Thibault Cauvin est le guitariste le plus titré au monde. La recherche constante de performance a été son but final pendant longtemps, et il doit sa réussite à un travail et une discipline extrêmes. « Je suis devenu fou de passion pour ce côté performance, pour cet aspect ''sport de haut niveau''. »
Après avoir remporté 36 prix internationaux dont 13 premiers, Thibault se lasse de la performance pure. Il se lance dans une tournée internationale de concerts et visite plus de 120 pays pour près de 1500 représentations. « Je suis fils de rocker,le symbole du rock est de jouer pour tous, de rassembler des jeunes, des vieux, des intellos, … et ça m’a rattrapé. J'ai transféré mon envie de gagner des prix en me disant je vais jouer partout dans le monde, dans tous les pays. »
Cette interview nous transporte vers la fascinante vitalité de Thibault. « Je me dis maintenant que c’est une forme d'idéal d'universalité, que c'est une guitare qui raconte le monde, qui est chargée de rêves, et qui s'adresse à tous. La vérité c’est que toutes les musiques partent de la vraie vie, pas du tout d’une réflexion structurée. »
Les défis qu'il se lance s’incarnent dans sa vision de l'accomplissement personnel. « Rêver grand. » L’essentiel pour Thibault réside dans la puissance de l’imaginaire. « Moi j'aime l'idée d'avoir cette liberté qui offre la chance d'avoir des rêves, ensuite d'intellectualiser les rêves, et de donner toute son énergie pour les réaliser. C’est comme ça que je fonctionne. L'aventure, les rêves, sont auteurs de tout. »
Interview réalisée le 27/07/2023 par Thérèse Lemarchand, CEO Mainpaces
La performance musicale, un sport de haut niveau
Bonjour Thibault, tu es le guitariste le plus titré au monde, ta popularité est immense à tel point que l’on parle du “phénomène Cauvin”, dans une discipline exigeante - la guitare classique. Tu as donné plus de 1500 concerts, peux-tu nous présenter rapidement comment tu en es arrivé là ?
Je pense que c’est un peu comme une recette de cuisine, c'est une addition de paramètres. J'ai la chance d'être né dans une famille de musiciens, mon père est guitariste passionné. Il y a eu aussi la présence de ma mère, qui est souvent bien moins médiatisée. Elle est professeure de français, de lettres classiques, elle avait cette espèce de talent de transformer tout en conte avec une forme de légèreté.Je pense que le contexte de l'enfance est très fort.
Je jouais régulièrement tous les jours, jusqu'au moment où que je me suis rendu compte que finalement ce n’était pas normal, que tout le monde n’était pas guitariste sur Terre comme je le pensais. J'ai commencé à réaliser que je jouais correctement, et c’est un peu plus tard à l'âge de 12-13 ans que j'ai découvert qu'il y avait des concours de guitare, un peu comme des compétitions de sport.
Je suis devenu fou de passion pour ce côté performance, pour cet aspect « sport de haut niveau ». J’ai commencé à travailler toute la journée la guitare pour cela. J'ai eu la chance que mon père me soutienne particulièrement, car le hasard a fait qu’à cette époque de sa vie il ne pouvait plus jouer pour un problème de main. Donc il transformait ce temps en le passant avec moi, en devenant mon coach.
En prenant du recul tous ces points m’ont aidé, à commencer par ce malheur qu’il a eu, qui pour moi a été une chance. Ces concours m’ont passionné, quand certains – à commencer par mon petit frère - détestaient ça. Ça se passait bien, j’ai commencé à gagner, j’ai pris goût à la victoire, je travaillais plus, et tout s’est enchainé, les concerts avec cette envie de voyage, de jouer partout, comme un appétit constant, une forme de gourmandise et une confiance en la vie, avec un soutien familial fort. J’ai développé un dévouement absolu à la guitare, presqu’un point de folie, comme les tennismen qui jouent à Roland Garros, il y a quelque chose qui n’est pas normal là-dedans.
