach. En même temps, c’est aussi normal compte tenu des personnes à qui nous nous adressons chez Mainpaces : principalement des entrepreneurs - chefs d’entreprise. C’est important pour eux alors ils se donnent à fond.  

Vibes est un espace d’expérimentation en collectif dans l’esprit holistique de Mainpaces, sur le leadership, le management et les soft skills. Adressé aux entrepreneurs et dirigeants d’entreprise, Vibes permet d’expérimenter de nouvelles approches et outils, de créer du lien, se soutenir, se sentir moins seul dans sa position de dirigeant. Le partage de pratiques, l’ouverture aux autres et à des nouvelles expériences, permettent de trouver des pistes d’évolution pour des problématiques concrètes tout en renforçant la confiance en soi et les soft skills

Avec Vibes on ajoute finalement la puissance de l’intelligence collective à nos accompagnements (partage, soutien, réseau de pairs …). On propose un modèle proche de la supervision : comment professionnaliser sa pratique exécutive grâce au coaching mais aussi grâce au collectif de pairs, c’est une forme de codéveloppement [*]

Nous sommes parties du besoin des clients que nous avons identifié lors de nos accompagnements, et nous avons renforcé les points clés de ce projet avec un sondage auprès de notre communauté de dirigeants. Les bénéficiaires demandent souvent après un accompagnement individuel de continuer sous une forme complémentaire. Vibes offre cette suite possible qui permet d’entretenir les acquis et de continuer à progresser. Vibes permet aussi à celles et ceux qui souhaiteraient initier une démarche d’accompagnement de le faire en groupe. On propose ici en même temps un réseau et du développement personnel. Ce réseau est plus profond qu’un simple réseau business, auquel nos bénéficiaires participent déjà souvent. Avec Vibes, on crée des relations approfondies avec des personnes proches de nous et que l’on connaît bien au fil des séances, une relation de confiance s'établit. Cela crée de vrais relais quand on a besoin de soutien dans des périodes compliquées. On lutte ici à notre manière contre la solitude du dirigeant. 

Vibes, le nouvel accompagnement collectif

Nous allons former des promotions de 8 à 10 dirigeants qui s’engagent sur l’année pour 10 rendez-vous. La première " promo " sera constituée pour octobre 2024 et une seconde pour janvier 2025. L’idée étant de retrouver son groupe Vibes environ une fois par mois sur des moments de 3h, en fin de journée, et avec un moment convivial en fin de séance. 

En alternance, chaque membre Vibes participe avec son groupe à 5 séances de coaching et 4 séances de pratique expérientielles avec des experts. Ces pratiques seront définies au fil de l’eau selon les besoins du groupe. C’est ça qui est vraiment intéressant : la dynamique de groupe et les problématiques qui vont en ressortir vont définir la construction du parcours. C’est vraiment du sur-mesure. Chaque promo et chacun des accompagnements sera unique ! 

En complément, nous organiserons avec Thérèse une surprise fertile : une soirée inspirationnelle avec un invité surprise qui aura lieu en milieu ou fin de parcours selon les besoins et envies des membres. 

Là on est vraiment dans une avant première, je crois qu’il est encore un tout petit peu tôt pour en parler ! Mais pour rester très concrètes, ces séances se dérouleront en effet au sein du cadre merveilleux des jardins du Palais Royal. 

accompagnement collectif Mainpaces, Palais Royal

Chaque promotion sera unique et la dynamique de groupe le sera aussi. Au fur et à mesure de sa progression, le parcours sera adapté au groupe et à ses besoins spécifiques. 

Le métier de coach est de savoir s’adapter à la personne que l’on a en face de soi, et en collectif de prendre en compte les besoins du groupe pour adapter l’intervention des experts, des pratiques… En tant que coach, on dispose d’une vaste palette d’outils et notre objectif est d’utiliser le bon outil au bon moment. C’est encore plus pertinent avec l’approche multi-expertises Mainpaces. 

Si on observe les groupes ou cercles dirigeants qui existent aujourd’hui, l’objectif principal reste l’ouverture et la connaissance, et le réseau. Avec Vibes, on complète cette approche en allant sur du développement personnel plus transformateur dans un cadre très sécurisé

C’est ce que nous savons très bien faire. Nous allons innover et introduire de nouvelles méthodes avec une approche plus expérientielle. L’idée étant d’ancrer la personne dans son environnement et de lui faire prendre du recul en traitant des cas pratiques concrets, mais surtout en s’inscrivant dans une démarche plus transformatrice pour pouvoir travailler sur sa posture dans cet environnement. Le développement personnel exécutif, c’est travailler avec la personne dans sa globalité tout en restant concentré sur les aspects professionnels. 

Enfin, cette alternance coach / expert est très puissante et permet de travailler de différentes manières en combinant les approches. Et comme le groupe est fixé et ses membres participent tout au long de l’année, on va pouvoir construire une solidarité, rentrer en profondeur, et créer une confiance mutuelle entre les membres. On a hâte de pouvoir observer la puissance de l’intelligence collective en action. 

Coaching dirigeant : accompagnement individuel ou collectif ? 

Le coaching individuel est essentiel pour évoluer en profondeur, se libérer de tensions et des freins qui enchainent, d’ajuster son propre rythme, se rassembler dans toutes les facettes de sa personnalité et déployer ses potentialités. 

L’accompagnement collectif permet de traiter en groupe des sujets qui reviennent de façon récurrente pour la majorité de nos bénéficiaires. Il permet également de partager des expériences et d’échanger avec ses pairs, de donner et recevoir, de se confronter différemment, dans un dialogue sécurisé et porté par l’énergie du groupe, et de s’ouvrir à d’autres manières de faire. 

Cependant, accompagnement collectif ne veut pas dire coaching collectif. En coaching collectif, on travaille sur une équipe déjà constituée qui travaille déjà ensemble et a besoin de résoudre des problématiques de groupe. 

L’accompagnement collectif Vibes est finalement du coaching individuel, pour la personne, mais réalisé en groupe. Les méthodes se ressemblent, mais chaque personne a des attentes et des objectifs qui lui sont spécifiques, pas d’objectif commun, c’est ça la grande différence ! Avec l’accompagnement collectif et donc Vibes nous sommes avec des individus qui ont des problématiques individuelles à résoudre et les travaillent en groupe. 

Avec Vibes, le coach et le groupe adoptent une posture de codéveloppement avec une finalité de partage, d’entraide et d’amélioration de sa pratique professionnelle en tant que dirigeant. 

L’accompagnement collectif et le coaching individuel sont deux méthodes d’accompagnement distinctes qui peuvent se faire indépendamment, ou en les combinant. 

Le collectif a la richesse de l’apport des pairs et pour cela il faut être prêt à s’ouvrir aux autres et exposer ses problématiques professionnelles (nous travaillons sur des cas concrets et réels). Cela permet également de découvrir de nouveaux sujets ou de manières de les aborder

Nous avons hâte de lancer Vibes et de voir ce que ça donne avec la première promotion d’octobre ! Quand on a imaginé un projet, forcément on veut le voir vivre. Et puis l’aspect co-construction avec la promotion va être intéressant, ce sera adaptable et du sur-mesure pour le groupe. On ne sait pas ce qui nous attend en détails, c’est très stimulant pour nous et ça le sera aussi pour le groupe. ! 

Ce qui est vraiment appréciable chez Mainpaces c’est qu’on a l’espace de liberté pour essayer de nouvelles choses. On peut tester, et cela nous donne plein d’autres idées pour ensuite avancer dans un processus de création très dynamique. C’est aussi ce que nous souhaitons partager avec nos clients à travers ce parcours Vibes, car cette dynamique de création et d’adaptation est un besoin essentiel aujourd’hui.

Propos recueillis par Marion Soler

[*] Codéveloppement : https://cecodev.fr/codeveloppement/

Augustin Champetier de Ribes a commencé sa carrière dans l'unité de nageurs de combats du commando Hubert. Officier de l’état major de la Marine Nationale [*] jusqu'en 2023, il est aujourd'hui expert dans le développement de stratégies d'évaluation et d'anticipation des menaces, en particulier pour l'ONU.

C'est donc une expérience très intense de vie et de leadership qu'Augustin Champetier de Ribes nous partage dans cet article. "J’y suis rentré attiré par “l’aventure”, mais la raison pour laquelle j’y suis resté est le facteur humain. "

Augustin nous parle de la sélection qui permet d'intégrer le commando "nos stages sont rudes, très abrasifs." Elle permet de constituer une tribu extrêmement solide et soudée, qui protège la personne autant que le groupe. La force recherchée est une association très robuste de physique et de mental, avec une gestion très organique du stress " Le stress de l’être humain est fait pour les situations que les militaires rencontrent. Le fait d’avoir tous les sens en éveil, de l’adrénaline, les mains qui transpirent…, sont une réponse naturelle pour mobiliser toutes nos ressources pour la survie. " Bien différent du stress que l'on connait en entreprise, " Trop d’adrénaline et trop d’anxiété déclenchent ce stress sans que ce dernier ne puisse être utile pour se sortir de la situation. "

Comment supporter la confrontation récurrente à la mort ? " Nous appelons “maturité”, ce qui permet de puiser en soi la ressource nécessaire, spirituelle, philosophique pour vivre ces situations. C’est une vie intérieure, qui est difficile à tamiser de la partie physique. Il peut y avoir de la philosophie, du yoga, de la religion,...". La chaleur et le réconfort du groupe sont également essentiels " ceux qui s’extraient du groupe, quelle qu'en soit la raison, sont souvent ceux qui développent le plus de séquelles psychologiques".

En terme d'organisation, les forces spéciales sont des groupes très spécifiques au sein des armées dans le monde qui imposent un leadership d'experts de très haut niveau : " Le chef est considéré par la troupe non pas comme supérieur aux autres, mais comme un membre dont l’expertise est le leadership. [...] Le chef est un expert en chefferie. ".

" Il y a une notion fondamentale de confiance, et la confiance ne se décrète pas. Elle est rattachée de façon hiérarchique au grade, mais elle est amassée de façon très régulière tous les jours sur le terrain ". Pour embarquer, le chef doit avoir la confiance de ses subordonnés. Son objectif : que la performance du groupe soit supérieure à la somme des performances individuelles. L'intuition est sa qualité fondamentale pour embrasser l'ensemble des paramètres de la mission, techniques, environnementaux et humains.

Quelle est la différence entre un bon chef et un chef heureux, et les trois éléments clés qui constituent ce leadership d'experts ? La suite dans l'article 🙂

Interview réalisée le 25/03/2024 par Thérèse Lemarchand, CEO Mainpaces

Entrer dans la marine, quels moteurs ?

J’ai fait l’école navale, j’ai navigué un peu comme officier généraliste, et ma carrière s’est orientée vers les opérations spéciales et les opérations amphibies (de la mer vers la terre).

Les opérations spéciales sont assez mal comprises. La partie visible est très surreprésentée dans les films et les livres à travers des interventions spectaculaires.

Elles sont en réalité pensées comme étant une réponse des puissances militaires à des situations de crise où la force militaire est inadaptée, souvent trop violente. 

Les commandos permettent le soutien aux troupes amies et plus d‘efficacité avec un appui en termes de renseignement, de feu, d’instruction … L’outil de base des opérations spéciales est le petit groupe, pour avoir une faible empreinte logistique et politique. La discrétion est essentielle, pour ne pas apparaître comme parties prenantes des conflits.

Les forces spéciales sont très bien entraînées et formées d’experts. Puisqu’elles doivent être discrètes, les groupes sont réduits et donc doivent être très autonomes : pour cela on s’assure qu’ils ont des capacités très diverses comme la survie, des  transmissions sophistiquées, les armes ou les explosifs nécessaires pour leur mission et leur sécurité, avec les capacités d’évasions et d’exfiltration conséquentes pour leur permettre d’agir et de s’échapper en zone hostile.  

Il y a moins de 400 commandos opérationnels dans la marine, sur 5 unités.

Le pion de base est le groupe, il est constitué de 10 personnes. On l’envoie à droite à gauche en fonction des besoins. Nous répondons souvent à plusieurs unités à des missions de “Task force” inter-armées, avec différentes compétences (drones, renseignement, action directe et terrorisme, coopération, libération d’otages …).

L’objectif détermine l’outil. Entraîner et envoyer des groupes revient à tailler des forces parfaitement adaptées à la situation actuelle et la situation future sur le terrain, avec une grande capacité d’anticipation. 

J’ai vécu jeune à Azay le Rideau, en Touraine. Il ne s’y passe pas grand-chose. J’ai le souvenir d’une enfance très agréable, et de m’être un peu ennuyé. Mon père était médecin, et gardait un souvenir ébloui de son passage lors de son service militaire dans les commandos marines comme médecin. Ses copains de service passaient parfois à la maison, et les vies incroyables qu’ils racontaient alors me faisaient briller les yeux.

Dirigeant ou leader - ecusson
Écusson du Commando Hubert

J’étais bon en maths, je voulais voyager et faire du sport, l’Ecole Navale m’a paru une bonne option. Je pouvais être commando, ou pilote. J’ai préféré choisir le côté où l’on peut compter sur soi, plutôt que dépendre de la mécanique.

Je me suis beaucoup entraîné physiquement pour rentrer dans les commandos. J’y suis rentré attiré par “l’aventure”, mais la raison pour laquelle j’y suis resté est le facteur humain. Ce sont des unités où on est peu nombreux, on se connait très bien. On s'entraîne ensemble, on souffre ensemble, on est en opération ensemble, cet esprit de bande me plaisait particulièrement. Il y avait un côté tribal que je n’avais pas envie de laisser passer.

Forces spéciales : sélection, stress et survie

Il faut comprendre que le stress de l’être humain est fait pour les situations que les militaires rencontrent. Le fait d’avoir tous les sens en éveil, de l’adrénaline, les mains qui transpirent…, sont une réponse naturelle pour mobiliser toutes nos ressources pour la survie. Notre métier est d’être robuste, de pouvoir partir sur alerte à n’importe quel moment, d’être acclimatable pour se mobiliser de façon instantanée, et de tenir pour le groupe. Il n’est pas dans la recherche d’une performance supplémentaire, qui serait un objectif de préparation.

" Le stress de l’être humain est fait pour les situations que les militaires rencontrent. Le fait d’avoir tous les sens en éveil, de l’adrénaline, les mains qui transpirent…, sont une réponse naturelle pour mobiliser toutes nos ressources pour la survie. "

Augustin Champetier de Ribes

Notre stress est très différent du stress de travail que j’ai vu se manifester chez mes amis dans les grandes entreprises civiles. J’ai vu certaines personnes se mettre dans des états impossibles, perdre le sommeil, l'appétit, fumer comme des pompiers… Trop d’adrénaline et trop d’anxiété déclenchent ce stress sans que ce dernier ne puisse être utile pour se sortir de la situation. Contre ce stress là, il y a des réponses et des méthodes qui permettent de relativiser, de mettre de côté la pression pour remobiliser ses capacités et faire face à l’enjeu. Il est utile d'apprendre à les mettre en oeuvre.

Le mode de fonctionnement des commandos est de nous assurer à la sélection que l’on a le niveau minimum pour tenir, que ce soit par le physique ou par le mental. On ne se préoccupe pas de savoir comment cela se répartit. Ensuite on l’entretient, de façon très organique, la plus primaire possible, pour que sur le terrain cela soit complètement intuitif. 

Toutes les forces spéciales font un stage à l’entrée, qui est de 3 mois dans les commandos marine, pendant lesquels un jeune militaire va apprendre le métier de commando : s’infiltrer silencieusement, parvenir à sa cible, utiliser ses armes, naviguer, renseigner, franchir des obstacles, s’exfiltrer etc…  Ce stage d’instruction joue un rôle de sélection assez rude : en cela, il garantit un niveau socle pour les unités. C’est le même barème depuis les années 70, pour les hommes comme pour les femmes. 

En stage commando “on cherche des percherons, pas des étalons”. On doit pouvoir porter des choses lourdes, longtemps, et ensuite être capables de se battre. Cela ne nous intéresse pas de différencier ce qui est du ressort du physique ou ce qui est du ressort du psychologique. Ce qui compte, c’est d’y arriver.

Le stage de nageur de combat est également sélectif et physiquement difficile. Le nageur doit être endurant, et résistant au froid. Il plonge dans le froid, dans le noir, en milieu hostile, sous des barges, des bateaux, des porte-avions. Ça peut être impressionnant.

leader ou dirigeant water

Nos stages sont rudes, très abrasifs. C’est difficile pour la marine en tant que structure, car il y a beaucoup d’échecs. Pour arriver à régénérer la force, il faudrait qu’il en sorte 30 nouveaux commandos par an. Cela fait une vingtaine d'années qu’on arrive pas à en dépasser 20. Mais ce niveau de base exigé est vital pour le groupe. 

On a pu observer que cette sélection très rigoureuse et sans passe-droit jouait comme un rôle de rite initiatique. Elle revenait à se faire admettre dans une tribu où chaque membre a des droits et le devoir de ne pas craquer, car la sécurité du groupe dépend de lui. Cela protège autant la personne que l’unité.

Dirigeant ou leader : cohésion de groupe et collectif

Nous appelons “maturité”, ce qui permet de puiser en soi la ressource nécessaire, spirituelle, philosophique pour vivre ces situations. C’est une vie intérieure, qui est difficile à tamiser de la partie physique. Il peut y avoir de la philosophie, du yoga, de la religion,...

On constate d’ailleurs en mission qu’après le premier accrochage, les conversations deviennent beaucoup plus spirituelles et plus profondes. Elles se resserrent sur le sens que l’on donne à nos vies. Certains sont croyants, d’autres sont là pour protéger leur famille, tous les types de motivations s’expriment dans ces unités selon les personnes. 

La peur est toujours présente en mission. Le groupe que nous formons constitue une tribu dans laquelle la personne va trouver sa force. Tapis sous les bombes, tu ne peux rien faire quand on te tire dessus au canon. Tu subis la situation en espérant que les artilleurs d’en face ne sont pas trop bons : s'ils te touchent, au mieux tu meurs, au pire tu sors handicapé. Dans cette situation, le groupe se forge, trouve toute sa dimension … et génère un style d’humour très particulier (presque comme dans les films).

La chaleur et le réconfort que l’on trouve dans le groupe sont extrêmement importants. Les gars exposés à ces gros coups de stress et qui s’extraient du groupe, quelle qu'en soit la raison, sont souvent ceux qui développent le plus de séquelles psychologiques. Ils n'ont pas trouvé leur protection au sein du groupe. Nous savons également que toute personne soumise à un stress intense ou une peur intense peut basculer et développer par la suite des syndromes psychotraumatiques sévères particulièrement handicapants. Les chefs que nous formons doivent être avertis de ce risque, et collés à leurs hommes pour les protéger d’eux-mêmes, de leur révolte...

Il faut faire une grande provision d’humanité, pour qu’il nous en reste quand on est confronté à des horreurs, et développer une éthique personnelle, et une éthique de responsabilité vis-à-vis du groupe.

Dirigeant ou leader : le rôle du chef

Le chef est considéré par la troupe non pas comme supérieur aux autres, mais comme un membre dont l’expertise est le leadership.

" Le chef est un expert en chefferie. "

Augustin Champetier de Ribes

Quand le spécialiste escalade va avoir appris à dépasser tous les types d’obstacles, le chef aura appris à cheffer. Son rôle est de mettre ses experts dans la meilleure position possible pour qu’ils puissent développer leurs expertises. Par exemple le tireur d’élite sera amené, protégé, et extrait de l’endroit où il sera en meilleure capacité à tirer par rapport au soleil, au vent, à la scène.

Chaque mission va modeler le type d’unité que tu vas utiliser, qui elle-même va modeler la façon dont les gens interagissent les uns avec les autres, et avec les échelons supérieurs. La performance du groupe doit être supérieure à la somme des performances individuelles. 

dirigeant ou leader

Cette conjugaison des expertises va conduire à une sorte de leadership qui est assez particulier dans les forces spéciales par rapport aux formes que prend le commandement dans la marine ou l’armée de terre “conventionnelle”. Dans ces dernières situations, le mode de leadership est beaucoup plus autoritaire et à sens unique. Le degré de liberté du chef y est plus faible car plus encadré par ses propres supérieurs, les tâches sont plus codées, le chef réfléchit à partir de l’analyse de son chef à lui : le subordonné in fine livrera plus difficilement sa propre analyse de la situation… 

C’est exactement l’inverse que l’on demande aux forces spéciales. Le chef qui commande à des experts va commencer par partager sa vision - c’est là qu’il doit réfléchir et faire preuve de créativité.

Ensuite les experts vont travailler pour dire comment ils pensent contribuer à la réalisation de cette vision, et exprimer leurs besoins matériels ou en termes de soutien et d’appui, le temps nécessaire, leurs envies, ... 

Le travail du chef est de conjuguer tout ça, de le coordonner, et de la phaser, pour que cela fonctionne au mieux.

Le bon chef est celui qui réussit sa mission

Le chef heureux, qui aura envie d’y retourner, est le chef qui se plaît au milieu de ses hommes. C’est un verbe qui doit être réflexif, il doit être aimé de ses hommes.

Comment cela se met en place ? Cela dépend de la culture, de l’intelligence de situation, de l’intelligence émotionnelle, c’est tout le sujet du lien.

Encore une fois, c’est très différent des forces traditionnelles. A l’Ecole de guerre aux Etats-Unis, ils ont pour pratique de faire passer le MBTI. Il s’est avéré que statistiquement, je suis l’inverse parfait de l’officier général américain standard.

Je suis intuitif, complètement “feeling (F)”. L’officier américain est “thinking” : il reçoit une mission et s'organise en fonction de sa mission pour la réussir.

Le “feeling” dans l’armée est vu comme un caractère féminin. La réussite de la mission en tant que militaire est importante, mais ce n’est pas le seul critère pour moi. L’impact de mes décisions sur mon environnement est également important, c’est un tout. Pendant le débriefing commun, mes camarades se moquaient un peu de moi et de mon coté “féminin”... jusqu’à ce que le psychologue en charge du test nous indique que, sans explication, dans le monde anglo-saxon où ces tests étaient déployés (US, UK, Canada, Nouvelle Zélande, Australie), il s'avérait que la catégorie de soldats où il y avait rencontré une majorité de caractères F était celle des forces spéciales…  Il est probable que cette façon particulière de combattre génère - ou requiert - une forme d’esprit particulière, au moins pour y être bien et se sentir utile.

C’est important de se connaître, et de savoir comment nos modes de fonctionnement conditionnent notre interaction avec notre environnement humain.

Dirigeant ou leader : leadership et confiance

Pourquoi une décision est-elle mauvaise ? Est-ce qu’elle serait encore mauvaise si elle était appliquée demain matin ? Quel impact a-t-elle eu, une perte de matériel ou perte d’hommes ? Ce n’est pas pas si simple de savoir ce qu’est une mauvaise décision, ni avant, ni après l’avoir mise à exécution. 

Parfois tu passes des décisions en force, et parfois tu essayes de comprendre pourquoi tes gars ne sont pas d’accord. A la fin, c’est quand même toi qui décide.

Il y a une notion fondamentale de confiance, et la confiance ne se décrète pas. Elle est rattachée de façon hiérarchique au grade, mais elle est amassée de façon très régulière tous les jours sur le terrain pour que le jour où on n'a pas trop le temps de discuter, où les enjeux sont énormes, la personne accepte de te suivre, qu’il sait que tu es un “bon chef”, et qu’il a décidé que tu étais un "bon chef".

" Il y a une notion fondamentale de confiance, et la confiance ne se décrète pas. Elle est rattachée de façon hiérarchique au grade, mais elle est amassée de façon très régulière tous les jours sur le terrain "

Augustin Champetier de Ribes

Le mauvais chef n’aura pas eu le temps, ou la capacité, ou l'opportunité, de bâtir cette relation de confiance avec ses hommes, et va se retrouver avec une équipe qui boîte. Un refus de le suivre pourra aller jusqu’à un sabotage de matériel.

Dans le commandement en temps de guerre, on a besoin de guerriers. On n’a pas besoin de gens intelligents, mais de gens instinctifs qui ont cette capacité très particulière de se poser toujours la question de comment contribuer à l'atteinte des objectifs visés. A tous les échelons, la question clé est “qu’est-ce qui est important pour mon chef ? “. Ensuite tu fais au mieux. C’est ce que décrit très bien Napoléon dans “Le Manuel du Chef”. 

Pour moi il y en a trois :

Notre rôle n’est pas de tuer des gens, c’est qu’à la fin les intérêts français soient préservés voir amplifiés. Cela peut passer par de l’action directe - ces actions spectaculaires qu’on voit dans les films avec des coups de feu et des explosions - , mais aussi de l’action indirecte telle que de la propagande, de la coopération, de la négociation, de la dissuasion... L’action indirecte est la capacité à agir sur les champs immatériels d’amis - neutres - ou ennemis. Cela implique donc de comprendre ce qui est important pour les gens, et comment on peut les aider, qu’ils soient représentants de l’ONU, de Médecins Sans Frontières, ou des chefs afghans. La compréhension de la culture de nos cibles est très importante. Un bon chef doit pouvoir inscrire son action à l’intérieur du plan stratégique de la capacité d’influence de la France. Nous devons être très créatifs, très curieux, capables de penser comme un local, sans préjugés, capable de mimétisme…

C’est une super expertise qui se développe au contact des gens, du terrain, des situations, et qui n’a pas du tout été théorisée. Nous la transmettons par imprégnation, à chaque niveau, en voyant nos chefs travailler.

Développez une vision et partagez-là, et vous simplifierez beaucoup tout votre leadership. La vision est différente des objectifs. Elle n’est pas chiffrée, elle n’est pas contraignante, et elle ne sert pas pour les objectifs annuels des personnes. Ce n’est pas non plus les valeurs de l’entreprise. 

" La vision est différente des objectifs. "

Augustin Champetier de Ribes

La vision doit permettre de transférer son expertise à ses collaborateurs, et d'assurer sa position. Il s’agira de trouver la façon de l’exprimer et de diriger ses troupes, en laissant suffisamment de subsidiarité à ses équipes pour qu’elles se sentent valorisées, et aient envie de faire corps pour développer l’entreprise autour de son projet. 

Dans toutes les conférences que j’ai données, j’ai trouvé que c’était ça qui manquait aux gens, à la fois cette assise du leader apportée par sa vision partagée, et la capacité à travailler en groupe. 

Toutes les règles du groupe et la structure de la rétribution doivent nourrir le groupe et être cohérente avec la vision. On voit beaucoup trop souvent des modes de rémunération qui sur-valorisent l’individuel au détriment de l’émergence du groupe.

Diriger n’est pas contrôler. Les objectifs servent à contrôler. En tant que leader il faut se demander ce qu'on a envie que les personnes fassent, et ensuite leur faire comprendre en quoi cela va faire progresser la boite, et les faire progresser eux-même. Si l’unité de mesure de satisfaction est l’argent, il faut alors mettre en face concrètement la façon dont cela va être rétribué. 

Il existe d’autres mesures de satisfaction. Dans l’armée nous n’avons pas les moyens d’augmenter les personnes. Chez nous, la mesure est la médaille. Nos hommes accordent une énorme valeur à la médaille, donner une médaille à quelqu’un ensoleille son année. Les personnes vont beaucoup travailler - jusqu’à risquer leur vie au sens premier du terme - et seront récompensées par une distinction qui témoigne de l’estime/admiration que l’institution porte à leur action.

Il faut se rappeler que in fine, c’est dans les moments de crise, quand rien ne se passe comme prévu, que la vision est hyper importante. Elle permet de retrouver un cap pour retomber sur ses pieds, et continuer dans la bonne direction. Dans ce monde complexe et en perpétuelles transformations, la vision est essentielle au mouvement, et le groupe crée la résilience.

Propos recueillis par Thérèse Lemarchand

[*] Marine nationale : https://www.defense.gouv.fr/marine

Jean-Philippe Uzan est directeur de recherche au CNRS, physicien théoricien à l’Institut d’Astrophysique de Paris, spécialiste de la gravitation. Ses collaborations avec le monde de l’art sont extrêmement nombreuses, il explore la porosité entre sciences et arts avec divers artistes.

Il est également membre du Conseil Scientifique Mainpaces : le Conseil Scientifique apporte ses connaissances scientifiques pour consolider la réponse de Mainpaces aux enjeux auxquels nos clients sont confrontés. Il  veille à la pertinence, à la qualité, et à la cohérence de notre méthodologie, au respect de l'éthique et de la déontologie.

Dans cette interview Jean-Philippe Uzan nous parle de sa soif de connaissances et de sa découverte de la science : " Il m’est devenu clair que la science permettait de comprendre l’univers mais aussi de nous offrir un regard extérieur sur nous qui vivons sur cette planète. ". "Je suis arrivé à la conclusion que la connaissance était une valeur sur laquelle on devait se reposer collectivement. Je connais pour la valeur de connaître, pour le plaisir de connaître."

Jean-Philippe Uzan questionne également son rapport au temps, et nous parle d'écologie : " L'humanité est une espèce fabuleuse, capable d’avoir réussi à comprendre notre effet sur le climat, à faire ce diagnostic et à prédire la catastrophe qui arrive. D’un autre côté elle me désespère, car je me dis qu’en fait nous ne sommes pas capables de changer. "

Il conclue sur sa vision du leadership éclairé : " Je pense qu’une qualité fondamentale est de se rendre compte qu’on est avant tout une équipe, au sens très large, pas parce que nous travaillons ensemble mais parce que nous nous attaquons aux mêmes problèmes. Il n’y a aucune gloire à être un leader. À la fin, c'est l’équipe qui gagne, c’est la connaissance. "

Interview réalisée le 22/01/2024 par Thérèse Lemarchand, CEO Mainpaces 

Jean-Philippe Uzan et la découverte de la science

C’est un mélange de hasards, de rencontres et de questions personnelles. Très tôt au cours de mes études, j’ai compris que j'avais besoin de liberté dans ma façon de travailler et dans mon activité professionnelle. J’ai également découvert que j’aimais apprendre, que c’était une source de bonheur, et qu’au-delà de la science pour elle-même j’avais une attirance pour des questions fondamentales et la connaissance en général.

Cela a formé un espace dans lequel la démarche scientifique, ce que la science nous dit du monde mais aussi les questions de nature métaphysique, qui m’intéressaient, se sont superposés. J’ai découvert que l’astrophysique était un chemin que je pouvais emprunter pour comprendre qui nous sommes, nous les humains, sur cette planète - qui est une question qui m’a toujours fasciné.

Tout cela me semble aujourd’hui évident mais j’avoue que n’ai pas suivi de plans. Il y a eu des rencontres, avec certains professeurs, quand j’étais en DEA en particulier, qui m’ont orienté vers cette direction. Mais en y repensant, j’aurais pu en effet m’orienter vers une autre discipline scientifique. Je n’étais pas un amateur d’astronomie quand j’étais jeune, je n’avais jamais regardé dans un télescope quand j’étais enfant. J’ai plus grandi dans les livres avec une certaine frustration car à l’époque il y avait peu, voire pas, de livres et d’émissions de vulgarisation, pas d’internet… mais j’ai eu la chance d’aller souvent au Palais de la Découverte et de comprendre que j’aimais comprendre, que je devais comprendre.

J’ai un côté contemplatif, un lien à la nature très fort. J’ai toujours eu besoin de passer du temps à regarder le ciel, les arbres, les forêts, à ramasser des cailloux et des coquillages, à me perdre dans des rêveries. J’ai besoin de passer du temps à regarder ces détails du monde dans lequel on vit. Cela m’apaise et me rend heureux et curieux. J’ai été nourri par la science mais aussi par toutes mes lectures, les mythologies, la littérature et la fiction et des textes inspirants comme ceux de Carl Sagan.

À un moment j’ai pu faire le lien entre les deux. Il m’est devenu clair que la science permettait de comprendre l’univers, et aussi de nous offrir un regard extérieur sur nous qui vivons sur cette planète. Pour reprendre les mots de l’astronome Maria Mitchell :

« Nous apprenons à vivre dans l'univers en tant que partie intégrante de celui-ci ; nous ne pouvons pas nous en séparer - chaque acte nous relie à l'univers - chaque acte affecte le tout. »

Maria Mitchell

Les questions les plus simples et les plus primordiales, comme « Sommes-nous seuls dans l’univers ? », « Est-ce que les étoiles ont toujours été là et seront toujours là ? » pouvaient être adressées par la science et changer notre façon d’être au monde. La cosmologie se trouvait à la croisée de la science, de la philosophie, du rêve, des mythes et de l’art. C’était le bon endroit où essayer de vivre.

Jean-Philippe Uzan, étoiles

Jean-Philippe Uzan et la connaissance

Je ne me suis jamais posé la question de l’application. Je pense que, en soi, la connaissance est une des plus grandes richesses que l’humanité possède. La connaissance est la seule ressource qui se démultiplie quand on la partage. Quand je vais enseigner, si je dois mettre ma connaissance à la portée de ceux qui m’écoutent, je dois nécessairement faire un travail qui va augmenter ma connaissance car je vais réfléchir à la manière dont je peux la transmettre. En préparant un cours, on ne peut pas faire semblant d’avoir compris, il faut aller au fond et imaginer toutes les questions embarrassantes, que l’on a pu éviter quand on était étudiant car cela n’empêchait nullement de réussir ses examens.

Je suis arrivé à la conclusion que la connaissance était une valeur sur laquelle on devait se reposer collectivement. Je connais pour la valeur de connaître, pour le plaisir de connaître.

L’étude donne du plaisir, pas toujours, mais il y a des moments si fabuleux quand on se voit comprendre. Cela demande aussi de l’effort. Comme pour un sportif, il y a une forme d'entraînement. Tu fais des exercices, tu fais des erreurs, et tu recommences, encore et encore, parce que c’est le seul moyen et que la connaissance que tu vas acquérir dans ce chemin ne peut pas s’acheter, d’aucune façon. Dans cette démarche, tu t’inscris dans une communauté, dans une histoire. Tu te retrouves à te poser des questions que d’autres se sont posées avant toi. En reproduisant leurs travaux, tu discutes avec les fantômes de géants qui te glissent des clins d’œil dans notes de bas de pages. C’est assez jouissif ! Quand tu arrives à maturité, tu accompagnes des étudiants, et tu peux redonner comme tu as reçu. J’ai eu la chance d’avoir quelques étudiants brillants, aujourd’hui devenus des chercheurs de premier plan. Et c’est une satisfaction qui dépasse tous les honneurs.

Il y a une dynamique collective très forte, et particulièrement importante aujourd’hui où le monde se recroqueville. J’ai des étudiants qui ont 25 ans et des collègues qui en ont 90, des hommes et des femmes, j’ai des collègues en Afrique, en Europe, au Japon, aux États-Unis…. Il n’y a pas de barrières, c’est une communauté qui se retrouve autour des questions qu’ils se posent. Il n’y a pas de critères à satisfaire pour pouvoir faire partie de l’aventure. C'est extrêmement international, et cela dépasse tous les clivages.

La recherche fondamentale est quelque chose qui accompagne une des aspirations de l’humanité dans son ensemble, connaitre, comprendre le monde dans lequel nous vivons, transmettre et changer notre regard sur le monde. C’est pour cela qu’on ne peut pas tout juger à l’aune de l’utilité ou de la rentabilité.

Même si les retours sur le monde économique ne sont pas le but de notre activité, elle crée néanmoins beaucoup de richesse de façon indirecte. Nos recherches théoriques stimulent des développements technologiques pour les pousser à des limites que l’on n’aurait pas pensé atteindre. D’un point de vue technologique, cela peut être en optique, en électronique, en traitement du signal... La mise en place de très grands satellites tire tout un ensemble d’activités de recherche appliquée. Pour le satellite Planck, je crois que ce sont en France 300 PME dans tout le secteur du Sud-Ouest qui ont été mobilisées pour développer l'électronique, les miroirs, la cryogénie, … Mais au-delà, la recherche fondamentale a transformé le monde de façon radicale : comprendre la stabilité de la matière nous a mené à la mécanique quantique sans laquelle aucune des technologies de l’information que nous utilisons aujourd’hui ne pourrait être pensée. L’invention du mètre et su système métrique qui a été engendrée par la Révolution française est considérée par certains historiens de l’économie comme l’invention ayant créé le plus de richesse en permettant la mondialisation des échanges.

La recherche fondamentale peut sembler ne pas être utile à court terme mais elle est essentielle, au même titre que l’art n’est pas utile mais essentiel. Je suis persuadé qu’une société qui ne crée pas de nouvelles idées, de nouveaux langages n’est pas vivante. Elle se fossilise dans son confort et ses peurs. C’est pour cela que nous devons investir massivement dans l’art, la recherche et l’enseignement, sous toutes leurs formes. Sans cela, elle ne se nourrit plus de rêves et de nouveaux horizons.

Je ne le vois pas comme ça. C’est une recherche du meilleur discours que la science puisse donner sur le monde dans lequel nous vivons. Les théories scientifiques sont mortelles, elles changent, et nous devons évoluer avec. J’aime cette idée qu’il n’y a pas de vérité. On construit des représentations, des modèles, qui sont très bons pour comprendre et faire des diagnostics sur notre monde. Ils nous permettent de prédire son évolution, comme de façon magistrale dans le cas du réchauffement climatique, et d’étudier nos façons d’agir. Ils vont durer pour certains des décennies voire des siècles, mais on n’est jamais dans la certitude d’avoir raison. A chaque moment on peut être surpris par une observation, par une découverte, qui remet en cause ce que l’on a construit. En tant que scientifiques, nous ne sommes que des bricoleurs de théories.

Jean-Philippe Uzan, Institut astrophysique de Paris
Institut astrophysique de Paris

La recherche est une entreprise qui est extrêmement humaine. À chaque moment nous faisons du mieux que nous pouvons avec les outils à notre disposition. On avance, c’est une chaîne, un relai. Et parfois on recule, car on fait des découvertes qui nous montrent qu’on n’était pas sur le bon chemin. Éventuellement il y aura certaines affirmations qui seront à reprendre, on peut imaginer que notre avis change. Par exemple, depuis un demi-siècle, on est quasiment convaincu qu’il y existe de la matière noire, on ne sait pas ce que c’est, on cherche. Je suis persuadé que le jour où on aura compris, quelque chose de fondamental sortira.

On questionne les limites de nos modèles sans cesse. Nous questionnons la Nature et elle répond comme un génie. Elle a le dernier mot. Tant qu’elle valide nos hypothèses, les théories en donnent une bonne description. Le jour où elle répond non, nous devons en prendre acte. Il n’y a jamais de confort !

Jean-Philippe Uzan et le rapport au temps

Cette activité qui se passe vraiment dans le temps long me correspond parfaitement. Je suis très contemplatif, j’ai besoin de prendre du temps pour regarder les petits choses, les détails et voir les concepts mathématiques se matérialiser en moi. Quand je travaille, je ne me mets jamais des contraintes de delivery. C’est le travail qui dicte sa propre échelle de temps. Le travail se fait à son propre rythme. À un moment on sait qu’il est mûr et terminé. On ne peut pas forcer la compréhension.

En tant que chercheur, tu es une sorte de catalyseur, comme si ton cerveau distillait des idées, des calculs, parfois de façon inconsciente. J’ai toujours plusieurs projets en cours et, avec l’expérience, je sais quand je dois laisser une idée avancer ou pas, et récolter ce qui en sort. Cela ne peut pas se faire dans l’urgence, ça nécessite beaucoup de temps, parce que tu dois lire, te tromper, recommencer.

« Si tu veux que ça avance, il faut que tu laisses ton cerveau libre de synthétiser lui-même, et de trouver des chemins dans un labyrinthe à plusieurs dimensions. Et donc, tu dois te (lui) faire confiance. »

Jean-Philippe Uzan

À un moment un déclic se produit. Je ne sais pas pourquoi, je comprends, et c’est rarement quand je suis dans mon bureau devant une feuille blanche. Pour moi, cela remet en cause beaucoup de choses sur l’image de ce qu’on appelle travailler tel que je l’ai appris à l’école (une posture, assis, au bureau avec des horaires etc.)

Pour faire de la recherche, il faut aussi beaucoup d’humilité, il faut du temps, il faut être lucide, ce sont parfois des petits hasards qui te mettent sur la route, c’est un truc de tous les instants. Tu es dedans. Tu apprends à gérer les moments où ça ne marche pas, où il y a des trous qui parfois peuvent durer des mois. Dans ces moments-là, il faut faire quelque chose de concret, des cours, des conférences, … L’activité de recherche elle-même demande beaucoup de souplesse et de confiance. Tu ne sais pas si tu vas y arriver, mais tu as toujours cette foi d’y arriver. Je crois que l’on ne peut apprendre la recherche qu’en essayant d’en faire, comme quand on apprend à faire du vélo. C’est la première chose que les étudiants découvrent quand ils font une thèse car cela n’a rien à voir avec les examens et les concours que l’on a pu passer pendant sa scolarité ; le sujet n’est pas écrit et on ne sait pas s’il y a une réponse ; le temps n’est pas limité et il n’y a pas un programme de savoirs à avoir étudiés. Tout est ouvert, tout est libre. C’est l’aventure ! Malheureusement, l’évolution des modes de financement des thèses va complètement à l’encontre d’une telle formation.

Jean-Philippe Uzan et l'écologie

En astronomie on observe l’univers qui est autour de nous, et on a compris ce qui fait la particularité de notre planète. On ne connaît toujours pas d’autre planète comme celle-ci malgré les milliers d’exoplanètes découvertes depuis 1995. On a aussi révélé notre lien à l’univers, l’héritage que nous devons aux étoiles comme la matière qui nous constitue, comme le carbone, l’azote et l’oxygène, et qui a été synthétisée dans leurs cœurs. Cela change qui nous sommes, et aussi notre responsabilité.

Pendant cette période particulière des années 70, la conquête spatiale a fourni les premières photos de la Terre vue de l’espace, de la Terre vue de la Lune. On savait que la Terre était ronde et finie, depuis Pythagore et Eratosthène, mais on ne l’avait pas vue de l’extérieur.

Jean-Philippe Uzan, earth
Photo de la Terre, NASA

Ces photos ont changé notre relation à la planète. On a vu la Terre, on a vu sa beauté extrême, on a vu la vie sur cette planète, on a vu la fine couche atmosphérique, fragile, qui rendait notre vie possible à sa surface. On a appris sur la particularité de notre habitat, et sa fragilité. On a surtout eu la démonstration la plus évidente de sa finitude, de la finitude de ses ressources, et donc l’argument le plus fort contre toute idéologie de croissance éternelle.

La Terre est le seul endroit qui héberge la vie dans cet océan cosmique. On sait que même si on relance actuellement des programmes spatiaux, avec des efforts de technologie démesurés, on ira peut-être sur Mars, mais on n’ira pas au-delà des limites du Système solaire. Si on regarde les étoiles, elles sont inaccessibles à l’échelle des temps humains. Donc, nous vivons là. Nous n’avons que ce petit point bleu pâle, ce « Pale Blue Dot », comme l’appelle Sagan. Notre vie repose sur le fait que ce petit point-là arrive à abriter la vie. Il faut absolument le préserver. Il n’y a pas de planète B. 

« Il n'y a peut-être pas de meilleure démonstration de la folie des idées humaines que cette lointaine image de notre monde minuscule. Cela souligne notre responsabilité de cohabiter plus fraternellement les uns avec les autres, et de préserver et chérir, ce point bleu pâle, la seule maison que nous ayons jamais connue. »

Carl Sagan

L’astrophysique permet aussi de comparer la Terre aux autres planètes afin de mieux comprendre comment les climats ont évolué. Si on considère la planète Mars, qui est plus petite que la Terre, elle s’est refroidie plus vite que la Terre, son champ magnétique s’est donc éteint alors que le nôtre nous protège encore. Mars est devenue une planète aride parce qu'elle a perdu son champ magnétique et que le vent solaire a détruit son atmosphère. On peut imaginer que d’une certaine façon Mars est le futur de la Terre, dans quelques milliards d’années.