J’ai joué dans plus de 120 pays pendant 15 ans, sans appartement, sans maison, à l’hôtel, je n’avais pas de famille, je n’avais rien. Ce voyage tout seul, de rencontres quotidiennes, était très particulier et très intense.
L’hérédité, le talent, l’environnement forment une base très précieuse, et le travail est clé pour arriver à de tels résultats. Il y a beaucoup de discipline dans ce que tu exprimes, et on sent aussi que tu avais un moteur personnel très fort.
Qu’est-ce qui a constitué cette motivation, comment l’as-tu visualisée, quel était en quelque sorte l’objectif ? Est-ce que ta motivation première était la victoire ?
Au départ j’adorais jouer de la guitare mais aussi jouer dans la vie, et encore maintenant je prends tout comme un jeu, c’est pour cela que je relativise souvent la gravité des choses. Et donc entre mes 12 ans et mes 20 ans je jouais en compétition à haut niveau avec l’élite. C’était grisant, et comme je commençais à gagner je ne pensais plus qu’à ça. J’allais à Londres, à Lisbonne…, il fallait que je gagne encore, je ne faisais que travailler toute la journée, il fallait que je dorme le moins possible…
C’était la compétition, pas du tout dans l’envie d’écraser l’autre, mais plutôt dans une idée très noble. Peut-être vois-tu cette photo de la fin de carrière de R. Fédérer, avec R. Nadal. Ils ont été des rivaux toute leur vie mais en fait c’étaient des frères, et ils sont arrivés à un tel élitisme dans leur discipline qu’à la fin il n’y avait plus qu’eux deux qui se comprenaient vraiment. J’ai un peu senti ça dans la guitare, à la fin dans les concours, où que l’on soit dans le monde nous étions un groupe d’une vingtaine, il y avait un serbe, un Polonais, un japonais, un brésilien… Nous étions tous atypiques dans nos vies, nous ne faisions que ça, nous ne connaissions rien d’autre. Nous avions des cultures complètement différentes, et en fait nous étions frères. Bien sûr quand on jouait sur le moment on voulait gagner, mais cette connexion était hyper belle. J’ai adoré ça.
Je comprends bien ce que tu exprimes, un goût pour une compétition qui est très loin de la bataille. C’est un dépassement de soi, des états exceptionnels que tu vas aller puiser quelque part et qui te transportent.
Je vois aussi ce côté très tribal, qu’Antoine Albeau mentionnait également. Il présente comme toi un record puisque c’est le champion du monde le plus titré de l’histoire, avec 25 titres en planche à voile. Il racontait ces tribus de riders qu’il retrouvait tous les ans l’été en France, l’hiver à Hawai ou à Tarifa.
Au début j’ai adoré ça, et à un moment vers l’âge de 20 ans ça m’a terriblement gêné. Le paradoxe m’a sauté à la figure : la musique est faite pour les autres, et nous étions devenus tellement élitistes, nous jouions des morceaux tellement complexes, que cela n’intéressait pas le vrai public. Comme je gagnais plein de prix, j’ai commencé à faire beaucoup de tournées de concert, et j’ai très vite trouvé cela plus magique que de passer des concours. Je me disais que c’était cool que les guitaristes dans la salle hallucinent sur mon jeu, mais qu’en fait je voulais faire des concerts pour les banquiers, pour les architectes, les agriculteurs, les infirmières, pour les surfers… Je suis fils de rocker, le symbole du rock est de jouer pour tous, de rassembler des jeunes, des vieux, des intellos, … et ça m’a rattrapé.
Il y a eu un moment de prise de conscience de cela, ou cela s’est fait un peu progressivement ?
A la différence du sport où c’est la finalité, en art ces concours sont des tremplins, ils servent à se faire connaître. Moi j'étais tellement passionné par ça qu’ils étaient devenus une finalité, comme en fait tous ceux avec qui nous étions là. Pour gagner ces concours, non seulement il faut être surdoué, non seulement il faut travailler comme un fou, mais il faut en plus avoir ce truc de compétition et ne penser qu’à ça, donc considérer ces concours comme une fin en soi. Mon professeur m’avait alerté sur le fait que continuer les concours avec déjà 36 prix n’avait plus de sens, c'était idiot. Moi en parallèle, comme j’avais gagné plein de prix, j’avais plein de tournées. Je me suis dit qu’il avait raison, qu’il fallait que j'arrête. Je commençais à kiffer mille fois plus les concerts, et surtout il y avait cette dimension hyper internationale. J'ai transféré mon envie de gagner des prix en me disant je vais jouer partout dans le monde, dans tous les pays.
J’ai adoré jouer dans des pays que je ne connaissais pas, me demander où ils étaient, les découvrir, et l’autre kif qui est arrivé très fort était ce truc de commencer à vouloir jouer pour tout le monde. J'ai des souvenirs de concert en Afrique où il y avait des gens qui n’avaient jamais entendu de guitare classique de leur vie, et moi qui arrivais en leur jouant des morceaux ultra-intellos… Je n’en menais pas large au départ. J’étais loin du public très averti que tu peux avoir dans certaines salles au Japon par exemple, mais qui ne m’amusait plus suffisamment. Je voulais jouer pour tout le monde, pour les « vrais gens », les jeunes, les vieux, ceux qui aiment l’art, mais aussi ceux qui aiment le skate. Je me dis maintenant que c’est une forme d'idéal d'universalité, que c'est une guitare qui raconte le monde, qui est chargée de rêves, et qui s'adresse à tous.
Le choix de rêver, et de ne pas rester en sécurité
Il y a une confiance très forte dans ce que tu exprimes, l’as-tu toujours eue, as-tu eu des moments de doute ? Sur quoi l'as-tu construite, au-delà de ta virtuosité qui t’a toujours accompagné ?
C'est un socle essentiel effectivement, mais ce qui me guide est mon instinct. J’ai une envie qui émerge à un moment, et qui peut naître n’importe-où, par exemple en me baladant à Barbès, en voyant un fruit exotique bizarre et deux personnes en train de s'engueuler à côté, et ça me donne envie de jouer Bach et d’en faire un disque ! Les gens ne comprennent pas quand j’explique cela, mais la vérité c’est que toutes les musiques partent de la vraie vie, pas du tout d’une réflexion structurée. Ensuite en revanche derrière j'intellectualise beaucoup de choses. Et dans cette intellectualisation, il y a en effet parfois des considérations de crainte, de peur…
La sécurité c'est le plus grand des dangers.
Thibault Cauvin
Mais pour en revenir à ta question, en fait j'ai un truc plus fort que moi que j’exprime dans des petites phrases que je revendique, telles que « la sécurité c’est le plus grand des dangers ». Je pense que ça vient de ma mère, car mon père est plutôt de nature inquiète, et de la vie que j’ai eue. Tout cela m’a donné confiance en la vie. Du coup j'ai plein d'autres projets musicaux et extra-musicaux, sur lesquels très souvent les gens me disent que ça ne peut pas marcher. Il faut que je les réalise, c'est plus fort que moi, et puis je ne sais pas pourquoi, ça marche, comme le concert que j’ai autoproduit récemment au théâtre du Châtelet, et qui a été un succès à tous les niveaux. Je crois énormément dans les rêves. C’est une forme de choix qui s’impose à moi, de confiance, d’envie de rêver, et après de donner toute mon énergie pour que ces rêves se réalisent. Depuis tout petit je suis rêveur, et les briseurs de rêves sont quand même fréquents. Quand tu es habitué à être à contre-courant, à rêver grand, et ensuite à réaliser tes rêves contrairement à ce que beaucoup de gens t’ont dit, alors tu ne cesses de rêver toujours plus, c’est une sorte de cercle vertueux.
Oui, c’est une sorte d’apprentissage permanent. J’ai l’impression qu’une partie de ta force est une très grande ouverture au monde, une capacité d’observation toujours renouvelée, et des racines solides et très profondes, qui font que tu t’orientes bien, qui te permettent de faire des choix.