Quand on regarde le monde avec les lunettes des temps astrophysiques extrêmement longs, les hasards qui ont mené au fait qu’un tel système planétaire existe, que la vie apparaisse - et on ne sait pas pourquoi - on réalise qu’il y a une sorte de miracle, c’est le fait que nous soyons là sur ce petit point à regarder et étudier l’univers, et à pouvoir le comprendre.

Je crois que nous sommes à un moment historique de l’histoire de l’humanité. Nous avons collectivement pu développer tous les outils pour faire le diagnostic de l’impact de nos comportements sur l’évolution du climat de notre planète. Les modèles théoriques et les données nous permettent de dire comment va se développer, ou malheureusement se détériorer, l’habitabilité de notre planète. Les conclusions se vérifient aujourd’hui et s’affinent pour rendre le constat de plus en plus dramatique. C’est une victoire de la pensée scientifique. On n’est jamais arrivé dans l’histoire de l’humanité à dire comme aujourd’hui

regardez, il y a une catastrophe qui se présage, à l’échelle de temps d’une cinquantaine d’années ou un siècle ”.

C’est là que tout bascule.

Le GIEC a affiné ses conclusions et leur niveau de crédibilité de rapport en rapport. On a cinquante ans de recul, on voit qu’on est sur la trajectoire prédite, que le climat évolue comme il a été prédit, que les humains sont la cause de ce bouleversement climatique. La question qui se pose alors est « Comment fait-on pour convaincre et agir ? En a-t-on le temps et les moyens ? Peut-on continuer à vivre comme avant de savoir cela ? ».

On a fait peu, mais on a fait beaucoup aussi, c’est ça qui est paradoxal. Aujourd’hui, plus en plus de gens ont entendu parler du réchauffement climatique. De plus en plus de gens sont convaincus. De plus en plus de gens font attention à leur bilan carbone, modifiant leurs comportements individuels. La plupart des partis politiques ont des volets écologiques dans leurs programmes. On a mis en place les instances internationales comme les COPs et le GIEC.

Et pourtant ce n’est pas suffisant. Cela ne fonctionne pas.

Cela dépasse la science. On sait tout ce qu’on doit savoir aujourd'hui, la pédagogie a été mise en œuvre, et on voit avec les canicules et les inondations le réchauffement climatique dans notre quotidien, on voit la biodiversité s’éteindre.

Le blocage se trouve ailleurs, dans la structure même du monde dans lequel nous vivons. Le modèle capitaliste a touché ses limites, ce que nous savons depuis longtemps. De nombreux freins s’opposent à tout changement. Nous sommes incapables de penser la sortie de la logique extractiviste et productiviste. En particulier, il est aujourd’hui précisément documenté que le lobby pétrolier a une puissance planétaire qui est en dehors de tout ce que la démocratie mondiale devrait accepter. Un énorme travail de documentation a été réalisé sur le sujet, et a montré comment se sont développées depuis les années 70 les entreprises de désinformation, d’influence des décisions internationales, des politiques des pays, de culpabilisation des individus, pour influer sur les politiques à mener et détourner notre attention. Nous avons aujourd’hui que le réchauffement climatique et l’organisation de l’inaction sont des conséquences du capitalisme, ce qui n’est pas une position idéologique mais un constat empirique. Tout cela dépasse la science, mais me désespère.

Toutes les infrastructures des pays sont touchées. On n’a pas voulu investir pour faire la transition écologique nécessaire. C’est extrêmement triste. Chaque année qui est perdue est perdue et nous met collectivement plus en danger. On sait que l’on passe des seuils avec des conséquences dramatiques en termes de biodiversité, de climat,… et qu’il ne sera pas possible de revenir en arrière. J’ai beaucoup de collègues scientifiques autour de moi qui sont désespérés. Ils se disent qu’on n’y arrivera pas. Il y a tellement de désinformations et de forces contraires. La prise de conscience s’accompagne du sentiment que nous sommes collectivement incapables d’agir à la hauteur de l’enjeu malgré un diagnostic scientifique indiscutable depuis plusieurs décennies, que les sphères politiques et économiques ne prennent pas la véritable dimension du problème. Leur inaction documentée [2] tente d’être dissimulée en culpabilisant des citoyens à qui on demande des efforts individuels là où l’action se doit surtout d’être collective et structurelle.

L'humanité est une espèce fabuleuse, capable d’avoir réussi à comprendre notre effet sur le climat, à faire ce diagnostic et à prédire la catastrophe qui arrive. D’un autre côté elle me désespère, car je me dis qu’en fait nous ne sommes pas capables de changer. Nous ne croyons pas assez à la parole de la science, nous sommes prisonniers du fantasme des grosses fortunes de la planète. Nous n’avons pas assez peur. La science nous enseigne que de la particule à l’écosystème, un système ne peut être stable que s’il y a de la dissipation ou de la modération. Pendant des siècles, la modération est venue de notre environnement, et nous nous en sommes affranchis, en partie par la science et la technique. Il nous faut alors trouver cette modération en nous, rapidement, sinon c’est l’instabilité de notre monde qui limitera nos rêves, et fort probablement de façon violente. J’espère que nous en serons capables et en même temps, j’en doute fortement.

On ne peut s’en sortir que collectivement, et on est dans une période où l’on détruit les communs. Je cite dans cette préface le merveilleux poème de John Donne Aucun homme n’est une île. Tu ne peux pas imaginer survivre si le reste de l’humanité ne survit pas. Tu ne peux pas croire que toi, même si tu es riche, que tu vis dans un pays développé, tu seras épargné. Nous dépendons les uns des autres, toute l’humanité dépend les uns des autres. Aujourd'hui on érige des barrières et des murs, qui séparent les gens suivant leurs religions, leurs pensées politiques, on divise pour mieux régner, on détruit ce qui permet de vivre en commun et tous les acquis qui fondaient la solidarité. La situation nous demande de repenser la démocratie, et souligne l’importance de la pensée rationnelle et scientifique pour fonder toute politique.

Le collectif est une valeur essentielle. On a réussi à faire ces diagnostics parce qu’on a collectivement décidé d’investir dans la recherche. Collectivement, en tant que société, une partie de la richesse que l’on crée est investie dans une recherche qui n’a pas de valeur économique mais qui consiste à nous préparer et à comprendre. C’est le signe d’une grande société. On ne sait pas s'il y aura nécessité un jour de tels ou tels savoirs, mais c’est le potentiel que l’on a de pouvoir réagir. C’est une force. Il ne faut jamais se dire que cet argent investi est perdu. Si la catastrophe avait lieu, on n'aurait pas le temps de réagir sans ces cordes à notre arc. Tout cela nous permet collectivement de survivre sur cette planète plus longtemps, et de l'habiter de façon plus humaine, plus harmonieuse.

Jean-Philippe Uzan, ecologie

Jean-Philippe Uzan, leadership éclairé et prise de conscience

Je pense qu’une qualité fondamentale est de se rendre compte qu’on est avant tout une équipe, au sens très large, pas parce que nous travaillons ensemble mais parce que nous nous attaquons aux mêmes problèmes. Il n’y a aucune gloire à être un leader. À la fin, c'est l’équipe qui gagne, c’est la connaissance. Je trouve que l’idée de prix scientifique, de reconnaissance, du mythe du génie qui révolutionne un domaine, alors que l’on oublie la masse des chercheurs sans qui cela n’aurait pas été possible, tout cela nous éloigne du but.

La première satisfaction que l’on a est de savoir que l’on a contribué, au fait que collectivement on sait plus, on avance plus, on est plus prêts. Je pense que les meilleurs leaders sont ceux qui sont capables de jouer pour le collectif et d’inspirer leur entourage. Sinon ils roulent pour eux. Si tu te mets toujours au centre, à un moment tu n'entraînes pas.

C’est quelque chose que je trouve assez beau en recherche, ce côté très communautaire. Quand tu as compris un sujet, tu le publies, et tout le monde peut le reprendre. Parfois j’ai publié et je n’ai pas eu les financements pour pouvoir pousser plus loin. D’autres les ont reprises, et ça m’a échappé. Sur le coup c’est frustrant, mais tu te rends compte avec le temps que c’est ce qui fait la valeur du système. C’est un système ouvert. Rien de ce que j’ai pu comprendre ne m’appartient, je l’ai fait, mais cela ne me donne aucun pouvoir de continuer pendant 15 ans, 20 ans avec une sorte de propriété. On peut juste attendre que notre contribution soit reconnue !

C’est ce que j’attends des leaders politiques en particulier, de montrer qu’ils se donnent à la communauté, qu’ils soient capables d’inspirer, et de croire dans la génération qui les suit et qui continuera.

On doit également créer les conditions pour que tout le monde s’exprime et que chacun puisse avoir sa place, alors qu’on nous a inculqué de façon inconsciente qui a la prise de parole facile. Des hommes, des blancs, … Ce sont des biais. Il y a beaucoup de gens qui ne se sentent pas légitimes à parler. C’est culturel, ça se travaille dès l’école.

Enfin, il n’y a pas d’évolution continue. Dans un collectif tu peux être le leader, et dans six mois être un coéquipier. Ce qui est important dans un collectif est que chacun mette sur la table ses compétences : « voilà ce que je sais faire, comment je vois le problème, ce que je peux faire, le temps que je peux y mettre. »

Le lead sur un travail tourne, et des structures émergent. Temporairement il y a un chef d’orchestre, mais il n’y a pas de chef absolu. Dans ce type d’organisation, l’information circule, elle remonte, elle redescend, et tout se négocie jusqu’à ce que chacun soit convaincu du résultat et satisfait du niveau de preuve apporté. Ce n’est pas plus difficile, cela prend juste plus de temps, mais la décision sera plus riche, les idées auront mûri, et tout le monde se reconnaîtra dans la décision ou dans le résultat. Favoriser la mise en place d'une auto-organisation et de décisions partagées est quelque chose qu’on doit réapprendre.

Ce qui nous sauve à la fin, c'est la joie et le bonheur. Si tous les gens qui sont dans cet entourage et qui collaborent ont de la joie et du plaisir, on sait qu’on avance comme il faut. Recréer la façon d’être joyeux et d’être heureux et une façon de s’opposer à ce monde qui se rétrécit. C’est finalement la plus grande chance que j’ai eue dans ma vie, pouvoir ressentir ce plaisir de me lancer dans des recherches, de ressentir cette excitation fabuleuse au moment tu réalises que tu as compris, de vivre ce moment où tu sais que peut-être personne n’a encore réalisé qu’il y avait telle solution ou telle possibilité, avant de la rendre publique.

Je n’ai pas vraiment de maxime, mais en y réfléchissant je crois que mon fil directeur serait d’être le plus libre possible. Pour moi, l'art et la science sont très proches, dans le sens où on ne m’interdit rien. Si j’ai une idée, je la mets en œuvre, et je n’ai pas à demander l’autorisation. Je vais devoir convaincre les collègues et les inspirer pour qu’ils me suivent. Mais je n’ai pas besoin de demander l’autorisation, si ça me fait plaisir, je le fais. Je peux me tromper, bien sûr, mais en quoi un avis supérieur serait plus éclairé ? Prendre la liberté d’explorer ce qui fait sens, au risque de me tromper et assumer ce choix.

Je veux aussi échapper à toutes formes de catégorisations. Je refuse qu’on réduise l’être humain à sa fonction. Je fais de la physique, je fais aussi de l’art, je m’empare de missions sociales, je suis père etc... On est tous plein d’autres choses en même temps, et il se trouve que certaines de ces activités deviennent professionnelles. Mais personne n’est réductible à une seule de ses fonctions.

J’aimerais qu’ils se mettent en danger en explorant des visions du monde qui ne sont pas celles qu’ils croient avoir. Il ne faut pas se laisser enfermer dans un seul univers, se laisser réduire à une fonction.

En prenant le point de vue de l’autre, on peut mieux comprendre ce que l’on fait, on peut explorer d’autres visions, parler et échanger, se rendre compte que l’on peut faire différemment. C’est tellement plus riche ! Même si tu es dans une activité qui est extrêmement efficace, que ça produit, et que tu as l’impression que tout roule, il faut savoir qu’elle va s’arrêter à un moment ou un autre si tu n’es pas tout le temps en train de te questionner sur toi-même, et que tu n’es pas ouvert à d’autres visions.

L’art est un atout. Il incite à faire un pas de côté pour regarder le monde d'une manière un peu différente. Il faut le faire dans notre vie de tous les jours. Sois fluide, change de lumière, de position, ne t’enkyste pas, et fais-le avec cœur, en prenant des risques et avec générosité. Ce ne sera jamais du temps ou de l’énergie perdus, on te le rendra de façon folle.

Il vaut mieux inspirer que commander. Que les collègues et les étudiants soient convaincus de l’importance du sujet et qu’ils s’en emparent. On a besoin d’inspirateurs et d’inspiratrices, pas de chefs ! On a besoin de curiosité et pas de pouvoir !

Propos recueillis par Thérèse Lemarchand

Jean-Philippe Uzan, biographie

Jean-Philippe Uzan est directeur de recherche au CNRS, physicien théoricien à l’Institut d’Astrophysique de Paris, spécialiste de la gravitation, en particulier la théorie de la relativité́ générale et de la cosmologie. Il a enseigné dans différents cadres et en particulier en Afrique au sein de AIMS (African Institute in Mathématical Sciences) dont il fait partie de l’advisory board. En marge de sa recherche, il s’investit dans la vulgarisation et la médiation scientifique sous différentes formes.

Jean-Philippe Uzan a publié de nombreux ouvrages, comme L’harmonie secrète de l’univers (2017) ou Big-bang (2018), Plus tard il sera trop tard – introduction au discours de Carl Sagan du 10 décembre 1985 (2023) et deux livres pour le jeune public, La gravitation ou pourquoi tout tombe (2005), Ici, l’univers (2017). En 2024, il publiera « L’appel de l’univers – l’aventure cosmique de Hor et Nours » Il s’implique dans l’association « Les P’tits cueilleurs d’étoiles » pour les enfants hospitalisés et l’aide à l’insertion des jeunes migrants et réfugiés par l’astronomie dans le cadre de la Société astronomique de France.

 Ses collaborations avec le monde de l’art sont extrêmement nombreuses.

Jean-Philippe Uzan explore la porosité entre sciences et arts avec divers artistes dont le compositeur Fabien Waksman et le metteur en scène Etienne Pommeret. Il a réalisé une résidence d’artiste en 2022 à la Villa Albertine à Marfa, Texas, US. En 2024, il jouera dans la pièce de Marcus Lindeen et Mariane Ségol, « The memory of mankind ».

[1] Plus tard il sera trop tard – préface au discours de Carl Sagan devant le Congrès des Étas-Unis du 10 décembre 1985 (2023) - Qui Mal Y Pense éditions

[2] A titre d’exemple, la convention citoyenne pour le climat (2019-2020) a démontré la force de l’intelligence collective. Des citoyens tirés au sort et analysant les expertises scientifiques ont fait 149 propositions politiques fortes. Seules 10% d’entre elles ont été reprises par le gouvernement. Le 1er juillet 2021, le Conseil d’État condamne l’État français pour inaction climatique. L’État n’a pas pris les mesures permettant d’atteindre la réduction prévue des émissions de gaz à effet de serre et discrédite, voir criminalise, les collectifs citoyens qui tentent à défendre le vivant et notre planète contre les intérêts privés.

C’est l’histoire d'une femme leader, de la magnifique carrière d’une fille de restaurateurs qui voulait être dirigeante comme les clients de ses parents. Qu'est-ce qui a été décisif hier, qu’elle fait-elle différemment aujourd'hui ?

Diplômée en Sciences Economiques de l’Université Paris II Assas, Eliane Rouyer-Chevalier a rejoint le groupe Accor en 1983 où elle a pris la Direction, à partir de 1992, des Relations Investisseurs et de la Communication financière. Elle a accompagné la scission d'Edenred et son entrée en bourse.

Eliane croit en la force de la circulation des idées, en la maïeutique des relations humaines qui permet à chacun d'exister et de donner du sens à ce qu'il fait. A travers ses rôles d'administratrice et de co-directrice de la Formation Gouvernance & Climat à Dauphine Executive Education elle aborde les défis environnementaux majeurs qu’on a devant nous, et l'importance de faire société.

Retrouver la verticalité pour développer un leadership éclairé est l'un de ses messages forts.

Interview réalisée le 07/12/2023 par Thérèse Lemarchand, CEO Mainpaces 

Leadership féminin et la force des modèles

Rétrospectivement et du plus loin que je m’en souvienne, très tôt vers l’âge de 10 ans, j’ai toujours vu ma place au sommet. C’était au fond de moi. Cela ne correspondait aucunement à un sentiment de revanche, ni d’orgueil. C’était une évidence.
Pourquoi ? C'est un mystère.
Mais à bien y réfléchir, je pense que beaucoup de facteurs ont joué : les parents, l’environnement de vie y compris l’école, et l’époque aussi.

L’ADN familial d’abord. Je bénéficiais d’un entourage stimulant où rien n’était impossible J’avais sous les yeux l’exemple de mes parents qui avaient su échapper à leur milieu d’origine, partant de rien, mais à force de travail, réussissant à se faire une place. Je leur suis extrêmement reconnaissante de ne pas m’avoir posé ni contraintes financières, ni de limites pour faire les études que je voulais faire. Ma mère était très féministe avant la lettre, dans le sens où elle voulait que je sois indépendante financièrement.
J’ai bénéficié d’un héritage, toute une transmission, au travers d’une lignée de femmes très fortes et courageuses. Elles venaient d’un milieu paysan, dur physiquement et affectivement, mais ces femmes extrêmement volontaristes assumaient de faire tourner les fermes alors que les hommes étaient partis à la guerre. J’ai également l’image de mes tantes, de belles femmes, intelligentes qui ont entamé des études supérieures mais emportées à 20 ans chacune par la maladie, à une époque où les antibiotiques n’existaient pas.
Cela a été un héritage structurant malgré des contours flous, des portraits accrochés aux murs, des objets qui se passaient d’une génération à l’autre, des lettres à l’écriture cursive à l’encre violette. On n’osait pas poser de questions. C’était un environnement nourrissant et porteur.

Mon moteur était, et est encore aujourd’hui, la confiance en moi. Probablement aussi parce que ma mère, mes grands-mères m’assignaient un rôle, sans que cela ne soit clairement exprimé, de porter l’évolution de la famille vers des aspirations plus élevées.

Mon moteur était, et est encore aujourd’hui, la confiance en moi.

Eliane Rouyer-Chevalier

L’environnement de vie ensuite, dû au commerce de mes parents, lieu de relations humaines par excellence, qui a joué un grand rôle dans ma vie, on en reparlera. Mais aussi l’école, où ma directrice, une religieuse autoritaire mais visionnaire, m’a poussée à faire la section maths/sciences plutôt que littéraire car je voulais devenir prof d’anglais. Elle a convoqué ma mère pour la convaincre de prendre cette voie, et ce faisant, elle a contribué à faire ce que je suis aujourd’hui. A ses obsèques, j’ai pris la parole pour lui exprimer ma gratitude.

L’époque enfin. Je suis née dans les années 50, époque où tout était à reconstruire, tout était possible, il fallait voyager, s’ouvrir au monde. Je suis partie apprendre l’anglais dès l’âge de 10 ans, en Angleterre puis en Irlande. Je voulais très bien parler anglais sachant que ce serait déterminant pour moi, on dirait différenciant aujourd’hui.

Je ne vivais pas dans un environnement intellectuel. Mes parents avaient une brasserie dans le XVè arrondissement de Paris, rue de Sèvres, qui était très bien placée, près de l’hôpital Necker/Enfants malades. Nous recevions donc beaucoup de médecins, les familles qui accompagnaient leurs enfants malades et qui étaient dans l’inquiétude. Ils trouvaient chez nous une maison accueillante où ils pouvaient partager leur angoisse. Il y avait aussi des artistes comme Jacques Chazot, l’écrivaine Marie Cardinal, le grand reporter Lucien Bodard : d’autres mondes, d’autres discussions passionnantes.  Il y avait également un couple de vieux professeurs à qui j’apportais chez eux le repas que nous leur préparions. Je pénétrais alors dans un appartement rempli de livres du sol au plafond. C’est là que j’ai lu mes premiers Agatha Christie, Arsène Lupin. Sans doute ce qui m’a donné le goût avide de lecture.

Eliane Rouyer-Chevalier 10 ans
Eliane a 10 ans

Et puis notre brasserie était le lieu où se retrouvaient les cadres, des hommes d'affaires qui parlaient de choses exaltantes. Ils appartenaient à la société Jacques Borel International, inventeur génial du fameux Ticket Restaurant, mais aussi des restaurants d’autoroutes, de la restauration collective, entreprise qui devait tellement compter dans ma vie professionnelle.

J’adore les métiers de la restauration (comme ceux de l’hôtellerie qui ont constitué l’essentiel de ma vie chez Accor) car ce sont des métiers d’accueil, de chaleur humaine. J’aimais prendre le temps de discuter avec les clients. Pour moi le restaurant est toujours une fête, c’est un moment d’humanité. La relation humaine est ce qui me porte encore aujourd’hui. 

Oui, j’étais fascinée par ce monde du business. Un vocabulaire à part et nouveau non enseigné à l’école : ordinateurs (ils occupaient la taille d’une grande pièce à l’époque) ,  cartes perforées qui accéléraient de manière magistrale le traitement des données, spreadsheets… J’entendais parler d’un actionnaire américain très exigeant, et je me disais “J’en ferai partie et je serai là-haut. Je serai de ceux qui décident ”.

Oui, je ne remercierai jamais assez M. Jacques Borel, qui a osé pousser les jeunes dans le grand bain. Pourtant j’étais une femme, j’avais 23 ans, je n’avais pas été formée pour ça - je terminais un DESS de Conjoncture économique. Alors que j’étais en stage, on me dit que le trésorier partait, et qu’on pensait à moi pour le remplacer, et j’ai dit oui immédiatement sans réfléchir. Cela s’est reproduit à plusieurs reprises dans ma vie. On m’a proposé un nouveau poste, quelquefois une création comme directrice de la Communication financière d’Accor et j’ai dit oui tout de suite. Je fonce, j’apprends ensuite, je bosse beaucoup. Mais aussi je me « marre ». C’est un élément important de travailler beaucoup, mais dans une forme de jouissance que je partageais avec mes équipes.

Accor a été créé avec la fusion Novotel - Jacques Borel International. L’entreprise a doublé de taille et sa culture a changé, dans un esprit très entrepreneurial. J’ai adoré. Très rapidement on m’a confié la direction du corporate finance coordonnant les financements internationaux (mon anglais m’a bien servi !). On ouvrait des hôtels partout dans le monde. J’ai beaucoup voyagé. J’ai adoré négocier à New York dans les cabinets d’avocats surplombant Rockfeller Center avec les banquiers d’affaires. J’étais à ma place en faisant vraiment du bon boulot avec peu de moyens. Il y avait un juriste et moi, et nous faisions une équipe d’enfer. J’ai appris le juridisme anglo-saxon, les règles de la finance internationale et aussi la vie galvanisante de New York. Des années exceptionnelles de Hard Work et de liberté.

J’ai organisé la communication financière du groupe, là aussi en disant immédiatement oui au Directeur financier qui m’avait convoquée dans son bureau pour me le proposer.

Nous étions à une époque où les investisseurs demandaient beaucoup d’informations, également prospectives. Cela impliquait une vision stratégique, en quoi les projets étaient robustes, apportant de la récurrence, des résultats sur le long terme. J’ai donc travaillé de manière très proche avec les formidables capitaines d’industrie qu’étaient Paul Dubrule et Gérard Pélisson, je n’avais même pas 30 ans. C’était incroyable. Ils me conviaient systématiquement en Conseil d’Administration, au cœur du pouvoir, à entendre, voir les comportements, les tensions, les fuites dans la presse. J’étais là-haut, au 27è étage de la Tour Montparnasse !

Le leadership féminin existe-t-il ?

Je reconnais que me suis toujours amusée, j’ai eu une paix royale, on ne me demandait pas de reporting, J’étais une des rares femmes dans le groupe à être au cœur du réacteur. C’était extrêmement enthousiasmant.

C’est une leçon sur le mode de management d’aujourd’hui. Faites confiance aux gens, et vous verrez , vous aurez de bonnes surprises. Bien sûr, j’étais pleinement consciente de mes responsabilités, très engagée et solide, je travaillais énormément. J’ai pu développer ce savoir-faire relationnel qui faisait que les investisseurs me faisaient personnellement confiance. Ma “brand equity personnelle” était un actif. 

Faites confiance aux gens, et vous verrez , vous aurez de bonnes surprises.

Eliane Rouyer-Chevalier

En 2009, Gilles Pélisson, neveu de Gérard et PDG de Accor à l'époque, m'appelle dans son bureau mi-août, 15 jours avant l’annonce des résultats semestriels, en m'indiquant que nous allions annoncer la scission du groupe en deux. Coup de tonnerre ! On a mis en place toute l’organisation en un temps record, une opération financière, humaine, organisationnelle horriblement complexe. Cela a été mené tambour battant en 9 mois.

Là encore j’ai eu un choix à faire, cornélien celui-là. Rester chez Accor ou suivre la nouvelle branche qui se créait et allait devenir Edenred ? Une fois de plus, spontanément j’ai répondu « Oui ». Oui à la création d’une nouvelle boîte à la fois forte de son histoire et du succès époustouflant du Ticket Restaurant dans plus de 40 pays et prenant son indépendance vis-à-vis du grand frère Accor.

Nous avons mis en bourse Edenred en juin 2010 et j’ai fait partie de la direction générale. C’est un magnifique succès industriel, avec un excellent parcours boursier qui s’est magnifié aujourd’hui. Et quand je vois, comme en ce moment, les grandes affiches publicitaires d’Edenred dans le métro, je suis fière d’avoir fait partie des pionniers et de voir comme le bébé a grandi. Une magnifique Succes Story.. Celle qui à 10 ans était déjà fascinée par le Ticket Restaurant âprement défendu par son créateur, faisait partie, quelques décennies plus tard, de l’équipe dirigeante d’Edenred ! La boucle s’est ainsi bouclée !

L’équilibre vie personnelle - vie professionnelle. Je n’étais pas la maman qui venait à 16h30 apporter le pain au chocolat à la sortie de l’école. Quand je vois ce que font les jeunes mères d’aujourd’hui pour leurs propres enfants, leurs trésors d'imagination et de dévouement, je me dis que je n'ai pas été à la hauteur. J’avais du monde à la maison pour m’aider : sans Fernanda leur nounou, je n’aurais jamais pu accomplir ce que j’ai fait. Je lui ai dit il n’y a pas si longtemps toute ma reconnaissance. Ce sont des femmes comme elles qui ont permis à des femmes comme moi, d’avoir ce parcours professionnel.

J’ai divorcé du père de mes filles. J’ai eu l’extrême bonheur de vivre ensuite 21 ans avec mon deuxième mari, Jean-Marie Chevalier grand spécialiste des questions d’énergie, enseignant à Dauphine. Ce fût une histoire d’amour exceptionnelle qui m’a tellement portée. C’était un être intelligent, cultivé, charismatique, dont le jugement était recherché par les plus grands de la planète tant il était toujours scientifiquement indiscutable, visionnaire et anticipant déjà les impacts sociétaux de la précarité énergétique, très novateur à l’époque car c’était quelqu’un d’engagé. Sa capacité à prendre du recul, à ne jamais avoir un jugement définitif sur les situations et les gens sont malheureusement tellement rares aujourd’hui. Elle me manque terriblement.

Je suis fière aujourd’hui d’avoir monté à Dauphine la formation Gouvernance & Climat, qui prolonge dans le monde de l’entreprise ce pour quoi Jean-Marie n’a cessé de militer.

Ce socle culturel, ces humanités, sont essentiels pour les dirigeants. Je suis parfois affligée de la façon dont les décideurs politiques, économiques restent à la surface des choses, sans les comprendre, sans injecter tolérance et ouverture qui restent des valeurs universelles et fondamentales aujourd’hui comme au temps de Rabelais.

Je me méfie de ces catégorisations, en général je trouve que c’est trop rapide et non fondé. Mais si je reviens sur mon cas personnel, je reconnais que j’avais un mode de management qui était exigeant, peut-être avec de la rudesse. Le modèle était celui-là, et - ce n’est pas une excuse - j’avais tendance à le reproduire. Je m’en veux aujourd'hui d’avoir été parfois dure avec mes collaborateurs et mes collaboratrices, de n’avoir pas assez été à l’écoute. Je pouvais être exigeante envers moi-même, mais j’aurais dû être plus attentive à certaines situations.

Leadership féminin

Aujourd’hui je suis plus « ronde », moins tranchante je pense. La coopération, la relation horizontale devraient s’imposer de soi. Ceux qui ont le courage de s'approprier ces valeurs dites “féminines” d’écoute, d’empathie, de proximité du terrain, de création de lien, sont extrêmement puissants. Il faut oublier le leadership féminin, ce n’est pas « genré ». Le manager homme comme femme, doit donner beaucoup de lui-même, être attentif aux autres, ses collaborateurs mais aussi ses clients et fournisseurs.

On arrive à travailler ensemble, parce qu’on est plus fort avec de l’intelligence collective, à condition de créer cet espace où l’on peut s’exprimer d’égal à égal.

Eliane Rouyer-Chevalier

Aujourd'hui on est moins dans un rapport de force dominant / dominé entre clients et fournisseurs, on peut travailler de manière horizontale, en réseau. On arrive à travailler ensemble, parce qu’on est plus fort avec de l’intelligence collective, à condition de créer cet espace où l’on peut s’exprimer d’égal à égal. On trouve des solutions sous la contrainte, parfois même plus intelligentes qu’avant.

Leadership féminin et leadership éclairé

Thérèse tu le dis très bien : “ La force de votre leadership, c’est l'alignement total entre ce que vous êtes et ce que vous faites pour prendre des décisions éclairées pour l’entreprise et la société , j’aurais pu écrire cette phrase. C’est pour ça qu’on s’est rencontrées.

C’est un sujet de cohérence. Il faut rester droit, dans son polygone de sustentation. Sinon tu perds l’équilibre et avec toi tes collaborateurs, tes clients, tes fournisseurs, tes investisseurs.

Cette structuration mentale et physique, cette force intérieure, une forme de spiritualité aussi, passe par un processus de construction. C’est ce que je dis à mes petits-enfants. Ça va sacrément secouer. S’ils n’ont pas un arrimage fort, ça va être vraiment compliqué pour l’humanité.

C’est une force interne, celle que vous développez dans votre méthodologie chez Mainpaces, une énergie mentale puisée dans une énergie physique.

Le deuxième appui est celui de la pensée. On voit trop souvent dans le dirigeant ou la dirigeante un homme ou une femme d’action. C'est insuffisant. Avant l’action, il faut la réflexion.Il faut s’autoriser à créer un espace de pensée, pour bâtir une conviction et construire ensemble l’avenir. 

Je crois profondément que l’entreprise peut sauver le monde. C’est ce qui m’intéresse dans mes postions au sein de Conseils d’administration.

Eliane Rouyer-Chevalier

Je crois profondément que l’entreprise peut sauver le monde. C’est ce qui m’intéresse dans mes postions au sein de Conseils d’administration. Je crois que l’entreprise offre le dernier rempart face à l’effondrement des institutions, la méfiance envers les élites et de tout ce qui représente le pouvoir. L’entreprise est par miracle un peu protégée. De manière générale, les gens aiment leur boîte, car l’entreprise a une formidable plasticité, une capacité à s'adapter.

Comme tu le soulignes également avec Mainpaces, le dirigeant doit accepter de prendre le temps de la réflexion, de s’octroyer une forme de retraite individuelle et collective loin du fracas du monde, et une forme de spiritualité.

Traduit en langage entrepreneurial, on parle de “Raison d’être”. C’est loin d’être un outil de communication corporate si c’est fait de façon authentique, car ça pose la question du pourquoi et du comment faire le business dans chacune des microdécisions quotidiennes.

Ceci prend d’autant plus d’acuité face aux défis inédits dus au réchauffement climatique, avec un accès plus limité aux biens essentiels tels que l’eau. Comment faire radicalement autrement dans une remise en cause du mode de civilisation qui a prévalu jusqu’à aujourd’hui ?

Je crois en la force de la circulation des idées, en une forme de communion. Tout cela est absolument vital pour ne pas se sentir seul, car le monde a atteint un tel niveau de complexité qu’on a besoin d’apprendre de tous, en permanence puisque tout avance à une vitesse fulgurante

Je crois en la maïeutique des relations humaines. Être ensemble pour être plus fort, développer de la gentillesse, de la joie communicative, de la convivialité, l’accueil de l’autre. Je crois que c’est courageux de le revendiquer aujourd’hui. Il faut faire confiance à l’autre. C’est comme ça qu'on permet à chacun d'exister et de donner du sens à ce qu'il fait.

Avec les défis qu’on a devant nous, les enjeux autour de l’eau, de la biodiversité, tout ce qui touche à l’essentiel du vivant, on doit apprendre à faire société. On n’entend que déflagrations, fractures, invectives, grossièretés, … Retrouvons cette verticalité pour revenir à des choses qui nous donnent de l’assise, de la force, du jugement, de la modération, de la subtilité.

J’ai eu des fonctions managériales, je donne des cours, j’ai des enfants et petits-enfants … je trouve que l’exemplarité est importante. On en revient à la cohérence. Si j’avais un seul mantra ce serait “dis ce que tu fais et fais ce que tu dis”. D’abord ça permet d’être debout, et puis c’est la force de l’exemple, c’est ce qu’on diffuse autour de nous. Je m’interdis de sombrer dans le pessimisme, ce qui n’enlève pas la lucidité. Nos enfants sentent bien que c’est dur pour eux, ce n’est pas la peine d’en rajouter. Il faut montrer cette foi dans l’Homme tous les jours, dans chaque geste. C’est notre grandeur et dignité.

Je pense qu’on a chacune et chacun notre part de responsabilité, dans ce que l’on est, dans ce que l’on fait, et dans le monde dans lequel on est partie prenante. On peut se désoler de ce que l’on lit et voit quotidiennement, mais dépassons tout cela et forgeons nous cette force mentale. Quel que soit son rang dans la société, on a de l’influence. Ce n’est pas une question de taille, agissons pour le mieux, et restons humbles.

Propos recueillis par Thérèse Lemarchand

Ariane Imbert est entraîneur de l’équipe de France de kitefoil pour les Jeux Olympiques de Paris 2024, ainsi que manager et coach mentale dans l'école de Kitesurf qu'elle a crée à Hyères. Ariane gère son rôle de coach de kite et d'entrepreneuse selon les mêmes principes. Pour elle, "Le capital confiance est un élément très important [...] Parfois il faut recadrer, mais quand ta base est de faire confiance, les jours où tu recadres ton message est écouté."

Audacieuse, énergique et inspirante, sa vision des projets de vie replace notre curseur d'aspirations au bon endroit, nous amenant à nous recentrer sur nos envies profondes. "Je me suis dit que le meilleur moyen de savoir ce qui se passe en compétition était de remettre un lycra sur le dos, et d’aller au front."

Cette interview nous donne envie de tenter, d'oser, de faire des erreurs et de recommencer. "Ce sont des touches de caractères qui génèrent de l’ambition. Les ambitions accompagnent les grands projets. Il y a rarement de grands projets sans ambition." Comme Thibault Cauvin, Ariane Imbert croit que "c’est important d’être rêveur, d’accepter ses rêves, et d’y aller (...) s'en rapprocher est joyeux !"

Interview réalisée le 13/11/2023 par Thérèse Lemarchand, CEO Mainpaces 

Ariane Imbert, sportive de haut niveau et entrepreneuse dans l'âme

Bonjour Ariane, tu es une figure incontournable du kitesurf français. Coach de l’équipe de France de Kitesurf pour les JO 2024, ton centre d’entraînement est devenu le Centre Régional d’Excellence Kitesurf d’Hyères (CREKH). Tu as un parcours de haut niveau, 5 fois championne de France, et 2 fois vice-championne du monde master. 

Quels ont été les moments clés / les tournants de ton parcours ?

Je suis niçoise, j’ai toujours été partagée entre la mer et la montagne, et ma première passion était le snowboard, donc j’ai fait du snowboard en compétition.

La compétition a toujours été difficile pour moi, j’ai vraiment le goût du défi et du challenge, mais en compétition je n’ai pas un bon mental. Comme je ne perçais pas dans le snow, j’ai du me débrouiller un peu. Pour payer mes compétitions je me suis investie auprès de mon club, j’ai monté un emploi jeune, et de 17 à 24 ans j’ai coaché des jeunes en parallèle de ma formation STAPS. Je n’avais pas le niveau en ski pour passer mon BE, donc j’ai arrêté, j’avais plus d’ambition que ça. J’ai arrêté, j’ai eu un surfshop et un snack à Isola 2000, et le parc aventure en été. Je me suis mariée tôt et j’ai eu un enfant tôt, à 24 ans.

Très vite j’ai réalisé que ce n’était pas du tout cela que je voulais faire, que je passais à côté de ma vie. J’ai déménagé à Hyères pour des raisons familiales et pour faire du kite, je me suis inscrite en STAPS pour refaire un master d’ingénierie physique, je me posais la question de faire de la psycho car toute la partie mentale m’intéressait déjà, mais ce qui m’intéressait le plus, c’était d’enseigner et de transmettre. Le naturel revenant au galop, j’ai passé mon BP de kite, et j’ai monté une école de kitesurf. 

J’ai amené les 3-4 premiers gamins que j’ai coachés en compétition, et il y a eu en parallèle la reconnaissance du haut niveau dans le kite. La Fédération s’est appuyée sur la dynamique que j’avais commencé à monter, et a créé le premier diplôme d'entraîneur à Quiberon, dont j’ai été la 1ere diplômée.

Mon mémoire portait sur la création d’un centre permanent d'entraînement à Hyères, je voulais le mettre en application, mais je n’avais pas assez de connaissance pour cela. Alors je me suis dit que le meilleur moyen de savoir ce qui se passe en compétition était de remettre un lycra sur le dos, et d’aller au front.

J’ai fait ma première compétition de kite pour le fun, puis j’ai échangé une semaine de formation contre une participation au championnat du monde où j’étais hébergée avec l’équipe de France. Je suis arrivée 4è à froid, alors je me suis prise au jeu, et de fil en aiguille, j’ai fait de la compétition de 2011 à 2016, pendant 5 ans. Être immergée dans la compétition m’a permis d’en apprendre tous les aléas.

En parallèle mon petit centre d'entraînement a gagné la reconnaissance ministérielle en tant que pôle espoir. Mes gamins gagnaient de plus en plus de médailles en freestyle et en race. J’ai demandé à la Fédération de monter une équipe de France jeune, ils ont tout déchiré. En 2016, j’ai été nommée cheffe du kite, et j’ai récupéré l’équipe de France en complément de l’équipe de France de kite jeunes. Je me suis retrouvée à gérer celles et ceux qui couraient avec moi.

J’ai eu ma fille, elle avait 3 mois ½  quand je suis partie faire un championnat du monde en Chine, alors que j’avais peu navigué en raison de ma grossesse, et que j’avais aussi à coacher 12 athlètes de la délégation. C’était trop dur, et très frustrant parce qu’en même temps ça marchait bien, mais je sentais que je me perdais.

A ce moment-là nous sommes passés de la Fédération Française de Voile Libre à la FFV (Fédération Française de Voile), et le Directeur Technique National (DTN) m’a demandé de faire un choix : “ Ariane, tu cours, ou tu coaches ”. J’avais 38 ans, plus d’avenir dans le coaching que dans la compétition. J’ai arrêté de courir, et je me suis mieux occupée de mon bébé, et de mes athlètes.

Mon école de kite a 14 salariés, c’est l’une des plus grosses structures en France. Derrière l’école, il y a le centre d'entraînement régional, nous formons en structure privée des jeunes jusqu’à ce qu’ils entrent au pôle espoir. Au pôle espoir, ce sont déjà des petits athlètes de haut niveau dans leur tête, à truster les podiums. Ensuite ils intègrent l’équipe de France jeunes, et ils deviennent tous champions du monde junior les uns après les autres. Et puis ils passent en équipe de France senior. On en est là, et il y a les Jeux Olympiques dans 8 mois. Axel Mazella est l’un des premiers athlètes de toute cette histoire.

En fait tu es une sportive de haut niveau entrepreneuse dans l’âme !

Oui, moi ce qui me fait kiffer c’est la gestion de projets, l’aventure de la création et du développement. C’est ce que j’aime vraiment.

Mon projet de vie était de monter 3 projets qui tournent tout seuls, et que j’aie du temps en étant en back-up derrière. Finalement sur les projets j’y suis, en revanche sur le temps je n’y suis pas du tout, ça c’est un échec total ! Mais à chaque fois j’en rajoute 🙂

Ariane Imbert et la préparation mentale

Tu es également coach mental, comment différencies-tu les deux dans tes entraînements, à quels endroits se répondent-ils ?

C’est un vrai sujet par rapport au code déontologique des coachs, et j’ai d’ailleurs fait mon mémoire de coaching sur les outils du coach que l'entraîneur peut utiliser pour ses athlètes. Quand tu coaches des athlètes ou que tu manages une équipe, indirectement tu fais de la préparation mentale. Pour moi, la préparation mentale c’est adapter des outils pour sublimer l’être humain mentalement, pour être aligné, se sentir bien, connaître ses zones de confort, ses zones de défis, se challenger, gérer le stress… Forcément ça va avec le physique, et pour moi cela s’adapte à un athlète et à n’importe qui.

"En préparation mentale comme en coaching, je pense que la base est l’alignement de la confiance en soi, de l’estime de soi, et de la motivation."

Ariane Imbert

Derrière, tu peux avancer dans n’importe quel projet qu’il soit sportif, artistique, intellectuel, entrepreneurial.

Tout est en lien. Ce ne sont que des outils au service de la personne et de ses désirs d’accomplissement.

Même si on intègre ces pratiques à l'entraînement, nos athlètes ont tous leur préparateur mental. C’est avec lui qu’ils font des séances spécifiques sur le sujet. Je suis très en lien avec lui. En fonction de ce qui se passe à l'entraînement et de ce qui pêche, je dis à l’athlète de vérifier tel ou tel sujet avec son préparateur mental, et je glisse un mot au préparateur mental. Cela donne des ouvertures.

As-tu des exemples à nous donner ?

Prenons l’exemple de la “Double tâche”. C’est la capacité à faire 2 choses en même temps pour entraîner sa lucidité. C’est essentiel pour nous. Notre activité est ouverte, il faut tout checker, la stratégie, la météo, le vent, le plan d’eau, les adversaires, le timing, et ensuite sa performance, son matériel, se centrer sur soi, respirer. Il faut faire tout ça en même temps, donc il faut vraiment que ça te percute sur plein de sujets à la fois. 

Les entrées pour y revenir seront un peu différentes selon les athlètes. Par exemple quand l’un se perd son process, son approche sera de se recentrer sur lui, ses sensations, son matériel - après il s’ouvrira vers sa trajectoire - ensuite l’adversaire, la tactique - et puis il y aura de la prise de décision, tout en gardant son discours interne, et les distractions à distance, c’est à dire sa concentration.