Je suis complètement d’accord, même si je n’en n’avais pas d’idée préconçue. C’est vrai que je suis passionné par observer la vie. Par exemple je ne sais pas comment me faire cuire un œuf, donc je vais énormément au restaurant tout seul. Ca me passionne alors que j'ai certains amis que ça déprime. Pour moi c'est un bonheur, j'observe le monde, ce qui se passe, les amis, les couples, les vieux couples qui font jeunes, les jeunes couples qui font vieux, tout ça me plaît.
Vision, création, et interprétation, en complémentarité
Tu es interprète et la création semble également essentielle, avec ton fameux frère Jordan que tu « sollicites de façon pressante ». Je me posais la question de la façon dont ces deux dimensions cohabitaient pour toi, parce que ce n’est pas la même énergie, ce n’est pas le même rapport au temps, ce n’est pas le même type de conditionnement non plus.
Dans l'interprétation il y a une forme d'excellence toujours renouvelée, et dans laquelle l'agilité et l'aisance, le geste en fait, deviennent exceptionnels. La création part d’un autre état. Je me pose cette question parce que c'est un enjeu qu'ont tous les créateurs d'entreprises, il y a ce sujet de créer, s'inspirer, imaginer, et puis d’exécuter. On dit souvent en entreprise que la vision sans exécution, c'est de la fabulation.
Comment passes-tu de l'un à l'autre, ou comment les deux se complètent pour toi ?
C'est vrai que je suis assez complémentaire avec mon frère, parce que lui fait de la création, alors que moi je suis vraiment tourné vers les autres, vers le monde, je m'imagine jouer sur scène pour les gens qui m’écoutent. Donc quand j'ai des idées de disques, de morceaux à composer etc, ça vient de la vraie vie. Après c’est le travail du compositeur, et c'est à ce moment que je le transmets souvent à mon frère. C'est lui qui fait ensuite un voyage intérieur, qui peut être laborieux.
Moi j'ai moins l'envie d'être assis à ma table, de chercher la note parfaite, de gommer. Ce qui me plaît, c'est le gros coup de pinceau. Ensuite le travail d’orfèvre c'est lui qui le fait, je n’ai pas la patience de l’artisan. J'arrive avec l'idée, le concept, le délire, et après il me livre en échange cette partition. Là je me transforme à nouveau en sportif, j'apprends la partition, et dès ce moment-là je m'imagine la raconter en scène.
Finalement, tu pars de la vision macro, de l'envie, et puis tu repasses dans la projection. C’est intéressant parce que les sportifs de haut niveau utilisent beaucoup la visualisation pour s'entraîner, pour se projeter dans une situation en jeu, pour éviter le stress, ou imaginer une issue positive. Nous préparons également les dirigeants comme ça à tous types de situation. Finalement c'est ce que tu fais tout le temps !
Oui, c'est ce que je fais tout le temps. Et ensuite, au moment du concert, il y a deux espaces temps, car à la fois tout est long, j'ai le temps de voir mes deux mains, de voir où je suis sur la partition, d’être dans le temps de la note comme si ça allait tout doucement, et il y a également à nouveau la sensibilité de l'instant. C’est toujours très différent selon que la salle est grande ou petite, que le public est chaleureux ou plus difficile à attraper, que je suis fatigué ou en pleine forme. Tout ça j’essaye de le cultiver dans l'instant. J'aime beaucoup faire des disques, mais il y a un côté éphémère dans le concert que je trouve extraordinaire, et qui paradoxalement nous fait côtoyer une forme d'éternel. Je retrouve ça dans le surf, c’est une communion absolue qui est très courte, même les longues vagues durent au maximum une quinzaine de secondes, et j'adore ça.
J'adore la peinture, et je côtoie souvent des peintres qui me fascinent. Quand je regarde un tableau il y a un truc qui se crée. Mais quand tu as quelqu’un qui joue pour toi, cela se crée dans l'instant, et quand le morceau est fini, c’est terminé. Cet aspect vivant est très fort.