Par exemple, quand un athlète remonte au bateau alors que je l’ai vu faire une chute, je lui pose la question “ dans ta tête, tu étais où ” ? Il me répond “ à Hawaï “ 🙂 Il y a donc à ce moment un sujet de gestion des distractions, et ce sera intéressant de remettre un topo sur la concentration, ou peut-être de le recentrer sur ses objectifs. Peut-être qu’il y aura aussi autre chose à aller creuser, de la lassitude par exemple.

Quelles sont les autres ressources qui sont mises à disposition des athlètes ?

Ils ont tous autour d’eux un préparateur mental, un préparateur physique, des techniciens, des ingénieurs, un ponceur, un analyste qui va analyser les données sur logiciels, des kinés, un médecin… Ce sont des personnes extérieures au Centre avec lesquelles nous travaillons régulièrement. Cela permet aux athlètes de faire leurs choix, en fonction de leurs préférences personnelles et de leurs besoins du moment.

Par exemple pour les kinés, certains sont plus spécialisés dans des pathologies spécifiques, comme par exemple la cheville, d’autres sur les championnats sont plus sur du massage de récupération… Les athlètes adaptent leurs soins en fonction des spécialités des uns et des autres, et de leur besoin à l’instant t.

L'acquisition de liberté par la confiance, par Ariane Imbert

J’ai vu que tu accordes beaucoup d’importance au plaisir et à la créativité. Quels sont les ingrédients principaux qui composent ton coaching ? 

Mon objectif est surtout d’éviter la lassitude, donc j’essaie de leur faire des séances qui changent, qu’on fasse de la routine sans qu’ils en aient l’impression. J’essaie de leur tendre des pièges, de les surprendre, d’y mettre côté ludique, à la fois pour stimuler leur vigilance comme nous en parlions, et pour qu’ils aient plaisir à naviguer 2h30 sans voir le temps passer.

Ils font beaucoup de navigation en autonomie, à l'entraînement je cherche à créer la différence, à apporter vraiment de la valeur. C’est ce qui les motive le plus, de sentir qu’ils continuent à progresser, et d’avoir la sensation de ne pas perdre leur temps.

Comment déploies-tu les habiletés et compétences que tu as développées en sport de haut niveau dans la gestion de tes entreprises, est-ce qu’elles t’aident ? 

J’ai toujours fait du coaching, du sport de haut niveau, et je gère mon entreprise en parallèle. Je le fais naturellement, de la même manière que je gère mes sportifs de manière spontanée et naturelle. 

Le coaching m’est utile pour mon entreprise. J’ai envie que mon équipe de salariés s’épanouisse, qu’ils soient contents de venir au boulot avec le smile.

Ils ont carte blanche sur la gestion de projet. Je leur demande de faire ce qu’ils disent, et je mets les moyens pour ça. Ça leur donne un espace de liberté, à la fois pour ouvrir des portes, et aussi pour trouver des réponses aux problématiques qui se présentent. Ce que je ne supporte pas en revanche dans l’entreprise sont les personnes qui apportent des problèmes ou des envies et ne proposent pas de solutions. 

Quand ça ne va pas, on a droit à l’erreur. On en discute, cet échec doit servir à tout le monde, c’est comme ça que tout le monde avance. En revanche quelqu’un qui va faire une connerie, casser du matériel, rater son entraînement, et ne va pas le dire, sort de mon estime. Le capital confiance est un élément très important pour moi. On m’a reproché parfois d’être un peu naïve, de trop faire confiance aux gens. Mais je ne crois pas, je trouve cela hyper important. Ça permet d’être à l’écoute.

"Parfois il faut recadrer, mais quand ta base est de faire confiance, les jours où tu recadres ton message est écouté."

Ariane Imbert

Globalement dans l’entreprise j’aime quand il y a une bonne entente, pas de conflit. Nous sommes des adultes, et quand il y a un sujet on se parle. Il faut aussi se rappeler qu’il y a beaucoup moins d'enjeux personnels que pour les athlètes. Il n’y a pas de hiérarchie, à part moi qui fait les chèques à la fin du mois, et qui recadre quand c’est nécessaire. Après, chacun connaît ses missions, et sait ce qu'il a à faire. Tout le monde est différent, chacun a pris des tâches qui lui correspondent plus, et ça se passe plutôt bien.

Ariane Imbert : l'alignement, clé de la réussite à haut niveau

Tu as mentionné les valeurs comme quelque chose d’essentiel. Quelles sont les valeurs qui te guident et que tu appliques dans tes métiers ?

Ma valeur première personnelle est la famille.

Dans mon école j’ai envie qu’il y ait plus une image de famille que celle d’une usine ou d’une grosse structure. Cette valeur, je l’ai un peu aussi avec les athlètes. Quand on arrive à l’entreprise ou à l'entraînement on se dit bonjour, on est contents de se retrouver. 

Et puis il y a le sujet de la persévérance, surtout à l’entraînement. Elle emmène avec elle le fait de ne jamais renoncer, et d’aller jusqu’au bout de ce que l’on fait. On n’a rien sans rien, ça n’arrive pas comme ça. Il faut un peu bûcher et se dépasser pour y arriver. 

Est-ce que tu arrives à faire travailler tes sportifs en équipe ? 

Le partage dans le haut niveau est essentiel, je crois que tout ce qui n’est pas donné ou partagé est perdu. Dans notre sport, c’est plus compliqué car c’est un sport individuel, mais c’est un collectif quand même. Jusqu’à présent les athlètes collaboraient à fond, sur le matériel, la technique, les sensations, ils avaient un bon niveau de partage. 

Depuis le mois de Mars, avec les Jeux Olympiques qui arrivent, ça se dégrade. Il n’y aura qu’un seul sélectionné chez les garçons comme chez les filles, et il n’y a pas de pré-sélection comme en voile olympique. Les sélections seront annoncées début Avril 2024, et ils sont tous en observation aujourd’hui. J'entraîne 7 personnes pour les JO 2024 dans le collectif kite, 4 garçons et 3 filles. Les tensions sont apparues d’abord chez les garçons, maintenant elles sont aussi là chez les filles. C’est compréhensible au regard de l’enjeu, et c’est également très difficile, on sent de l’adversité au quotidien.

Quelle est la qualité essentielle pour toi pour réussir à très haut niveau, que ce soit sportif ou entrepreneurial ?

Être alignée. C’est la capacité à être alignée. Chacun a ses atouts, l’un va être plus talentueux, l’autre plus laborieux, l’autre plus fort, le quatrième plus lourd (le poids est important dans notre sport).

"A la fin, c’est quand même celui qui est le plus au clair avec lui-même qui arrive à se dépasser, à basculer les limites, à faire tomber les croyances limitantes. "

Ariane Imbert

Celui qui n’est pas au clair avec lui-même rate toujours à un moment donné. On retrouve systématiquement des foirades répétitives, ils refont les mêmes erreurs.

Je suis complètement d’accord avec toi, et l’alignement est à la base de notre coaching génératif. On retrouve ça aussi dans le milieu économique, des schémas de répétition. Il y a des freins émotionnels à aller lever pour que la personne puisse s’exprimer pleinement et ne plus mettre en oeuvre des conditionnements qui ne sont plus appropriés.

As-tu une maxime dans la vie ? Comment cela se caractérise-t-il, qu’est ce que ça t’apporte ?

Ma fille va te les dire !  [ j’entends la voix chantante de sa petite fille derrière 🙂 ]

Sans vitesse, on ne fait rien

Quand on veut on peut

Qui ne tente rien n’a rien

Si tu ne fais rien, il ne se passera rien ” 

[ Et Arianne ajoute : ]

Détends-toi Simone, ça va bien se passer “.

Ca c’est ma petite phrase clé 😅

Tout ça c’est plus pour aller de l’avant et se rappeler qu’il faut oser, se dépasser, tenter, accepter ses erreurs, recommencer, saisir les opportunités, être curieux, ouvert à la vie. Ce sont des touches de caractères qui génèrent de l’ambition. Les ambitions accompagnent les grands projets. Il y a rarement de grands projets sans ambition.

Et puis à côté de cela je crois que c’est important d’être rêveur, d’accepter ses rêves, et d’y aller. On a tous des rêves, s’en rapprocher est joyeux.

Y-a-t-il un dernier message que tu voudrais passer à ceux qui nous lisent ?

Croyez en vous, et faites ce dont vous avez vraiment envie ! On en est tous capables. On n’a qu’une vie, elle est là pour que l’on s’y épanouisse.

Propos recueillis par Thérèse Lemarchand

Coaching exécutif, coaching intuitif, coaching philosophique, coaching ontologique, coaching existentiel, gravitas leadership … Le coaching génératif satisfait-il un effet de mode ou correspond-il à une démarche de fond innovante et prometteuse ? 

Dans cette interview à bâtons rompus, nous vous proposons de découvrir le coaching génératif, développeur de congruence et de conscience de ce que chacun génère, d’en comprendre les fondements scientifiques, inspirations philosophiques, avantages, limites et applications concrètes.

Interview de Thérèse Lemarchand, CEO et fondatrice de Mainpaces,

réalisée par Fabrice Daverio et Andrée Kintzinger le 10/11/2023

Bonjour Thérèse, peux-tu expliquer en quoi consiste le coaching génératif, et comment il se différencie des autres approches de coaching ?

Le coaching génératif Mainpaces prend compte toutes les dimensions de la personne, physique, mentale, et énergétique, pour l’accompagner sur son chemin de développement. 

Il s'appuie sur le coaching génératif développé par Robert Dilts et Stephen Gilligan, et tire son nom de notre mode de fonctionnement. Notre intelligence réelle est générative. A partir des données stockées, conscientes et inconscientes (ce que nous savons mais qui est non accessible d’un point de vue verbal, éventuellement refoulé) de la perception en temps réel des informations transmises par nos sens, notre cerveau formule des hypothèses probabilistes et nous amène à faire des choix, à prendre des positions, à agir.

Les difficultés naissent de nos automatismes, de nos conditionnements, de nos représentations figées et biais cognitifs qui nous amènent à avoir des comportements inadaptés dans certaines situations. Plus les situations se complexifient, plus ces automatismes sont stressables. 

On voit ce que peut donner une IA générative lorsque le jeu de données qu’on lui injecte est biaisé, et le risque que cela représente en termes de désinformation. C’est la même chose pour nous, en beaucoup plus sophistiqué. 

Aujourd’hui nous évoluons dans une complexité croissante, avec l’accélération des volumes d’échange, de la vitesse de ces échanges, et de leur hétérogénéité. En tant que dirigeants, personnes d’influence et de responsabilités, nous devons élargir notre vision du monde, accueillir la complexité, mieux comprendre nos modes de fonctionnement, et développer de nouvelles manières d’agir. C’est un enjeu majeur pour l’humanité.

Le coaching génératif que nous déployons nous accompagne sur ce chemin.

Il se base sur deux principes clés :

-       élargir notre conscience, en intégrant de nouvelles données perceptives et mentales, de nouvelles représentations, en permettant de décortiquer les expériences vécues pour en tirer des enseignements. La conscience est une expérience informative et intégrée.

-       améliorer notre alignement corps-mental, grâce à ces perceptions plus fines, plus vives, et mettre en cohérence nos valeurs, nos intentions, nos manières d’agir. Diminuer les conflits internes permet de gagner en énergie et de se déployer pleinement.

Le coaching génératif est un coaching très profond. Il met en mouvement, il agit très puissamment sur notre motivation et sur le développement de nos capacités, en cohérence avec nos valeurs et notre dimension spirituelle.

Quels sont les principes fondamentaux du coaching génératif Mainpaces et comment sont-ils concrètement appliqués dans les accompagnements ?

l’approche est coordonnée : le coach exécutif est le fil rouge – interlocuteur principal de la personne. Il coordonne la petite équipe qui sera rassemblée autour de la personne pour l’accompagner

les décisions relatives au parcours sont collégiales, et sont prises par le coach, l’expert envisagé sur le sujet donné, et un membre tiers.

Le coaching est une approche réflexive qui a fait ses preuves lorsqu’elle est portée par des personnes compétentes. Avec son expertise du questionnement et des systèmes à l’œuvre chez la personne et dans les organisations, une attention portée à la personne, une expérience de la vie et des organisations – ici des postes de direction, le coach joue un rôle de miroir, permet de prendre un temps de recul et de porter un nouveau regard sur les choses, facilite la structuration de la pensée et des actions, stimule la motivation, accompagne le mouvement et le changement.

Mais la réflexion n’est pas la seule porte d’entrée de l’humain, et le mental est parfois complètement surinvesti dans les milieux économiques. Cela peut amener les personnes à avoir des structures de pensée surpuissantes, être dissociées de leur corps, à avoir des perceptions étroites, des automatismes délétères. Nous avons tous des schémas de répétitions issus de notre histoire personnelle ou intergénérationnelle... C’est un millefeuille très complexe qui nous agit. Les différentes pratiques (préparation physique, préparation mentale, ostéopathie, hypnose, énergétique chinoise, communication, conscience et respiration,…) permettent de lever les freins émotionnels, les tensions physiques, de faciliter des apprentissages.

Ce type de coaching a-t-il une antériorité, est-il déjà pratiqué dans d’autres pays et avec quels résultats ?

Cette approche pluridisciplinaire est issue du sport de haut niveau, où de telles équipes sont mises en place pour accompagner les athlètes dans un objectif qui est la réalisation de performances qui sortent de l’ordinaire, dans des environnements où l’enjeu, la pression, le niveau de compétition sont extrêmes. Les résultats sont là, ce sont ceux d’un Novak Djokovic, d’un Armand Duplantis, d’une Gévrise Emane ou Pauline Ado.

J’ai souhaité transposer cette approche aux dirigeants pour ces mêmes raisons, car ils font face à des niveaux d’enjeu comparable et on ne prend pas suffisamment soin d’eux en tant que personne. C’est très préjudiciable pour eux, pour les organisations qu’ils dirigent, et in fine pour le monde quand les décisions prises sont mortifères.

D’ailleurs le coaching en soi est une pratique issue du sport, ouverte par Thimothy Gallway. Dans son livre publié en 1974 « The inner game of tennis » T.Gallwey a été l'un des premiers à présenter une méthode complète de coaching pouvant être appliquée à de nombreuses situations. Il s'est retrouvé à donner des conférences plus souvent à des chefs d'entreprise aux États-Unis qu'à des sportifs, et à déployer sa méthode dans d’autres domaines sportifs et dans le business.

Le principe de la générativité a été théorisé par C. Otto Scharmer dans son ouvrage Théorie U. Il souligne qu’envisager le futur avec des cartes mentales du passé, ne peut aboutir qu’à plus de la même chose, ce que disait d'une autre manière Albert Einstein en disant "la folie c'est de faire toujours la même chose et de s'attendre à un résultat différent" .

Cette approche est aussi dans la lignée d’une certaine philosophie orientale, qui considère la personne dans toutes ses dimensions. Le yoga intègre la pratique physique à travers les asanas, la respiration (pranayama), la concentration (dharana), la méditation (dhyana), pour permettre à la personne de développer la conscience de son interconnexion au monde et atteindre la félicité. C’est originellement une pratique profondément spirituelle qui intègre ces notions de corps, d’énergie, de mental, de conscience – avec son pendant l’inconscient.

Coaching génératif : peux-tu préciser quel est son socle scientifique ?

Les neurosciences sont notre socle scientifique. Elles nous donnent tellement de clés de compréhension sur notre mode de fonctionnement ! 

-       ce que sont les émotions et comment elles se manifestent dans le corps, leur impact fondamental sur la motivation, 

-       ce qu’est la conscience

-       les enjeux de sommeil, d’éveil et de vigilance[2]

-       le fonctionnement du système de récompense[3][4]

-       comment une posture peut influencer notre état mental[5]

-       comment une pratique de visualisation peut nous entraîner, car le cerveau ne fait pas de différence entre une expérience vécue et une expérience simulée,

-       comment l’hypnose peut nous aider à changer de représentation en changeant de fréquence de synchronisation neuronale etc… la liste est infinie

Les neurosciences, la neurophysiologie nous expliquent à la fois comment on fonctionne et pourquoi telle technique peut être efficace. Elles donnent de la rationalité à des approches qui autrefois pouvaient sembler ésotériques.

A partir de là, le rôle des accompagnants est de détecter les enjeux prioritaires, et la bonne manière de les adresser. Ça c’est tout le cœur de notre savoir-faire : avoir la bonne personne et la bonne approche. Il s’agit également de créer une alliance avec la personne accompagnée. C’est un cheminement commun, nous sommes côte à côte.

Quels sont les avantages et les bénéfices potentiels du coaching génératif pour les bénéficiaires et les organisations ?

Les avantages pour la personne sont le développement de sa motivation en lien avec ses désirs profonds, son alignement, la meilleure utilisation de ses ressources, et le développement de ses capacités. Globalement en conséquence, plus de sérénité et plus de joie.

Cela ruisselle sur les organisations qu’il ou elle dirige, qui deviennent plus humanistes, plus conscientes, plus respectueuses de l’environnement et de la vie. De l’écologie personnelle, le coaching génératif nous emmène vers un leadership génératif, conscient de ce qu’il génère, intégrant l’écologie globale.

Existe-t-il des situations où cette approche est contre-indiquée et pourquoi ?

Pas vraiment, mais elle n’est pas miraculeuse non plus. Le coaching génératif accompagne les dirigeants dans leurs enjeux d’accomplissement professionnels et personnels car c’est intimement lié, ce n’est pas une approche médicale. En conséquence, si la personne a des problèmes de santé, des besoins de thérapie, elle doit se tourner vers les professions concernées.

Il s’agit également de ne pas multiplier les pratiques, d’accepter les constantes de temps physiologiques et d’évolution personnelle, et d’être extrêmement attentifs à l’éthique des experts avec lesquels on travaille. Les coachs et experts doivent être compétents, formés en continu, insérés dans la vie et le monde économique, prendre leurs responsabilités en tant que citoyens. Ils doivent incarner profondément cet humanisme que l’on propage.

Enfin, la situation dans laquelle cette approche est contre-indiquée est si la personne n’en veut pas. Elle repose sur son engagement, sur sa motivation personnelle. Elle intègre un certain goût de l’effort, et une envie de mieux se connaître.

Le coaching génératif est-il compatible avec le coaching d’équipe et quels sont ses avantages ?

Oui, nous faisons également du coaching d’équipe, de Codirs / Comex.. 

Il s’agit au départ pour le système composé par le groupe d’avoir une intention commune, une recherche de cohérence, et de meilleure utilisation de ses ressources. 

Nous partons en général du bilan Leaderpaces © que nous avons développé, qui nous permet de distinguer les endroits où le groupe est fort de façon homogène, peut progresser de façon homogène, où se situent les hétérogénéités qui sont sources de richesses mais également risques de conflits ou d’incompréhensions, et nous déclinons l’accompagnement, pour tout le groupe.

A l'issue de ces accompagnements le groupe fonctionne mieux, il est plus organique, plus vivant.

On hybride aussi des coachings individuels avec du coaching d’équipe pour de l’hyper sur-mesure, et c’est très puissant. Nous faisons également du coaching génératif pour des groupes de dirigeants, comme lors de Vibes 3D, qui se déroulera du 28 février au 1er Mars 2024 (les inscriptions sont ouvertes !) 

Peux-tu partager un exemple concret d'un cas où le coaching génératif a eu un impact positif sur la vie d'une personne ou d’une équipe ?

C’est heureusement le cas pour toutes les personnes que nous avons accompagnées (près de 100 en intégrant l’individuel et le collectif), sauf une qui n’a pas adhéré à l’approche et n’a pas souhaité aller au bout de son parcours.

Ce que l’on peut mettre en évidence sont les différents moments de vie professionnelle que l’on retrouve très régulièrement :

-       pré levée de fonds, quand il s’agit de changer d’envergure, et de se préparer physiquement et mentalement à une épreuve qui peut s’avérer extrêmement difficile, un gros challenge

-       post levée de fonds, ou post nomination, quand il s’agit de passer un cap, de faire face et d’impulser des changements, des transformations d’organisation, d’intégrer des profils très reconnus, de diriger des boards difficiles, ..

-       dans les situations de désalignement (de soi et de l’entreprise, entre associés, …) ou de conflits

-       après un exit, quand il s’agit de se redéfinir, d’aller rechercher des motivations profondes, un projet professionnel aligné avec son projet de vie

-       quand on n’y voit plus clair, ce moment que j’appelle « j’en peux plus de cette boite ! » où l’on se sent englué, dans un mode de fonctionnement qui patine ou dont on n’arrive pas à sortir, quand notre cerveau ultra-rapide nous submerge, et nous coupe de l'extérieur

-       et tous les enjeux d’équilibre pro-perso, intégrant le pré / post burn-out…

Comment évalues-tu l'efficacité du coaching génératif ?

Au début de chaque parcours le bénéficiaire détermine ses objectifs avec son coach, et les indicateurs de résultats associés. En fin de parcours il réalise un bilan avec son coach sur la base de ces objectifs. 

Je fais également toujours un rendez-vous de feedback plus qualitatif à l’issue des accompagnements.

Mais je crois que l’évaluation se fait aussi dans l’observation, et je suis parfois éblouie par les changements physiques qui s’opèrent chez les personnes que Mainpaces accompagnent, qui se redressent, rayonnent, retrouvent un sourire et une tonicité qu’ils n’avaient pas en arrivant. Ce sont les plus belles de nos récompenses.

Comment vois-tu l'avenir du coaching génératif ?

Je pense que cette forme de coaching va se développer. Nous sommes très en avance aujourd’hui sur le sujet, car c’est une approche complexe du coaching, qui impose à la fois d'accueillir chaque personne comme un être unique avec une bonne compréhension des enjeux de ce qui constitue notre humanité et de ce qui se joue au sein des systèmes, des compétences rares à rassembler et à coordonner, des enjeux logistiques... Notre travail est de gérer la complexité, et de la rendre ultra-fluide pour nos clients.

Mais j’imagine que d’autres vont s’y mettre, car cela répond à un besoin essentiel.

Penses-tu que le coaching génératif répond à des évolutions socio-économiques et en particulier à des changements profonds des relations au travail ?

Oui, complètement. La première des évolutions est celle de la complexité croissante dont je parlais au départ. L’augmentation des masses d’échange, de leur rapidité et de leur hétérogénéité crée une incertitude, une interconnexion, et une interdépendance croissantes. En tant que dirigeants, cela nous impose de progresser très significativement, de développer notre conscience pour s’approprier pleinement ces enjeux, de poser les limites nécessaires, de comprendre où se joue notre croissance et notre liberté en relation avec la vie… C’est un nouvel apprentissage, il est difficile à faire seul.

La complexité du monde implique plus de contemplation, et plus de discernement. Notre rapport au temps est faussé par l’ampleur des sollicitations qui viennent de l’extérieur et prennent le dessus sur nous comme une nuée. Un nouvel équilibre intériorité - extériorité est fondamental pour aider l’humanité à répondre aux enjeux vitaux auquel elle est confrontée, et réouvrir la possibilité d’un vrai choix et de la capacité à le défendre.

La deuxième évolution est la déshumanisation du monde du travail, portée par les évolutions technologiques qui augmentent la distance entre les personnes, et transforment ce qui était un espace de vie - où l’on passait plus de la moitié de notre temps éveillé en semaine, en un espace virtuel transactionnel , où des tâches et des objectifs doivent être réalisés en un temps donné. L’apprentissage par compagnonnage, observation, transmission se perd, une forme d’hyper-agitation se déploie quand tout le monde commente tout tout le temps sans hiérarchisation des contenus et des besoins. 

D’où les enjeux criants de motivation et de sens, et de repli sur soi, allant jusqu’à la peur de la rencontre de l’autre. Nombre de personnes aujourd’hui ont peur de prendre leur téléphone pour parler, d’aller en rendez-vous pour rencontrer,.. ils se concentrent sur des sommes de micro-messages texte qui appauvrissent radicalement l’échange et sont sources d’incompréhension majeures. On ne prend plus le temps de se comprendre vraiment, et on perd tellement de ce fameux temps, derrière. Le coaching génératif remet l’humain au cœur. Il nous aide à comprendre ce qui se joue, les mécanismes qui nous agissent, nos motivations et valeurs profondes, notre dimension spirituelle, et à voir l’autre comme un être vivant avec lequel nous sommes totalement interconnectés. C’est passionnant, et c’est extrêmement riche. C’est la base de l’Amour.

La troisième évolution est celle des enjeux vitaux du monde, le réchauffement climatique, la chute de la biodiversité, l’augmentation des pollutions qui nous empoisonnent. C’est un impératif vital. Il faut changer de braquet maintenant. Penser et agir juste, avec énergie. Pour cela, je crois que seul le fait de comprendre et d’intégrer que nous faisons partie d’un tout, de cet environnement, du vivant, et que nos corps souffrent, peut nous faire bouger radicalement.

Notre plus gros challenge aujourd'hui n'est pas d'affiner les chiffres des risques dans lesquels nous nous sommes plongés en tant qu'humains, on les connaît suffisamment, et depuis plus de 30 ans. Notre plus gros challenge est de prendre des décisions en faveur de la vie.

Être aligné avec la vie implique d'être conscient de qui l'on est, de ce que l'on vit, de ce que l'on perçoit, de ce que l'on génère. Il y a des caps à passer, un dialogue intérieur à verbaliser, une attention à orienter, des motivations à ressentir, pour que la conscience de ce qui est important pour nous, prenne plus de place que ce qui ne l’est pas.

C’est ce que j’appelle le leadership génératif, un leadership conscient de ce qu’il génère, et qui agit en faveur de la vie. 

La complexité, l’humain, le monde, sont au cœur du coaching génératif.


[1] Définition OMS de l'ostéopathie

[2] Faire la lumière sur notre activité nocturne

[3] Le striatum, région du cerveau responsable de notre inaction face au dérèglement climatique

[4] Le circuit de la récompense

[5] Neuroscience : "Nous avons 7 sens, et les 5 plus connus sont les moins importants"


Philippe Hayat est entrepreneur, auteur, citoyen engagé dans l'enseignement et l'associatif, et également père. " J’ai eu envie d’additionner des vies qui auraient pu se suffire à elles-mêmes. Les mener ensemble de la façon la plus professionnelle qui soit m’a amené à développer un entraînement de sportif. "

Trois moteurs profonds l'ont guidé dans ces aventures, l'entrepreneuriat "quand on entreprend, on persévère dans son être, tout part d’une envie profonde, d’un talent, d’une passion, tout part de soi", l'écriture "une sensibilité que j’ai besoin d’exprimer", et la transmission, nourris d'un instinct de liberté très fort.

Comment Philippe Hayat orchestre-t-il toutes ces activités ? Dans cette interview, Philippe Hayat partage sa gestion du temps. "Conjuguer plusieurs vies m'oblige à avoir la latitude d’organiser moi-même mon emploi du temps, dans une gestion à la fois très agile et extrêmement précise. [...] Et comme des sujets prioritaires peuvent être aussi très urgents et apparaître du jour au lendemain, je ne fais jamais un emploi du temps où j’enchaine sans plage de respiration."

Puissance de l'intention, qualités et enjeux des entrepreneurs aujourd'hui, importance de l'éducation, dans ce monde qui change et devient extrêmement complexe, Philippe Hayat nous invite à "croire en sa chance" et "trouver une voie d'expression qui correspond à son être intime, et qui fait qu'on y réussit".

Interview réalisée le 13/09/2023 par Thérèse Lemarchand, CEO Mainpaces

Phillipe Hayat, père, entrepreneur, auteur, et citoyen engagé

Bonjour Philippe, vous êtes entrepreneur, auteur, et citoyen engagé en faveur du développement de l’entrepreneuriat, à travers votre fonds d’investissement Serena Capital, et également à travers 100.000 entrepreneurs et les filières entrepreneuriat que vous avez lancé à l’ESSEC et à Science Po.

Qu’est-ce qui vous a permis de le faire, et qu’est ce que vous avez eu de plus dur à dépasser au cours de cette carrière ? 

Le plus difficile a été d’ouvrir plusieurs portes, et d’être professionnel dans chacune de ces voies. 

J’ai voulu être un père très présent, être là le mercredi, ne pas rentrer tard le soir, être présent pendant les vacances scolaires.

J’ai été entrepreneur à la découverte de secteurs qui m‘intéressaient. Je souhaitais réinventer la technicité de ces secteurs, agir dans les phases de structuration - développement, et une fois sur les rails, découvrir de nouveaux secteurs d’activité. J’ai fait cela en séquentiel dans 5 entreprises, sur des cycles de 5 - 6 ans. 

Ma dernière aventure entrepreneuriale est le fonds d’investissement Serena. Nous sommes maintenant une équipe de 30 personnes, et nous continuons à ajouter des verticales d'investissement de plus en plus à impact. Nous essayons de transformer ce métier de façon à ce que les résultats financiers ne soient pas les seuls critères d'investissement. Je suis également associé d’Arlettie, leader européen de la vente privée dans le monde du luxe en très forte croissance.

J’ai souhaité transmettre. Je suis enseignant à l'ESSEC et Science Po - salarié de ces écoles, et j’y ai développé depuis les années 90 la filière entrepreneuriat - en parallèle de tout le reste, avec une volonté de changer la donne. J’ai créé une filière, avec l’implication d’un professeur permanent. 

Chemin faisant je me suis posé la question de pourquoi encourager les Bacs + 5 à entreprendre, alors qu’ils sont déjà bien outillés ? J’ai voulu inciter les jeunes dès la 4ème, car c’est le moment où commencent à se poser les questions d'orientation. J’ai créé l’association 100 000 entrepreneurs, pour exprimer par la force du témoignage ce bonheur d’entreprendre. Là encore je me suis dit que je n’allais pas juste faire quelques interventions à droite à gauche. Mon raisonnement a été le suivant : il y a environ 6 millions de jeunes en France, dans des classes de 30. Si on veut les toucher tous, il faut faire 200.000 interventions par an, soit réunir 100.0000 entrepreneurs qui en feront 2 chacun. On a déjà sensibilisé 1 million de jeunes, on est très massifs, on sensibilise 120.000 jeunes par an aujourd’hui. On avance vers le témoignage d’un entrepreneur entendu au moins une fois dans ses études secondaires par chaque jeune en France. 

Ensuite j’ai commencé à écrire des essais pour ces jeunes, car quand on entreprend, on persévère dans son être, tout part d’une envie profonde, d’un talent, d’une passion, tout part de soi. Je crois que ce que ces jeunes reçoivent chaque jour les éloigne trop d’eux même. On leur envoie tellement d’anxiété qu’ils ne croient plus en eux, en l’avenir, en leur pays, en leur liberté, ils perdent de vue leur propre talent. J’ai fait quatre essais sur le fait de se retrouver, de retrouver le bonheur de s’exprimer à partir de ce que l’on est. Et puis j’ai commencé à écrire tous les jours, et à force j’ai eu envie de raconter des histoires. J’ai écrit 3 romans qui ont vécu leur vie, que j’ai édité, fait connaître, qui ont été publiés en poche... Je voulais que mon écriture ait une vraie consistance aussi.

A chaque fois que j’ai ouvert une porte, j’ai voulu le faire avec des critères très professionnels, jamais en amateur. Chaque aventure est une chouette aventure, qui est difficile mais pas plus qu’une autre. On peut passer sa vie à être entrepreneur, à être père au foyer, à écrire des romans, à être un citoyen engagé. J’ai eu envie d’additionner des vies qui auraient pu se suffire à elles-mêmes. Les mener ensemble de la façon la plus professionnelle qui soit m’a amené à développer un entraînement de sportif. Cela m'oblige à plein de choses, sinon j’y laisse ma santé. Je sors sans cesse de ma zone de confort dans le cumul de ces quatre vies.

Quel a été votre moteur pour réaliser tout cela ? J’ai l’impression d’une forme de détermination assez inhabituelle à mener les choses de front, dans la quête d’un accomplissement global sans lequel vous n’auriez pas été satisfait.

Quel était ce moteur intérieur qui vous a poussé à vouloir mener en parallèle ces réalisations ?

Je n’ai voulu renoncer à rien. Mener une vie professionnelle dense au point de ne pas avoir de vie de famille était impensable. Je n’avais pas envie de passer à côté de ça. Ça m’a déjà beaucoup contraint en termes de bande passante pour le reste.

Je me rends compte maintenant que j’ai 3 moteurs qui correspondent profondément à ce que je suis :

Je pense que l’entrepreneuriat et l’écriture s’enrichissent beaucoup l’un - l’autre. On ne fait pas travailler les mêmes connexions neuronales. Quand ces zones du cerveau travaillent ensemble, chacune muscle l’autre.

Je n’ai voulu renoncer à aucun d’eux, à aucun moment je n’ai voulu me dire c’était impossible. Je ne voulais pas me mettre dans une situation de regret.

"J’avais envie de me créer toutes les opportunités d’aller au bout de mes envies intimes."

Philippe Hayat

En amont de tout ça, je crois que j’ai chevillé au corps un instinct de liberté très fort. Je n’ai jamais voulu me laisser enfermer dans une façon de faire qui ne correspondait pas à mes envies propres. J'accepte les règles du jeu du domaine où je suis, d’en prendre plein la tête (de travailler comme un fou pendant mes études, de prendre de mauvaises décisions, d’avoir peu de lecteurs, …), mais je ne supporte pas qu’on me dise ce que j'ai à faire. C’est la raison pour laquelle j’ai fait l’ESSEC après l’X, ce qui ne se faisait pas du tout à l’époque. J’ai adoré Polytechnique, mais je ne me voyais pas emprunter un couloir pour 40 ans dans une des voies de l’époque. J’ai horreur de me laisser enfermer dans quelque chose où une routine pourrait m’empêcher de me réinventer, je ne pouvais pas avoir de patron. 

Philippe Hayat et la gestion du temps

Comment faites-vous pour organiser cela ?

Conjuguer plusieurs vies m'oblige à avoir la latitude d’organiser moi même mon emploi du temps, dans une gestion à la fois très agile et extrêmement précise. Je n’ai pas de secrétaire, personne ne prend de rendez-vous à ma place. Je suis le plus apte à juger qui je vois quand. Chaque jour je visualise le panorama de tous les sujets clés de mes activités. Je ne fais pas une chose sans me demander si c’est un sujet prioritaire.

Cela m’a demandé de trouver les bons associés. Dans chacune des activités que je mène je suis associé avec des gens qui tiennent la boutique au quotidien : un binôme d’associés chez Serena, un binôme d’associés chez Arlettie, une déléguée générale chez 100.000 entrepreneurs. Ce sont des gens exceptionnels, dans les trois cas de très bons entrepreneurs, qui font que je dors sur mes deux oreilles au quotidien. Du coup mon implication est une implication de matière grise. J’ai dû me détacher de l’exécution au quotidien. Aujourd’hui mon apport se situe sur les sujets de prospective, de stratégie, de talents, d’ingénierie financière,... tout ce qui se fait qu’une boite se développe, les sujets de board en quelque sorte. Pendant très longtemps j’ai eu une vie d’entrepreneur, d’enseignant, et de père de famille. Je n’ai pu commencer la vie d’écriture et mon association que lorsque j’ai vendu les entreprises où j’étais opérationnel, pour retrouver du souffle.

D’un point de vue personnel, comment avez-vous développé vos capacités à mener de fronts ces engagements, en termes de charge mentale, de conditionnement, d’équilibre global ?

C'est mon combat de tous les jours, c’est ça qui peut me faire sortir de ma zone de confort. En fait je n’ai jamais de zone de confort, car j’ai toujours un ou deux sujets majeurs dans chaque catégorie. Aujourd’hui j’écris mon 4ème roman, donc j’ai des questions d’auteur qui peuvent me hanter. Je suis en phase de développement de Serena et Arlettie sur des questions stratégiques majeures, de même sur 100.000 entrepreneurs, et j’ai des enjeux importants autour de moi.

Il faut gérer cette charge physique et mentale. Ça passe beaucoup par le physique : je dors 7h à 8h par nuit. Je m’endors très vite, je préserve mon sommeil. Parfois quand je suis vraiment perturbé par un sujet ça m’arrive de me réveiller à 3h du matin et d’y penser de 3h à 4h, mais sinon globalement rien ne m’empêche de dormir.

Je m’oblige à des horaires. C’est globalement 8h - 20h en semaine. Comme j’écris des romans, je m'astreins à écrire tous les jours. Je le fais tous les matins, pendant 2 à 3 heures, de 8h à 10h ou 11h, WE compris sauf le samedi. Je ne fais alors rien d’autre. Je traite les sujets business après le déjeuner. Je suis à ce moment là assez nomade, mon bureau chez moi est ma base, et je vais voir les gens en rendez-vous. Le samedi je ne travaille pas car j’ai besoin d’une journée de respiration, j’éteins tout. 

De 11h à midi j’essaye de sanctuariser quatre fois 1h de sport par semaine. C’est vraiment une contrainte, si je m’écoutais je n’en ferais pas du tout, je le fais uniquement parce que j’en ai pris la décision, et que ça me fait beaucoup de bien. Je fais deux fois du vélo d’appartement, en linéaire et fractionné, 1h de yoga, et 1h de jogging en nature, avec des étirements et de la musculation à chaque fin de séance. Je trouve le plaisir du sport dans le tennis et ski avec mes enfants, mais je n’en n’ai pas souvent l'opportunité.

Une fois par mois, je bloque une plage du mercredi au dimanche sans rendez-vous physique, et je peux partir quelque part 5 jours, où l’envie me vient - pour ne plus être soumis à un timing ultra chronométré. Je le fais sans contrainte, je m’arrête de courir d’un sujet à l’autre.

Je prends 15 jours de vacances à noël, et 1 mois et demi pendant l'été.

Dans tout ce que vous faites, vous mettez une intention très précise.

Oui, exactement. Et comme des sujets prioritaires peuvent être aussi très urgents et apparaître du jour au lendemain, cela m’oblige à garder des emplois du temps avec énormément de plages de respiration. Je ne fais jamais un emploi du temps où j’enchaine sans plage de respiration.

Philippe Hayat, de la gestion du temps à la satisfaction profonde

A quel endroit trouvez-vous votre satisfaction ?

Aujourd’hui c’est dans l’accomplissement que je mesure, donc pour chaque activité :

C’est dans ces accomplissements là que je me réalise. Alors vous allez me dire “Et le plaisir dans tout ça ?

" Mon plaisir est total quand je prends le temps de savourer chaque sujet."

Philippe Hayat

Alors je prends beaucoup de plaisir à le traiter. Mon plaisir est réduit à néant si je suis stressé, que je passe d’un sujet à l’autre, que je cours et que tout devient une contrainte. Mon plaisir est directement proportionnel à la sérénité de mon emploi du temps. Quand je cours d’une activité à l’autre, j'arrive en fin de semaine épuisé et je perds le sens de ce que je fais.

Est-ce que le stress vient de votre emploi du temps, ou vient-il de votre état d'être, c’est à dire que votre plaisir serait dans le fait de réussir à rester dans un état de concentration, voire de flow, vs être dans une forme d’agitation ?

C’est ça. Ce qui me rend très malheureux est cette impression de faire quelque chose en n’étant pas là où je devrais être. Par exemple si je sens que je suis dans une période clé d’écriture, et que je tiens le fil de ce que je dois écrire, et que je dois m’interrompre pour aller faire un rendez-vous business, ce moment là me rend très malheureux car je fais tout mal, je suis frustré d’arrêter d’écrire, et pas content d’aller faire un rendez-vous business. Et inversement, si j’ai une urgence dans le business qui me donnerait très envie d’approfondir la chose, et que je me mets à ma table d'écriture parce qu’on est entre 8h et 11h et qu’un livre ça s’écrit tous les jours, alors je n’en n’ai pas envie et j’écris mal. Parfois j’ai l'impression à certains moments de la journée de ne pas être à ma bonne place.

Qu'est-ce qui vous empêche de vous donner cette liberté là, tout en conservant votre rythme, vos engagements et vos intentions, d’éventuellement laisser des ouvertures à ce que l’instant vous propose ?

Ca c’est ma conscience un peu débile 🙂 Je pourrais très bien me dire que je pourrais écrire mon livre en 3 ans au lieu de 1 an. Je suis le seul à entraver ma propre liberté. Mais je crois que l’écriture c’est aussi un rythme, un rythme de sportif. Qu’il faut l’entretenir tous les jours, et qu’il faut sortir régulièrement un ouvrage pour rester dans l’esprit des libraires. Je crois également que mon écriture et mon histoire ne gagneraient pas à être écrits en trois ans plutôt qu’un. Je préfère tenir un truc et le dérouler plutôt que le détendre.

Mais je vous rejoins tout à fait. Par exemple, cette semaine je ne vais avoir que deux séances d'écriture. À trois reprises je me suis dit que les sujets de business étaient plus importants, et je souhaitais aller au bout de ce sujet là. C’est une discipline, et je travaille par exception après.

Qualités et enjeux des entrepreneurs aujourd'hui

Vous avez côtoyé beaucoup d’entrepreneurs et de talents, qu’est-ce qui fait qu’un entrepreneur réussit ? Quelles sont ses qualités essentielles, y a-t-il des caractéristiques qui émergent ?

Il y a des points communs aux entrepreneurs que je trouve impressionnants :

- une faculté d’aller très directement au sujet qui change la donne. Ça c’est assez frappant, ce discernement pour mettre le poids du corps sur ce qui fait le changement ;

- un bon sens très pratique, parce que ce sont des arbitrages tous les jours à faire ;

- une très forte transparence. Un excellent entrepreneur n’a rien à cacher, il assume, qui il est, ce qu’il pense, ce qu’il croit, sa décision, il dit les choses comme elles sont. Cela crée un très fort sentiment d’adhésion car il est profondément honnête. C’est l’honnêteté intellectuelle. On peut être très charismatique mais ça ne dure pas très longtemps. 

"Quand vous avez à la fois quelqu’un qui a du discernement, un bon sens très pratique et qui est honnête, vous avez envie de le suivre car il vous emmène là où il faut."

Philippe Hayat

Ensuite il faut une très forte résilience, une très forte capacité à encaisser. L'entrepreneuriat est vraiment un parcours du combattant, il y a des mauvaises nouvelles de partout. Il faut être prêt à encaisser sans jamais perdre son optimisme, la conviction que ça va marcher un jour. C'est vraiment un trait de caractère. 

Et en corollaire du bon sens pratique et du discernement, il y a la capacité à décider. Quand vous décidez vous avancez, quand vous ne décidez pas tout le monde se perd.

Il y a un sujet d’alignement très fort dans ce que vous exprimez. Que pensez-vous de la santé mentale des entrepreneurs aujourd’hui, et pensez-vous qu’elle a changé en 25 ans ?

Je trouve que c’est beaucoup plus difficile aujourd’hui d'entreprendre. Il y a beaucoup plus d'outils, de technique, d’informations, on peut déclencher des rendez-vous avec n’importe qui sur la planète très rapidement… Mais à l’inverse, ça va excessivement vite, les talents sont plus difficiles à fidéliser, les jeunes générations sont plus difficiles à appréhender, et beaucoup moins disciplinées que nous avons pu l’être à leur âge.

Le monde est devenu très incertain. Les boîtes du portefeuille ont dû vivre ces dernières années un nombre de crises phénoménales, l’instabilité du marché, le covid, les grèves à répétition, les gilets jaunes, c’est très très dur. L’avenir est sans visibilité, les talents sont plus difficiles à trouver et à pérenniser, et le temps s’est accéléré. Entreprendre est devenu un sport de haute compétition.

Tout s’est beaucoup complexifié. Aujourd’hui quand on investit dans une entreprise ce sont des millions d’euros dépensés sur des tonnes de papiers, de documentation, d’audits, de contrats en achats ou M&A, quand j’ai vendu mon entreprise il y a 25 ans ça c’est fait en quelques rendez-vous et quelques documents.

Importance de l'éducation et de la formation continue

Quelle est votre vision du futur en tant que citoyen engagé ?

Qu’est-ce qui vous paraît essentiel pour infléchir une courbe qui peut être destructrice de notre humanité ? 

Je pense que les jeunes talents aujourd’hui demandent autre chose qu’il y a 10 ou 20 ans. Ils cherchent à comprendre le sens de ce qu’ils font et l’impact que ça a. Je trouve très encourageant cette conscience des jeunes générations que ce qu’ils font tous les jours doit avoir un sens d’une manière ou d’une autre. Ça va faire bouger les choses car l’entreprise a besoin de talents, et ce sont eux qui dicteront la règle de conduite. Je vois bien chez Serena que les jeunes qui travaillent aujourd’hui nous tirent vers le haut, sur les questions de biodiversité, d’intelligence artificielle… Je ne doute pas que cette économie là va se régénérer.

Ce qui me rend en revanche beaucoup plus inquiet à l’échelle de la France et au-delà, est que dans cette complexité croissante ceux qui tireront leur épingle du jeu seront ceux qui auront des aptitudes, qui auront fait des études, et seront issus de milieux qui permettent ça. Il faudra beaucoup plus de temps pour sortir de son milieu ou de sa condition. Je trouve que cette accélération et cette complexité donne une prime aux familles qui ont de l’argent, et dont les parents sont des exemples d’accomplissement pour les enfants. 

Aujourd’hui il faut cinq générations pour sortir de la pauvreté, quand mon grand-père en est sorti en une génération. Il était très pauvre, orphelin très jeune. Il faisait tous les métiers, il s’est formé sur le tas, il est devenu chargé de compte, il s’est saigné pour que ses 3 enfants puissent faire des études. Il a eu un dentiste, un pharmacien, un ingénieur, et là il a fait sortir sa famille de la pauvreté. 40% des interventions de 100.000 entrepreneurs se font dans des quartiers difficiles et territoires sensibles. 

Je rencontre des jeunes de terminale qui ne savent pas lire, pas écrire, pas parler, qui auront le bac et qui n’ont absolument pas les codes pour trouver un job. Quand on pense que sur une classe de 30 personnes, 20 élèves parmi eux exerceront un job qui n’existe pas aujourd’hui, ils n’ont pas les hard skills de lire écrire compter, et ils n’ont pas les soft skills d’apprendre à apprendre. Il va y avoir un schisme de plus en plus important entre une très faible minorité bien calibrée, et une majorité de plus en plus importante de gens qui connaîtront vraisemblablement des parcours à problèmes.

Quand vous prenez une classe d'âge de 700.000 jeunes, environ 50.000 vont sortir du système scolaire, et 150.000 vont être en grande difficulté. Comment ceux-là pourront-ils s’intégrer dans le monde professionnel ? Et puis vous en avez 60 % qui ont un niveau de plus en plus moyen, et 10% qui vont avoir accès à la connaissance. C’est ça qui m’interpelle, car ce n’est pas viable.

Quels seraient pour vous des éléments de solution ?

C’est la refonte intégrale du système scolaire et éducatif, et la formation tout au long de la vie. En général on sait diagnostiquer en CM1 les élèves qui vont avoir des difficultés. Ils présentent des troubles, leurs familles sont éclatées et ne peuvent pas les suivre, on sait mesurer leurs lacunes cognitives, on sait les identifier. Au lieu de les adresser, on les plonge dans le collège unique. De la 6ème à la 3ème, ça ne s’arrange pas. On les met en fin de 3ème dans une orientation qu’ils n’ont pas choisie, et donc ils se désintéressent. Il se disent que finalement l’école n’est pas leur moyen d'expression. Ils vont en chercher d’autres, et dans une banlieue difficile c’est le communautarisme, les trafics… Et on leur donne le bac car on a besoin des statistiques. Ce schéma du primaire à la 3ème ne peut pas continuer comme ça.

Je crois enfin qu’il faut totalement sortir de la pensée “je me forme un bon coup et je vais travailler”. Il y a aujourd’hui des aller-retours permanents entre formation et expérience, les jobs de demain ne sont pas ceux d’aujourd’hui.

En faisant cela chaque individu pourra s’approcher de sa vérité au lieu de vivre dans une contrainte anxiogène, et la dynamique qui va s’enclencher à partir de là sera très positive.

Pour moi, s'il fallait traiter l’urgence d’un problème, ce serait vraiment l’éducation depuis le primaire, et la formation continue. On touche à ce qui fait que l’individu va s’épanouir et mener une vie digne. Au niveau essentiel, on a envie d’élever nos familles de façon digne, et de voir nos enfants s’épanouir. Si on part de là, on donne une dimension différente au roman national. 

Avez-vous une maxime dans la vie, une citation qui serait pour vous un point de référence récurrent et important ? 

J’ai cette phrase de René Char qui dit:

“Impose ta chance, serre ton bonheur et va vers ton risque.
À te regarder, ils s'habitueront."

René Char

C’est une philosophie très spinozienne, qui consiste à ne jamais rien faire d’autre que persévérer dans son être. La démarche de chacun devrait être de persévérer dans son être.

Quel est le dernier message que vous voudriez passer à ceux qui nous lisent ?

Il faut croire en sa chance. Ne pas y croire c’est se fermer des portes, se priver. On ne sait si on est capable de réaliser son ambition qu’en essayant, et vous n’essayez que si vous croyez en votre chance. Je ne dis pas que croire en sa chance est la recette assurée du succès, mais c’est le seul moyen d’avoir envie d’essayer, et essayer est le seul moyen de se donner une chance de réussir.

Ce n’est pas facile, il faut avoir une certaine confiance en soi, ou alors une certaine insouciance. La confiance se construit au fur et à mesure, elle ne vient jamais d’un bloc. C’est aussi très exigeant, car on peut être déçu, on aura alors à mesurer l'échec, le comprendre, l’analyser, l’assumer, pour continuer à avancer. Croire en sa chance deviendra alors une curiosité, et un goût. Et peut-être qu’on trouvera une voie d'expression qui correspond à son être intime, et qui fait qu’on y réussit.

Propos recueillis par Thérèse Lemarchand

Jérôme est un aventurier, et notamment le deuxième français ayant gravi les sept sommets les plus élevés du monde sur les différents continents. Après un début de carrière traditionnel, il fait le choix radical de suivre un rêve. "De quoi je serai fier à la fin de mes jours ? Être, partager, l’amour, la découverte faisaient partie de ces ingrédients..."

Les performances qu'il a réalisées lui ont permis de se fixer des défis encore plus grands, comme celui de faire l'Everest en 2011. Dans cette interview, Jérôme montre la forte corrélation entre ses apprentissages dans des conditions extrêmes, et l'utilisation qu'il en fait dans sa vie, personnelle et professionnelle.

"En expédition tu ne peux pas agir sur la météo, les conditions de glace, la température. Tu vas te concentrer sur la stratégie, la technique, l’entente du groupe. [...] Je crois également que la notion de renoncement est plus claire en milieu extrême en termes de décision parce qu'elle induit un risque vital, alors qu’en entreprise, dans la vie courante, les curseurs sont moins hauts."

Privilégier l'importance à l'urgence. Animer les liens de l'équipe, en comprendre son interdépendance, font partie de ses enseignements. Et surtout, se poser les questions qui vont nous faire avancer vers un projet qui nous fait vibrer: “Est-ce que cela me met vraiment en mouvement ? Est-ce que je me donne les moyens de réaliser mon projet ?”.

Interview réalisée le 01/08/2023 par Thérèse Lemarchand, CEO Mainpaces

Jérôme Brisebourg, l'alliance d'un projet professionnel et d'un rêve d'enfant...

Bonjour Jérôme, tu es aventurier, depuis plus de 20 ans.

Tu réalises une expédition par an, et tu es le 2ème Français à avoir finalisé l’Explorers’ Grand Slam (Seven Summits - un défi d’alpinisme : faire l’ascension du plus haut sommet de chaque continent, ainsi qu'atteindre le pôle Nord et pôle sud en ski Pulka).

Peux-tu nous présenter rapidement comment tu en es arrivé là ?

En effet je suis un aventurier, et je voulais revenir sur ce terme d’explorateur qu’on utilise parfois. Aventurier signifie être immergé dans un milieu inédit, extrême, et avoir un projet dans ce milieu là. Sportif aventurier, tu y ajoutes une notion de record et de performance. Un explorateur aura l’objectif de développer de la connaissance, pour soi et pour les autres. Il apporte une connaissance au monde. Moi, en tant qu’aventurier, je vais transmettre quelque chose en direct, je peux au mieux inspirer, donner à réfléchir, apporter des leviers d’action ou des déclencheurs, mais pas de connaissances nouvelles pour l’humanité. En anglais c’est plus simple, puisque “Explorer” veut aussi bien dire explorateur qu’aventurier.

Pour répondre à ta question, c’est d’abord un rêve d’enfant qui m’a mené là. Je lisais des livres d’aventuriers, et j’avais envie d’explorer certains milieux avec des questions d’enfants : le pôle Nord “qu’est ce que ça fait que de marcher sur l’eau ?”, le pôle Sud “qu’est ce que ça fait qu’avoir la tête en bas ?”, l’Everest “qu’est ce que ça fait qu’être aussi haut dans l’atmosphère ?”.

Ensuite il y a eu quelques étapes clés. De 15 ans à 19 ans, je me suis investi pour être footballeur professionnel. J’ai connu l’exigence et l’engagement du haut niveau. J’étais plutôt bon, mais pas assez pour percer. Je suis revenu à une vie “économique” (j’étais business manager sur Paris), et à 30 ans, je m'ennuyais dans mon travail. Je suis allé rencontrer une coach pour travailler à mon prochain projet professionnel. Sa première réaction a été de repositionner mon questionnement : "Est-ce que vous voulez vraiment faire un bilan de compétences, ou faire se rencontrer votre projet professionnel dans un projet de vie ?“

Le premier exercice que nous avons fait, la lettre du vieux sage m’a fait prendre conscience de ce qui était important pour moi. De quoi je serai fier à la fin de mes jours ? Être, partager, l’amour, la découverte faisaient partie de ces ingrédients ...

Ca a été une prise de conscience très claire du fait que j’avais vraiment envie de passer à l’action par rapport à ces rêves d’enfants.

Ma coach m’a ensuite aidé à poser les premiers pas qui ont engendré les seconds pas. J’ai mis en place les choses étapes par étapes, les compétences, les connaissances, le réseau de personnes nécessaires. Tout cela je l’ai construit progressivement.

Ma femme, plutôt sportive, m’a encouragé. Nous avons commencé par le Mont Blanc en 2002, suivi du Kilimandjaro, un sommet de plus de 5000 mètres en Bolivie, le camp de base de l’Everest. Puis elle a continué sur son propre terrain de jeu, le rallye des gazelles, les courses d’orientation dans le désert … Pendant ces 20 ans, chacun de nous deux a pu développer sa zone d’expression.

Il y a beaucoup de techniques différentes d’un point de vue sportif dans ce que tu réalises, et un niveau de risque important car tu évolues dans des milieux extrêmes.

Comment t’es tu entraîné physiquement et mentalement pour arriver à ce niveau ?

Mon approche est d’y aller pas-à-pas, et la question qui me guide est de découvrir progressivement tout mon potentiel et développer mes capacités, avec tous les paramètres ensemble.
Le risque est consommateur d’énergie, il te fait stresser. L’engagement physique et psychologique n’est pas le même en zone de risques. 

Au Mont Blanc et au Kilimandjaro, j’ai développé mes compétences et constaté les capacités de mon corps en haute altitude.

En 2005, je suis allé sur un autre paramètre qui est celui de l’expédition. Cela implique de vivre l’isolement en altitude et de gérer la durée. Je l’ai fait en Inde et au Ladakh, à 7000 m d’altitude, c’était à la fois plus haut et plus long.

En 2007, j’ai tenté le Gasherbrum II au Pakistan, un sommet de plus de 8000 mètres. Je suis resté 6 semaines isolé dans un camp de base. Ça a été l’apprentissage de l’échec, les conditions météo n’étaient pas là, l’agence avec qui je travaillais n’était pas au rendez-vous non plus d’un point de vue matériel et technique. Je suis rentré bredouille.

En 2009, j’ai fait le Mustagh Ata en Chine, un sommet de 7500 mètres qui peut-être monté en skis de rando. Nous l’avons réussi, et c’était important pour nous car sur l’Everest, c’est à 7500 mètres que l’on commence à prendre de l’oxygène. C’est à cette date que j’ai posé le projet de faire l’Everest en 2011.

Je voulais être sûr que la montagne me plaisait, me confronter concrètement et de façon progressive aux situations, et vérifier que c’était ce que je voulais vraiment. Pour cela il y a deux bonnes questions auxquelles j’ai voulu le confronter  : 

“Est-ce que cela me met vraiment en mouvement ?”
 “Est-ce que je me donne les moyens de réaliser mon projet ?”

Jérôme Brisebourg

Le juste milieu entre la performance et la sécurité, par Jérôme Brisebourg

Tu soulignes la différence entre risques et incertitudes.

Peux-tu expliquer cela ?

Comment tu vis le risque ?

Dans les milieux extrêmes, les risques sont les mêmes pour les aventuriers professionnels et occasionnels. La différence fondamentale réside dans le niveau d’engagement. 

Tu ne peux pas être inconscient au danger si tu veux rester en vie. Il s’agit donc de poser clairement les valeurs du projet, et l’endroit où tu mets le curseur entre :

Il faut également définir sa capacité à renoncer.

Quand tu montes au plus haut, au plus froid, les comportements sont nouveaux, inconnus et parfois surprenants. La préparation consiste dans le fait d’évaluer les risques potentiels, et en fonction de cela de créer des automatismes.

Pour prendre un exemple, quand tu es à 8000 mètres sur l’Everest et que tu passes des relais sur corde fixe avec une poignée jumar, le froid, la fatigue, l’hypoxie induisent des risques de mauvaise manœuvre. L’entraînement va consister à te mettre le plus proche possible des conditions réelles, c'est-à-dire en équipement, avec un masque et des grosses moufles. Ces automatismes te permettent d'accueillir des éléments nouveaux en expédition. Nous nous sommes donc entrainés techniquement sur les parois du massif du Mont Blanc. Quand la technique est fiabilisée, les aléas portent sur les autres paramètres, le rythme, le froid, la fatigue, le manque de lucidité dû au manque d’oxygène.

Toute la préparation consiste à identifier les risques, développer des automatismes pour accueillir l’incertitude en situation.

Jérôme Brisebourg, aventurier, interdépendant à une équipe

En expédition il y a quelque chose de très particulier : on part toujours en équipe, mais souvent avec des personnes qu'on ne connaît pas.

Comment gérez-vous cette promiscuité, et cette nécessité de confiance, avec des inconnus en milieu extrême ?

C’est là que se situe l’aventure, c’est toujours une aventure humaine.

Pour les projets montagne on est plutôt franco-français, on se connaît car on a déjà fait des expéditions  ensemble. 

Les expéditions polaires rassemblent beaucoup moins de candidats. Nous constituons donc plutôt des équipes internationales sur une vision au départ, et c’est sur le terrain que l’on se rencontre et se découvre mutuellement.

Dans les 2 cas, chacun a la perception qu’on est en logique d’interdépendance. C’est quelque chose d’extrêmement fort. Tu ne peux pas faire sans les autres. Les contributions positives ou négatives de chacun ont un impact majeur sur le groupe. Comme dans une traversée en bateau, on part tous ensemble, on revient tous ensemble, et si on s'arrête, c’est tous ensemble. Alors si quelqu’un renverse son bidon de fuel, toute l’équipe va devoir se rationner, tout le monde perd. 

"C'est le lien qui fait que l'équipe tient."

Jérôme Brisebourg

En entreprise on peut percevoir ces liens, cette notion d’interdépendance existe, mais elle est peu vécue comme la capacité de chacun à dépasser ses intérêts personnels. En expédition, c’est le lien qui fait que l’équipe tient. Il repose sur le fait de s’accorder sur les valeurs du projet, sur cet équilibre performance vs sécurité, et sur la mise en place des règles de vie qui se fondent sur ce principe d’interdépendance. Cela amène à des fonctionnements où tu dépasses le “on s’aime bien”. On peut s’engueuler tous les jours. On dépasse la bonne entente, parce que je suis forcé de prendre soin de moi, soin de l’autre, dans tout ce qu’il est et aussi dans ses faiblesses.

Vous exprimez toutes les émotions qui vous traversent ?

Oui, c’est fondamental. Le principe que l’on se donne est l’expression de ses émotions et de ses états d'âme. C’est indispensable à la maîtrise de l’énergie pour pouvoir adapter l’effort à ses capacités du moment.

Nous avons des rituels matin et soir dédiés à cela. Nous abordons les paramètres météo, et les paramètres de l’équipe. Se créer le moment qui permet de se dire les choses est essentiel. Si je suis fatigué physiquement et énervé mentalement, je crée une énergie négative qui va ressortir à un moment donné. On s’autorise et s’encourage donc à se dire quand ça va mal.

La maîtrise vient avec l’expérience. J’ai la capacité d’adaptation d’un être humain normal. Je suis monté très haut, mais si aujourd’hui on faisait une expédition ensemble, il faudrait que l’on passe les paliers ensemble. En revanche, si tu découvres tous les symptômes du manque d’acclimatation, tu vas avoir plus de stress que moi. À plus de 4 000 mètres, on aura tous les deux mal à la tête, des nausées, pas faim, pas soif, et toi tu vas me dire que tu es au bout de ta vie, émettre des signaux plutôt négatifs. L’expérience d’après tu revivras les mêmes symptômes, mais pas la même perte d’énergie physique ou mentale. Et donc ton comportement par rapport au groupe ne sera pas le même. Tu seras forcément plus calme, et alors tu pourras donner de l’énergie aux autres.

C’est toujours cette notion d’expérience pas-à-pas, qui te permettra de développer tes capacités, de découvrir tes limites, et donc de mieux gérer les situations difficiles.

L'énergie au service de la lucidité, par Jérôme Brisebourg

Est-ce que cette gestion de l’incertitude, le fait de reconnaître ces sensations de stress, cette capacité d’autonomie, ont un impact sur ta vie courante ?

J'espère ! Je ne sais pas le mesurer. Ce qui est sûr, c’est que les expéditions m’ont permis de développer une meilleure acceptation que rien ne se passera comme prévu. C’est le point de référence dans ces milieux là. L’expédition dépend de toi, mais aussi de paramètres externes, d’évènements imprévisibles, incertains. 

Cela m’a également amené à différencier le niveau d’exigence et l'engagement. Dans un environnement incertain ton exigence n’est plus sur le résultat, il est sur le niveau d’engagement.

"Quel que soit le résultat, je suis satisfait si j'ai tout mis dans ma marge d'action."

Jérôme Brisebourg

C’est très clair dans un environnement extrême, ça l’est beaucoup moins dans la vie de tous les jours. Cela implique de bien faire la part des choses sur les événements sur lesquels je peux réellement agir, vs les éléments qui sont hors de contrôle. En expédition tu ne peux pas agir sur la météo, les conditions de glace, la température. Tu vas te concentrer sur la stratégie, sur la technique, sur l’entente du groupe. Dans l’environnement de l’entreprise, bien comprendre ta marge de manœuvre, qu’est-ce que je peux faire réellement, ne pas faire, qu’est-ce qui dépend ou non de moi, savoir ce que je peux influencer, n’est pas toujours évident. Ces expéditions m’ont aidé à avoir une meilleure lecture, dans les situations de la vie courante personnelle et professionnelle, de ma marge de manœuvre et de ma marge d’action.

Je crois également que la notion de renoncement est plus claire en milieu extrême en termes de décision parce qu'elle induit un risque vital, alors qu’en entreprise, dans la vie courante, les curseurs sont moins hauts. Mais les questions posées - d’y aller, d’insister, ou d’attendre ou de reculer, de doser son effort, doser son exigence ou celle que l’on pose sur les autres, de faire la différence entre la peur et une forme de lucidité - sont récurrentes.

Tu sais, le plus dur en environnement extrême est de garder ta lucidité. Quand tu es seul, tu peux peut-être rester lucide si tu as bien géré ton énergie physique et mentale. Mais quand tu es en équipe tu vas aussi devoir traiter des stratégies individuelles. Quand on est fatigué on a plutôt  une lecture de l’environnement qui est anxiogène et on voit du risque partout. Quand on est super motivé on va dire "je suis prêt, je veux y aller". Donc chacun, en fonction de son état du moment et de ses enjeux, va tirer le groupe dans un sens ou dans l’autre. Même en accord sur les valeurs, tu ne vas pas forcément avoir la même lecture des évènements qui t’amènent à prendre la bonne décision, tu peux y mettre une projection idéalisée, déconnectée de la réalité. 

Le plus dur pour prendre la bonne décision est ta capacité à rester lucide tant sur les valeurs du projet, que sur tes capacités individuelles et les capacités du collectif. Tu dors mal, tu manges mal, tu as froid, il faut aller vite. Bien sûr dans le cas d’un danger grossier identifiable par tout le monde il y a consensus absolu, personne n’est suicidaire. Mais globalement la capacité à renoncer reste empirique.

Tu lies la lucidité à l’énergie, peux-tu développer ?

Oui, cela peut nous aider dans le monde incertain dans lequel nous sommes. Si tu es tout le temps à fond, drivé par des priorités qui sont l’urgence et non l’importance, si tu n’es pas en logique de poser un projet, dans la direction de ton intention, alors tu es en perte d’énergie. Tu consommes de l’énergie qui n’est pas au service d’un projet ou de tes aspirations. En perte d’énergie physique et mentale tu ne seras pas lucide. Tu ne seras pas en mesure de décider ce qui est essentiel, ce qui est important, prioritaire, ce que tu veux apprendre, la décision que tu veux prendre. Tu seras dans l’agitation. On est très agité aujourd’hui, on est dans l’incapacité à mobiliser son attention, sollicités par de multiples notifications. 

"En perte d'énergie physique et mentale, tu ne seras pas lucide."

Jérôme Brisebourg

Quand tu es en milieu extrême, tu as la perception que tu n’auras pas de seconde chance. Si tu tombes dans une crevasse, c’est terminé. Cela t’amène à te dire qu’il faut être lucide dans ta lecture de l’environnement et les décisions que tu prends, et donc reposé le plus possible, pour analyser au mieux les éléments de la situation, qu’ils soient internes - liés à l’équipe - ou externes. Pour nous, maintenir notre niveau de vigilance est une nécessité. On n’est pas dans l’incantation.

L'environnement au coeur des décisions de Jérôme Brisebourg

Oui, c’est un de mes motto chez Mainpaces.

Je crois qu’on a complètement oublié cela, cette importance du repos et d’une forme d’équilibre pour penser juste. Dans le monde dans lequel on est aujourd’hui, c’est absolument fondamental.

On a pris suffisamment de mauvaises décisions pour essayer de faire différemment et essayer d’être un peu meilleurs que les générations précédentes, ou nous-même il y a 10 ans.

C’est pour ça que je trouve intéressante ton échelle performance - sécurité, de voir qu’une autre forme de performance est possible, qui accompagne un accomplissement et qui se joue sur d’autres paramètres. Je crois que ce que la personne humaine recherche dans la performance n'est pas un numéro en soi, mais plus ce que l’on ressent dans la préparation et dans l’atteinte d’un objectif.

Dans nos expéditions il y a bien un objectif, mais nous sommes dans une logique de performance humainement durable. On ne peut pas faire de sprint. On ne peut pas faire un record un jour qu’on va payer ensuite pendant 3 jours. Le “humainement” est au sens collectif du terme, et on met le focus sur "l'humainement durable” au service de notre objectif final. C’est ça qui m’intéresse dans la différence que je fais entre le sport et l’aventure. 

Dans la performance sportive, je vais me mettre au meilleur niveau de performance pour réussir mon match de samedi, et je peux m’y préparer. Il y a plein de paramètres, d'incertitudes, mais j’ai une projection mentale précise.

En aventure c’est un peu différent. Je ne sais pas s’il va faire beau samedi et si je pourrai partir. Le paramètre numéro 1 sera la lecture de l’environnement, ce qu’il m’offre, et des capacités de l'équipe à ce moment-là. Si aujourd’hui on peut y aller car il fait beau, qu’est-ce qu’on décide, est-ce qu’on saisit cette opportunité, en acceptant que l’équipe, l’individu, ne sera jamais à son meilleur niveau de performance à ce moment-là ? Tu changes l’ordre des priorités de la décision. L'équipe et moi devons être en capacité d’avoir un niveau de performance acceptable pour pouvoir saisir ou non ces opportunités. C’est plutôt dur, car si on fixe l’exigence à un niveau proche de la perfection, on ne se sent jamais prêt pour saisir les opportunités. Intellectuellement ce n’est pas facile de réussir le bon dosage entre niveau de performance acceptable et décision de saisir une “fenêtre météo”.

C’est très intéressant. Cela impose plus d’exigence sur la régularité de la performance, c'est-à-dire que chacun doit savoir atteindre et se maintenir à un bon niveau, et doit savoir se réguler.

En revanche, vous ne visez pas un niveau d’exception, qui ne correspondrait qu’à une coïncidence exceptionnelle d’un ensemble de paramètres.

Apprendre à se réguler, et maintenir un bon niveau d’énergie, de conscience, de lucidité, d’attention à l’autre et à son environnement est ce qui permet la réussite de l’expédition.

En tous cas, c’est le chaînage que l’on met en place, on se focalise plutôt sur le renforcement de la capacité d’adaptation de l’équipe face aux circonstances, de sa “robustesse”, de son “anti-fragilité” (pour reprendre le terme de Nassim Nicholas TALEB). Et c’est ce que j’essaye de déployer également dans ma vie courante. Ce n’est jamais évident, parce qu’il y a de la fatigue physique et mentale, il y a des situations où on n’est pas au niveau requis, mais c’est ce qui me guide.

D’où tires-tu ton énergie et ta motivation dans la durée, qu’est ce qui la stimule, alors que tu as déjà beaucoup réalisé ?

C’est toujours la question du “pourquoi”. En fait ce que j’aime dans tout ça, c’est d’abord le sentiment d’être privilégié, d’être dans des environnements exceptionnels qui te remettent à ta place sur terre, qui te remettent en perspective, qui te font prendre conscience de ta vulnérabilité. C’est un privilège de vivre ça, d’être dans le beau, de retrouver mon animalité, ma place, ma condition humaine, pas plus forte que la nature.

Le deuxième élément de motivation est l’aventure intérieure, surtout en montagne :

"Plus haut tu vas, et plus profond en toi tu vas chercher."

Jérôme Brisebourg

Le troisième moteur est le luxe que j’arrive à m’offrir de prendre du recul sur ma vie. Dans ces environnements, tu perds tes repères habituels, tu es loin de tout, tu peux ne voir personne pendant 20 jours, rester en huis clos dans une immensité. C’est une libération de l’esprit qui permet naturellement à des pensées d’émerger, de penser aux gens qui sont importants pour toi, d’avoir des envies qui remontent à la surface Ces éléments arrivent tout seuls, et ça me plaît. C’est un rendez-vous avec moi-même qui me permet de faire le point et qui re-questionne mes priorités d’un point de vue personnel et aussi professionnel. 

Je me reconnecte à la nature et j’ai ma place là-dedans, et je me reconnecte à ma nature, je la découvre, je la fais émerger, je la travaille. C’est ça qui me motive, au-delà du challenge, et des sensations physiques que j’aime également. J’aime ressentir, j’aime l'expression des sens. Tout cela est un luxe, mais c’est aussi un besoin. 

As-tu une maxime dans la vie ? Comment se caractérise-t-elle, qu’est ce que ça t’apporte ?

Cette idée d’y aller pas-à-pas me guide. Tout ce que j’ai fait, je l'ai fait à pieds, à la vitesse de la marche. Le pas-à-pas est une progression dans la durée. Pour moi tous ces projets sont un véritable apprentissage, une découverte et une construction de mes capacités, ils créent un chemin de confiance en moi.

Le pas-à-pas représente aussi l’idée de l’instant présent. Quand tu fais 650 kilomètres pour aller jusqu’au pôle Sud, tu ne peux pas faire des simulations dans ta tête, tu es dans l’instant présent. Tu fais un pas, et tu prépares le prochain. Tu as une construction de toi qui se fait moment après moment, et avec ça le développement de tes potentiels et de tes compétences.

Quel est le dernier message que tu voudrais passer à ceux qui nous lisent ?

Je voudrais les encourager à explorer pour agrandir leur zone d’expression. Essayer de se mettre en déséquilibre, en recherche, en exploration par rapport à des logiques de routine,  découvrir de nouvelles capacités, et aussi se confronter à ses limites. Qui je suis dans le monde professionnel ? Si je fais une activité nouvelle pour moi, qu'est-ce que cela me permet de découvrir sur moi, comme limite ou comme nouvelle ressource ? 

Je crois que pas-à-pas, avec une capacité à se projeter, le goût de l’effort et de la persévérance, l’exploration est un chemin de croissance et de satisfaction.

Propos recueillis par Thérèse Lemarchand

Thibault Cauvin est le guitariste le plus titré au monde. La recherche constante de performance a été son but final pendant longtemps, et il doit sa réussite à un travail et une discipline extrêmes. « Je suis devenu fou de passion pour ce côté performance, pour cet aspect ''sport de haut niveau''. »

Après avoir remporté 36 prix internationaux dont 13 premiers, Thibault se lasse de la performance pure. Il se lance dans une tournée internationale de concerts et visite plus de 120 pays pour près de 1500 représentations. « Je suis fils de rocker, le symbole du rock est de jouer pour tous, de rassembler des jeunes, des vieux, des intellos, … et ça m’a rattrapé. J'ai transféré mon envie de gagner des prix en me disant je vais jouer partout dans le monde, dans tous les pays. »

Cette interview nous transporte vers la fascinante vitalité de Thibault. « Je me dis maintenant que c’est une forme d'idéal d'universalité, que c'est une guitare qui raconte le monde, qui est chargée de rêves, et qui s'adresse à tous. La vérité c’est que toutes les musiques partent de la vraie vie, pas du tout d’une réflexion structurée. »

Les défis qu'il se lance s’incarnent dans sa vision de l'accomplissement personnel. « Rêver grand. » L’essentiel pour Thibault réside dans la puissance de l’imaginaire. « Moi j'aime l'idée d'avoir cette liberté qui offre la chance d'avoir des rêves, ensuite d'intellectualiser les rêves, et de donner toute son énergie pour les réaliser. C’est comme ça que je fonctionne. L'aventure, les rêves, sont auteurs de tout. »

Interview réalisée le 27/07/2023 par Thérèse Lemarchand, CEO Mainpaces

La performance musicale de Thibault Cauvin, un sport de haut niveau

Bonjour Thibault, tu es le guitariste le plus titré au monde, ta popularité est immense à tel point que l’on parle du “phénomène Cauvin”, dans une discipline exigeante - la guitare classique. Tu as donné plus de 1500 concerts, peux-tu nous présenter rapidement comment tu en es arrivé là ?

Je pense que c’est un peu comme une recette de cuisine, c'est une addition de paramètres. J'ai la chance d'être né dans une famille de musiciens, mon père est guitariste passionné. Il y a eu aussi la présence de ma mère, qui est souvent bien moins médiatisée. Elle est professeure de français, de lettres classiques, elle avait cette espèce de talent de transformer tout en conte avec une forme de légèreté. Je pense que le contexte de l'enfance est très fort.

Je jouais régulièrement tous les jours, jusqu'au moment où que je me suis rendu compte que finalement ce n’était pas normal, que tout le monde n’était pas guitariste sur Terre comme je le pensais. J'ai commencé à réaliser que je jouais correctement, et c’est un peu plus tard à l'âge de 12-13 ans que j'ai découvert qu'il y avait des concours de guitare, un peu comme des compétitions de sport.

Je suis devenu fou de passion pour ce côté performance, pour cet aspect « sport de haut niveau ». J’ai commencé à travailler toute la journée la guitare pour cela. J'ai eu la chance que mon père me soutienne particulièrement, car le hasard a fait qu’à cette époque de sa vie il ne pouvait plus jouer pour un problème de main. Donc il transformait ce temps en le passant avec moi, en devenant mon coach.

En prenant du recul tous ces points m’ont aidé, à commencer par ce malheur qu’il a eu, qui pour moi a été une chance. Ces concours m’ont passionné, quand certains – à commencer par mon petit frère - détestaient ça. Ça se passait bien, j’ai commencé à gagner, j’ai pris goût à la victoire, je travaillais plus, et tout s’est enchainé, les concerts avec cette envie de voyage, de jouer partout, comme un appétit constant, une forme de gourmandise et une confiance en la vie, avec un soutien familial fort.  J’ai développé un dévouement absolu à la guitare, presqu’un point de folie, comme les tennismen qui jouent à Roland Garros, il y a quelque chose qui n’est pas normal là-dedans.

J’ai joué dans plus de 120 pays pendant 15 ans, sans appartement, sans maison, à l’hôtel, je n’avais pas de famille, je n’avais rien. Ce voyage tout seul, de rencontres quotidiennes, était très particulier et très intense.

L’hérédité, le talent, l’environnement forment une base très précieuse, et le travail est clé pour arriver à de tels résultats. Il y a beaucoup de discipline dans ce que tu exprimes, et on sent aussi que tu avais un moteur personnel très fort. 

Qu’est-ce qui a constitué cette motivation, comment l’as-tu visualisée, quel était en quelque sorte l’objectif ? Est-ce que ta motivation première était la victoire ?

Au départ j’adorais jouer de la guitare mais aussi jouer dans la vie, et encore maintenant je prends tout comme un jeu, c’est pour cela que je relativise souvent la gravité des choses. Et donc entre mes 12 ans et mes 20 ans je jouais en compétition à haut niveau avec l’élite. C’était grisant, et comme je commençais à gagner je ne pensais plus qu’à ça. J’allais à Londres, à Lisbonne…, il fallait que je gagne encore, je ne faisais que travailler toute la journée, il fallait que je dorme le moins possible…

C’était la compétition, pas du tout dans l’envie d’écraser l’autre, mais plutôt dans une idée très noble. Peut-être vois-tu cette photo de la fin de carrière de R. Fédérer, avec R. Nadal. Ils ont été des rivaux toute leur vie mais en fait c’étaient des frères, et ils sont arrivés à un tel élitisme dans leur discipline qu’à la fin il n’y avait plus qu’eux deux qui se comprenaient vraiment. J’ai un peu senti ça dans la guitare, à la fin dans les concours, où que l’on soit dans le monde nous étions un groupe d’une vingtaine, il y avait un serbe, un Polonais, un japonais, un brésilien… Nous étions tous atypiques dans nos vies, nous ne faisions que ça, nous ne connaissions rien d’autre. Nous avions des cultures complètement différentes, et en fait nous étions frères. Bien sûr quand on jouait sur le moment on voulait gagner, mais cette connexion était hyper belle. J’ai adoré ça.

Je comprends bien ce que tu exprimes, un goût pour une compétition qui est très loin de la bataille. C’est un dépassement de soi, des états exceptionnels que tu vas aller puiser quelque part et qui te transportent.

Je vois aussi ce côté très tribal, qu’Antoine Albeau mentionnait également. Il présente comme toi un record puisque c’est le champion du monde le plus titré de l’histoire, avec 25 titres en planche à voile. Il racontait ces tribus de riders qu’il retrouvait tous les ans l’été en France, l’hiver à Hawai ou à Tarifa.

Au début j’ai adoré ça, et à un moment vers l’âge de 20 ans ça m’a terriblement gêné. Le paradoxe m’a sauté à la figure : la musique est faite pour les autres, et nous étions devenus tellement élitistes, nous jouions des morceaux tellement complexes, que cela n’intéressait pas le vrai public. Comme je gagnais plein de prix, j’ai commencé à faire beaucoup de tournées de concert, et j’ai très vite trouvé cela plus magique que de passer des concours. Je me disais que c’était cool que les guitaristes dans la salle hallucinent sur mon jeu, mais qu’en fait je voulais faire des concerts pour les banquiers, pour les architectes, les agriculteurs, les infirmières, pour les surfers… Je suis fils de rocker, le symbole du rock est de jouer pour tous, de rassembler des jeunes, des vieux, des intellos, … et ça m’a rattrapé.

Il y a eu un moment de prise de conscience de cela, ou cela s’est fait un peu progressivement ?

A la différence du sport où c’est la finalité, en art ces concours sont des tremplins, ils servent à se faire connaître. Moi j'étais tellement passionné par ça qu’ils étaient devenus une finalité, comme en fait tous ceux avec qui nous étions là. Pour gagner ces concours, non seulement il faut être surdoué, non seulement il faut travailler comme un fou, mais il faut en plus avoir ce truc de compétition et ne penser qu’à ça, donc considérer ces concours comme une fin en soi. Mon professeur m’avait alerté sur le fait que continuer les concours avec déjà 36 prix n’avait plus de sens, c'était idiot. Moi en parallèle, comme j’avais gagné plein de prix, j’avais plein de tournées. Je me suis dit qu’il avait raison, qu’il fallait que j'arrête. Je commençais à kiffer mille fois plus les concerts, et surtout il y avait cette dimension hyper internationale. J'ai transféré mon envie de gagner des prix en me disant je vais jouer partout dans le monde, dans tous les pays.

J’ai adoré jouer dans des pays que je ne connaissais pas, me demander où ils étaient, les découvrir, et l’autre kif qui est arrivé très fort était ce truc de commencer à vouloir jouer pour tout le monde. J'ai des souvenirs de concert en Afrique où il y avait des gens qui n’avaient jamais entendu de guitare classique de leur vie, et moi qui arrivais en leur jouant des morceaux ultra-intellos… Je n’en menais pas large au départ. J’étais loin du public très averti que tu peux avoir dans certaines salles au Japon par exemple, mais qui ne m’amusait plus suffisamment. Je voulais jouer pour tout le monde, pour les « vrais gens », les jeunes, les vieux, ceux qui aiment l’art, mais aussi ceux qui aiment le skate. Je me dis maintenant que c’est une forme d'idéal d'universalité, que c'est une guitare qui raconte le monde, qui est chargée de rêves, et qui s'adresse à tous.

Thibault Cauvin, le choix de rêver, de ne pas rester en sécurité

Il y a une confiance très forte dans ce que tu exprimes, l’as-tu toujours eue, as-tu eu des moments de doute ? Sur quoi l'as-tu construite, au-delà de ta virtuosité qui t’a toujours accompagné ?

C'est un socle essentiel effectivement, mais ce qui me guide est mon instinct. J’ai une envie qui émerge à un moment, et qui peut naître n’importe-où, par exemple en me baladant à Barbès, en voyant un fruit exotique bizarre et deux personnes en train de s'engueuler à côté, et ça me donne envie de jouer Bach et d’en faire un disque ! Les gens ne comprennent pas quand j’explique cela, mais la vérité c’est que toutes les musiques partent de la vraie vie, pas du tout d’une réflexion structurée. Ensuite en revanche derrière j'intellectualise beaucoup de choses. Et dans cette intellectualisation, il y a en effet parfois des considérations de crainte, de peur…

La sécurité c'est le plus grand des dangers.

Thibault Cauvin

Mais pour en revenir à ta question, en fait j'ai un truc plus fort que moi que j’exprime dans des petites phrases que je revendique, telles que « la sécurité c’est le plus grand des dangers ». Je pense que ça vient de ma mère, car mon père est plutôt de nature inquiète, et de la vie que j’ai eue. Tout cela m’a donné confiance en la vie. Du coup j'ai plein d'autres projets musicaux et extra-musicaux, sur lesquels très souvent les gens me disent que ça ne peut pas marcher. Il faut que je les réalise, c'est plus fort que moi, et puis je ne sais pas pourquoi, ça marche, comme le concert que j’ai autoproduit récemment au théâtre du Châtelet, et qui a été un succès à tous les niveaux. Je crois énormément dans les rêves. C’est une forme de choix qui s’impose à moi, de confiance, d’envie de rêver, et après de donner toute mon énergie pour que ces rêves se réalisent. Depuis tout petit je suis rêveur, et les briseurs de rêves sont quand même fréquents. Quand tu es habitué à être à contre-courant, à rêver grand, et ensuite à réaliser tes rêves contrairement à ce que beaucoup de gens t’ont dit, alors tu ne cesses de rêver toujours plus, c’est une sorte de cercle vertueux.

Oui, c’est une sorte d’apprentissage permanent. J’ai l’impression qu’une partie de ta force est une très grande ouverture au monde, une capacité d’observation toujours renouvelée, et des racines solides et très profondes, qui font que tu t’orientes bien, qui te permettent de faire des choix.

Je suis complètement d’accord, même si je n’en n’avais pas d’idée préconçue. C’est vrai que je suis passionné par observer la vie. Par exemple je ne sais pas comment me faire cuire un œuf, donc je vais énormément au restaurant tout seul. Ca me passionne alors que j'ai certains amis que ça déprime. Pour moi c'est un bonheur, j'observe le monde, ce qui se passe, les amis, les couples, les vieux couples qui font jeunes, les jeunes couples qui font vieux, tout ça me plaît.

Vision, création, et interprétation en complémentarité, par Thibault Cauvin

Tu es interprète et la création semble également essentielle, avec ton fameux frère Jordan que tu « sollicites de façon pressante ». Je me posais la question de la façon dont ces deux dimensions cohabitaient pour toi, parce que ce n’est pas la même énergie, ce n’est pas le même rapport au temps, ce n’est pas le même type de conditionnement non plus.

Dans l'interprétation il y a une forme d'excellence toujours renouvelée, et dans laquelle l'agilité et l'aisance, le geste en fait, deviennent exceptionnels. La création part d’un autre état. Je me pose cette question parce que c'est un enjeu qu'ont tous les créateurs d'entreprises, il y a ce sujet de créer, s'inspirer, imaginer, et puis d’exécuter. On dit souvent en entreprise que la vision sans exécution, c'est de la fabulation.

Comment passes-tu de l'un à l'autre, ou comment les deux se complètent pour toi ?

C'est vrai que je suis assez complémentaire avec mon frère, parce que lui fait de la création, alors que moi je suis vraiment tourné vers les autres, vers le monde, je m'imagine jouer sur scène pour les gens qui m’écoutent. Donc quand j'ai des idées de disques, de morceaux à composer etc, ça vient de la vraie vie. Après c’est le travail du compositeur, et c'est à ce moment que je le transmets souvent à mon frère. C'est lui qui fait ensuite un voyage intérieur, qui peut être laborieux.

Moi j'ai moins l'envie d'être assis à ma table, de chercher la note parfaite, de gommer. Ce qui me plaît, c'est le gros coup de pinceau. Ensuite le travail d’orfèvre c'est lui qui le fait, je n’ai pas la patience de l’artisan. J'arrive avec l'idée, le concept, le délire, et après il me livre en échange cette partition. Là je me transforme à nouveau en sportif, j'apprends la partition, et dès ce moment-là je m'imagine la raconter en scène.

Finalement, tu pars de la vision macro, de l'envie, et puis tu repasses dans la projection. C’est intéressant parce que les sportifs de haut niveau utilisent beaucoup la visualisation pour s'entraîner, pour se projeter dans une situation en jeu, pour éviter le stress, ou imaginer une issue positive. Nous préparons également les dirigeants comme ça à tous types de situation. Finalement c'est ce que tu fais tout le temps !