Ta relation au public est hyper importante, on la sent complètement dans tes concerts, où l’on sent qu'on va vivre un moment exceptionnel bien au-delà du fait d'écouter de la musique. Que cherches-tu à créer ? Est-ce que ta relation au public est contributrice de quelque chose d’autre, est-ce que c’est l’harmonie ?
En fait ce qui me plairait c’est qu'on oublie ma guitare, et que l'on vive ensemble un moment de communion, c'est ça que je cherche. Dans les concerts je raconte beaucoup d’histoires, et j’ai envie que l’on s’amuse, que ce soit magique. Entendre les gens rire dans la salle me bouleverse. Il y a un truc presque mystique, dans cette vérité, cette authenticité, cette communion, je ne sais pas, chamanique peut-être.
C’est spirituel indépendamment de toute croyance, c'est quelque chose qui te dépasse, et qui devient beaucoup plus grand ?
C'est ça qui est merveilleux. Des architectes ont créé une salle à l'acoustique incroyable, l'outil a été fait par les plus grands luthiers du monde, l’ingénieur du son est l'un des meilleurs de la ville, tout est choisi, tout est parfait, et au final comme c'est réussi, c'est comme si tout ça a été oublié, et qu'en fait la vie a gagné. On oublie qu’on est dans une salle, on oublie tout. C’est ça ma quête, c'est ce moment magique qui est indescriptible, qui est une communion absolue, et c'est merveilleux.
Un jour je me suis retrouvé dans un petit village complètement paumé au Mexique et voilà que j’entends quelqu’un jouer. Il jouait hyper mal, tout était nul, mais c’était extraordinaire. Le gars était vieux, il savait qu'il ne jouait pas bien, mais la passion qu'il avait à jouer était magnifique. J'étais là, il a vu que j'étais interpellé, il a vu que je comprenais, mais il ne savait qui j'étais. Je suis resté à l'écouter 10 min, il y avait d'autres personnes autour, que des gens du village un peu vieux, sous un arbre. C’était il y a 20 ans, je te raconte ça alors que je ne vais pas forcément te raconter les concerts des plus grands pianistes au monde, Arcadi Volodos qui est incroyable, mais en fait ce moment m'a presque fait un effet plus fort. Du coup, mon idée est d'essayer de rajouter cette vie quand je joue, dans la virtuosité mais sans me cacher derrière la virtuosité.
Thibault Cauvin, aventurier de la vie
Tu prends des risques d’ailleurs. J’ai trouvé très audacieux au Châtelet quand tu as fait intervenir la personne qui accompagne tes enregistrements.
C’est important pour toi de prendre des risques ?
Je suis un aventurier de la vie, vouloir jouer du bout du monde, jouer avec des petites oreillettes avec un gars qui t'envoie des informations alors que tu es en plein concert, partager mes concerts avec Thylacine, Yarol Poupaud, tout ça me plaît. Je vis des choses très fortes que j'ai envie de raconter à mon public, que je considère comme des amis car ils sont touchés par ma musique. Alors, comme à des amis, j'ai toujours envie de leur offrir un nouveau week-end, un nouveau resto, un nouveau projet, que l’on vive des expériences ensemble. C'est pour cela que je reviens souvent à cette phrase « je préfère vivre par la folie que par la peur », parce qu’au moins ces trucs un peu fous créent des histoires.
Je préfère vivre dans la folie que par la peur
Thibault Cauvin
Et puis dans l'amitié il y a aussi une forme d'inconditionnalité qui fait que tu peux te permettre des choses, parce que le regard de l'autre est à priori bienveillant. On peut s'éloigner, on peut se rapprocher, mais il y a une forme de pérennité dans le lien.
Il faut toujours entretenir ce lien. Tu vois je joue de plus en plus à la fin de mes concerts un petit morceau d'improvisation, alors que je ne suis pas improvisateur. C’est donc très fragile, et parfois c'est moins bien que d'autres. Mais à la fin du concert où on est devenu amis pendant 1h30, où j’ai jouée des choses que je maîtrisais parfaitement, c’était virtuose, je me dis que ces 3 mn là, même si c'est un peu raté, en fait ça ne peut pas être raté parce que c'est sincère. L’amitié se joue dans ce genre de petits moments.