Oui, c'est ce que je fais tout le temps. Et ensuite, au moment du concert, il y a deux espaces temps, car à la fois tout est long, j'ai le temps de voir mes deux mains, de voir où je suis sur la partition, d’être dans le temps de la note comme si ça allait tout doucement, et il y a également à nouveau la sensibilité de l'instant. C’est toujours très différent selon que la salle est grande ou petite, que le public est chaleureux ou plus difficile à attraper, que je suis fatigué ou en pleine forme. Tout ça j’essaye de le cultiver dans l'instant. J'aime beaucoup faire des disques, mais il y a un côté éphémère dans le concert que je trouve extraordinaire, et qui paradoxalement nous fait côtoyer une forme d'éternel. Je retrouve ça dans le surf, c’est une communion absolue qui est très courte, même les longues vagues durent au maximum une quinzaine de secondes, et j'adore ça.

J'adore la peinture, et je côtoie souvent des peintres qui me fascinent. Quand je regarde un tableau il y a un truc qui se crée. Mais quand tu as quelqu’un qui joue pour toi, cela se crée dans l'instant, et quand le morceau est fini, c’est terminé. Cet aspect vivant est très fort.

Ta relation au public est hyper importante, on la sent complètement dans tes concerts, où l’on sent qu'on va vivre un moment exceptionnel bien au-delà du fait d'écouter de la musique. Que cherches-tu à créer ? Est-ce que ta relation au public est contributrice de quelque chose d’autre, est-ce que c’est l’harmonie ?

En fait ce qui me plairait c’est qu'on oublie ma guitare, et que l'on vive ensemble un moment de communion, c'est ça que je cherche. Dans les concerts je raconte beaucoup d’histoires, et j’ai envie que l’on s’amuse, que ce soit magique. Entendre les gens rire dans la salle me bouleverse. Il y a un truc presque mystique, dans cette vérité, cette authenticité, cette communion, je ne sais pas, chamanique peut-être.

C’est spirituel indépendamment de toute croyance, c'est quelque chose qui te dépasse, et qui devient beaucoup plus grand ?

C'est ça qui est merveilleux. Des architectes ont créé une salle à l'acoustique incroyable, l'outil a été fait par les plus grands luthiers du monde, l’ingénieur du son est l'un des meilleurs de la ville, tout est choisi, tout est parfait, et au final comme c'est réussi, c'est comme si tout ça a été oublié, et qu'en fait la vie a gagné. On oublie qu’on est dans une salle, on oublie tout. C’est ça ma quête, c'est ce moment magique qui est indescriptible, qui est une communion absolue, et c'est merveilleux.

Un jour je me suis retrouvé dans un petit village complètement paumé au Mexique et voilà que j’entends quelqu’un jouer. Il jouait hyper mal, tout était nul, mais c’était extraordinaire. Le gars était vieux, il savait qu'il ne jouait pas bien, mais la passion qu'il avait à jouer était magnifique. J'étais là, il a vu que j'étais interpellé, il a vu que je comprenais, mais il ne savait qui j'étais. Je suis resté à l'écouter 10 min, il y avait d'autres personnes autour, que des gens du village un peu vieux, sous un arbre. C’était il y a 20 ans, je te raconte ça alors que je ne vais pas forcément te raconter les concerts des plus grands pianistes au monde, Arcadi Volodos qui est incroyable, mais en fait ce moment m'a presque fait un effet plus fort. Du coup, mon idée est d'essayer de rajouter cette vie quand je joue, dans la virtuosité mais sans me cacher derrière la virtuosité.

Thibault Cauvin, aventurier de la vie

Tu prends des risques d’ailleurs. J’ai trouvé très audacieux au Châtelet quand tu as fait intervenir la personne qui accompagne tes enregistrements.

C’est important pour toi de prendre des risques ?

Je suis un aventurier de la vie, vouloir jouer du bout du monde, jouer avec des petites oreillettes avec un gars qui t'envoie des informations alors que tu es en plein concert, partager mes concerts avec Thylacine, Yarol Poupaud, tout ça me plaît. Je vis des choses très fortes que j'ai envie de raconter à mon public, que je considère comme des amis car ils sont touchés par ma musique. Alors, comme à des amis, j'ai toujours envie de leur offrir un nouveau week-end, un nouveau resto, un nouveau projet, que l’on vive des expériences ensemble. C'est pour cela que je reviens souvent à cette phrase « je préfère vivre par la folie que par la peur », parce qu’au moins ces trucs un peu fous créent des histoires.

Je préfère vivre dans la folie que par la peur

Thibault Cauvin

Et puis dans l'amitié il y a aussi une forme d'inconditionnalité qui fait que tu peux te permettre des choses, parce que le regard de l'autre est à priori bienveillant. On peut s'éloigner, on peut se rapprocher, mais il y a une forme de pérennité dans le lien.

Il faut toujours entretenir ce lien. Tu vois je joue de plus en plus à la fin de mes concerts un petit morceau d'improvisation, alors que je ne suis pas improvisateur. C’est donc très fragile, et parfois c'est moins bien que d'autres. Mais à la fin du concert où on est devenu amis pendant 1h30, où j’ai jouée des choses que je maîtrisais parfaitement, c’était virtuose, je me dis que ces 3 mn là, même si c'est un peu raté, en fait ça ne peut pas être raté parce que c'est sincère. L’amitié se joue dans ce genre de petits moments.

Toute cette énergie que tu reçois du public, des liens que tu crées, de la musique en elle-même d'ailleurs aussi, du surf, est-ce que c’est cela qui te régénère ? Parce que j'imagine que même si tu es hyper actif, tu as aussi des moments de fatigue.

Qu'est-ce qui constitue est pour toi des ressources, y-a-t-il des personnes qui vont être des supports, une forme d'aide pour toi ?

Mon entourage est très précieux, mon père est encore très présent dans la dimension très guitaristique, il y a mon frère, et j'ai une équipe formidable, ça c'est pour le côté plus professionnel. J’ai mon entourage amical, tout un cercle qui me plaît et avec lequel je me détends.

Après en effet il y a le surf. C'est ma passion absolue, avec ce truc un peu merveilleux où tu rentres dans l'eau et tu oublies tout instantanément. C’est une force incroyable, ça nettoie la tête. C'est vrai que je suis très observateur de la vie mais je suis aussi très réfléchi, et sans avoir de prétention philosophique j'ai constamment des pensées qui parfois m’épuisent. Dans les vagues, il y a ce truc merveilleux où tu ne penses qu’à l'instant absolu, au présent total, et ça c'est génial.

Et puis j'adore me balader, tu vois à Paris j'ai choisi de vivre dans le 18è arrondissement, je regarde à droite je suis en Inde, à gauche en Afrique, je voyage. Je repère tout de suite les gens bizarres, les gens atypiques, dès que je vois quelqu'un qui est qui est en marge ça m'intéresse.

Ça ouvre aussi plein d'espaces de liberté. J'ai l'impression qu'il y a le sujet de la liberté qui est immense, et que dès qu’il y a de la différence il y a de la liberté parce que quelque chose peut s'exprimer…

On arrive à mes questions de fin, dont celle des maximes, tu m’en as donné deux :  « je préfère être guidée par la folie que par la peur » et « la sécurité c'est le plus grand des dangers », tu aimes les maximes ?

En fait j'aime bien trouver des petites phrases comme ça. Quand une idée de type philosophique me travaille, j’essaye d'aller au bout de mon idée, de me contredire, et puis après de la condenser, pour qu'elle tienne dans une petite phrase.

Après tu utilises ces petites phrases comme des mantras, cela te permet aussi de calmer ton esprit ?

Ca me permet de m’en souvenir, ce sont des points de repère positifs. Par exemple quand j’ai un projet et qu’à nouveau on me dit que c’est complètement fou et que ce n’est pas possible, je me rappelle ces deux phrases. Ça me permet de parier sur le positif. Quand tu as peur tu es prudent, même en surf quand tu veux prendre une grosse vague, si tu as peur tu es sûr de la rater ! Très souvent j’ai été confronté à ce truc-là. Si tu as peur, et que ton projet se confirme, tu n'es pas préparé et tu es sûr de perdre, alors que si tu paries sur le positif tu peux être déçu, mais si ça passe tu gagnes vraiment.

Quel serait le dernier message que tu voudrais passer à ceux qui nous lisent ?

De rêver grand.

Je suis un rêveur absolu. Je pense qu’au final il n’y a plus que ça qui compte, parce qu’il vaut mieux vivre une expérience et se planter, plutôt que de ne pas la vivre. Moi j'aime l'idée d'avoir cette liberté qui offre la chance d'avoir des rêves, ensuite d'intellectualiser les rêves, et de donner toute son énergie pour les réaliser. C’est comme ça que je fonctionne. L'aventure, les rêves, sont auteurs de tout. Pour moi c’est vers le beau, parce c'est un peu ça le sens de ma vie, je pense que le beau est la clé. Pour d’autres ce seront probablement des objectifs différents, d’autres manières d’agir. Je ne sais pas ce qui est le mieux, et je souhaite juste partager ce qui me plaît, et qui jusqu'ici m'a souri.

Avec son magnifique sourire, sa présence ancrée et sa détermination tranquille, Pauline Ado est solaire. Et quand on regarde son palmarès hors norme, on est impressionné par la puissance de l'athlète.

Rien n'est laissé au hasard, et Pauline gère ses capacités physiques, mentales, et son équilibre personnel en fonction des objectifs qu'elle se fixe.

Alors à défaut de partir avec elle pour Tahiti, c'est le moment de prendre la vague, et de rentrer dans le mental d'une multiple championne du monde de surf. Laissez-vous porter !


.......

Bonjour Pauline, tu es très connue dans le monde du surf, peux-tu nous présenter rapidement ton parcours ?

J’ai commencé le surf à l’âge de 8 ans. C’était un sport que ma famille ne connaissait pas du tout, mais pour moi ça a été de suite le coup de coeur. Rapidement, on m’a poussé à faire de petites compétitions. Je détestais ça à mes débuts. Et puis j’ai gagné ma première compétition à l’âge de 10ans et ça a été le déclic !

J’ai vite progressé jusqu’à ma première sélection en Equipe de France junior puis j’ai décroché plus tard deux titres de championne du monde Junior (ISA International Surfing Association en 2006 et WSL [1] World Surf League en 2009). Je suis passé professionnelle après mon Bac à l’âge de 18 ans. Je suis passée par plusieurs hauts et bas dans ma carrière. Parmi les hauts : 5 années sur le WCT [1] (World Championship Tour), un titre de championne du monde ISA en 2017, 7 titres de championne d’Europe WSL et une qualification aux premiers JO de surf aux Jeux de Tokyo 2020 l’été dernier !

©WSL

"Je peux être à ce niveau dans quelques années"


Quand et pourquoi as-tu eu envie de faire du surf ton métier ?

C’est un moment dont je me souviens très bien. J’avais 13 ans et je participais à mes premiers championnats du Monde ISA junior avec l’Equipe de France. Là, pour la première fois, j’ai vu le niveau des meilleurs mondiales juniors. Elles étaient plus âgées que moi et je me suis dit : je peux être à ce niveau dans quelques années. J’étais passionnée par mon sport, j’aimais la compétition, les voyages et le lifestyle me faisait rêver ! A partir de ce moment là, c’est devenu mon objectif.

Est-ce que tu gardes toujours autant de plaisir à surfer maintenant que c’est ta profession ?

Cela fait plusieurs années maintenant que c’est mon métier. La passion est toujours là et je me vois surfer toute ma vie ! Je prends du plaisir dans mon sport mais aussi dans cette quête de progression au quotidien. Est-ce qu’il m’arrive de ne pas avoir envie de m’entraîner ou d’aller à l’eau ? Oui… ! Mais ça cela relève plutôt d’une gestion mentale. Globalement, j’adore toujours autant ce que je fais.

Tu as été sélectionnée pour les premiers JO dans lesquels le surf était présent, qu’est ce que ça change pour toi ? En terme de préparation, d'entraînement, de pression médiatique ?

Depuis que le surf a été annoncé aux Jeux (en 2016), c’est devenu un gros objectif pour moi. Les Jeux c’est une autre dimension ! Les principes de ma préparation sont restées les mêmes globalement. Mentalement, il a fallut gérer la pression de la qualification sur un évènement décisif. C’était intense ! On a senti l'engouement médiatique, l’intérêt des partenaires aussi… ce sont des paramètres en plus qu’il faut gérer. Mais en règle générale cela a été hyper positif. 

©Fitzroy - New Zealand

"Tout part du mental. La concentration, l’intensité que tu vas mettre dans chaque entraînement au quotidien, chaque moment clé de ta préparation, influenceront tes performances finales."

Pauline Ado

Le mental est particulièrement important dans le surf, où les conditions changent en permanence, le danger est présent, et la concentration impérative. Le take-off [2], c’est aussi l’affaire d’un instant.

Je lisais dans une interview que tu as donnée à l’Equipe [3], “la pression, il faut apprendre à l’aimer”.

Comment le vis-tu au quotidien ? Est-ce que tu te prépares mentalement ?

Oui, je pense que la dimension mentale est la plus importante. Tout part du mental. La concentration, l’intensité que tu vas mettre dans chaque entraînement au quotidien, chaque moment clé de ta préparation, influenceront tes performances finales.  Actuellement, je suis suivie par une psychologue du sport. Je fais aussi appel à des techniques de préparation mentale. J’ai pas mal d’outils, de routines, d’éléments de réflexion à ma disposition. J’adore ce processus d’introspection, et trouver des outils mentaux qui me permettent d’être plus performante au quotidien mais aussi plus équilibrée dans ma vie.

Par exemple, j’utilise beaucoup l’imagerie mentale. Dans mon sport, la répétition des gestes techniques n’est pas facile, l’imagerie mentale permet d’intégrer des automatismes, corriger des postures… cela fonctionne aussi pour renforcer la confiance, anticiper les moments de pression. On peut imaginer tous les scénarios, les anticiper, s’y préparer et répéter des manoeuvres à l’infini via le mental. Je fais régulièrement ces exercices et encore plus en période de compétition.

 
As-tu d’autres routines de performance ?

Oui quelques unes ! Notamment liée à la préparation physique : des routines d’échauffement, de récupération, yoga, respiration etc… 

Ce sont des routines qui ont des bienfaits autant sur le physique que sur le mental. J’aime bien faire du yoga en début de journée pour réveiller mon corps, conserver ma mobilité mais cela me permet aussi me recentrer et d’avoir les idées claires sur ce que j’ai à faire pour la suite de la journée. 


Après une journée de compétition, il est aussi essentiel pour moi de bien récupérer des efforts physiques mais aussi de mes émotions et de faire une sorte de reset pour le lendemain. J’aime bien dans ce cas là faire des méditations, des scans corporels le plus souvent. Je prends aussi le temps d’écrire et de faire le point sur ma performance, mon état mental et également sur ce que je veux mettre en place le lendemain. Cela m’aide à y voir clair. 

"Ce sont les petites victoires du quotidien qui font les grandes performances"

Pauline Ado


Qu’est-ce qui fait la victoire pour toi ?

La victoire, ce n’est pas uniquement une place sur la plus haute marche du podium. C’est ce qu’on recherche évidemment lorsque l’on fait de la compétition. Mais elle peut prendre d’autres formes : atteindre des objectifs dans des axes de progression que l’on s’est fixé, arriver à gérer et se sortir de situations stressantes, faire les bons choix stratégiques… etc. Ce sont les les petites victoires du quotidien qui font les grandes performances !

Tu es une femme dans un sport qui est assez masculin, est-ce que cela a influencé ta carrière, l’attention qui t’a été portée à tes débuts ?

Je ne peux pas vraiment dire que j’ai ressenti du machisme à l’eau… mais à mes débuts le surf féminin était beaucoup moins développé. Nous étions peu… Un de mes sponsors à l’époque s’inquiétait de devoir encadrer des filles pour des stages d’entraînement 😅, il n’y avait pas de catégories femmes sur les compétitions pro junior, certaines directions de compétition faisaient surfer les filles systématiquement quand les conditions de vagues se dégradaient... Mais cela ne m’a pas traumatisée. Je savais où je voulais aller, et je traçais ma route. Mais tout cela a bien changé depuis, le surf féminin en a fait du chemin !

Comme certains de nos chefs d’entreprises, tu te déplaces beaucoup, tu encaisses les décalages horaires, comment gères-tu cela avec ta récupération, et ton équilibre pro-perso ?

J’intègre ce paramètre dans le délai de préparation avant une compétition. Si je me déplace loin, alors j’arrive plusieurs jours à l’avance pour prendre le temps de récupérer. A l’arrivée, je reprends dès que possible un rythme normal et une activité physique sans trop d’intensité. Parfois c’est dur, il faut se faire un peu violence mais c’est le meilleur moyen de se remettre vite du voyage. 

Pour ce qui est de l’équilibre pro/perso, j’essaie au maximum de voyager avec mon mari ou quelqu’un de ma famille. Mais ce n’est pas toujours possible. Ma vie pro prend tellement de place qu’il est dur de les dissocier. Alors je m’accorde des jours, des périodes de ma saison où je coupe du surf, où je fais autre chose. Après plusieurs années d’expérience, c’est l’équilibre que j’ai trouvé et qui me convient. 

©RiBlanc - La Madrague-Anglet

Tu as une connexion très intime à l’Océan, et tu es devenue ambassadrice de la Surfrider Foundation, peux-tu nous dire ce que cette cause représente pour toi ?

Petite, j’ai vécu des marées noires, des plages interdites d’accès, du mazout collé sous les pieds et la wax après les sessions… Je me souviens déjà que les campagnes de sensibilisation à l’école ou dans les clubs de surf, qui m’interpellaient. Lorsque l’on est à l’eau au quotidien, on est aussi témoin des pollutions qui menacent notre océan et nos plages. C’est pour ça que je trouvais important de m’engager pour un milieu qui me donne tant.

Est-ce que tu aurais un message à passer aux femmes qui aujourd’hui entreprennent, prennent des risques et des responsabilités, se mettent en visibilité ?

Personnellement, j’admire les gens qui osent et qui se battent pour atteindre leurs objectifs et leurs rêves. Je leur dirais simplement qu’elles sont une source d’inspiration !

Interview réalisée par Thérèse Lemarchand, CEO Mainpaces

mai 2022, mise à jour en aout 2023

[1] : le WCT est LE championnat de surf mondial. Il rassemble les 35 meilleurs surfeurs du monde chez les hommes, et les 17 meilleurs surfeuses du monde chez les femmes. Atteindre ce niveau est une consécration dans le monde du surf. Pour mieux comprendre le fonctionnement, une explication très claire ici : https://homieboards.fr/decryptage-du-monde-du-surf-professionnel/

[2] : Take-off : moment où la surfeuse passe de la position allongée à la position levée sur sa planche

[3] : https://www.lequipe.fr/Adrenaline/Surf/Actualites/Pauline-ado-la-pression-il-faut-apprendre-a-l-aimer/1292672

Antoine Albeau est une légende du windsurf. Sportif français le plus titré de l’histoire, il détient 26 titres de champion du monde et en particulier le record de vitesse en planche à voile avec 53,27 nœuds (soit 98,66 km/h), obtenu à Lüderitz (en Namibie) en 2015.

Cette longévité exceptionnelle tire ses racines dans une sensation de plaisir toujours renouvelée : “Ma motivation était de passer du temps sur l'eau dans un élément que je connaissais par cœur et que j'appréciais, et sur lequel je suis très à l’aise.  (...) Cette facilité me donne une grande sensation de liberté. (...) C'est encore quelque chose que je ressens à chaque fois que je vais naviguer, sur mes premiers plannings ou mes premiers vols en foil. C'est une forme d'euphorie, c'est de la joie."

Pour les records de vitesse “c’est de la performance pure. C’est beaucoup de concentration, et de force physique.” Quant au mental, tout est une question de préparation et d'entraînement “J'ai appris au fil des ans que même si tu es le meilleur, si tu n’es pas prêt le jour J de la compétition, tu as peu de chances de gagner. Être prêt, c’est être prêt sur tout, le matériel, et tous les types de conditions.

Aujourd’hui Antoine développe avec Marc Amerigo le projet Zephir, pour allier performance de glisse et performance environnementale. Son dernier message ? “Il faut se rapprocher de l’écologie !” 

Interview réalisée le 17/04/2023 par Thérèse Lemarchand, CEO Mainpaces

Les sports nautiques, une histoire de famille

Bonjour Antoine, tu es une légende du windsurf, le sportif français le plus titré de l’histoire, tu as 25 titres de champion du monde sur différentes disciplines, et tu détiens en particulier le record de vitesse en planche à voile avec 53,27 nœuds (soit 98,66 km/h), obtenu à Lüderitz (en Namibie) en 2015.

Comment en es-tu arrivé là ?

Je suis né dedans. Mes parents étaient sportifs, ils faisaient beaucoup de natation, de nage avec palme, et dans les années 70 ils ont monté un club de plage à l'île de Ré. Deux ans après ils ont monté un club de voile. Quand la planche à voile est arrivée, mon père a sauté dessus, il a fait quelques compétitions, et le premier show de France à l'île de Groix en 78.

Je suis arrivé à ce moment-là, j’ai commencé à l'âge de 5 ans. A l'époque il n’y avait pas le matériel qu'on a maintenant pour les enfants. Mon père a fait couper la tête d'une voile et m'avait confectionné un petit bout de planche. A 5 ans je m'amusais avec ça entre deux châteaux de sables.

L’engouement pour le windsurf s’est développé. Il y avait des petits entraînements pour le les jeunes de mon âge à l'école de voile, et des compétitions régionales sur l'île de Ré. Il y avait une catégorie de moins de 14 ans, donc je faisais toutes ces compétitions les week-ends de l'été avec mes amis. Ensuite je suis rentré en sport études, et j'ai gagné championnat de France minimes port Camargue. J'ai continué avec des entraînements réguliers chaque semaine, le week-end durant toute l'année, et il n’y a jamais eu un moment où je me suis dit que je n’avais pas envie de faire de la planche.

Antoine Albeau-FRA: Nouveau Record du Monde 53.27 nœuds

Cela veut dire que tu as eu toujours envie de naviguer, même si c’était hyper intense en termes d'engagement et d'emploi du temps (Ndlr – Antoine Albeau a 51 ans et vient juste de mettre fin à sa carrière sur le World Tour) ?

Oui c’est sûr, entre mes entrainements, mes compétitions, ça prenait quand même pas mal de temps, mais finalement je n’avais pas envie de faire autre chose. Pour moi c'était plus un amusement, comme si tu allais faire du vélo, jouer au tennis, ou je ne sais pas, lire une BD J

Quand je suis passé en professionnel là c'était 7 jours sur 7.  Mais c’était sympa. Je m’entrainais sur le pôle de La Rochelle, je m'entraînais aussi seul, et avec d'autres gens qui faisaient la Coupe du monde on se retrouvait Tarifa ou à Maui l'hiver. Quand je suis rentré chez Neil Pryde, ils avaient des bureaux de développement là-bas, donc je passais mes hivers à Hawaï à développer et tester le matériel.

A cette époque il y avait beaucoup de riders qui allaient à Hawaï l’hiver pour pouvoir naviguer sans avoir froid, les conditions étaient vraiment bonnes. Maintenant il y en a moins, c'est devenu trop cher ils vont plutôt passer l'hiver à Ténérife.

Antoine Albeau, le plaisir et la motivation comme leviers de réussite

Tu as navigué et gagné dans toutes les disciplines, le slalom, les vagues, la vitesse. Qu'est-ce qui t'a donné cette agilité-là, est-ce que c'est courant chez les riders ?

Ce n’est pas courant mais quand j'ai commencé il y avait 3 disciplines, les vagues, le slalom, et la race. Il y avait un titre de champion du monde dans chaque discipline plus un titre Overall, donc tous les riders faisaient toutes les disciplines. Ce n’est que quelques années plus tard qu’ils ont enlevé le titre Overall et que les riders se sont spécialisés. Certains étaient gênés avec leur gabarit parce qu'ils étaient trop lourds pour faire des vagues, ou trop légers pour la vitesse, donc ils se sont concentrés dans leur discipline.

Moi j'ai toujours tout fait, parce que pour moi c'est plus ou moins la même chose, tu as une planche dans les pieds, un wishbone dans les mains. Les heures passaient sur l'eau et c'était bénéfique pour toutes les disciplines, j'étais à l'aise, j'étais agile pour mon gabarit. Quand j'ai été champion du monde de freestyle en 2001 je devais faire 95 kilos, alors que je me battais face à des gars qui faisaient 1m65 et 60 kilos, j'étais un peu l'exception.

Quelle était ta motivation, le fun sur l’eau, les victoires ? Que ressens-tu quand tu navigues ?

Ma motivation était de passer du temps sur l'eau dans un élément que je connaissais par cœur et que j'appréciais, et sur lequel je suis très à l’aise. Je m’ennuie à faire toujours la même chose, donc j’avais besoin de tout pratiquer, y compris le surf, le kite ...  

Cette facilité me donne une grande sensation de liberté. Quand tu arrives à aller à une certaine vitesse et à te déplacer quasiment où tu veux avec un support qui s'appelle la planche à voile et en utilisant l'essence du vent, c'est top. C'est encore quelque chose que je ressens à chaque fois je vais naviguer, sur mes premiers plannings ou mes premiers vols en foil.

C'est une forme d'euphorie, c'est de la joie.

Antoine Albeau

Est-ce que c'est ce sentiment-là de joie qui te guide et t'indique que tu vas être le plus aligné possible aussi dans une quête de vitesse ?

Oui, sachant que la différence pour la vitesse c'est le développement du matériel, j’en ai fait quasiment toute ma vie. C’est un matériel beaucoup plus radical. C'est génial parce que tu essayes de produire des planches et des voiles qui vont être plus faciles pour toi pour les emmener le plus rapidement possible sur la mer. C'est de la recherche et développement, ce que font tous les ingénieurs qui développent des iPhone ou d’autres produits dont ils optimisent la taille ou les fonctionnalités, sauf que nous on n'a pas d'électronique. On a des formes, des profils, des matériaux, ou des placements, à utiliser au mieux pour être plus léger, pour voler sur l'eau, et ça ouvre énormément de possibilités de réglages.

Ensuite, pendant les records de vitesse, c’est de la performance pure. C’est beaucoup de concentration, et de force physique. Les conditions sont très fortes, on sait que tomber veut dire se faire mal, ou casser du matériel.

Antoine Albeau et la force du mental

A propos du mental justement, quel est ton état d’esprit dans ces situations où beaucoup d'éléments entrent en ligne de compte et créent parfois des conditions extrêmes. Je regardais une de tes vidéos à l’île aux vaches (Pointe du Raz) en décembre 2007, avec plus de 10 m de houle, 15 secondes de périodes, des claques à 50 nœuds de vent, le froid ... Il y a aussi le stress des compétitions, appréhendes-tu cela ?

Je n’ai jamais vraiment fait de préparation mentale, à l'époque ça ne se faisait pas trop, sauf peut-être dans certains sports plus populaires. Je pense que mentalement j'étais fait pour ça, j'étais programmé pour avoir un bon mental, même assez fort par rapport aux autres riders de planche à voile, c’est ce que les gens disent.

C'est important parce que tu peux avoir des sportifs qui vont être très doués, super forts, et mentalement ils vont lâcher prise. Ce qui contribue à ça aussi est ton entourage, c’est primordial d’avoir du soutien familial, de bons amis, cela te donne toujours plus de facilité à endosser les problèmes inévitables ou le stress des compétitions.

Même si tu es le meilleur, si tu n'es pas prêt le jour J tu as peu de chance de gagner.

Antoine Albeau

Je pense que j'ai aussi appris à avoir un bon mental avec toutes ces années de compétitions. Ce n’est pas venu comme ça du jour au lendemain, j'ai pu apprendre progressivement à être bien mentalement. Tout est une question de préparation et d’entrainement. J'ai toujours essayé de préparer mes saisons, et de préparer les événements qui arrivaient. Avec le PWA (Professional Windsurfers Association – qui organise les championnats du monde de windsurf) on a pu avoir jusqu’à 25 épreuves dans l'année, 2 par mois. C'est énorme et ça veut dire arriver 2 ou 3 jours avant l'événement, naviguer, et repartir vite pour aller à l’autre épreuve. J'ai appris au fil des ans que même si tu es le meilleur, si tu n’es pas prêt le jour J de la compétition, tu as peu de chances de gagner. Être prêt, c’est être prêt sur tout, le matériel, et tous les types de conditions.

Antoine Albeau, vers un après compétition plus responsable

Aujourd’hui tu es sorti du PWA, et tu passes une bonne partie de ton temps sur le projet Zephir avec Marc Amerigo, qu’est-ce que ça représente pour toi ?

Avec Zephir on essaye de révolutionner les sports de glisse avec une recherche basée entre-autres sur le biomimétisme, avec une approche durable d’un point de vue environnemental, et en développant de l'activité en France. Moi je teste le matériel, on fait des simulations sur ordinateur et en soufflerie. C’est hyper intéressant parce qu’on croise et recroise les calculs et mes ressentis, les conclusions que l’on peut en tirer, c’est très itératif et beaucoup plus précis en termes de validation. 

© Richard Bord - Zephir Project

On a démarré ce sujet sur une envie, avec des personnes qui y ont toutes contribué bénévolement. On avance en collaboration avec plusieurs laboratoires et entreprises basés sur La Rochelle, Nantes, Lorient, Brest, Saint Malo et ailleurs en France pour mettre en œuvre des solutions techniques issues du biomimétisme. C'est à présent possible avec les nouvelles techniques d'impression 3D et de nouvelles résines recyclables, en utilisant aussi des fibres plus naturelles comme le lin par exemple pour remplacer la fibre de verre. Nous voulons limiter notre empreinte carbone tout en développant la performance.

Aujourd’hui nous avons besoin de financer notre R&D, et nos campagnes de prototypage et de tests. On recherche 1.2 M€ sur 3 ans sous forme de sponsoring puis d'investissement pour atteindre nos objectifs sportifs et de sensibilisation, et déployer nos innovations.

On veut montrer que l'on peut allier la performance de glisse et la performance environnementale. On a le bon sport pour cela. On utilise une "essence" naturelle qui est le vent, mais on pollue trop avec notre matériel plastique et très carboné, on génère beaucoup trop de déchets. Il faut changer de modèle, et prendre le sujet par tous les bouts, du côté des grosses entreprises et aussi du côté de structures beaucoup plus agiles comme la nôtre et qui vont permettre de penser et de faire différemment.

Quel est le dernier message que tu voudrais faire passer à ceux qui nous lisent ?

Il faut se rapprocher de l'écologie, et je pense qu'on a les moyens de le faire. La France est un pays qui répond présent, on est en bonne voie, et il faut encore pousser parce que c'est difficile. C'est plus coûteux de produire à base de recyclage, ou des produits qui vont être recyclable, et de fabriquer en France, mais aujourd’hui c'est dans la la tête des gens, et ça rentre dans la vision des entreprises. Il faut accompagner cette prise de conscience et le passage à l’action en faveur de l’écologie, et on a la chance quand on est connu de pouvoir faire passer des messages. Pour que les mentalités changent, il y a aussi une question de confiance dans le discours politique à travailler et de cohérence du discours, car au niveau individuel on a peu de données et de compréhension globale de l’impact d’un produit sur son cycle de vie.

Après, le plus important est au niveau de l'école et de l'enseignement des tout-petits, parce que c’est là que les habitudes se prennent, que l’on se formate, et c'est difficile ensuite de revenir en arrière. Donc c'est peut-être cette nouvelle génération qui va aider la génération d'avant, des plus vieux, pour les empêcher de faire des choses qui pourraient être polluantes ou de détruire la nature.

Jean-Philippe Lachaux est directeur de recherche à l’INSERM. Docteur en neurobiologie et neurosciences, Jean-Philippe Lachaux travaille depuis 15 ans sur les sujets liés à l’attention. L'attention est le processus de sélection, d'activation et de facilitation de certains réseaux de neurones au dépend des autres. Ce processus peut être déclenché de manière réflexe, par un stimulus externe ou interne, ou bien se développer sous forme d'un contrôle endogène exerçant son influence depuis la partie la plus antérieure du cerveau, le lobe frontal. 

Jean-Philippe s'intéresse particulièrement à ce deuxième aspect. Pour lui, il existe pour chaque activité, qu'il s'agisse de lire un livre, de retourner un service au tennis, d'écouter un exposé, parler à un ami ou simplement manger un bon repas, des états attentionnels optimaux, au cours desquels l'attention ajuste finement l'équilibre entre les automatismes du cerveau pour parvenir à une grande efficacité et une grande qualité d'expérience et de ressenti, accompagnées d'une sensation d'effort minime.

Dans cette interview nous entrons avec lui dans nos cerveaux souvent distraits, “il y au moins 3 systèmes qui sont en compétition. Parfois ils sont d'accord, parfois pas, et cela explique un peu toutes les dérives de l'attention qu'il peut y avoir dans une journée.” À partir d’une clé essentielle “ PIM : Perception - Intention - Manière d'agir ”, Jean-Philippe détaille un mode d’emploi pour se concentrer, ce que nous apprennent les sportifs de haut niveau sur ces sujets-là, et l’importance d’entretiens d’explicitation dans le développement d’une pratique experte.

On y parle également d’émotions “le stress est typiquement un exemple d’effet négatif de l'émotion sur la concentration “, et du secret de l’efficacité “tout le temps que tu consacres à une activité, si tu es bien concentrée, que tu as une intention claire à chaque instant de ce que tu dois faire, tu ne peux pas être meilleure, ce n’est pas possible. Donc ça n’a pas d'utilité de se mettre une pression temporelle supplémentaire”.

Ce soin porté à l’attention est pour lui majeur pour avancer vers une société pacifiée. “Au niveau sociétal, j’aimerais refaire de l'attention une vraie valeur, qu’elle soit remise au premier plan” nous livre Jean-Philippe. Etre bien dans ce que l’on fait n’est-il pas une envie largement partagée ?

Interview réalisée le 28/04/2023 par Thérèse Lemarchand, CEO Mainpaces

L’attention : la découverte d’un sujet qui est devenu une passion

Bonjour Jean-Philippe, tu es directeur de recherche à l’INSERM, spécialiste de l’attention, peux-tu nous expliquer rapidement ce qui t’a amené là depuis ta sortie de l’Ecole Polytechnique ?

En y réfléchissant, je me souviens qu’étant jeune adolescent je faisais des trucs un peu bizarres. Je mettais une montre un bout de la pièce et j’essayais de voir si j'entendais le tic-tac tout le temps, ou quand je le perdais. En fait, j'étais en train de faire des expériences d'attention, et je pense que tous les adolescents ne font pas ça ☺, donc je devais déjà avoir un terrain d'intérêt pour la question de l'attention. Ce qui a déclenché un intérêt plus important est le sport de haut niveau, et plus précisément le tennis. En regardant les compétitions de tennis et en voyant l'utilisation qu’ils faisaient de leur attention, notamment un joueur qui s'appelle Mats Wilander qui disait pouvoir se concentrer à volonté quand il en avait besoin, je m'étais dit « ça c'est génial, je veux le développer pour ma prépa ». C'était encore un intérêt un peu vague à l'époque, et c'est à l’X que je me suis demandé ce que je voulais faire dans la vie. La première année d'armée laisse beaucoup de temps. J’ai commencé à lire, et je me suis dit que c’était vraiment ça que je voulais faire, apprendre ce qu’était l’attention, à la fois sous un angle théorique avec les neurosciences, et sous un angle pratique avec le zen. Ça date donc de mes 20 ans à peu près.

Comment t’es-tu mis au zen ? 

A la sortie de l’X il y avait un dojo où j'allais régulièrement le matin. Après je suis allé faire des séances un peu plus soutenues vers Blois où il y avait un grand centre, et puis j’ai développé une pratique quotidienne. Quand on a 20 ans, le cerveau n’est pas encore terminé, donc ça m'a structuré, et je pense que ça m’a beaucoup influencé ensuite.

Aujourd’hui c’est le cœur de mon travail, d'essayer de faire sans arrêt une sorte de pont entre la théorie de l'attention et l’attention dans la vie quotidienne. 

Qu’est ce que l’attention ? 

Alors entrons dans cet exercice avec toi. Peux-tu nous nous expliquer ce qu'est l'attention, et ce qui la commande ?

On voit souvent l’attention sous l'angle de la sélection de stimulations extérieures à soi : nos organes et nos sens sont bombardés de signaux en permanence, et c'est beaucoup plus que ce que le cerveau peut traiter efficacement. Il va donc y avoir une sélection à chaque fois de certains signaux « ça, pas ça, ça, cet objet, ce qui se passe, cette position de l'espace » et cetera… C’est une sélection constante consciente.

Jean-Philippe Lachaux - Attention

Cette sélection de ce qui est à l'extérieur de soi, vaut également pour ce qui est en soi, à l'intérieur. On peut porter son attention sur une pensée, sur quelque chose qu'on se dit dans sa tête, sur une image mentale, sur une émotion, … C’est le même principe de sélection de départ, qui se fait sur ce qui est plus important que le reste à ce moment-là.

Quelles sont les lois qui la régissent ?

Il y a plusieurs systèmes dans le cerveau qui peuvent entraîner l'attention dans une direction, et qui vont l’accaparer en fonction de ce que chaque système va considérer comme le plus important.

Celui auquel on s'identifie habituellement est un système volontaire, c'est ce qu'on décide de façon rationnelle. 

Mais souvent on n'y arrive pas, notre attention est ailleurs, on se laisse distraire. Pourquoi ? Parce qu'un autre système dans le cerveau va prendre le contrôle et l'orienter ailleurs. 

Il y en a principalement 2 :

Le sujet est plus vaste, mais tu as donc au moins 3 systèmes qui sont en compétition. Parfois ils sont d'accord, parfois pas, et cela explique un peu toutes les dérives de l'attention qu'il peut y avoir dans une journée.

Agir sur sa propre attention, par Jean-Philippe Lachaux 

Maintenant que nous avons compris comment fonctionnait l'attention, comment pouvons-nous agir dessus au quotidien ?

Il y a 2 typologies de chemins. La première façon, c'est de dire que la volonté doit être toute puissante et que si tu n’y arrive pas c'est que tu dois être plus fort. Dans ce cas-là, si ta concentration t’échappe, tu vas être hyper frustré dès l'instant où tu n'arrives pas à maîtriser volontairement ton attention, et tu vas la ramener le plus vite possible par la force. Ça va donner des journées qui peuvent être assez épuisantes. C'est l'approche classique, c’est celle que décrit Rafael Nadal dans son livre quand il raconte sa première finale de Wimbledon contre Federer (qu'il a gagnée). Il parle de ses pensées qui le gênent, et dit qu’il essaie de les écraser, de les inhiber. Ça, c'est l'approche macho « si je suis costaud, je vais y arriver ».

L'autre approche est plus proche de ta relation avec un animal de compagnie, un chien ou un cheval si tu veux. Tu conçois qu'il a sa propre autonomie, et tu essaies de comprendre ce qu'il aime, ce qu'il n’aime pas, ses réactions, pour ensuite le contrôler par petites touches.

Attention et sensation

Ça donne une approche de l'attention où finalement tu vas faire un petit pas de recul par rapport à toi-même et ta propre attention, et tu vas la regarder vivre. « A quoi je fais attention ? » « Tiens, mon attention a dévié vers ça » Et juste, tu l'observes, et tu vas essayer de la ramener très doucement, tranquillement, une fois que tu as compris. C'est typiquement l'approche que tu vas trouver en méditation. Très concrètement par exemple, tu te balades dans un centre commercial, et tu observes juste ce que tu as tendance à regarder, ou tu choisis de regarder un point au loin et puis tu observes que tu as envie de regarder sur les côtés, les vitrines, les gens etc… Cela te renseigne sur les forces qui tirent sur l'attention, et tu commences à la voir vivre. Cela t’amène à une approche assez pacifiée de ton attention.

Tu faisais tout à l’heure une différence entre attention, intention, et concentration, peux-tu développer ? 

L'attention peut être purement passive, par exemple tu prends un plan de métro tu le regardes : tu es attentif. Si on te demande comment aller d’un endroit à un autre, tu n’en n’as en fait aucune idée parce que tu n'étais pas concentré pour cela. La concentration va utiliser ton attention dans un but. Tu vas en plus rajouter des processus actifs de mémorisation etc...

"L'attention, c'est juste sélectionner une information, une perception, mais tu n’en fais rien de spécial. Dans la concentration il y a vraiment cette idée d'en faire quelque chose."

Jean-Philippe Lachaux

Par exemple quand tu surfes, tu as plein de sensations, tu vas privilégier avec ton attention certaines plutôt que d'autres mais ce n'est pas ça qui va te faire tenir sur ta planche, tu as tout un jeu de correction de stabilisation et de direction en plus. En fait c'est ce couplage entre la perception et l'action qui fait la concentration, avec une intention.

L'attention en application dans le sport de haut niveau et chez les musiciens 

Tu as beaucoup interrogé des sportifs et des musiciens de très haut niveau pour comprendre comment ils arrivaient à développer une attention accrue, et qu'est-ce que cela induisait pour eux, tu es d’ailleurs en train d’écrire un livre sur ce sujet, quels sont les enseignements essentiels que tu en as retirés ?

C’est extrêmement riche ! Pour prendre quelques exemples, en discutant avec des entraîneurs nous avons discuté des « modes d'emploi » pour se concentrer : 

tu définis (i) ta cible attentionnelle, (ii) ce que tu dois percevoir en priorité, (iii) ton intention, et (iv) ta manière d'interagir avec ton objet d'attention, comment tu es actif. 

Typiquement un funambule me dit que tout ce qu’il privilégie en termes de perception est ce qui vient des pieds - le contact pied-sangle essentiellement, et sa manière d'agir est de corriger avec les bras, les épaules, le haut du corps. Donc il fait une sorte de couplage entre ce qu'il ressent et sa façon d'être actif, pour que l'ensemble fasse qu’il tient et qu'il avance sur son fil sans tomber.

Attention et équilibre

La question qui se posait était de savoir si pour du sport de haut niveau cette idée n’est pas simpliste, parce qu’on se dit qu’ils font attention à une multitude de choses, qu’ils font plein d’actions en même temps, qu’ils ont plein d'intentions aussi. Donc cela pose un problème par rapport à ce cadre un peu théorique, et aux limites du cerveau qui ne permet pas de faire attention à tout en même temps.

Ce que ces entretiens ont révélé, c'est qu’ils fonctionnent par tout petits segments, ce que j'appelle des sortes de micro-missions, qui vont durer peut-être une ou deux secondes à peine.

Sur chacune de ces micro-missions on va trouver une intention hyper claire, et une manière d'agir extrêmement claire également. Donc ce qu’on peut en retirer, c’est qu’en fait ils sont tout le temps concentrés, mais d'une façon qui se définit différemment presque d'une seconde à l'autre.

Et ça s'applique aussi dans la vie quotidienne !

Je vois ce que tu expliques, mais le sujet n’est-il pas alors d’avoir la bonne intention au bon moment ?

Oui, et le cerveau a une fraction de seconde pour prendre la bonne décision, pour avoir la bonne intention, et il y a pas mal de façons de faire ! Certains vont apprendre par cœur, par exemple une partition en musique, une voie en escalade… Ils vont visualiser tout ce qu’ils ont à faire. D'autres vont se programmer à gérer les imprévus quand il risque d’y en avoir trop. Et puis tu as encore des sports où tu ne prévois que le début. En escrime, tu peux programmer le fait de commencer par tel mouvement telle intention - par exemple d'être très agressif avec cette attaque - mais ensuite tu ne sais pas comment l'autre va réagir, et donc il faudra t'adapter en temps réel.

Si on le regarde dans le contexte d'une vie professionnelle dans un métier tertiaire, c'est beaucoup plus la 3e stratégie qui s’applique. C'est à dire que tu as en fait une ligne directrice qui va te guider, tu sais à peu près où tu veux en venir. Ce biais de base que tu t'es donné va faciliter le tri entre plusieurs intentions possibles en temps réel, et donc simplifier la prise de décision.

L’attention ne doit alors pas être trop rigide, figée, pour garder plusieurs possibilités ouvertes. Dans ce contexte-là tu peux malgré tout rester concentré, même avec une intention un peu plus globale. Donc la précision de l'intention dépend de ta maîtrise sur ce qui va se passer.

Ensuite, il y a le sujet de la cible attentionnelle. Quand on interroge les sportifs, on voit qu’ils vont développer des façons très diverses de placer leur attention pour percevoir des éléments qui peuvent leur rendre les choses très faciles. 

Par exemple, tu vas avoir une joueuse de badminton qui va te dire qu'elle arrive à percevoir le filet comme s’il était corporel, qu’il faisait partie de son corps. Donc évidemment c'est alors plus facile pour elle de l'éviter et de faire passer le volant au-dessus.

Là ce qui est très intéressant, c'est d'aller chercher ce que j'appelle des perceptions expertes. C'est quelque chose qu’elle peut percevoir, mais qu’un débutant ne comprendra pas. Je pense que dans toute expertise quelle qu'elle soit, tu vas commencer à sentir cela. Si on prend l'exemple de la négociation, tu vas arriver à sentir qu’à un moment tu peux t'engouffrer, parce que l'autre a un petit moment de faiblesse dans son argumentation, un moment de flottement, qu’il y a une fragilité et que tu sais que tu peux pousser des arguments dans ce sens-là et que ton interlocuteur ne va pas pouvoir les contrer, ou qu’il va se laisser convaincre parce tu es en position d'avance sur lui. Ce sont des ressentis, et l’attention d’un expert de très haut niveau va pouvoir se poser dessus. Ce n’est pas facile à voir pour quelqu'un qui ne s'y connaît pas. Mais tu peux le développer en creusant ce qui te fait réagir, ce qui fait que d'un coup tu as pris cette décision plutôt que celle-là, et progressivement les consolider. 

Développer son attention, par Jean-Philippe Lachaux 

Oui, tous ces exemples de négociation sont extrêmement parlants pour moi qui en ai beaucoup, et c'est complètement comme ça que ça se joue. On le travaille en amont, avec des jeux de rôle, et des entrainements à blanc. La question que je me posais maintenant, est : par quel côté commencer pour développer ses compétences attentionnelles ?

La clé est vraiment cette question de PIM : Perception - Intention - Manière d'agir. C'est donc acquérir une capacité à percevoir certains signes, et ensuite être capable d'agir dans une direction vers ton intention, vers ce que tu cherches à faire, et donc développer ton répertoire de manière d'agir.

Si on traduit cela en entraînement sur une interaction à enjeu, qu’elle soit sportive, ou pour reprendre l’exemple de la négociation, cela veut dire chercher à identifier quels sont les éléments auxquels la personne en face de toi est vraiment sensible, ce qui provoque chez elle une réaction, qui peut être légère, comme quelque chose de moins assuré dans la voix, ou un changement de posture, une certaine fragilité dans l’argumentation. Tu te mets aux aguets, comme un chasseur, et tu attends des signes

Quand ces signes peuvent être explicités, tu peux travailler à amener la personne entraînée à devenir capable de les remarquer. Ensuite elle sait qu’elle doit les chercher, et à partir de là développer une certaine technique en fonction de l’objectif visé. Ce sera peut-être avancer 4 idées dans un certain ordre, savoir qu’à partir de ce moment ce geste est le bon, que sur cette psychologie là c’est cette manière d’agir qui sera vraiment efficace. Tout ça, c’est de l'entraînement, et il permet au novice de mieux savoir ce qu’il doit travailler.

C'est intéressant, je n’avais pas regardé le coaching sous cet angle là, mais c'est exactement ça. A travers son questionnement, le coach peut amener à reconstituer la scène, mettre en évidence la façon dont chacun s'est positionné, comment elles l’ont vécue, quelles sont les conclusions que le coaché peut en tirer, et cette mise en lumière verbalisée peut éclaircir des situations qui ont été plus ou moins conscientes, de manière à pouvoir ensuite prendre appui dessus, et progresser.

Oui, c’est pour cela que j'utilise la technique de l'entretien d'explicitation, parce que la difficulté est d'arriver à obtenir ces informations sans induire de réponse. Mais après tu arrives à des choses vraiment intéressantes, à des façons de se concentrer, à ce à quoi la personne prête attention, à connaître ses réactions. 

Attention et coaching

Quand tu sais ce que tu cherches à détecter, que tu as défini ta cible attentionnelle, quand tu commences à dire « quand je remarque ça je réagis comme ça » en fait cela définit une façon de se concentrer : une perception – une action. Tu as totalement défini la façon dont tu te concentres, parce que tu as cet aspect coordonné de perception, d'action et d'intention.

"Dès l'instant où tu parles de réagir d'une certaine façon à certains éléments que tu perçois et pas d'autres, dans un but, en fait tu es en train de dire que tu te concentres d'une certaine façon."

Jean-Philippe Lachaux

C’est très général, cela s'applique à toute activité, et cela permet si on a perdu la partie, de remonter à la perception – réaction, et d'ajuster la réaction. L'intérêt c'est d'avancer vers quelque chose de plus de plus en plus pertinent. 

On voit qu’il y a beaucoup de questions de volonté et d'entraînement, et finalement d'ouverture aussi parce qu'à partir du moment où on est en réception, il y a une forme d'ouverture et d'accueil à ce qui se passe. Quel est le rôle des émotions dans tout ça ?

Les émotions vont se situer à plusieurs niveaux. Les émotions peuvent être distractrices, ou alors il peut y avoir un véritable plaisir à être concentré. Je l'ai beaucoup vu, de nombreux sportifs m'ont rapporté qu’un état de connexion totale à leur activité est ce qu’ils préfèrent. Ce sont les meilleurs moments de leur vie. On peut dire que d'une certaine façon c'est très chargé positivement émotionnellement. Tu as l'impression de donner, ça peut aller loin ! Tu as l'impression de te dissoudre totalement dans ton activité, de ne plus exister toi comme étant séparé de ce que tu fais ou des gens autour de toi…, donc ça c'est quand même assez chouette. 

Et puis les émotions peuvent aussi jouer un rôle totalement paralysant, notamment dès qu'il y a un enjeu assez fort. Il peut arriver que tu enrayes totalement tes automatismes parce que tu n’as plus le contrôle dessus. Tu repasses alors dans un mode qui est entièrement volontaire, entièrement basé sur des prises de décision. Tu attends d’être sûr que ce que tu vas faire est bien pour agir, et c'est totalement incompatible avec une action en temps réel, il faut aller vite, et c'est la catastrophe. Tu vas te crisper dans tous les sens. Ça c'est typiquement le stress, exemple d’effet négatif de l'émotion sur la concentration. 

Certains me disent qu'ils ont tellement développé d'automatismes, qu’ils n’ont plus à se concentrer sur la technique et que finalement leur attention est plus sur le niveau de plaisir qu’ils ressentent à faire leur activité. Leur recherche est juste de se faire plaisir, à travers des sensations assez subtiles, de plaisir, de facilité. Par exemple en escalade, il va me parler de légèreté, de dynamisme, c’est là que se pose son intention et tout le reste se met en place. 

Oui je vois, ce sont des sensations dont on sait qu’elles sont ultra-pertinentes pour la tâche, l’activité qu’on va réaliser. J'ai interviewé Antoine Albeau récemment, et on sent qu’il est sur cette sensation d'équilibre parfait entre la planche le vent et son corps, et que c'est une concentration pure sur ce sujet-là.

C'est ça, parce qu’il n’est plus sur tous les petits aspects techniques, il les connaît par cœur. En plus il semble y avoir une sorte d'antinomie entre stress et envie, plaisir : si tu as du plaisir à ce que tu fais, tu ne vas pas stresser et réciproquement.

"Le plaisir est un peu une sorte d'antidote au stress."

Jean-Philippe Lachaux

Par exemple si tu dois faire une conférence, que tu es un peu stressée et tout d'un coup tu penses au plaisir que tu as à expliquer quelque chose clairement et qui te paraît important à beaucoup de gens, que tu le vois comme une opportunité qui te tient à cœur, le stress va complètement passer au second plan. 

Attention et volonté

Revenons sur ce sujet de la volonté que tu as abordé plusieurs fois, il m’a semblé y entendre une consonance un peu négative ?

Oui et non ! Si vraiment tu te laisses entièrement porter, sans contrôle il n’est pas sûr que tu arrives à bon port. La différence se fait entre volonté et volontarisme. La volonté est comme une sorte de cap, qui permet de prendre des décisions. Elle permet d'anticiper les conséquences, prendre un temps d'avance, envisager les conclusions des possibilités que tu envisages, objectiver, choisir. Mais ce temps n’est pas adapté à toutes les activités que l’on fait. C’est le temps de la stratégie, dans lequel la volonté va rentrer le plus en ligne de compte. C'est un temps long de construction. Et il y a le temps de l'action où on est plus dans un moment d'attention maximum. 

C’est une question de niveau de contrôle sur nos automatismes. Ce qui est intéressant est de voir comment tu arrives à placer ton niveau de contrôle au bon niveau selon les situations, ni trop précis, ni trop large. Trouver ce niveau n'est pas forcément très facile, puisqu'il dépend de chaque situation dans laquelle on est, et il dépend beaucoup aussi du niveau de confiance que tu as en toi, dans tes automatismes. Si par exemple je bégayais, ou si j'avais tendance à dire plein de gros mots, je serais beaucoup plus en contrôle en ce moment sur chacun de mes mots. C'est parce que je sais que je suis capable en me laissant aller, d'avoir un niveau de langage assez clair et correct, que je me concentre plutôt sur l'idée. De la même façon, quelqu'un qui a été mis en échec récemment par son entourage va avoir tendance à être beaucoup plus dans le contrôle et beaucoup moins relâché, avec à la clé beaucoup plus de fatigue, et moins de fluidité et de réussite à un moment donné

Apprendre à réguler son attention quand on est dirigeant d’entreprise pour ne pas s’épuiser

Y-a-t-il des principes de base que tu voudrais partager pour nos dirigeants, pour apprendre à réguler cela et avoir le bon niveau de concentration, d'attention selon l'enjeu, et pouvoir aller vers quelque chose de plus fluide et moins de fatigue ? 

"Ce que nous disent les neurosciences, c'est que tous ces processus mentaux sont des processus biologiques qui eux aussi ont leur constante de temps."

Jean-Philippe Lachaux

Dans les activités essentiellement intellectuelles le problème est que l’on a un peu du mal à voir ce qu'on est capable de faire dans un temps donné, en termes de charge mentale, de charge cognitive, de charge de mémoire. On est assez mal à l'aise avec l'idée de se dire « je ne peux pas faire plus ». On pense que c'est une question de volonté, et que si on est assez volontaire et motivé on va pouvoir en faire 10 fois plus. En fait, ce que nous disent les neurosciences, c'est que tous ces processus mentaux sont des processus biologiques qui eux aussi ont leur constante de temps. C’est comme faire un mouvement, il n’est pas instantané, tu as des muscles à contracter. Je pense que c'est un apport essentiel des neurosciences, d’accepter le fait que tu puisses mettre un temps et tu puisses te mettre des limites. « Non je ne peux pas gérer plus de mails dans ce temps, je ne peux pas interagir avec plus de personnes dans une journée etc.. » 

Attention et travail

Comme on est dans une situation de compétition, dès que tu ralentis les autres te passent devant. Si tu ne fais pas cela, tu vas essayer de t'en mettre toujours plus, et la seule façon d'être sûr d'avoir fait ton maximum sera d'avoir été tout le temps en train de travailler. Tu te dis « de toute façon ma seule limite c'est l'épuisement, et je n’aurais pas pu en faire plus parce que je serais mort ». Je connais beaucoup de gens comme ça, qui occupent des positions de responsabilités et qui sont là-dedans. En fait, leur remède contre l'angoisse de ne pas avoir fait assez, de ne pas avoir été assez bon, est d’être tout le temps actif. Évidemment, ça mène au burn-out et autres dangers. On peut se dire à contrario « voilà, je fixe tant de temps et je vais simplement essayer d'être à mon meilleur pendant tout ce temps-là, et puis c'est tout. » 

Cela passe aussi par d'autres pratiques, tu parlais du zen, mais aussi des pratiques de lâcher-prise ou d'attention corporelle qui permettent de ressentir à quel moment on est au maximum de ses capacités, et à quel moment on commence à être dans des états de de fatigue ou d'inconfort qui nécessitent une pause.

Oui, et tu veux le secret de l'efficacité ? Tout le temps que tu consacres à une activité, si tu es bien concentrée, que tu as une intention claire à chaque instant de ce que tu dois faire, tu ne peux pas être meilleure, ce n’est pas possible. Donc ça n’a pas d'utilité de se mettre une pression temporelle supplémentaire, de s'obliger à aller plus vite que son rythme habituel, tranquille, bien concentré, ou d'essayer de faire 2 tâches en même temps. Ça c'est important. 

"Tout le temps que tu consacres à une activité, si tu es bien concentrée, que tu as une intention claire à chaque instant de ce que tu dois faire, tu ne peux pas être meilleure, ce n’est pas possible. Donc ça n’a pas d'utilité de se mettre une pression temporelle supplémentaire."

Jean-Philippe Lachaux

C'est un peu comme un coffre, si tu essayes de mettre plein de valises dedans pour que ça tienne, en fait ça ne sert pas à grand-chose. Il vaut mieux qu'elles soient bien rangées. Il faut juste veiller à son état de concentration, avec cette idée que ma concentration est bien posée sur une chose à la fois, calme, à chaque moment de ma vie professionnelle. Et quand j'arrête, j’arrête. Ça permet d'être plus à l'aise, parce que sinon les alternatives sont d'essayer d'en faire le plus possible pour ne pas s'en vouloir, et je ne suis pas sûr que cette pression temporelle folle soit efficace, ni pour soi, ni d'ailleurs pour ses collaborateurs. 

La relation entre attention et sensations corporelles

Il me semble que c’est pour cela aussi qu’il est important d’être pleinement dans son corps, associé, en être qu’être humain biologique, et de ne pas rester dans sa tête ?

Effectivement, quand on est dissocié les sensations corporelles sont en fait plus des gênes qu'autre chose, et dans du travail intellectuel on a vite fait d'accumuler plein de petites crispations qui vont créer de la fatigue si on ne veille pas régulièrement à faire un petit check, à les détendre. 

Dans le cerveau la distinction entre le cognitif et le corporel n’est pas si claire, parce tu ne vois pas si ce neurone contrôle un muscle ou s’il est en train de faire un calcul mental. Par exemple,  pour des calculs assez compliqués, je sais qu'il y a des matheux qui utilisent leur corps pour la représentation de l'espace, pour voir des impressions de quantité. Leurs actions mentales et les actions du corps sont complètement liées. 

Ce lien corps-esprit n’est pas encore très bien étudié. On sait que dans le cerveau il y a une structure cérébrale qui s'appelle l'insula dans laquelle arrive tous les ressentis corporels. C'est une sorte de tableau de bord qui te dit comment tu te sens. Il se trouve que l'insula s'intéresse aussi aux activités simulées c'est-à-dire à « l’envie de », ou à « l’idée de ». Par exemple, j'ai des copies à corriger, ça ne m'est jamais arrivé, et rien que d'y penser j'ai une sorte de petite sensation d'asphyxie, de dégoût. En fait mon insula va utiliser des sensations corporelles pour me dire de ne pas le faire. Elle va créer tout un petit paysage mental, qui dit oui ou non aux choses, et évidemment dans une journée plus tu fais de choses où ton insula a dessiné quelque chose de défavorable, plus tu vas avoir l'impression de passer une journée dégueulasse.  

L'idée est d'arriver à se familiariser avec ces sensations-là, de prendre un petit recul par rapport à ça, et peut-être justement d’aller agir directement sur le corps à ce moment-là. Si effectivement mon insula essaye de me faire comprendre par une asphyxie qu’il ne faut pas que je le fasse, on va commencer en allant respirer. On a quand même des moyens de commencer à réfléchir sur le corps à partir des neurosciences. 

Avec la pratique du zen, tu vois très clairement des tas de choses qui circulent dans le corps. Tu vois comment dans un travail très intellectuel des choses vont aller monter dans la tête, se coaguler là, bouger de façon plus fluide, ou créer cette impression de pesanteur, de lourdeur, ou d'obscurité, et tu peux le refluidifier. Tu vas apprendre à le faire circuler, c'est complètement corporel.

En neurosciences on parle aussi de synesthésie. Une synesthésie c'est quand tu prends un phénomène qui est dans un domaine sensoriel, que tu as reçu une certaine façon, et que tu lui ajoutes une autre dimension sensorielle. Par exemple, c'est quelqu'un qui va percevoir des notes de musique comme des couleurs. Tu as beaucoup de synesthésies qui apparaissent, et notamment de choses qui sont plutôt corporelles. Une pensée qui va apparaître, et être ressentie comme étant localisé dans l'espace à un certain endroit devant toi par exemple, qui va avoir une certaine densité, une sorte de lourdeur, qui peut avoir un goût, une odeur… Ce sont des choses qui sont présentes à l'état latent dans le cerveau parce que le cerveau n’arrête pas de retracer les modalités sensorielles, et tu vas finir par te rendre sensible à ces dimensions-là qui accompagnent des choses purement mentales.

Elles finiront par te servir de petits marqueurs que tu scotches sur une idée, comme des petites poignées sur lesquelles tu peux jouer au cerf-volant pour aller recontrôler ta pensée, l’amener ailleurs, ou éviter que ton attention reste engluée à un endroit. Ces synesthésies ne sont pas innées. Elles viennent, et tu apprends à les renforcer.

Jean-Philippe Lachaux, ses projets d'avenir

Comment pratiques-tu le zen ? 

Je le pratique au quotidien une bonne heure formelle, et puis après dès que je peux dans la journée j'essaie de le faire de façon un peu informelle. Si j'ai à marcher par exemple, j’essaye de caser de la méditation dessus, pour essayer d'avoir une bonne partie de la journée dans un état proche de la méditation.

Attention et méditation

Peux-tu nous parler du programme AtOle « attentif à l'école » ? J’ai lu que tu l’avais créé pour organiser « une certaine forme de résistance » ? 

C'est effectivement ce que je dis aux professeurs : vous essayez de contrôler 25 – 30 cerveaux, ce n’est pas possible. Un cerveau ne peut pas en contrôler 25 ou 30, il faut se partager le travail, et donc que les élèves prennent leur part de travail dans le fait qu’il y ait une connexion attentive entre l'enseignant et les élèves. Au passage cela permet d'éduquer les enfants sur ce qu’est l’attention, ses limites, comment elle peut être manipulée, comment on peut perdre le contrôle etc... Quand ils arrivent en 6è – 5è et que le téléphone débarque, ils sont alors un peu prévenus, et ils peuvent être plus en contrôle de leur attention, et avoir des intentions, plutôt que de l'utiliser juste parce que c'est rigolo et comme un doudou. Donc oui, c'est un peu une forme de résistance face à cette armada numérique qui par ailleurs propose plein de trucs géniaux, mais il faut que les enfants soient capables de décider vraiment de ce qu'ils veulent en faire.

Très concrètement on intègre des interventions dans la vie de classe. Une moitié du programme est basée sur la compréhension du fonctionnement du cerveau, les forces de l'attention, ce qu’est une intention etc.., et l'autre partie est composée de stratégies cognitives. Par exemple bien être capable de définir sa cible attentionnelle : le fait que quand tu veux être attentif il faut déjà savoir à quoi tu dois être attentif. Ou comment être attentif sur des tâches complexes : tu pourrais être perdu dans plein d'intentions en même temps, qui rendent impossible de se concentrer ? Tu ramènes cela à une suite d'étapes simples avec une intention claire. 

Je souhaite à travers ces outils leur apprendre à développer ce que j'appelle un sens de l'équilibre attentionnel. On est vraiment proche de ce dont on parlait, remarquer les mouvements de l'attention, ramener l'attention qui se laisse capter « top, je la ramène tout de suite avant que ce soit trop tard » etc… En fait je développe leur capacité à se restabiliser au quotidien pendant la classe, un peu comme un surf attentionnel avec les vagues de distracteurs ☺ 

Ça marche pas mal, il y a plusieurs dizaines de milliers d'enseignants qui s'intéressent au programme et l’utilisent, ça doit toucher beaucoup d'enfants finalement.

Quelle est ta quête ?

Au niveau sociétal, j’aimerais refaire de l'attention une vraie valeur, qu’elle soit remise au premier plan.

Si on repense à toute cette période de débat sur la réforme des retraites, on voit que beaucoup de problèmes portaient sur le sens donné à son travail « quelle est ma récompense finalement, pourquoi je travaille, qu'est-ce qu'on me donne en échange - tant d'argent, tel avantage… ». En fait c'est forcément conflictuel, parce que tu peux toujours te dire que ce n'est pas assez. Cela génère de l'insatisfaction si tu ne doubles pas à un moment donné ce rapport transactionnel par une satisfaction que tu trouves à l'activité elle-même, au plaisir de la faire. C'est ce qui est intéressant justement dans le sport de haut niveau. Si tu prends le tir à l’arc, c'est répétitif, c'est pénible, c’est dur, mais ils ont réussi à en faire une voie de de développement de l'attention, et ils ont complètement retourné le truc pour en faire un espace dans lequel ils vont trouver une récompense intrinsèque. 

C’est un état d'esprit, et il n’y a aucune raison que ça ne puisse pas s'appliquer à tous les métiers. Si on arrive à ça à travers une éducation de l'attention, on a une société qui est extrêmement pacifiée, parce que les gens ne sont plus à se demander en permanence s’ils ne donnent pas trop par rapport à ce qu'on leur rend. Il ne s'agit pas que des gens soient exploités, mais qu'il y ait un rapport un peu moins conflictuel au travail, et d’être bien dans ce que l’on fait.

Quel est le dernier message que tu voudrais à passer à ceux qui nous lisent ?

Si ceux qui nous lisent sont des personnes en position hiérarchique supérieure, je voudrais leur dire de vraiment soigner l'attention de leurs collaborateurs, de simplement s'assurer que ces gens sont dans des conditions qui leur permettent d'avoir cette concentration douce, tranquille, posée, une chose à la fois, sans pression temporelle excessive. Dans une entreprise, je pense que c'est ça qui peut créer un climat très positif. Quand je vais voir des gens dans des organisations, ils me disent « J'aimerais bien pouvoir travailler à ce rythme-là, focaliser sur mon état plutôt que sur la rapidité, mais en fait j'ai quelques contraintes qui viennent d'en haut et qui m'empêchent de le développer. » Ça demande une culture d'entreprise où l'attention est respectée, où tu ne reçois pas en permanence des alertes ou des messages auxquels tu dois répondre dans les 4 secondes, parce que c’est plus important que tout, parce que c'est ton boss qui attend une réponse dans les 5 secondes. 

Je recommanderais de protéger l'attention de ses collaborateurs, et de la respecter.

PUBLICATIONS Jean-Philippe Lachaux

La magie de la concentration, Apprendre à se concentrer à table, en famille, à l'apéro, entre amis, septembre 2020

Les petites bulles de l'attention, Se concentrer dans un monde de distractions, novembre 2016

Le cerveau funambule, Comprendre et apprivoiser son attention grâce aux neurosciences, septembre 2015

Le cerveau attentif, Contrôle, maîtrise et lâcher-prise, mars 2011

Caroline Pailloux est la fondatrice d'Ignition Program. Son approche du recrutement est basée sur une expertise RH éprouvée et outillée, qui renforce l’alignement des individus avec les organisations.

Pour Caroline, " l’épanouissement personnel et la réussite économique peuvent devenir des leviers pour accompagner un changement profond au service de missions plus collectives et utiles à tous."

Dans cette interview, Caroline évoque le déclic qui lui a permis de monter son entreprise, ses valeurs, ses motivations, ce qui lui donne de l'énergie au quotidien. Depuis le milieu des ressources humaines, Caroline observe les mutations du monde du travail, notamment dans les startups, et nous en livre sa lecture. Elle développe également sa vision du management, du leadership et de l'entrepreneuriat.

Interview réalisée le 21/04/2023 par Thérèse Lemarchand, CEO Mainpaces

L'étincelle qui fait naître un projet professionnel en accord avec ses propres valeurs

Bonjour Caroline, tu as 41 ans, tu es CEO et fondatrice d’Ignition Program dont tu vas bientôt fêter les 10 ans, mère de 4 garçons, peux-tu nous parler des pivots clés qui t’ont amenée là ?

Je me rappelle un moment important où à 8 ans je me suis dit en quelque sorte que le bonheur se décide, et qu’il faut s’en donner les moyens. Je pense que ça a conditionné le projet que je fais aujourd’hui.

J’ai eu l’envie de travailler dans l’hôtellerie, je trouvais que cela développait une attention à mettre en place ce qui permet à des personnes d’être heureux dans un espace donné, en particulier via le beau. Je me suis lancée dans cette voie, et j’ai fait du conseil et un MBA en hôtellerie. J’y ai découvert pleins d’éléments qui ne me convenaient pas, et en particulier une forme d’organisation très processée et « militaire » du secteur. J’ai réalisé que l’on pouvait rêver sur quelque chose, et se tromper sur ce que cela pouvait nous apporter, et j’ai pu pivoter pour aller vers quelque chose qui me convenait mieux.

Le besoin fondamental de liberté qui s’est exprimé à ce moment-là a participé au fait que l’on ait aujourd’hui un management plutôt libéré chez Ignition Program.

J’ai continué à monter en compétences dans le conseil, et rêver d’un futur dans lequel je pourrais être actrice, et un jour un ami m’a partagé un projet américain – Venture For America. Ça a créé l’étincelle à l’origine d’Ignition Program. L’idée forte était de s’adresser aux talents, et de leur ouvrir un accès à ce qui est essentiel pour se faire une vie professionnelle riche, comme une nouvelle forme de compagnonnage, avec

Et en y repensant, le fait que j’aie eu 2 enfants a été déterminant pour me lancer à monter ma boite. C’est la responsabilité la plus importante qui soit ! Cela a généré beaucoup de confiance en moi, et m’a ouvert cette capacité à agir seule, que je n’avais pas eue auparavant.

Caroline Pailloux, qu’est-ce qui te donne de l’énergie dans ton quotidien d’entrepreneuse ?

Sans hésiter, tout d’abord le Fun et mon équipe !

Lucas mon associé a dans ses missions de vie de rire et de s’amuser. Moi c’est dans mon caractère. Notre rencontre a été déterminante, à lui plus moi nous sommes une équipe de joyeux drilles, et on s’amuse. Mon moteur permanent pour Ignition est de proposer une expérience de travail à mes collaborateurs qui soit épanouissante et source de joie.

Ce qui nourrit mon énergie sont toujours des moments avec des gens clés, avec mon bébé, mes enfants ou mon mari, avec un entrepreneur avec qui j’ai une vraie discussion. Ces moments de partage avec des gens qui me sont chers ou avec lesquels se crée une connexion me donnent une énergie fondamentale. Je travaille avec beaucoup de gens qui ont besoin de grandir, et moi aussi. Ce sont des échanges qui me stimulent.

Cette semaine par exemple j’avais une énergie de dingue, j’ai peu dormi mais ça allait. Je sais très bien qu’à l’origine de cela est cette séance de coaching que nous avons fait avec Lucas. Nous prenons tous les deux mois un temps de recul et d’alignement pour notre relation d’associés, c’est un booster formidable pour tous les deux.

Je suis une empathique au sens du modèle Process communication. Il y a un lien entre le rapport aux autres, et l’énergie dans le soin de moi. Je suis très sensitive. Nager, prendre le soleil, faire des massages et me reconnecter à moi-même, me régénèrent.

Qu’est-ce que tu as eu de plus difficile à dépasser dans toute cette partie de carrière ?

La première fois que j’ai vu souffrir dans l’entreprise, par ma faute, quelqu’un pour qui j’avais énormément d’amitié, a été le deuil le plus gros à faire. Cela a ancré dans ma chair que même dans un cadre attentivement posé pour être plus heureux il peut y avoir de la souffrance. J’ai compris également que chacun portait sa part de l’écharpe. Je le savais en théorie, mais là je l’ai imprimé, et j’ai réalisé qu’il y avait des moments où cela ne m’appartenait pas de le décider. C’est malheureux, mais ça ne me détruit pas, alors qu’une entreprise dans laquelle tout le monde s’ennuierait un peu serait pour moi impossible à vivre.

Nos missions de vie sont toutes issues d’un pattern où l’on essaye de sauver quelque chose, d’atteindre quelque chose, de prouver quelque chose, et qui nous poussent à mettre en place des stratégies plus ou moins conscientes. J’ai été confrontée très jeune à des enjeux de dépression très proches de moi qui m’ont amenée à cette quête de bonheur. Je sais maintenant que même dans l’espace dans lequel j’ai le plus de contrôle il y avait une forme de deuil à faire. C’est très sain, cela m’a obligé à passer à l’étape d’après.

Progresser grâce au coaching, selon Caroline Pailloux

Tu as fait récemment un parcours de coaching Mainpaces, qu’est-ce qu’il t’a apporté d’essentiel ?

Ce que je trouve de tout à fait remarquable chez Mainpaces est ce lien corps – esprit. Il existe beaucoup de disciplines qui permettent de progresser, et ce n’est pas toujours facile de s’y retrouver tout seul. Ce qui est particulièrement efficace et percutant ici est de les utiliser dans une unité de temps au profit du même objectif. Je l’ai vécu, c’est extrêmement puissant. J’ai par ailleurs découvert des disciplines que je ne connaissais pas, et j’ai été bluffée par certaines séances.

Enfin, j’ai fait un apprentissage un peu personnel dans mon parcours. J’avais un sujet qui me préoccupait particulièrement, mais qui ne me paraissait pas relié à mes enjeux professionnels. Mon coach m’a posé la question de la façon dont je le gèrerais si c’était pro. J’ai pu le regarder différemment, et trouver une solution pour résoudre cette situation qui ne me convenait pas, qui en l’occurrence est passée par l’utilisation de l’écrit.

On a résolu ce problème spécifique, et cela m’a donné énormément de perspectives sur les interférences entre le pro et le perso, d’un côté sur la façon dont je pouvais compliquer des interactions personnelles, et côté pro pour mieux percevoir une zone de force et une zone de faiblesse, et m’appuyer sur mes forces.

Le travail en mutation : impact, quête de sens et générations

Tu es au cœur de l’évolution des organisations professionnelles depuis 10 ans à travers les besoins RH qu’elles expriment, comment les as-tu vu évoluer … ?

Pendant 50 ans il y a eu une grosse vague de fond qui reposait sur « je vais travailler parce qu’il faut et c’est mon rôle dans la société ». Il y avait beaucoup de « il faut que ». Et puis il s’est opéré une espèce de retournement avec une montée de l’individualisme, et une quête de bonheur personnel qui prenait le pas sur le reste.

Je crois que l’on commence à se rendre compte que le travail ne peut pas y répondre dans l’absolu, si on n’y réinsère pas notre utilité pour la société. On commence à se demander comment on peut être utile à quelque chose qui est important pour nous. C’est la mutation qui est en train de se passer, c’est une lame de fonds que je ressens très fort. Elle se traduit dans cette « quête de sens », et dans la volonté d’avoir de l’impact. C'est ce qu'on appelle le fairfillment [1] chez ignition program, passer de la raison d’être à la raison d’agir, du fulfillment (épanouissement strictement individuel) au fairfillment (épanouissement au service d’une mission collective plus large et juste).

Avoir de l’impact est très large, et touche toutes les tailles d’entreprises. Penser le monde et sa propre contribution en termes durables doit permettre de remettre en perspective le rôle que nous avons à jouer dans tout ça, et me ré-enthousiasme.

Est-ce que tu as l’impression que les esprits sont plus ouverts sur les manières de travailler, et vois-tu une sorte de paix entre les générations se dessiner entre des formes d’autorités dépassées et un jeunisme angélique ?

En période de crise il y a une synchronisation des besoins entre les jeunes et les plus âgés sur les besoins sociaux primaires : le salaire, la perspective d’évolution, l’équipe.

Les jeunes au début de leur carrière professionnelle ont de gros enjeux. Ils ont besoin d’être accompagnés, d’avoir un cadre et du temps pour progresser. L’individualisme dont on parlait, associé à une certaine culture du zapping ne le permet pas. Il faut en moyenne 3 à 5 ans pour se créer un socle de compétences sur un poste.

On a eu également des mouvements de balanciers, la startup nation, avec une sur-valorisation des personnes qui avaient plutôt la trentaine. Recruter et manager des gens plus expérimentés qu’eux a été une étape de vie compliquée qui a généré une fracture assez forte.

Aujourd’hui c’est encore difficile dans le monde du digital et des startups et scale-ups de recruter des personnes qui ont plus de 40 ans. Pour les plus de 50 ans c’est vraiment très compliqué. Notre enjeu est d’expliciter ce que quelqu’un de plus expérimenté et de plus cher apporte, et en conséquence de faire les bonnes fiches de poste pour ces personnes-là, dans un monde qui évolue très vite.

On peut avoir les mêmes objectifs, mais pas forcément le même dispositif. Pour prendre un exemple, dans un dispositif marketing qui a 3 postes ouverts, on peut être amené à proposer quelque chose qui pourrait être plus efficace sur 2 postes, avec une personne expérimentée et une personne plus jeune.

On se tourne également vers des formats avec des CDI à temps très partiel, parfois une demi-journée par semaine dans une entreprise, sur des axes qui demandent des prises de décisions fortes comme la trajectoire, ou le management de projet. Pour développer des certitudes, il faut de l’expérience professionnelles et avoir vécu beaucoup de situations. C’est l’atout des plus âgés pour les jeunes, ils répondent à cette angoisse du lendemain et ce besoin de boule de cristal. Ils leur montrent que l’on peut agir sans faire une quantité d’études et hyper-rationnaliser. Certains chiffres sont utiles et d’autres non. L’expérience vécue développe des repères, des croyances, qui permettent d’avancer plus vite et de ne pas changer d’opinion tout le temps. D’ailleurs le coaching est également utile pour cela, pour mieux discerner, comprendre ce qui se joue, s’autoriser et décider.

Caroline Pailloux: management, leadership et entrepreneuriat

Qu’attends-tu de tes collaborateurs ? 

J’attends d’eux qu’ils soient utiles par leur travail au monde et à eux-mêmes, et qu’en termes d’état d’esprit ils aient de la légèreté dans la profondeur. Qu’ils soient à la fois capables de la plus grande légèreté, et du plus grand alignement sur la compréhension de ce qu’ils sont, de ce sur quoi ils interagissent, en développant la connaissance de soi et de l’autre, du respect et une forme de connexion.

J’aime créer des tribus, je ne peux pas le forcer, mais au fond je n’ai embauché que des gens pour qui c’est important et qui savent le faire.

Et pour les entrepreneurs, quelles sont aujourd’hui les qualités essentielles pour toi pour développer un leadership éclairé ?

Pour les entrepreneurs, ce qui compte c’est une colonne vertébrale extrêmement alignée et solide sur sa mission, y compris dans ses grains de folie. Toutes les boites que je vois qui fonctionnent bien créent quelque chose qui est un peu disruptif et vécu comme tel par l’entrepreneur pour qui c’est impératif, il faut que ça existe. Il y a forcément un peu de folie là-dedans, s’il n’y avait que de la logique et du rationnel, il y aurait déjà du monde dessus.

Pour moi, quand tu crées une offre il faut qu’il y ait des gens qui te disent que ça ne sera pas possible. Il y a quelque chose de dissonant par rapport à la logique, mais de totalement censé, intégré, et vertical pour l’entrepreneur. Si on reprend l’exemple d’Ignition et de ses communautés, tout le monde m’avait dit que ce n’était pas rationnel, que c’était extrêmement difficiles à monter... et néanmoins le succès d’Ignition program repose en partie là-dessus. Idem pour les entretiens trop longs ! En théorie c’est une improductivité majeure, en pratique ça fait qu’on existe, le reste les autres le font déjà.

Il s’agit de bien comprendre dans son irrationnel ce qui fait partie de sa colonne vertébrale et ce qui n’en fait pas partie, ce qui est vraiment essentiel et ce qui l’est moins. Le premier on arrivera à le transmettre. Le reste il faut savoir le lâcher, et savoir distinguer pourquoi on s’accroche.

Quel est le dernier message que tu voudrais passer à ceux qui nous lisent ?

Une fois que j’ai été lancée, un coach m’a dit « tu es comme Christophe Colomb, tu n’as plus assez de vivres pour faire marche arrière, donc profite de la croisière ». Profitez-bien !


[1] https://www.journaldunet.com/web-tech/start-up/1518397-les-startups-doivent-passer-de-la-raison-d-etre-a-la-raison-d-agir/

Jean-Louis Étienne est un médecin et explorateur français. Il est connu pour ses expéditions en Arctique – il a été le premier homme à atteindre le pôle Nord en solitaire en 1986 – et en Antarctique, notamment la Transantarctica réalisée en 1989-1990.

Dans cette interview, Jean-Louis Étienne nous partage les éléments essentiels qui ont constitué son formidable moteur, et ses capacités de ressourcement. C'est l'aventure intime d'une vie passée à se réaliser, et à embarquer avec soi individus et organisations dans la découverte de notre environnement, et de ce qui fait notre socle vital.

« Oser, c’est engager son imaginaire au-delà des certitudes »

Interview réalisée le 05/04/2023 par Thérèse Lemarchand, CEO Mainpaces

Le parcours de Jean-Louis Étienne, de médecin à explorateur

Bonjour Jean-Louis, vous avez un parcours singulier, ayant débuté par une formation de tourneur-fraiseur avant de faire médecine. Après un internat en chirurgie, une spécialité de nutrition et de biologie du sport, vous mettez vos compétences de médecin au service d’un rêve : explorer, arpenter le monde. 

D’où est né ce lien entre la médecine et l’exploration ?


Depuis tout jeune j’aimais vivre dehors, dormir dehors, imaginer des expéditions. A 14 ans, j’avais déjà dressé une liste de matériel pour aller camper dans les Pyrénées en hiver. Pourquoi en hiver ? Pourquoi seul ? J’adorais la nature. Je partais seul, souvent, dormir quelque part dans les collines du Tarn, je n’étais pas loin mais j’étais en expédition. C’était surtout la montagne qui me plaisait, mes héros étaient les grands alpinistes, je m’immergeais dans leurs ascensions.

La médecine m’a ouvert la voie des expéditions, je pouvais y proposer mes services. J’ai d’abord embarqué avec le père Jaouen et ses jeunes toxicomanes sur le Bel Espoir, puis avec Eric Tabarly. J’ai été 12 ans médecin d’expédition, et j’ai fait beaucoup d’expéditions en haute montagne.

J’ai découvert dans l’Himalaya une façon de se nourrir qui n’était pas équilibrée, je me rappelle le saucisson au K2 ... J’ai fait un DESS de nutrition et génie alimentaire (transformation des aliments), et mon mémoire de DESS a été « La nutrition en expédition », que j’ai ensuite renforcé pour les pôles. J’avais décidé d’aller au pôle Nord à un moment donné.

Cela m’a permis de creuser les contraintes d’apport calorique pour le froid et l’effort et la nécessité de porter sa nourriture, et d’étudier en profondeur la possibilité de maintenir un équilibre nutritionnel avec la recherche d’aliments légers.

Qu’est-ce que ces explorations à travers le monde vous ont appris sur l’être humain, en tant qu’être biologique et vivant ?

Le corps a une capacité de régulation qu’on a du mal à appréhender. Avant de partir au Pôle Nord il fallait que j’approfondisse ma capacité de thermorégulation au froid.

Je suis allé faire des tests à l’hôpital militaire de Lyon avec le service qui travaille avec les chasseurs alpins. Je suis resté allongé deux heures dans une pièce à +1°C, et un ventilateur produisant un vent artificiel à 0,8 m/s pour accélérer mon refroidissement. J’avais des capteurs partout, sur le bout des doigts, sur le corps, pour mesurer en particulier ma consommation d’oxygène, j’étais totalement nu. Pendant 2h, j’ai beaucoup tremblé, j’ai beaucoup dépensé d’énergie. C’était très pénible.

Il faut savoir que les tremblements sont des contractions musculaires automatiques qui visent à produire de la chaleur. Le rendement énergétique de notre machine musculaire est très mauvais, c’est le même que celui d’un moteur à explosion. Seulement 25% de l’énergie engagée produit du mouvement, le reste est de la chaleur. Pendant les tests au froid, on mobilise toute l’activité métabolique pour produire de la chaleur. Durant ces 2h d’expérience, ma température centrale était restée à 37°, mes températures périphériques étaient descendues à 8°, à partir du genou, et des bras.

J’ai refait ces tests après mes 63 jours au pôle Nord, pendant lesquels la température extérieure avait varié de -52°C à -18°C. J’ai beaucoup moins consommé d’énergie, beaucoup moins tremblé. Ma température centrale s’est tout de suite abaissée à 35,5°C, ce qui serait pour moi aujourd’hui le début d’un coma hypothermique.

Tout corps qui passe du temps au froid va mettre en place cette forme de régulation. Le corps est d’une intelligence adaptative remarquable, et j’ai pu l’observer tout au long de mes expéditions, et sur de multiples paramètres comme l’hypoxie d’altitude.

Source : https://jeanlouisetienne.com

Jean-Louis Étienne, aller au bout de ses projets : entre envie, apprentissage et audace

Vous vous êtes beaucoup préparé pour parvenir à réaliser ces exploits, et en particulier de grandes premières en solitaire - le 14 mai 1986, Jean-Louis Etienne est le premier homme à atteindre le pôle Nord en solitaire, tirant lui-même son traîneau pendant 63 jours. Qu’est-ce qui vous a également accompagné pour la réussite de ces projets ?

L’expédition est une entreprise technologique extrêmement précise et complète, il faut optimiser le matériel – avoir le traineau le mieux adapté possible, identifier le bon type de réchaud, trouver des financements, créer une structure, rassembler des personnes qui vont nourrir le projet dans le bon sens.

Il faut avancer toutes les antennes dehors, capter ce qui va enrichir, apporter une solution.

Mais c’est l’envie qui vous guide, la détermination, c’est le moteur principal de tout. Je souligne toujours l’envie au sens de quelque chose qui est profond, qui est précieux. Il s’est passé quelque chose en vous, c’est chimique, c’est comme une rencontre amoureuse. L’envie est un support, c’est solide, et c’est quelque chose qu’il faut entretenir.

Enfin il y a le fun, et chaque voie qui vous satisfait en fait partie. Le fun permet de dépasser toutes les complications.

Quand je suis parti au pôle Nord, il n’y avait que 4 finlandais qui avaient réussi 2 ans avant moi en tirant leur traineau. On part du Nord du canada, le gars de la dernière base m’a vu arriver et m’a donné 1% de chance de réussite. J’ai échoué une première fois en 85. Puis je suis revenu l’année suivante mieux préparé, avec du matériel amélioré. La construction technique est à chaque fois une avancée. Quand il m’a revu ainsi que mon matériel, il m’a dit « toi tu reviens, tu es mieux équipé, allez, je double ta chance de réussir, je te donne 2% ».

C’était fou, c’était hyper dangereux. Mais je n’allais pas là-bas pour risquer ma vie, mais pour la réaliser, cela n’a rien à voir. Si on regarde la peur de l’existence, chaque mouvement est un risque, comme vous quand vous faites du vélo à Paris. Il faut beaucoup de concentration pour cela. Je retiens de votre parcours qu’à plusieurs moments vous avez eu cette envie, qui vous a poussé à agir, et à créer votre entreprise. C’est important pour votre histoire, c’est ça qu’il faut construire.

L’envie est le moteur principal, et il faut résister à la tentation de l’abandon. On ne repousse pas ses limites, on se découvre, et il y a des récompenses dans la solution.

Que vous a encore appris le pôle ?

Le pôle Nord est un choc colossal. Il n’y a aucune référence à l’humain, vous êtes sur une autre planète, c’est un océan gelé. J’étais seul, j’étais hyper seul, il n’y avait pas de téléphone, de GPS, je naviguais au soleil. J’y ai découvert une intensité dans la solitude que je ne connaissais pas, quasi mystique.

C’est une mer gelée sur 2 m d’épaisseur, avec un courant et du vent qui déplacent la banquise depuis le détroit de Béring au Nord du Canada. C’est un chaos, ce sont des blocs de glace qui se chevauchent et forment des murailles 5 – 6 – 7m de hauteur.  

Source : https://jeanlouisetienne.com

Je suis parti début mars pour avoir suffisamment de lumière pour pouvoir avancer. Les 8 premières heures de marche j’étais exténué, et je n’avais fait que 8km à travers ce chaos de glace. Les 200 premiers km sont infernaux, on a toutes les raisons d’abandonner. J’étais réveillé par le froid, -52°C, -45°C, -47°C sur mon journal de bord, j’étais en hypothermie.

Je me suis fait mal et j’ai dû renoncer. Je suis tombé dans un trou, je crois que ce trou était là pour me sauver. Je n’étais pas prêt. Je suis revenu, et j’ai appris.

Vous n’aviez pas peur de repartir ?

Quand je suis revenu c’était le même choc. Quand vous arrivez en petit avion et que vous voyez ce chaos de glace... Mais je me suis dit « je vais faire ce que je peux ».

Je voulais aller au pôle Nord, je savais qu’il y avait des dangers. J’avais fait beaucoup d’escalade – vous n’avez pas grand-chose au bout des doigts, d’expéditions en Himalaya. L’Himalaya et ses avalanches ont un aspect imprévisible plus difficile que le pôle.

Au pôle Nord on maîtrise davantage. Il y a parfois de la glace jeune, la glace de mer qui est flexible – vous êtes seul, et vous savez que si vous passez à travers vous êtes morts. Mais vous apprenez à la traverser.

La peur indique que vous n'êtes pas prêt, et c'est l'intention qui guide

Jean-Louis Etienne

Je marchais 8h par jour non-stop jusqu’à 16h. Mais quand il y avait un obstacle, je voulais passer l’obstacle et dormir après l’obstacle. Je me rappelle un jour une fracture de la banquise qui était large, avec des courants. Je voyais cette glace qui se déplaçait, je ne pouvais pas la passer en amont. Je l’ai passée en aval, ça tenait, mes skis étaient légèrement entrainés, la dérive a duré 100 m, jusqu’à ce que je parvienne à débarquer sur la glace dure.

A l'arrivée, j'ai explosé de joie. C’est une récompense constructive, et en même temps c’était de l’audace, j’aurais pu disparaître. Mais j’étais plus concentré sur ma survie. D’une manière générale j’ai eu de la chance ! Mais l’envie, l’apprentissage, l’audace et les récompenses m’ont permis d’aller au bout de mes projets.

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J’étais essentiellement nourri par l’aspect outdoor. J’étais un super campeur, j’avais fait des bivouacs, connu des tempêtes en mer, et j’étais soutenu par cette idée que je pourrais toujours avoir une cabane dans un coin, avoir des poules et voir venir. Enfant j’étais timide, la nature était mon refuge, les oiseaux me tenaient compagnie. Très manuel, je m’occupais beaucoup de mes dix doigts, je réparais la mobylette de mon père, j’ai construit ma première guitare. J’ai toujours réfléchi à faire par moi-même. Mon exercice manuel m’a toujours rassuré sur ma capacité à vivre en autonomie.

Jean-Louis Étienne, autonomie et force du vivant

L’autonomie est centrale chez vous - vous avez écrit un livre manifeste “Osez l’autonomie !”, et en particulier l’autonomie émotionnelle, “pour ne pas être démunis dès qu’il se passe quelque chose. “ Que voudriez-vous dire d’essentiel sur ce sujet aujourd’hui ?


J’ai toujours été indépendant dans mes choix – je n’appartiens à aucune institution, à aucune entreprise autre que moi, j’ai toujours gardé la liberté d’inventer ma vie.

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Il faut s’alléger du poids des souvenirs. Nous avons habité aux Etats-Unis pendant 2 ans, les enfants étaient jeunes, et quand nous sommes rentrés nous avions un garage plein d’objets et de choses diverses. J’ai réalisé la difficulté de faire le tri parmi tous ces objets qui avaient chacun une histoire, une forme d'intérêt. Je faisais des piles. J’ai fini par faire trois voyages à la décharge pour tout y déposer, et chaque fois que je mettais un objet dans le conteneur, je renouais avec l’émotion qu’il m’avait un jour apportée, mais je n’avais plus besoin de la matière. Le jour où j’ai fermé le garage j’ai été soulagé, et je n’avais rien perdu.

Objets inanimés avez-vous donc une âme qui s’attache à notre âme et la force d’aimer ?

Lamartine

Peut-être l’objet déploie en vous un souvenir, mais l’objet n’a pas d’attachement à vous, comme ce réchaud - même s’il a assuré ma survie pendant 63 jours au pôle Nord.

Il faut remettre de la perspective, et laisser au vivant toute sa place. Prenez par exemple notre système nerveux autonome : comment le vivant est-il arrivé à une telle précision avec une telle complexité ? Qui est aux manettes de tout cela ? C’est une interrogation que j’adore.

On ne sait pas créer la vie, on ne sait pas faire du vivant à partir de la matière inerte. Toute naissance est issue de cellules préalablement vivantes. On a essayé en laboratoire de refaire le big bang, en mettant dans une éprouvette du calcium, du magnésium, du carbone, ... Au fond du tube, des protéines, les briques de l’architecture du corps, mais rien de vivant n’est apparu.

La complexité – le vivant dont la quête de l’orgasme, le désir sexuel, est un engagement pour se multiplier, tout cela m’apaise. Qu’est-ce qu’on se prend le chou ! On n’est rien dans cet univers, on a eu la chance que les conditions de vie sur cette terre nous aient permis de nous déployer, de nous inventer, et quelle m… on y met !

La magie du vivant m’apaise, on porte en nous cette magie. L’autre chose qui m’apaise est le ciel, on décide de faire une expédition ou pas, regardons le ciel. Est-ce que l’univers est dans une sphère, une boite, sans limite ? Cela me donne une forme de vertige.

Vous avez un mantra, “il faut persévérer”. Parfois en haute montagne la qualité d’un alpiniste est aussi de savoir faire demi-tour. Pouvez-vous développer ce que vous entendez par là, et nous dire à quel moment se fait la différence entre persévérance et acharnement, qui peut être vital ?

Dans la persévérance, le moteur principal reste l’envie, nourri par l’engagement. Quand son engagement ne remplit pas l’attente, il y a un abandon.

Souvent dans un projet qui vous tient à cœur, la persévérance consiste à traverser tout ce qui peut construire votre projet, ou ce qui peut détériorer votre envie. L’extérieur y est pour beaucoup aussi. Mon père, tailleur d’habits, ne croyait pas en la possibilité que je fasse médecine, et que la famille puisse le supporter financièrement. J’ai toujours été habitué à me débrouiller, et si je n’y arrive pas je vais chercher la solution. C’est une route permanente. De temps en temps on réussit ce que l’on voulait faire. C’est une récompense, et c’est aussi une libération, dans le sens où quand vous avez réalisé le désir, vous avez à nouveau la capacité à réinventer quelque chose.

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Il faudrait faire un stage de liberté, de créativité quelques années de sa vie, cela devrait être obligatoire de renouer avec une part d’autonomie ! On a des compétences que l’on ignore, et que le cantonnement ou les institutions ne permettent pas de développer.

Est-ce que cette magie du vivant et ces compétences encore inexprimées vous donnent de l’espérance pour l’avenir de la planète ?

L’avenir de la planète est compliqué, on est nombreux, il faut que tout le monde mange, il faut que tout le monde reste à 37°, et on est la civilisation carbone. C’est tellement extraordinaire les fossiles, le charbon - le pétrole - le gaz, et tout ce qu’apportent la chimie, la pétrochimie aujourd’hui y compris dans le domaine de la santé.

La solution est multifactorielle, elle est complexe, et je regrette que l’on ne traite dans l’actualité que la partie colère de la jeunesse, comme si nos dirigeants n’avaient pas compris qu’il fallait mettre sur « Off » depuis le temps qu’on le leur dit. On donne une idée que le politique est impuissant.

La transition va prendre du temps. Je n’ai qu’un message simple : « Soyez chacun d’entre vous un acteur ou un investisseur de la solution ». Je crois que les manifestations extrêmes avec de la violence nous éloignent de la mobilisation de tout le monde vers la solution.

Soyez chacun d’entre vous un acteur ou un investisseur de la solution.

Jean-Louis Étienne

On manque de pédagogie et d’encouragement du citoyen à participer. Il peut y avoir du fun partout, y compris dans le fait de faire ses lessives en fonction du soleil qui va les sécher gratuitement.

Les 30 glorieuses sont devant nous. Décarboner en 2050 est un challenge colossal, il n’y aura pas d’aspirateur à CO2. Il faut que la nature recapte le plus possible, et que nous émettions le moins possible.

Polar Pod
Source : https://jeanlouisetienne.com

La solution est devant, elle est comportementale, et elle est technologique. Le solaire instantané, la biomasse, l’énergie hydroélectrique sont indispensables, mais il faut se rappeler que les énergies fossiles que l’on brûle et que l’on utilise de façon massive aujourd’hui sont de l’énergie solaire transformée pendant 250 millions d'années. Donc on court après le temps, et si on veut aller plus vite il faut avoir une hyperdensité énergétique qui est le nucléaire, en complément de toutes les modalités de réduction de la consommation.

Jean-Louis Étienne, se ressourcer, vivre ses rêves et ses émotions

Vous parlez du fun, des récompenses, quels sont vos espaces de ressourcement ?

Entretenir le fun passe par réussir dans ses projets, et trouver ses endroits de ressourcement qui remettent de la joie dans la vie. Moi qui ai toujours voulu être autonome et savoir compter sur mes dix doigts, Castorama est un de mes lieux de prédilection. Lundi dernier j’avais eu une journée fatigante, j’avais besoin de me distraire, j’y suis allé acheter des tubes de cuivre et je me suis fabriqué ce carillon à vent, qui est devant la fenêtre. J’aime l’entendre sonner.

Je ne suis pas inoxydable, j’ai aussi mes moments de faiblesse. J’ai des morceaux de musique fétiches qui renouent avec des moments heureux de ma vie. En général cela me fait pleurer d’émotion, et puis ça me remobilise.

L’écriture est également un moyen puissant pour cela, écrire l’émotion, chercher le mot juste, celui qui a une signification, qui résonne. La rencontre avec le premier iceberg au Groënland est un moment fugace. Quand vous trouvez le mot qui ramène cette musique-là, il va faire remonter une nostalgie de l’émotion qui est beaucoup plus forte que l’émotion instantanée que l’on a vécue. L’écriture est une revisite du passé avec une certaine nostalgie.

Aujourd’hui votre projet est le Polar Pod, une mission de 3 ans autour de l’Antarctique à bord d’une Station Océanographique Internationale inédite, pour l’étude du Courant Circumpolaire Antarctique - un acteur majeur du climat de la Terre et une immense réserve de biodiversité marine encore méconnue. Pourquoi est-ce essentiel ?


Le Polar Pod est un projet hors norme de la trempe des pionniers, une aventure humaine doublée d’un défi technologique, une exploration océanographique jamais réalisée qui fera date dans la découverte des océans. 

C’est 40M€ de budget, cela fait 12 ans que je travaille dessus. Ce sont des engagements technologiques très professionnels car des chercheurs du CNRS et d’autres institutions vont venir à bord, avec une maîtrise d’œuvre d’Ifremer. J’en suis l’inventeur, le lien entre Ifremer et le chantier, et celui qui trouve les financements.

Quand vous faites un projet hors norme, la difficulté est de faire évoluer la norme pour faire en sorte qu’elle devienne suffisamment flexible sans tordre le droit. Alors de temps en temps je suis l’empoisonneur de service, et de temps en temps l’inventeur génial. L’audace commence au-delà de la frontière où vous amène l’expert. L’expert est garant de la norme.

Faire ce lien entre la norme et hors norme, assurer une flexibilité maîtrisée, c’est tout l’enjeu de l’innovation du projet, et mon rôle en particulier.

Il faut réussir ce projet Polar Pod, et vous pouvez tous y contribuer à travers son financement, je cherche encore des mécènes – rencontrons-nous !

Quel dernier message voudriez-vous passer à ceux qui nous lisent ?

On ne repousse pas ses limites, on se découvre. Avancez, et terminez ce que vous entreprenez.

J’entends souvent des gens me dire « Il faudrait quand même que je marche, que je fasse un peu de sport…  ». Mettez-vous dans un club de marche et faites la balade du dimanche ! Vous serez obligé de terminer la randonnée. Vous serez peut-être perclus de courbatures, fatigué, mais vous aurez réalisé ce pour quoi vous étiez parti.

Source : https://jeanlouisetienne.com

On ne peut pas se construire si on ne termine pas ce qui nous a mobilisé. C’est comme ça que l’on prend confiance en soi, et que l’on peut monter en audace.

Cela dépend également du niveau où l’on met le curseur de nos envies, et parfois on ronronne. Je suis très attaché à l’éducation, et à la formation professionnelle, beaucoup trop sous-estimée en France. J’y fais des interventions, je leur dis « Soyez ambitieux, voyez grand ! N’écoutez pas ceux qui vous disent que vous ne pourrez pas y arriver. »

On ne peut pas se construire si on ne termine pas ce qui nous a mobilisé

Jean-Louis Étienne

Il faut voir dans la personne tout son potentiel de réalisation – mais il faut aussi la mettre en route, et c’est encore trop rare dans notre modèle éducatif. Lui dire « Ca c’est vraiment bien. Là tu peux encore travailler, mais à cet endroit-là c’est bien, tu peux développer ».

Il faut remettre le rêve à la surface, c’est ça qu’il faut entretenir.

Biographie de Jean-Louis Etienne

Source : https://jeanlouisetienne.com

Médecin spécialiste de nutrition et de biologie du sport, Jean-Louis Étienne a participé à de nombreuses expéditions en Himalaya, au Groenland, en Patagonie.

Infatigable défenseur de la planète, il a mené plusieurs expéditions à vocation pédagogique pour faire connaître les régions polaires et comprendre le rôle qu’elles jouent sur la vie et le climat de la terre. Et en avril 2010, il réussit la première traversée de l’océan arctique en ballon.

Il a été le premier homme à atteindre le pôle Nord en solitaire, et a réussi la plus longue traversée de l'Antarctique en traîneau à chiens : 6300 km.

Distinctions / Décorations

Docteur en médecine

Interne en chirurgie

Grand Officier de l’Ordre National du Mérite

Commandeur de la Légion d’Honneur

Membre de l’Académie des Technologies

Médaille d’or de la Société de Géographie

Fellow of the American Explorer Club

Fellow of the National Geographic Society

Ambassadeur des Pôles et de l'Océan à l'UICN

Séverine Guerif a eu deux vie. L'une que l'on pourrait qualifier de "classique" avant 40 ans, que des insatisfactions professionnelles et des difficultés de santé viennent percuter. Séverine commence à s'entraîner en course, et réalise que ses temps sont hors du commun. Autodidacte, elle devient championne de France et championne du monde de duathlon sprint à plus de 40 ans.

" Je ne rêvais pas d'être championne du monde mais peut-être de toujours tirer le meilleur de moi et être positive. C’est cette soif de vie que je veux retrouver. Parfois on a oublié cela." 

Dans cet article émouvant, Séverine partage son chemin de vie, son travail, ses victoires, et les découvertes qu’elle applique dans son entraînement, dans un corps à corps avec la maladie.

Interview réalisée le 30/09/2022 mise à jour le 24/032023 par Thérèse Lemarchand, CEO Mainpaces

Découvrir ses capacités sportives à 40 ans

Bonjour Séverine, 

vous avez été championne de France de triathlon en 2020, et championne du monde de duathlon sprint en 2021 et 2022 en master 2 (5 km de course - 20 km vélo - 2,5 km de course à pied). Mais surtout votre carrière de sportive a débuté à 42 ans, et s’est déroulée dans des conditions difficiles.

Qu’est ce qui vous a amené à cet âge à ce résultat là ? 

Mon aventure a commencé en 2017. A l’époque j’étais sportive loisir, je faisais 2-3 séances par semaine. Les années 2016 et 2017 ont été compliquées pour la famille. Je n’obtenais pas ce que je souhaitais en termes d’évolution de carrière. Mon conjoint a été atteint de la maladie de Lyme, et j’ai été hospitalisée pour une tumeur. En sortant, le chirurgien m’a dit “Si vous revenez au sport, revenez-y molo”. 

J’ai regardé dans le dictionnaire je n’ai pas trouvé le mot molo. Je voulais me faire plaisir.

J’y suis allée avec curiosité, sans me fixer de limite, par l’écoute du corps et des sensations. 

Fin 2017, mon conjoint (professeur agrégé d’EPS) a commencé à regarder mes résultats sportifs que je ne regardais pas moi-même, et a constaté que j’étais déjà dans le top 5 en duathlon sprint. Son regard a changé, il est sorti de sa maladie, et le sport est devenu pour nous un projet commun.

J’ai commencé un entraînement plus spécifique, et j’ai participé au championnat de France au printemps 2018. En 2019 je suis arrivée 6ème au championnat du monde, à 1mn du podium. La plus haute marche est devenue accessible. J’ai travaillé plus et mieux, et nous avons également inclus une approche plus stratégique avec un reporting de chaque concurrente, et en 2020 j’ai décroché l’impossible, la marche la plus haute.

Qu’est ce que ce résultat a changé pour vous ?

A partir de ce jour, plus rien n’a été comme avant. J’ai pris conscience du potentiel de ce que je pouvais mettre en place. En 2022, le 2ème titre que j’ai décroché n’a fait qu'accroître ma motivation.

A partir du moment où on réalise ce qui nous semblait impossible, rien n’est plus impossible. 

J’ai réalisé l’importance de la détermination à réussir pour gagner, et  je n’ai plus de doute pour la réussite. Mais j’ai aussi réalisé que ce n’est pas d’avoir gagné qui était important. Il fallait mettre en place le travail nécessaire, de la qualité de travail, et des bonnes actions, et c’est ça qui est aujourd'hui important pour moi.

Apprendre à se connaître soi-même, un cheminement

Avez-vous rencontré des difficultés en chemin ?

J’ai eu beaucoup d’autres difficultés personnelles. J’ai fait un burn-out professionnel, j’ai eu un cancer du sein, des blessures, des problèmes de vélo… J’avais envie de relever un défi personnel, et de démontrer qu’à plus de 40 ans, qui est normalement le début de baisse de performance physique, je pouvais utiliser le sport pour réussir dans quelque chose qui ne tenait qu’à moi. J’ai découvert que les embûches font partie de la réussite. 

Ça a été mon chemin, et c’est devenu pour moi un terrain d’étude, de voir où mon corps, la performance, le mental pouvaient m’emmener. Ca reste l’inconnu. A la fin de mon traitement de radiothérapie, j’ai eu une grosse fatigue mentale et physique. J'ai dû arrêter la compétition pendant 4 mois à cause du nouveau traitement, je ne pouvais même plus marcher. Je reprends tout juste les courses et je viens de gagner Odysséa (course solidaire contre le cancer du sein). Je l’ai gagnée 8 mois après l'opération 🦀 et le jour des 18 ans de mon fils Mathis. Ça a été très symbolique pour moi.

J’accepte ça. Malgré tout ce qui peut arriver dans la vie, la façon dont on ressent ses ressources physiques et psychologiques, dont on s’entoure des bonnes personnes, positives, permet d’obtenir un résultat. Je vois ce qui m’arrive aujourd’hui de difficile comme une opportunité, comme un mal pour un bien. 

Bien souvent on utilise la rage et les frustrations pour faire des choses, mais maintenant j’enlève toutes les frustrations pour aller plus loin. J’ai découvert que mon hyper-émotivité et mon hyper-activité faisaient partie de moi, et je les mets maintenant à profit de choses plus utiles et plus positives.

Qu’est-ce que ces difficultés, ces succès, et ce chemin vous ont encore appris ?

J’ai vécu une aventure humaine exceptionnelle. C’est ça qui me porte. Et grâce à ça je suis devenue meilleure humainement.

On prend et on donne à la fois. Je donne beaucoup, j’apprends à prendre ce que l’on m’offre et à remercier. Mon hyper-émotivité m'empêchait de partager mon émotion, j’avais peur de faire rentrer des personnes dans ma sphère personnelle, j’avais une énorme carapace. J’ai découvert qu’être hyper-émotif c’est aussi une chance, on ressent les choses, on se ressent soi-même. J’en retire une force maintenant, alors que je pensais que c’était une faiblesse.

Je me suis tellement cachée. Aujourd’hui je me réalise pleinement. Quelle erreur j’ai faite à vouloir devenir quelqu’un que je n’étais pas !

Cela me permet d’être porteuse de choses positives pour les autres, quand je partage avec eux mon expérience. Je vois des gens se mettre en action autour de moi, dans mon sillage. Trop de gens s’empêchent de se remettre en action. Pour moi la vraie question, fondamentale, est “qu’est ce qui t’empêche vraiment ?”.

La symbiose corps-mental pour dépasser ses limites

Comment avez-vous appris tout cela, quelles ont été vos inspirations, votre entraînement ?

Je suis autodidacte, je fais ma propre préparation physique et mentale. Mon programme n’est pas très strict, mais je suis très focus corps-esprit pour optimiser mes résultats, car les deux sont liés. Pour me réaliser en tant que personne, j’avais besoin de pouvoir concilier ma vie familiale et affective, ma vie professionnelle, et ma vie sportive. Ce qui ne me laissait pas beaucoup de temps !

D’un point de vue physique, je suis toujours dans la gestion de l’effort et l’écoute de ce que je suis capable d’endurer. A l'entraînement il faut puiser dans le maximum que l’on peut donner sans casser la machine et s’épuiser mentalement, car c’est difficile de remonter.

Et toutes les 3 semaines, je fais faire un effort beaucoup plus difficile à mon corps, jamais le même, ça l’oblige à réagir. Il faut vivre de temps en temps des choses plus difficiles à l'entraînement, car on est préparé cela arrive le jour J en compétition.

D’un point de vue mental je ne pensais pas atteindre ce niveau là. Je n’avais pas de méthodes ou de ressources de préparation mentale dans mon club, alors je me suis fortement inspirée de Mike Horn, que j’adore. J’ai regardé toutes ses vidéos. Comme on a plein de croyances limitantes, je matérialise mon cerveau comme s'il y avait des cloisons, et j'abats toutes les cloisons. Il faut faire croire à son esprit que c’est possible, le cerveau n’est pas capable de faire la différence. 

Etre tactique, c’est connaître ses concurrentes. Dans une course mon cerveau calcule tout de suite par rapport à mes concurrentes ce que ça va donner, et me permet d’ajuster mon effort sans regarder le chrono. Regarder son chrono empêche d’avancer, ce n‘est pas le compteur qui va me dicter ce qu’il faut que je fasse ! Le pilotage aux sensations est beaucoup plus efficace. Le jour J, je sais que le travail a été fait, que j’ai mis tout ce que je pouvais mettre en place. Je pose mon cerveau et je me fais confiance. 

Mike Horn a fait les choses progressivement. Tout est possible à partir du moment où on fait ce qu’il faut, une étape après l’autre. Et il faut bien analyser sereinement, objectivement, avec les ressources du moment. C’est en fonction de cela que le résultat est bon ou non.

Quel dernier message souhaitez-vous passer à ceux qui nous lisent ?

Quand on était enfant, on rêvait de qui on voulait devenir. Ce sont les valeurs qui nous guidaient à ce moment-là, qui on était. Ces rêves-là, qu'en faites-vous aujourd’hui ? 

Je ne rêvais pas d'être championne du monde mais peut-être de toujours tirer le meilleur de moi et être positive. C’est cette soif de vie que je veux retrouver. Parfois on a oublié cela.

Aujourd’hui je suis en cohérence avec mes valeurs et c’est ça qui me porte dans une autre forme de réussite. Les chefs d'entreprise ont peut être des objectifs qui ne sont plus en cohérence avec leurs valeurs, et qui parfois les empêchent d’avancer. 

Rêvez des trucs de fous, et faites-les !

Principaux palmarès

2022
Championne du Monde de duathlon
Vice-Championne de France de Duathlon

24 Heures du Mans Vélo
Vainqueur par équipe 6

2021

Championne du Monde de duathlon
Championne de France de Duathlon

2020

Vice-Championne d'Europe de duathlon
Championne de France de Triathlon

2019

Championnat de France de triathlon : vice championne
Championnat de France de duathlon : médaille de bronze
Championnat du Monde de Duathlon : 6ème
Cross duathlon : championne régionale Pays de la Loire

2018

Catégorie master Championnat de france de cross triathlon : vice championne
Championnat de france de duathlon : médaille de bronze
Duathlon international de Meaux : 2ème
Cross duathlon : championne régionale Pays de la Loire

Coach de dirigeants et de hauts responsables, conférencier et écrivain, Jean Daniel Remond est créateur d'une méthode de coaching centré sur l'optimisation du potentiel de dirigeants et de hauts responsables. Psychologue et biologiste, sa passion pour l’être humain et la compréhension de son fonctionnement ont guidé sa carrière et ses multiples contributions.

Dans cet article, Jean-Daniel Remond nous offre une réflexion sur l'intelligence de la vie et dissèque les composantes de notre volonté : qu'est ce qui nous anime, au niveau personnel ou en collectif ? Quels défis pour le dirigeant aujourd'hui et demain ?

Interview réalisée le 23/02/2023 par Thérèse Lemarchand, CEO Mainpaces

Bonjour Jean-Daniel, tu es coach de dirigeants et de hauts responsables depuis plus de 30 ans, après une longue carrière dans différentes entreprises et associations dont la Croix Rouge, écrivain, conférencier. Tu as une formation initiale en psychologie et biologie, avec une spécialisation en neuroscience. Nous avons aussi l’honneur de t’avoir au sein du Conseil Scientifique de Mainpaces.

Qu’est-ce qui a guidé ces choix ?

C’est ma passion pour l’être humain, pour la compréhension du fonctionnement de l’être humain, qui ont guidé ma carrière, les entreprises que j’ai créées ou auxquelles j’ai contribué. La base de ma formation m’a aidé à le comprendre, j’ai ensuite mené beaucoup d’actions sur le plan individuel et collectif pour toujours avancer dans cette recherche. L’approche globale du coaching de Mainpaces m’a séduit car elle nourrit cela, elle prend en compte la personne dans tout ce qui la constitue.

Le coaching comme mise en mouvement

Comment la neurobiologie, la compréhension de notre mode de fonctionnement, en tant qu’être biologique et vivant, peut aider dans une démarche de coaching ? 

Tout ce que le coaché, ou la personne, vit, s’explique à travers le fonctionnement de l’être humain de manière générale. Toute la dynamique d’une personne est issue de lois physiques, biologiques, de la santé au sens global de l’OMS, « un état de complet bien-être physique, mental et social », et de sa dimension spirituelle.

Quand les personnes comprennent les mécanismes qui les agissent, cela les aide beaucoup pour voir ce qui se joue dans telle ou telle situation.

C’est la même chose sur le plan psychanalytique. A partir du moment où on facilite la parole et le fait de nommer les choses, on peut nourrir la « représentation » que les personnes ont d’elles-mêmes, et donc les mécanismes qui jouent sur la constitution de sa représentation.

Il y a toujours des systèmes de représentation qui sont à l’origine de nos comportements. Plus on les éclaircit, plus la personne peut agir sur ces mécanismes, si elle le souhaite.

Le sujet est de donner l’envie de développer les mécanismes qu’on a en soi.

Passer de la compréhension au développement est tout le rôle du coach. C’est l’émotion (étymologiquement – mise en mouvement) qui va permettre de passer à l’action. La relation intime qu’il développe avec la personne provoque le déclenchement de cette émotion, qui crée l’envie de convertir la compréhension en action, en comportements plus conscients.

Peut-on dire que ce jeu de compréhension - action, est la représentation d’une interaction corps - mental ? 

Oui, c’est intéressant de le présenter dans ce sens ! La compréhension passe par le plan physique, car c’est une compréhension des mouvements, une compréhension intérieure, proprioceptive, sensible, il y a une grande richesse de facteurs, et autant de possibilités d’actions dessus.

La base de l’action est l’envie que tu déclenches. En tant que coach elle est liée à la motivation que tu sais créer chez l’autre. C’est une envie de mise en action, de ce que la personne a pu comprendre d’elle-même, des représentations sur lesquelles elle peut agi, mais qui l’agissent également, souvent inconsciemment. C’est pour cela qu’un coaching de longue durée peut être profond, parce que l’action peut s’enrichir de la relation que le coach développe avec les personnes que qu’il accompagne, pour mobiliser cette énergie là.

Prenons un exemple, que se passe-t-il quand on se fixe un objectif, et en quoi le corps aide le mental, dans une utilisation de ses ressources efficace ?

La notion d’objectifs est très particulière. La première question à se poser est : est-ce que cet objectif t’a été imposé, ou est-ce qu’il a été choisi ?

L’étymologie du mot est intéressante. Il est formé du verbe jacere (« jeter ») avec le préfixe ob- (« devant »). L’objectif, c’est “jeter devant” - c’est donc quelque chose que tu projettes.

Si un objectif t’a été imposé, c’est à toi de le convertir, de le choisir, de trouver le moyen de le faire tien, de t’adapter à ce qui t’est demandé, et d’ajuster la tension qui va être nécessaire pour atteindre cet objectif. Cette notion de « tension » est capitale. Il faut toujours apprendre à identifier les deux pôles d’une tension, car c’est la tension qui crée le mouvement. 

Si on t’impose un objectif, le sujet sera de l'intérioriser, pour qu’il soit adapté à tes capacités, ou pour constater qu’il te dépasse, en fonction de ta sensibilité intérieure, ou des apprentissages passés. C’est tout l’enjeu de l’atteinte d’un nouveau record pour un sportif, car par définition il n’a jamais été aussi loin auparavant.

Si on prend l’exemple du saut à la perche pour illustrer cela, la tension sera posée entre ce que je ressens au temps t0, et comment je vais engager mon corps à passer les 6m22 (record du monde qu’Armand Duplantis – 23 ans, a ré-établi samedi 25 février 2023, battant son propre record de 6m21). Je vais m’obliger à rassembler tout ce que je connais de mon corps et de mes capacités, avec l’envie de dépasser les limites.

Armand Duplantis jumps 6.0 meters at Stockholm Stadium on August 24, 2019, credit : Frankie Fouganthin
Armand Duplantis jumps 6.0 meters at Stockholm Stadium on August 24, 2019, credit : Frankie Fouganthin

Cette envie est celle de découvrir quelque chose de moi que je ne connais pas. A chaque fois c’est une naissance nouvelle. On revient à un état d’adolescence, d’exploration de ses limites, de l’envie de les dépasser et donc de création de soi-même. 

Donc en synthèse, quand on atteint un objectif ambitieux, ou un record, on gère une tension qu’on a appris à connaître, entre son état du moment, et l’état intérieur qui nous est demandé au moment où l’on dépasse ce record du monde. C’est lié à la fois à une connaissance de soi, et une envie de se dépasser.

Développement du potentiel et écologie personnelle

Comment fait-on alors pour que cette nouvelle naissance soit la manifestation d’une écologie personnelle, fructueuse, et non pas épuisante ?

C’est l’enjeu de la connaissance de soi dans la performance, quel qu’en soit le domaine.

La promesse de réussite est la promesse de naître à un autre niveau de soi-même. Tu te prépares pour ça. 

Tout le moment de la préparation se déroule mentalement dans les couches sous-jacentes du cortex. Le cerveau y fonctionne de manière analogique. Tu vas te préparer, tu vas maturer ta prestation, tu vas essayer d’enregistrer l’état dans lequel tu vas être au meilleur niveau de toi. Cela crée un stock de data qui est enregistré, donc une sorte de mémoire spécifique et constamment actualisée.

La dernière couche du cortex est celle qui travaille en binaire, en digital. C’est là où se situe la prise de décision. Si les données enregistrées ne sont pas précises, on ne passe pas au niveau de cette couche du cortex.

Le coach, qu’il soit coach sportif ou coach de dirigeant, peut déclencher cela, l’envie de passer d’un système analogique dans lequel tout un ensemble de grandeurs évolue, à un système de décision, de données discrètes. Aider à éclaircir ce qui est flou dans le cerveau, pour déclencher cette décision d’y aller, franche et déterminée, est le rôle essentiel du coach, ou l’enjeu de la personne elle-même si elle n’est pas coachée. Et comme tu le sais, quand un objectif est précisément fixé, on ne pense plus qu’à ça et ce côté binaire est le gage de la réussite dans l’épreuve, car rien ne vient le parasiter.

Je vois ce que tu veux dire. A mon petit niveau, je vis cela en surf. Au moment d’un take-off un peu difficile, si je ne suis pas pleinement dedans ça ne passe pas.

Quand notre état intérieur est dissocié, il y a trop d’informations, trop de data qui se mélangent, qui ne sont pas classées. On ne peut pas aboutir à cette couche ultime du cortex. Cela peut être dû à une fatigue non ressentie, à un état qui n’est plus aussi clair inconsciemment dans notre corps.

Je vais donc émettre une hypothèse de ce qui peut se passer. Si en surf, ce scan de tous ces moments où tu as pratiqué ne se fait pas bien, tu ne te sens pas prête et tu ne fais pas le mouvement nécessaire. C’est un scan très rapide de tout ce que tu as enregistré en termes de préparation de ton corps et de ton mental en pleine performance. Si tout n’est pas réuni, tu ne passes pas au niveau où tu voudrais.

Surfeurs sur la côte basque par gros temps

C’est là qu’il y a une différence entre la volonté et la capacité ?

Oui, en effet. La capacité est liée à un système inconscient fort, à toute une multitude de paramètres enregistrés dans le corps et dans le mental dans les moments d’excellence, aux meilleurs moments de tes performances. S’il manque un élément, si tout n’est pas réuni cela ne passe pas, et un excès de volonté, c’est à dire du volontarisme risque même d’annuler l’expression de certaines datas.

Comment alors développer son potentiel sans s’épuiser, mais tout en étant quand même moteur vers cette connaissance, ce dépassement qui est également réjouissant, et énergisant ?

Quand tu veux avoir une performance plus forte encore, il faut le temps de passer en revue cette carte mentale, et donc d’arriver à la connaître. C’est là qu’un coach ou quelqu’un d’extérieur est tout aussi important que ton propre regard sur toi, de ta propre connaissance de toi, pour passer en revue ces éléments, et accompagner ce temps de maturation nécessaire. Il faut que tout soit prêt au temps t0.

La justesse dans l’optimisation est permanente.

Si on prend l’exemple d’une course, un 100m ou un 110 m haies, quand tu vois certains se préparer, leur mime des gestes est fantastique à voir. Ils réactivent leur corps à tous les endroits qui vont être en mouvement. Ils réactivent la mémoire de l'entraînement. Et il faut qu’en plus il y ait l'envie ce jour-là de battre son propre record. C’est le mélange des deux, l’activation du corps et l’envie de se dépasser, parce que c’est le moment d’atteindre l’objectif que la personne s’est fixée. Les Jeux Olympiques sont pour cela fascinants, rejouer et rebattre son record par exemple 4 ans après. Ce que cela veut dire physiquement et mentalement comme programmation, est ahurissant.

Dirigeants : quels défis personnels, collectifs et pour la société ?

Comment ces enjeux de programmation, de préparation, et de décision binaire se traduisent dans la vie courante d’un dirigeant, dont les objectifs et les décisions se jouent sur de multiples plans, de façon permanente et rapide ?

En effet, il y a tellement de paramètres. Il faut d'abord que le dirigeant en question ait une vision très claire de ce qu’il souhaite, ce qui est déjà très rare. 

Prenons un objectif quantitatif de +10%, fréquent dans le monde économique. C’est un objectif qui se veut précis mais qui est relativement flou car ce n’est pas ça qui va déclencher l’envie en interne de l’entreprise, ni même l’envie de la personne qui la dirige. Pour qu’un objectif soit atteint, il faut qu’il soit absolu.

L’enjeu est de préparer ton entreprise à ces 10% théoriques, qui n’est pas un objectif en tant que tel. L’objectif du dirigeant est que tous les paramètres qui sont sous sa dépendance, sous son autorité, soient au rendez-vous pour atteindre ce chiffre.

Cela veut dire que l’entreprise suit, que son équipe suit, qu’il y a un mouvement interne fort qui va garantir la réussite.

C’est la tension du corps de l’entreprise, en interne, qu’il doit préparer et accompagner, pour que l’entreprise soit au faîte d’elle-même pour s’engager dans un objectif qu’elle est capable de dépasser.

Mais c’est aussi tout un environnement qu’elle doit être capable de maîtriser, et d’éléments contingents. C’est un travail probabiliste, qui permet de conclure qu’on a tous les éléments en main pour réussir. Qu’est-ce que je contrôle, qu’est-ce que je ne contrôle pas, et qu’est-ce que je fais avec ça ? Cela implique nécessairement une marge d’erreur.

Le potentiel interne et le potentiel externe constituent les deux pôles de tensions de l’énergie en action, en étant conscient que plus on touche à une masse de paramètres, plus la direction est fragile. On avance à l’aveuglette, avec un flou qu’il faut accepter en tant que dirigeant, même si on travaille à réduire toujours cette incertitude. 

Passer de l’individu à un groupe change complètement la donne. La maturation, l'adhésion, la préparation de l’équipe, et l’analyse de l’externe, c’est toute la difficulté du rôle du dirigeant. 

Quelles sont les qualités essentielles pour un dirigeant - un chef d’entreprise, pour toi aujourd’hui ?

La première qualité d’une personne dirigeante est le niveau de conscience qu’elle a aujourd’hui des tensions qu’elle doit gérer, à l’intérieur - la dynamique de l’entreprise, à l'extérieur - son environnement, et en tant que personne, une capacité en permanence de faire le point de là où elle en est

Le bon dirigeant est également quelqu'un qui saura provoquer dans son environnement les opportunités qu’il peut lui offrir. Il aura en plus une qualité d’intuition, une disponibilité, le recul minimal nécessaire pour jouer avec, ou pour intégrer au dernier moment des données qu’il n’avait pas prévues, des choses qui ne sont pas de l’ordre de la rationalité, et qu’il va convertir.

On peut résumer cela en une « qualité de présence au monde », de présence à lui, et du recul. On y retrouve la santé, le repos, la conscience de son potentiel, et de sa capacité à réagir, de la connaissance qu’il a de lui-même, et de ce sur quoi il peut compter.

Il y a un sujet de rapport au vivant, de compréhension, d’apprentissage, de respect de ce que nous sommes, en tant qu’humains. Y-a-t-il un lien entre écologie personnelle et écologie globale ?

Tout à fait. C’est de là que naît aussi l’incertitude permanente, car c’est vivant. Si tu es vivant et que tu captes la vie le plus possible autour de toi, tu as toutes les chances de réussir. 

Cela implique une connaissance du vivant et de l’environnement, qui va bien au-delà de la simple question de la technique. Être capable de capter ce qui est vivant dans une situation, est une question d’alerte permanente sur ce qui est vivant.

C’est aussi le sujet de la prospective. Le vivant s’exprimera dans les tendances et les mouvements de fond. Il faut être en alerte sur ces tendances profondes, ces trends très intenses, les signaux faibles et forts que la société et l’environnement nous renvoient.

Il y a donc à maintenir un niveau de vigilance permanent, et une curiosité, ou dit autrement une qualité de présence avec une dynamique permanente.

L'intelligence du vivant

On vit dans une société où l’information est omniprésente, comment faire le tri dans ce foisonnement d’images et de paroles si on maintient un niveau de vigilance élevé ?

Il faut revenir à la base de la notion d’information. L’information n’est pas du bruit. L’information est un différentiel que tu captes, c’est quelque chose de différent par rapport à ce qui existait avant. Donc la vigilance, la curiosité, doit reposer sur ce qui est différent. 

La façon dont tu t'entraînes en tant que personne, en tant que dirigeante, à hiérarchiser tes informations est essentiel. Quelle est ta grille de lecture personnelle qui va permettre de classer ces informations ?

Qu’est-ce qui est de l’ordre 

A quel moment une information concerne une de ces catégories, me concerne, concerne mon corps, concerne la géopolitique, le planétaire, l’univers,... ?

Tout cela crée une échelle de valeurs, et permet de travailler sur la complexité de l’information. Si j’entends telle information, quel niveau ça touche ? Pour moi, pour mon équipe, pour les gens qui m’entourent, quelles sont les conséquences de l’information ? C’est une règle de prospective importante. Quand j'entraîne des responsables de haut niveau, je travaille toujours là-dessus avec eux en coaching. 

As-tu une maxime dans ta vie ?

Mon fil directeur est “développer tout ce que j’ai en moi”. Cela veut dire que je découvre à chaque fois ce que j’ai en moi, à l’occasion de tout ce que je vis.

C’est le but de ma vie. Je suis arrivé sur terre avec un capital, des ressources, mais c’est à moi d’en prendre conscience, et après de le développer. Et à 81 ans je n’ai pas fini ! Je me donne encore 10 ans de cognition à peu près correcte pour progresser là-dedans 🙂

Quel est le dernier message que tu voudrais passer à ceux qui nous lisent ?

Je suis un amoureux de la vie, pour moi le message est de découvrir la vie sous tous ses aspects en permanence, et de la respecter. 

La vie est d’une richesse ahurissante. C’est la vie qui m’anime, elle me traverse, c’est à moi de capter ce qu’elle me dit, ce qu’elle m’envoie. Je n’ai pas de puissance sur la vie, mais c’est à moi d’avoir l’intelligence de cette vie, d'écouter ce qu’elle me dit, ce qu’elle me raconte.

C’est ça qui m’intéresse, l’intelligence de la vie me tient vraiment à cœur.

Charlotte et Laura Tremble sont sœurs jumelles. Elles ont représenté la France en natation artistique aux JO de Tokyo 2020. Avec une carrière aussi exigeante que le sport de haut niveau, tout en continuant leurs études d'ingénieur, les deux sœurs ont beaucoup approfondi leurs enjeux d'équilibre et de performance. Elles nous parlent de motivation, d'échecs, de méthodes pour se gérer soi, et le collectif, de gestion du stress et de ses émotions, qu'il faut savoir accepter.

Comment trouver son propre rythme, conserver son équilibre, et développer sa performance, tout en étant pleinement synchronisée avec son associée et son équipe ?

Interview réalisée le 15/01/2023 par Thérèse Lemarchand, CEO Mainpaces

Les sœurs Tremble, croire en ses rêves

Bonjour Charlotte et Laura, vous êtes sœurs jumelles, à 22 ans, vous étiez représentantes de la France en natation artistique aux Jeux Olympiques de Tokyo, et vous êtes en école d’ingénieur aéronautique à l’IPSA. Quel a été votre moteur pour en arriver là ?

Nous n’avons pas eu un parcours très classique pour des sportives de haut niveau à l’INSEP. Nous venons d’un petit club. Nous avons commencé la natation synchronisée - maintenant appelée natation artistique - à 6 ans à Senlis, et nous avons intégré l’INSEP à 15 ans.

Quand nous étions enfant, les pôles Espoirs se trouvaient loin de chez nos parents, nous ne voulions pas quitter la maison, alors nous nous sommes organisées, de Senlis à Rueil, et c’était parfois rock’n roll ! Mais nous avions des étoiles dans les yeux pour les Jeux.

Notre moteur a toujours été nos rêves, et nous en avions deux : 

Nos parents sont passionnés d’aéronautique et nous ont transmis cela.

Ils nous ont aussi toujours dit “ si tu en rêves, tu travailles, tu te donnes à fond, et tu y arrives”. 

C’est comme cela que nous sommes tombées dans le haut niveau, tirées par nos rêves, et soutenues par notre famille.

Nous nous sommes dit très tôt que ce projet était un projet commun du duo, mais qu’il ne devait pas effacer nos ambitions personnelles. Nous nous sommes accordées sur le fait que s’il y en avait une qui voulait arrêter, c'était OK. Cela nous a permis de nous serrer les coudes, et d’y aller toutes les deux.

A L’INSEP, nous avons très rapidement progressé, nous sommes passées en équipes de France, nous avons fait les sélections, les compétitions, nous avons été surclassées en senior en tant que duettistes et équipière sur des finales au niveau mondial.

Nous n’avons jamais lâché notre double cursus. Nous avons passé notre bac à l’INSEP. Le parcours post-bac a été un peu semé d’embuches, notre projet professionnel était très fort, mais on nous disait que ce n’était pas possible avec la synchro, qui imposait trop d’heures d'entraînement.

Nos parents nous ont dit que c’était notre rêve, qu’il ne fallait pas le lâcher. "Si on vous ferme la porte, passez par la fenêtre !". Ils sont allés aux salons étudiants pour nous. Nous avons commencé par une licence physique chimie à la Sorbonne, qui présentait des passerelles pour passer en école d’ingénieur, et puis grâce à notre petit frère nous avons découvert l’IPSA. L’école a été incroyable pour envisager notre double projet, et mettre en œuvre tous les dispositifs d’aménagement nécessaires, et l’aventure a commencé comme ça. 

Les sœurs Tremble - JO

Notre objectif, ce sont les Jeux de Paris, ensuite nous arrêterons le sport de haut niveau. Ces 5 anneaux représentent énormément de choses. C’est ça qui nous permet de nous lever le matin, d’avoir la motivation, à mener ces études et cette vie très particulière où on ne s’arrête jamais. Les Jeux Olympiques sont LE rêve pour les grands sportifs.

Les sœurs Tremble, bien s'entourer et développer l'esprit d'équipe

La natation artistique est un sport très complet, il faut allier danse, natation, gymnastique, gainage, cardio, apnée... Vous mentionnez 40 heures d'entrainement par semaine, avec des horaires imposés car une grande partie - les Ballets - se fait en collectif. Comment gérez-vous votre temps ? 

Nous sommes 16 sur l’INSEP dans le collectif de natation artistique. Nous n’avons pas la main sur la répartition de nos heures d'entraînement, c’est la coach qui gère cela. 

Nous travaillons avec de nombreux intervenants. Comme en entreprise, c’est indispensable de bien s’entourer, avec des experts dans chaque discipline que nous avons à développer. Cela comprend :

Avec des choix qui sont parfois très personnels, comme le kiné.

Nous ne gérons pas le calendrier d'entraînements, mais quand nous sentons que nous avons des lacunes, nous nous en emparons, et travaillons en plus. On a le niveau pour sentir cela. Avec internet on apprend sur beaucoup de sujets, l’alimentation, l’organisation,...

Lâchées au départ dans ce double projet, nous nous sommes un peu brûlé les ailes entre le sport et les études, à appliquer des méthodes parfois radicales (la joie du miracle morning et du lever à 5h du matin 😅). Maintenant nous nous inspirons de ce que nous voyons, et nous avons appris à tester par petites touches. Si ça marche, trop bien. Si ça ne marche pas, qu’est-ce que j’en retire, est-ce qu’il y a des choses que je peux adapter à mon temps, à mes envies, à ce qui me touche ?

Les échecs sont la meilleure des choses pour apprendre. Il ne faut pas rester dessus. On peut prendre une heure pour pleurer bien comme il faut, et après on rebondit, on regarde pourquoi ça n’a pas marché, et on trouve des clés et des solutions.

C’est un peu comme les entrepreneurs, qui ont beaucoup de casquettes différentes et de compétences à développer dans des domaines variés, et qui sont parfois pris dans des calendriers imposés, et dans lequel ils doivent retrouver leur propre temps.

Oui c’est vraiment ça. Et comme un entrepreneur, nous avons beaucoup de casquettes différentes dans le groupe. Nous pouvons être une personne référente pour certaines, leader le groupe, avoir un rôle à jouer dans la création de lien... 

C’est beaucoup de préparation mentale pour gérer une équipe, et apprendre à se gérer dans une équipe. Chacun doit avoir sa place dans un groupe, se sentir légitime. 

Dans un groupe, il faut établir les règles de base. A chaque fois que quelqu'un arrive, qu’une autre part, c’est un mini chamboulement. Parmi ces règles, il y a nos valeurs : la bienveillance, le non jugement,... C’est très important que chaque personne se sente légitime, à s’exprimer quoi qu’il arrive, et à faire avancer la performance.

A titre d’exemple, nous sommes 16 filles en équipe à l'entraînement. Seules 8 d’entre-elles nagent dans le ballet. Mais quand ça se passe mal, que l’on rate, que l’on n’arrive pas à avancer, les filles qui nagent à côté vont prendre le relais, encourager, apporter ce recul qu’on n’a pas sur le moment. Elles ont une grande importance dans le collectif.

Les sœurs Tremble, trouver sa place, son rythme, pour être synchro

Qu’est-ce qui est essentiel pour votre duo ? Il y a une question de synchronisation - sur un rythme, un mouvement, mais aussi de synergie - la capacité à créer ensemble un effet global supérieur à celui que vous auriez individuellement. Comment avez-vous développé cela ? 

On partait avec un avantage, des sœurs jumelles, qui nagent ensemble depuis des années. On avait déjà ce lien entre nous que des entrepreneurs qui viennent de se rencontrer ont peut-être plus de mal à créer. 

Arrivées à 15 ans à l’INSEP nous étions à la fois associées et indissociables. Nous étions appelées “les jumelles”. Nous étions dans la même chambre double, la même classe, le même entraînement ... C’était un âge charnière pour se construire, chacune se cherchait. Ça a été très dur. On ne dissociait plus les entraînements où c’était professionnel et le perso, le fait qu’on soit sœurs. 

Nous avons été accompagnées par nos parents, notre coach, notre psy, et aiguillées à avoir chacune notre cocon, pour se retrouver soi-même. Nous avons eu besoin pour nous construire de nous séparer un peu. Cela a été le premier cap dans notre synchronisation, de nous retrouver toutes les deux, chacune de notre côté. 

Ça a apporté à notre performance quelque chose de fort. Des liens plus resserrés, et notre duo est redevenu notre force, alors que c’était devenu notre faiblesse.

Ce qu'on a bien fait, c’est se faire aider par une personne tierce. Cela aide à faire la part des choses, à prendre du recul, à poser des temps de parole nécessaires. Bien re-fixer les règles, identifier ce qui nous dévie de nos valeurs.

Admettre qu’on n’a pas les compétences
Bien s'entourer
Savoir que l’on peut apprendre

Charlotte et Laura Tremble

Quand on est entrepreneur c’est pareil. Créer son entreprise est semé d'embûches. Il y a beaucoup d'émotions, de stress, d’affectif avec la personne avec laquelle on a créé l'entreprise. On a vu ça dans notre entourage, sur les réseaux. S’aider d’une autre personne est essentiel. Prendre du recul et se faire aider permet de mieux repartir derrière pour être encore plus performant.

Prendre du recul implique une forme d’acceptation, et ce n’est pas toujours facile

Oui, il faut accepter de prendre le temps de faire quelque chose qui n’est pas directement productif, de se faire du bien au moral, du bien au corps, de couper. Accepter qu’il y a des périodes où on est moins performantes, et que tout n’est pas toujours exponentiel.

Se culpabiliser est contre-productif. Se dévaloriser, c’est ne pas accepter que la situation est compliquée, et pas idéale. Ça ne sert pas.

Laura : “l’année dernière j’ai été opérée des genoux. Le premier s’est bien passé, mais la phase post-opératoire du 2è genou s’est très mal passée. J’ai été alitée un mois et demi, mon genou était très gonflé, c’était horrible.

Quand j’ai repris, je me suis dit “il faut que je fonce, je perds du temps !” Je n’ai pas pris de vacances de Pâques. Et en fait à un moment donné je ne progressais plus du tout. Alors j’ai pris une semaine pour ne rien faire, et me reposer. Après cette pause j’ai énormément avancé, mon genou avait dégonflé, j’ai réussi à refaire des exercices que je n’avais plus réussi depuis mon accident. C’est là que j’ai compris que de temps en temps juste couper, ou juste souffler, permet de mieux repartir derrière, et que s’acharner n’est pas toujours la bonne solution.

C’est là que j’ai compris que de temps en temps juste couper, ou juste souffler, permet de mieux repartir derrière, et que s’acharner n’est pas toujours la bonne solution.

Laura Tremble

C’est parfois difficile de se dire que l’on n’a pas un rythme conventionnel, ou que l’on n’a pas le rythme de son voisin, mais si c’est celui qui nous permet de performer et d’être productif, c’est le rythme juste.

On est les mieux placées pour savoir ce qui nous correspond le mieux. Il faut apprendre à écouter et accepter ce qui nous correspond le plus, et essayer, et cela implique de prendre un peu de temps pour soi.

Quel est le rôle de la respiration individuelle et collective dans votre équilibre et votre performance ?

On a fait beaucoup de yoga - cela nous a beaucoup aidé. A 20 ans on a appris qu’on ne savait pas respirer ! La personne qui nous a accompagnées avait cette capacité à lire les corps. En nous regardant, elle a vu que l’une était dans le corps, quand l’autre était plus cérébrale. Cela nous a aidé à comprendre comment créer une balance entre nous deux.

Nous avons enchaîné des séances de respiration, les yeux fermés, pour que nos respirations se synchronisent. Cela nous a aidé à nous sentir l'une - l’autre et nous mettre en lien. Ce qui était amusant, c’est que dans les périodes où nous en avions marre l’une de l’autre, elle le sentait tout de suite, et la phase de synchronisation devenait plus longue.

La respiration intervient partout, et particulièrement dans la performance. Elle fait le lien corps - mental. C’est hyper pertinent pour le sport, notre vie à côté, et la construction de nous-mêmes.

Les soeurs Tremble

Comment trouvez-vous votre rythme personnel, avec celui du duo ? 

On l’a appris sur le tas, en se trompant. En commençant nos études supérieures nous voulions tellement donner dans la synchro et les études, qu’on a fini par se blesser. Donc on a tout repris, de façon à trouver le rythme qui nous convenait à chacune séparément, et au duo.

Se synchroniser c’est aussi une histoire de distance. Comment percevez-vous que vous êtes à la bonne distance l’une de l’autre ?

Ça passe toujours par la communication. Si a un moment donné l’une a besoin de prendre de la distance, c’est OK. Et puis il y a des moments où on ne choisit pas. Par nature à l'entraînement, on travaille très proches, c’est comme ça. 

Je crois que c’est la même chose pour des associés en entreprise, je vois ça chez nos amis qui ont créé des boîtes. Ils sont reliés par une entreprise qui peut être comme un enfant pour eux, à qui ils donnent tout, comme nous en natation synchronisée, à tel point que l’on s’oublie soi-même, et on perd en performance et en efficacité.  Il faut savoir prendre du temps pour soi, et se retrouver.

Nous avons chacune établi nos limites et nos besoins. Même en collectif, nous avions l’impression de toutes nous connaître parce que cela faisait des années que nous nagions ensemble. Et puis nous avons découvert certaines situations, ou certaines réactions. Aujourd’hui on comprend mieux, ces besoins qui s’expriment à certains moments de s’isoler, ou au contraire de contact, de se rapprocher du groupe, de se rassurer.

Les soeurs Tremble, émotions et gestion du stress

Dans un article de équipedefrance.com, vous vous présentez l’une et l’autre comme assez émotionnelles. Comment utilisez-vous ces émotions dans vos accomplissements, votre gestion du stress ? 

Nous sommes assez émotives dans tous les sens du terme, des petits cœurs en mousse 🙂 Nous sommes des éponges à émotions envers nous, envers les autres, quand des personnes sont tristes, on prend un peu de leur tristesse. Au fur et à mesure on apprend à gérer tout ça.

En tant que sportives, gérer notre stress est l’enjeu N°1. Il faut comprendre et accepter qu’il ne partira pas, mais que c’est à nous de le gérer, de trier les informations qu’il nous indique, et de leur donner ou non de l’importance.

La respiration est essentielle dans la gestion du stress. Nous avons fait de la visualisation. La création de routines, par exemple en compétition, nous permet de nous rassurer dans la réalisation de certaines tâches. On le transfère aussi dans nos études. Récemment nous avons été amenées à faire au pied levée une conférence devant 500 personnes, cela nous a été très utile !

On apprend à gérer les imprévus, à avoir confiance dans le fait que l’on sait faire, et que quand on est lancées, ça déroule. Il faut revenir sur des choses concrètes ” j’ai travaillé, je sais faire ça, c’est dans la réalité”.

Quand on est arrivées à l’INSEP, on était persuadées qu’on allait nous donner le secret pour ne plus stresser. Ce n’était pas du tout ça ! En fait, on a appris à accepter le stress. Le stress est toujours là, même depuis les Jeux, mais chacune a les moyens de se préparer physiquement, mentalement, de se mettre dans une bulle ou pas, selon les situations.

La gestion des émotions est très personnelle, on a essayé, il y a des choses qui n’ont pas marché, et maintenant nous savons chacune ce qui nous convient.

Nous n’avons plus honte maintenant, nous acceptons nos émotions, ça nous a aidé à passer un cap.

Les soeurs Tremble

Charlotte ” Par exemple quand ça ne va pas bien, je me dis, OK ça ne va pas, je le sais, qu’est ce que je fais avec ça. Est-ce que j’ai envie que ma journée reste autour de cette émotion ?  Non pas trop. En général je vais essayer de l’extérioriser. Je le dis à quelqu’un de très proche, et après ça va un peu mieux. Ces personnes vont m’aider à passer progressivement du tout négatif, du nuage noir, au soleil. “

Les sœurs Tremble, découverte et ouverture d’esprit

Vous avez présenté aux JO une chorégraphie sur le thème « Les violences faites aux femmes ». C’est quelque chose qui vous tient à cœur. Comment vous nourrissez-vous du quotidien, et arrivez-vous à maintenir une ouverture sur le monde avec votre emploi du temps ?

Nous sommes des femmes assez engagées. Ce qui nous touche particulièrement sont les violences faites aux femmes, l’écologie, et le bien-être animal.

Cela nous tient énormément à cœur. C’est quelque chose qui nous fait vibrer, et on a l’impression de ne pas faire assez. C’est émotionnel et sportif. Quand on est sportif de haut niveau on a un certain mental, on a envie de participer et de s’engager.

On se demande toujours comment on peut faire pour aider, et avec notre statut mettre une pierre à l’édifice. Les Jeux ont une couverture médiatique forte. On y a pris la parole à notre manière, de façon élégante.

On adore apprendre. On apprend en ligne, avec les réseaux on a accès à tout. On a appris à coudre, à broder, à faire des podcasts, … C’est comme ça qu’on s’est plongées dans les enjeux écologiques.

Sur les réseaux, on peut ouvrir l’esprit de certaines personnes et livrer des messages essentiels, discuter, échanger, partager, c’est hyper-enrichissant. 

Quel est le dernier message que vous voudriez passer à ceux qui nous lisent ?

Laura :  je dirais une phrase que nous a toujours répété notre mère “croyez en vos rêves”. C’est quelque chose qui nous a toujours guidé .

Charlotte : et je complèterais “ et se donner les moyens d’y arriver, et ne rien regretter.

Les sœurs Tremble, carrière et palmarès 

©Stephan Kempinaire

Laura et Charlotte Tremble sont deux sœurs jumelles de 23 ans, olympiennes et étudiantes. Elles font partie de l’équipe de France de natation artistique. En parallèle du sport de haut niveau elles poursuivent des études d’ingénieur dans l’aéronautique et le spatial.

Palmarès : 

Paul Meyer est un clarinettiste et chef d'orchestre français. Depuis ses débuts fulgurants, en remportant les prestigieux concours de l’Eurovision et Young Concert Artist à New-York en 1982 à l’âge de 17 ans, Paul Meyer n’a cessé de surprendre.

Considéré dès son plus jeune âge comme un instrumentiste exceptionnel, son parcours est jalonné des plus belles rencontres musicales. Toujours à la recherche de sensations musicales extrêmes, il s’oriente très vite vers la direction d’orchestre, tout en développant son jeu qui lui confère une place unique comme clarinettiste reconnu dans le monde entier.

Dans cette interview, Paul nous explique son parcours : la place de l'intuition dans ses prises de décisions musicales et ses choix de carrière, l'impact du désir et de l'intention dans sa préparation, et l'importance du collectif et de la communication dans la direction d'un orchestre.

Interview réalisée le 10/11/22 par Thérèse Lemarchand, CEO Mainpaces

Paul Meyer, la construction d’un musicien de talent

Bonjour Paul, tu es clarinettiste, soliste international, Chef d’orchestre, ta carrière de musicien fait partie des parcours d’exception, qu’est-ce qui t’a amené là ?

Une carrière dans la musique est particulière car elle prend ses racines dans l’enfance, sans être liée à une projection professionnelle. Je n’ai pas été programmé pour être musicien, musicien professionnel, ou encore plus musicien à succès, mais il y a eu un bon enchaînement.

Je suis entré très jeune au conservatoire de Paris. J’ai toujours aimé ce que je faisais, travailler mon instrument. A 9 ans je faisais une heure de clarinette tous les matins avant d’aller à l’école. La musique est une discipline, tu es obligé d’être constant, tu ne peux pas jouer un jour, puis ne pas jouer pendant trois jours. Plus on avance, et plus cette discipline musicale est importante, ce qui n’empêche pas par ailleurs d’être joyeux et d’aimer la vie !

La musique est une discipline, tu es obligé d’être constant, tu ne peux pas jouer un jour, puis ne pas jouer pendant trois jours.

Paul Meyer

J’ai eu la chance d’avoir des rencontres avec des professeurs qui ont été importantes pour moi. Quand on est jeune, on est influençable, on tâtonne. Quand tu te retrouves avec quelqu’un qui te coache, il faut qu’il y ait une bonne rencontre. Je pense que j’avais aussi la qualité d’être ouvert aux critiques, ce qui permet de se découvrir, de voir vers où on peut aller. 

Gérard Caussé - François-René Duchâble - Paul
Gérard Caussé - François-René Duchâble - Paul

Tout n’a pas été forcément facile pour autant. Quand j’étais au conservatoire de Paris, il y a eu une mode dans la manière de jouer que je n’aimais pas. Je me suis inscrit un peu en faux. Cela m’a posé des problèmes techniques, de réussite, psychologiques, jusqu’au moment où j’ai reçu des sentiments d’ouverture, des encouragements venant des gens du métier qui m’ont complètement libéré. J’ai gagné des concours, j’en ai raté certains, et puis j’ai joué avec Benny Goodman. Il m’a dit « vas-y à fond, tu es bon, tu es fort, tu peux y aller comme ça ». Il a ouvert le sésame, les portes. Parce que cela venait de lui, de ce musicien immense, cela a résonné, et m’a libéré de beaucoup de mes doutes.

Il faut avoir confiance dans un monde un peu plus large que son propre périmètre

Paul Meyer

La musique, c’est beaucoup de gammes, de techniques, et ce qui en fait l’excellence est l'interprétation, comment travailles-tu ? 

Avec la danse et le sport, la musique a un rapport au physique et au mental intimement lié. Tu ne peux pas détacher les gammes de la réalisation, du côté intellectuel, musical, interprétatif. C’est toujours l’un au service de l’autre. Je n’imagine pas Roger Federer faire des exercices techniques sans penser à l’utilisation de son point en match. Tous les exercices que l’on fait sont intellectualisés, ils doivent servir à quelque chose. 

Il y a donc toujours une intention ?

Plus qu’une intention, je pense que ce qui fait la différence, c’est la capacité à avoir un désir, à avoir une représentation de ce que tu veux faire. Même très jeune, alors qu’à 12 ans tu n’as pas encore de culture musicale, quand tu joues une partition il faut avoir une capacité à analyser les choses, savoir identifier si tu aimes la sonorité que tu crées, ce que tu ressens dans une œuvre, et avoir une projection.

Plus qu’une intention, je pense que ce qui fait la différence, c’est la capacité à avoir un désir, à avoir une représentation de ce que tu veux faire.

Paul Meyer

J’ai toujours su ça. Déjà à 14 ans les élèves du conservatoire venaient me voir pour me demander ce que je pensais de leurs interprétations. J’ai toujours eu un sentiment d’appropriation, un rapport à l’interprétation assez facile. Pour certains, la musique c’est une note, des codes, pour moi ça a toujours été plus que cela facilement. Aujourd’hui c’est ce que j’essaye de faire comprendre à mes élèves.

Paul Meyer, s’entraîner : l'alliance de la technique et du désir

On a parlé de travail, de confiance, d’intention, d’interprétation, comment relies-tu tout cela ?

Il faut déjà avoir les moyens de ces réflexions. Il n’est pas question de ne pas être bon, tu ne peux pas transfigurer une mauvaise interprétation. Comme pour n’importe quel étudiant, la confiance naît de la répétition d’exercices réussis.

De manière très simple, quand tu travailles un passage difficile, si tu le joues dix fois et que tu le réussis dix fois, la onzième fois quand tu le joues en concert tu as moins de chance de le rater, tu es confiant. Si tu ne le réussis qu’une fois dix à l'entraînement, il y a de fortes chances que tu paniques totalement au moment où tu te produis en concert.

Quand tu travailles un passage difficile, si tu le joues dix fois et que tu le réussis dix fois, la onzième fois quand tu le joues en concert tu as moins de chance de le rater, tu es confiant. 

Paul Meyer

Comme je travaillais beaucoup plus vite que certains, cela m’a donné la possibilité d’aller plus loin, et d’inventer mes outils, ma manière de travailler, en fonction de ce que j’ai envie de réaliser.

J’entends beaucoup de musiciens se dire « je vais travailler ma technique, et quand j’aurai ma technique je vais jouer bien ». Moi j’ai toujours pensé l’inverse : « Comme j’ai besoin de jouer ce morceau de telle façon, je vais m’inventer une technique, et c’est comme ça que je vais travailler ». 


Il faut inventer la technique après la vision, le désir, pour trouver la sonorité. Un peu comme un peintre qui mélangerait ses couleurs, ferait ses propres assemblages. Je ne pense pas que Soulages ait acheté une palette de peinture toute faite, il a passé sa vie à chercher du noir.

Paul Meyer accompagnement
Paul Meyer

Je ressens quelque chose de très yin-yang dans ce que tu me dis, dans cette alliance imbriquée de désir et de technique.

Oui bien sûr, et pour visualiser, pour cristalliser au moment concert, il faut avoir l’esprit ouvert, les antennes ouvertes. C’est un travail d’esprit, de curiosité, après ça vient à soi. C’est un travail complexe et très long de connaissance, de culture, qui va t’aider à prendre un choix.

Les gens qui ne sont pas musiciens ont une idée un peu vague de ce qu’est le processus musical. La musique est un langage. Il faut déjà pouvoir le lire, le jouer, le mémoriser. Ensuite il faut avoir un avis sur la pièce, une vitesse. Quand tu diriges, il faut en plus convaincre les musiciens de l’orchestre, les chanteurs pour un opéra…

Cette conviction est ancrée dans ton ADN, dans ton passé. Tu dois choisir. Si tu fais quelque chose sans le sentir, cela sera vide et creux, et le public va s’en détacher. Cela sonnera comme artificiel, il n’y aura pas ce sentiment organique d’une évidence totale, et les musiciens ne te suivront pas. 

Si tu fais quelque chose sans le sentir, cela sera vide et creux, et le public va s’en détacher. 

Paul Meyer

Paul Meyer, diriger : collectif, unité et prise de décisions

Pour moi cela fait beaucoup écho à la création d’entreprise. Quand on te demande pourquoi tu crées une entreprise, il y tellement de choses qui contribuent à cela ! C’est la somme d’une vie, un ensemble d’éléments et d’expériences que tu t’appropries, et qui représentent quelque chose pour toi. Tu as l’image future de ce que tu veux créer, et après il faut arriver à la conscientiser, la verbaliser, la rendre visible pour d’autres et embarquer, fédérer. On emploie d’ailleurs souvent l’image du Chef d’orchestre pour cela. 

Comment vis-tu ton rôle de Chef d’orchestre ?

Bien diriger est lié à une certaine capacité d’écoute, d’ouverture, une facilité à comprendre un système. 

Paul Meyer

La direction d’orchestre est complexe au niveau humain, car tu es face à une équipe, et c’est passionnant. En dirigeant, tu passes de l’innée à l’acquis, cet apprentissage est très difficile à définir. Bien diriger est lié à une certaine capacité d’écoute, d’ouverture, une facilité à comprendre un système. 

La manière dont on écoute est importante dans cet apprentissage. Je n’ai jamais porté de jugement direct quand j’écoutais une interprétation, je me suis toujours demandé pourquoi cette personne faisait cela, ce qui motivait sa trajectoire, comment elle avait pris cette décision. C’est un challenge de logiciel, de compréhension.

Paul - Seoul Philharmonic Orchestra
Paul - Seoul Philharmonic Orchestra

L’orchestre de Mannheim dont je suis le Chef d’orchestre titulaire est composé de 27 musiciens. La différence avec un orchestre où je serais invité, est que je joue plus souvent avec eux. Dans tous les cas, ce sont des musiciens professionnels, et nous n’avons que 3 - 4 répétitions ensemble avant un concert. Chacun connaît son rôle et sa partition, et en tant que Chef tu dois diriger. C’est un challenge, et il est composé de points importants :

En tout premier lieu, tu es là pour faire en sorte que les choses se passent bien, et pour gérer les répétitions, le planning étant préparé à l’avance. Le Chef est là au service des autres.

Mais pas uniquement !

Pour faire en sorte que ça marche, il faut apprendre des autres, mémoriser les personnalités, leurs qualités, leurs défauts, leurs faiblesses, les reconnaître très vite, réaliser que celui-ci aura tendance à ne pas être sûr de lui, que celle-là a un sujet de discipline, l’autre un manque de volonté, une difficulté, que le dernier est en panique,… Ca, c’est ce qui est visible, et ensuite il y a l’invisible, ce qui fait leurs personnalités, et je dois rassembler tout cela.

Prenons un exemple pour illustrer cela, par exemple diriger une œuvre de Mozart que je connais depuis que j’ai 10 ans. Les questions que je me pose alors sont « Quelle approche je vais avoir, qu’est-ce que je vais faire avec les musiciens, qu’est-ce que je recherche moi, comment je vais le leur présenter, est-ce que je me lance là-dedans ? » Tout cela dépend de l’orchestre. 

C’est de l’action – réaction : tu donnes un geste, un tempo, et tu vois s’il est compris, à travers toute une attitude physique, corporelle que les musiciens vont adopter.

Il faut trouver l’endroit où aller et le chemin à emprunter. Si je passe 10 mn sur un passage qui ne sert à rien, les musiciens décrochent. C’est comme si tu faisais attention à une petite tâche sur ta chemise, alors que tu as oublié de mettre tes chaussures ☺ 

Quand tu diriges un orchestre, chaque décision que tu prends à chaque moment t’amène à une réaction qu’il faut ensuite développer. C’est complexe, c’est passionnant, chacun joue sa partition au même moment. La musique, c’est le moment. Ça commence, ça finit. Et la minute 23 du concert, tu n’y reviens plus.

Paul Meyer, relation au public et relation aux autres

En entreprise aussi, il y a des partitions que tu ne rejoues pas. Une négociation, la première rencontre avec un partenaire clé, certains temps forts de rassemblement se jouent sur le moment !

Quelle est ta relation au public, est-ce que tu sens la salle, est-ce qu’elle est importante pour toi ?

En concert tu ressens tout, tu as des antennes, tu es complètement à l’écoute, et toujours dans cette action-réaction.

La première chose qu’il ne faut pas avoir, c’est peur. Comme un chef d’entreprise qui doit convaincre ses actionnaires, tu ne peux pas avoir peur.

Paul Meyer - Public
Paul Meyer - Public

Ensuite il faut écouter son public, et se livrer à 100%. Le public est a priori ouvert, mais il doit aussi participer à un moment unique. C’est impossible de jouer comme un robot. Il faut qu’il ressente, qu’il comprenne, qu’il soit totalement là avec toi. Le public a son histoire, son habitude, il peut aimer ce que tu fais a priori ou pas. Il est conquis quand tu es sincère, et que tu arrives à le faire passer avec un niveau de réalisation parfaitement au point. 

Je pense que c’est pareil pour un dirigeant d’entreprise, il doit savoir ce qu’il fait, au-delà d’avoir été formé pour prendre des décisions. Il faut convaincre avec des choses simples, trouver le langage adapté.

Est-ce que cette ouverture à 100 % implique une notion de vulnérabilité ?

Oui et non ! On ne s’ouvre pas psychologiquement en musique, il y a des codes, un protocole, on a le costume, la présentation, le public. On doit avoir une âme ouverte, ce qui est différent de se mettre à nu. Mais on peut explorer notre cerveau et aller où l’on veut.

Il faut bien sûr arriver à gérer le côté émotionnel. Pour moi le bon état d’esprit est d’être là pour m’éclater à fond, partager mon travail, et contribuer à la réussite de tout le monde, c’est primordial.

Tu ne peux pas bien jouer si tu n’es pas bien avec les autres, et si les autres ne t’aident pas. 

Paul Meyer

Tu ne peux pas diriger si les gens ne se sentent pas bien. La personne qui t’accueille, celui qui tient le vestiaire, tes collègues, c’est le service des autres à 100%.

Je suis impressionnée à quel point c’est métaphorique de ce que l’on peut vivre en entreprise, ces codes, ces costumes, selon l’écosystème dans lequel on se trouve. C’est aussi la façon dont, sur une rencontre, on essaye de comprendre le plus vite possible l’état d’esprit de l’autre et de créer une connexion, un projet commun, d’identifier la manière d’aborder les choses avec une intention initiale.

Oui c’est absolument ça. Créer un projet commun, et jouer, tout est dans le mot ! Toi et moi, vous et moi ensemble. Moi pour que je m’éclate maintenant, il faut que tu sois là avec moi.

Tu as toujours eu cette ouverture à l’autre ?

Oui je crois.

Un ami me disait en riant que je suis très dirigiste. Oui, mais j’ai besoin de comprendre. Je ne veux pas exiger. C’est dans le rapport avec l’autre que je vois la voie qui s’impose pour moi, et ensuite je la joue, et l’impose doucement. Et après je ne lâche pas.

C’est quelque chose que j’ai appris avec l’âge et l’expérience. Quand j’ai un sentiment, si j’ai imaginé autrement, que je sens que ce n’est pas ce que je veux entendre, maintenant j’insiste, je reviens, j’y retourne, je rentre par la porte de derrière, je le dis. 

Je pose beaucoup de questions, je responsabilise les musiciens. Le langage est important. En France on a un langage terrible, on n’apprend pas du tout à communiquer avec les gens.

Par exemple si je dis à quelqu’un « à ce passage tu joues trop fort » je suis forcément dans une critique, l’autre peut se sentir mal. Je prends un risque de mauvaise interprétation. En revanche « et si on essayait moins fort pour voir ce que ça donne ? » ça marche mieux. Déjà tu impliques l’autre, tu dis à l’autre « tu m’intéresses ». Il faut essayer de trouver le bon langage.

Tout cela repose sur l’intuition, la pratique, et puis à force sa voix interne. 

Paul Meyer

Quand on est jeune on peut s’emporter, mais après il faut apprendre à s’adresser aux autres. Et si j’ai envie que tu fasses ça, si j’installe une couleur, qu’est-ce que je peux faire pour que tu le sentes ? En musique, c’est ça à 100%. Il faut modeler, il faut que l’autre ait envie, il faut qu’il ait la capacité, c’est un chemin.

Tu exprimes une grande sensibilité, cette capacité de perception de l’autre, comment l’approfondis-tu ?

Être à l’écoute, être ouvert, le principe même de cela est la rencontre. C’est un échange, un dialogue. Comme toi et moi aujourd’hui. On va chercher à se comprendre, comprendre l’univers mental de l’autre, vers où il va. C’est une rencontre personnelle et profonde, dans un code qui est celui de la musique. 

En enseignement c’est un peu différent, car tu es dans une position dominante, une personne expérimentée avec quelqu’un qui est moins expérimenté. C’est plus facile et plus complexe car il faut guider en ouvrant des portes, et tu ne sais pas quelle va être la sienne.

Nous nous demandons en permanence comment installer notre rapport avec les autres, comment voir ce dont il a besoin. Est-ce qu’il faut être cassant, agressif, pour aider l’autre à sortir de sa zone de confort ? 

Tout ça c’est la musique, c’est notre obsession du matin au soir.

J’aurais presque envie de dire que c’est la partition de ta vie, comme pourrait être la terre pour un agriculteur ?

Oui, apprendre, échanger avec les autres, avec soi-même, lutter contre l’obsolescence en travaillant dur, en ne lâchant jamais le morceau. Ce sont des qualités qu’ont tous mes collègues. Eric (Eric Le Sage, pianiste Ndlr) c’est pareil, avec une manière de fonctionner qui est la sienne. Nous avons tous cette envie d’aller plus loin chevillée au corps. 

François-René Duchâble - Paul

Paul Meyer, rapport au temps et à la beauté

Je me rappelle un quatuor pour la fin du temps de Messiaen que tu avais joué au théâtre du Châtelet. C’était magnifique, le temps était comme suspendu. En musique le temps est essentiel, c’est le rythme, les silences, quel est ton rapport au temps ?

Le temps, en musique, on l’appelle le tempo. Le tempo, c’est la vitesse du temps. On peut jouer une œuvre rapidement, lentement. Il y a des nominations – allegro, andante, andantino - mais elles ne sont pas toujours précises. Le tempo est le temps qui s’écoule avec soi-même. C’est le temps qu’il faut pour dire des choses, et il n’est pas fixé, il faut le faire comprendre. Cela crée une sorte d’euphorie, à travers un discours, une participation. Par exemple, si nous jouons avec Eric Le Sage, je l’entends partir, je distingue son tempo, je vais me glisser là-dedans, transformer, aider, orienter, pour nous c’est ça le temps.

Le temps musical est également le temps qu’on a en commun. En musique il y a quelque chose que je n’ai jamais rencontré ailleurs, dans aucun moment de la vie, c’est que tu agis ensemble, précisément au même moment.

Pour comprendre ce que cela veut dire, le temps musical est divisé en beats/mn : 60 – 120 – 186 …

60 battements par minute, c’est l’échelle de la seconde. Pour nous une seconde de décalage est impossible. Cela n’existe pas en musique.
La double croche est l’échelle du quart de seconde. Le décalage n’est encore pas possible.

La triple croche, c’est le seizième de seconde. C’est là où se situe la simultanéité de la musique

Et puis il y a le temps de la partition, ce temps de jouer, où tu ne fais absolument rien d’autre, sans téléphone, sans notification, sans interruption.

On est toujours dans le temps, dans le tempo, dans la performance, on a toujours des dates, c’est très mesuré. C’est pour cela qu’on fixe aussi les répétitions de façon systématique de 10h à 13h. C’est tellement dur, tellement compliqué, qu’on ne peut pas ouvrir de souplesse en fonction de notre état du moment. Beaucoup de musiciens ont des problèmes avec ce temps décidé. Ils n’arrivent pas à se coordonner au temps des autres. Cela peut être très compliqué, très frustrant, très stressant.

Comment fais-tu pour ne pas le subir, pour t’en emparer ?

Il faut l’accepter. On est dans un processus continuel d’apprentissage. Il faut arriver à décloisonner ces moments, à mettre du lien, que ce ne soit pas un stress du moment. Un concert est juste un concert, il y en aura un autre demain. Il faut faire en sorte que ça avance et rentrer dans un déroulé. Comme dans une entreprise, il y a toujours des décisions, mais elles s’inscrivent dans un temps long. Se créer ce déroulé est essentiel, il conserve l’importance fondamentale du moment, mais le temps devient un temps long.

Tu participes au développement de nouveaux instruments pour le facteur Buffet Crampon. Qu’est-ce qui te nourrit dans ce projet ?

C’est un travail passionnant. Je suis conseiller, et je conçois avec d’autres. Moi qui sais juste jouer et apprendre, j’ai affaire à des gens qui savent faire des instruments, les percer, à ceux qui achètent le bois, aux ouvriers spécialistes, ceux qui réparent les instruments, au Directeur Général, aux actionnaires … Je vois la complexité d’une entreprise, je suis plongé dedans, au sein d’une équipe où chacun est complémentaire. 

Il faut donner des impulsions, être sûr de l’endroit où aller. Ce qui est très particulier, c'est que les personnes avec qui je travaille ne savent pas utiliser ce que l’on crée. Les décisions musicales, techniques, qui doivent être prises, sont difficiles. Il faut que le produit marche, cela impacte la vie de l’entreprise (400 personnes).

Ce rapport entre expertise personnelle et réalisation me passionne. Cela me sort de ma musique. C’est important pour ré-ouvrir des perspectives.

Finalement j’ai un rôle de médiateur, je dois convaincre à tous les niveaux (recherche, conception, réalisation, essais, correction, conviction, fabrication, médias,…). Pour que les ouvriers me fassent quelque chose, il faut que je sache leur parler. On échange ! 

Comment ressens-tu le beau ? 

Le beau pour moi c’est le ressenti, c’est la vision. C’est aussi une question de goût ! Moi par exemple, j’aime tout ce qui est vieux et délabré. Les scories, l’histoire. Le neuf m’ennuie, comme pour les habits. Je commence à me sentir bien dans un pull quand il commence à avoir des trous. Ce qui m’intéresse, c’est la continuité.

Dans l’art, j’aime tout ce qui m’interpelle. Je n’ai pas de marotte, mais j’aime ce qui est abstrait et que je n’arrive pas à comprendre. Tout ce qui est concret m’ennuie. J’aime voir ce qui est derrière. Il faut que ça me fasse imaginer. 

Quel est le dernier message que tu voudrais passer à ceux qui nous lisent ?

Suivre son instinct à 100%. Quand tu as un truc qui te travailles, il ne faut pas transiger. Il ne faut pas capituler, vas-y à fond, tout en consultant bien sûr, mais écoute l’instinct, l’instinct, l’instinct… 

J’ai de grands collègues, des musiciens importants, avec qui j’ai des relations de confiance et que je consulte souvent. Avec Michel Portal par exemple, nous nous appelons tout le temps, nous apprenons, nous jouons ensemble, nous faisons des essais, c’est un partage. Mais faire confiance à son instinct est la chose la plus importante de cette histoire. S’il y a quelque chose qui te travaille encore, questionne-toi encore, ne lâche pas le morceau. Si tu as le moindre doute, c’est que tu n’as pas trouvé le truc.

Notre quête en musique se trouve dans le monde des sensations des sentiments. Finalement je crois qu’il y a une forme de spiritualité dans cette recherche permanente d’orientation vers ce qui nous semble plus juste

Paul Meyer, biographie et engagements

Paul Meyer sous l'eau
Paul Meyer

Depuis ses débuts fulgurants, en remportant les prestigieux concours de l’Eurovision et Young Concert Artist à New-York en 1982 à l’âge de 17 ans, Paul Meyer n’a cessé de surprendre.

Considéré dès son plus jeune âge comme un instrumentiste exceptionnel, son parcours est jalonné des plus belles rencontres musicales : Benny Goodman, Isaac Stern, Rostropovitch, Jean-Pierre Rampal, Martha Argerich, Yuri Bashmet, Gidon Kremer, Yo-Yo Ma, Emmanuel Ax partenaires avec lesquels il a joué dans les salles de concerts les plus réputées au monde.

Toujours à la recherche de sensations musicales extrêmes, il s’oriente très vite vers la direction d’orchestre, tout en développant son jeu qui lui confère une place unique comme clarinettiste reconnu dans le monde entier.

Après avoir créé l’orchestre de chambre d’Alsace, il est de plus en plus sollicité pour diriger des orchestres. Chef associé de l’Orchestre Philharmonique de Séoul de 2006 à 2010, en 2009, il est nommé Chef Principal de l’Orchestre Kosei de Tokyo.

En 2018, il devient le Chef Principal de l'Orchestre de Chambre de Mannheim.

Très vite, la reconnaissance de son travail, basé sur une compréhension et une expérience de la pratique orchestrale, lui ouvre les portes de la direction des plus grands orchestres symphoniques et de chambre en Europe, Asie et Amérique du Sud.

Sa rencontre avec Pierre Boulez et Luciano Berio - ce dernier lui dédia sa pièce pour clarinette Alternatim - fut déterminante dans la place qu’il occupe dans le développement du répertoire de son instrument grâce aux créations de concertos écrits pour lui par les compositeurs contemporains tels que Krzysztof Penderecki, Michael Jarrell, Qigang Chen, Luciano Berio, Edith Canat de Chizy ou Thierry Escaich, et qui ont été créées dans les plus grands festivals tels que Salzburg, Vienne ou Amsterdam. Les prochaines créations seront des œuvres de Guillaume Connesson et Eric Montalbetti.

La carrière discographique de Paul Meyer, qui comprend plus de cinquante disques signés chez DGG, Sony, RCA, EMI, Virgin, Alpha et Aeon, a fait l’objet de nombreuses récompenses parmi lesquelles: Fono-Forum, Diapason d’Or, Choc du Monde de la Musique, Choc de Classica, Gramophon, Grammy Awards,et autres.

Ses derniers enregistrements comme chef d’orchestre sont le Cello Abbey avec Nadège Rochat et la Staatskapelle de Weimar et les concertos de Weber joués par lui-même avec l’Orchestre de Chambre de Lausanne. Est également paru le concerto de Thierry Escaich qui lui est dédié avec l’Orchestre National de l’Opéra de Lyon sous la baguette d’Alexandre Bloch.

Passionné de musique de chambre, il a fondé l’ensemble Les Vents Français et est cofondateur avec Eric Le Sage et Emmanuel Pahud du Festival International de Musique de Salon de Provence.

Décoration : Commandeur de l'ordre des Arts et des Lettres (2012)