Toute cette énergie que tu reçois du public, des liens que tu crées, de la musique en elle-même d'ailleurs aussi, du surf, est-ce que c’est cela qui terégénère ? Parce que j'imagine que même si tu es hyper actif, tu as aussi des moments de fatigue.
Qu'est-ce qui constitue est pour toi des ressources, y-a-t-il des personnes qui vont être des supports, une forme d'aide pour toi ?
Mon entourage est très précieux, mon père est encore très présent dans la dimension très guitaristique, il y a mon frère, et j'ai une équipe formidable, ça c'est pour le côté plus professionnel. J’ai mon entourage amical, tout un cercle qui me plaît et avec lequel je me détends.
Après en effet il y a le surf. C'est ma passion absolue, avec ce truc un peu merveilleux où tu rentres dans l'eau et tu oublies tout instantanément. C’est une force incroyable, ça nettoie la tête. C'est vrai que je suis très observateur de la vie mais je suis aussi très réfléchi, et sans avoir de prétention philosophique j'ai constamment des pensées qui parfois m’épuisent. Dans les vagues, il y a ce truc merveilleux où tu ne penses qu’à l'instant absolu, au présent total, et ça c'est génial.
Et puis j'adore me balader, tu vois à Paris j'ai choisi de vivre dans le 18è arrondissement, je regarde à droite je suis en Inde, à gauche en Afrique, je voyage. Je repère tout de suite les gens bizarres, les gens atypiques, dès que je vois quelqu'un qui est qui est en marge ça m'intéresse.
Ça ouvre aussi plein d'espaces de liberté. J'ai l'impression qu'il y a le sujet de la liberté qui est immense, et que dès qu’il y a de la différence il y a de la liberté parce que quelque chose peut s'exprimer…
On arrive à mes questions de fin, dont celle des maximes, tu m’en as donné deux : « je préfère être guidée par la folie que par la peur » et « la sécurité c'est le plus grand des dangers », tu aimes les maximes ?
En fait j'aime bien trouver des petites phrases comme ça. Quand une idée de type philosophique me travaille, j’essaye d'aller au bout de mon idée, de me contredire, et puis après de la condenser, pour qu'elle tienne dans une petite phrase.
Après tu utilises ces petites phrases comme des mantras, cela te permet aussi de calmer ton esprit ?
Ca me permet de m’en souvenir, ce sont des points de repère positifs. Par exemple quand j’ai un projet et qu’à nouveau on me dit que c’est complètement fou et que ce n’est pas possible, je me rappelle ces deux phrases. Ça me permet de parier sur le positif. Quand tu as peur tu es prudent, même en surf quand tu veux prendre une grosse vague, si tu as peur tu es sûr de la rater ! Très souvent j’ai été confronté à ce truc-là. Si tu as peur, et que ton projet se confirme, tu n'es pas préparé et tu es sûr de perdre, alors que si tu paries sur le positif tu peux être déçu, mais si ça passe tu gagnes vraiment.
Quel serait le dernier message que tu voudrais passer à ceux qui nous lisent ?
De rêver grand.
Je suis un rêveur absolu. Je pense qu’au final il n’y a plus que ça qui compte, parce qu’il vaut mieux vivre une expérience et se planter, plutôt que de ne pas la vivre. Moi j'aime l'idée d'avoir cette liberté qui offre la chance d'avoir des rêves, ensuite d'intellectualiser les rêves, et de donner toute son énergie pour les réaliser. C’est comme ça que je fonctionne. L'aventure, les rêves, sont auteurs de tout. Pour moi c’est vers le beau, parce c'est un peu ça le sens de ma vie, je pense que le beau est la clé. Pour d’autres ce seront probablement des objectifs différents, d’autres manières d’agir. Je ne sais pas ce qui est le mieux, et je souhaite juste partager ce qui me plaît, et qui jusqu'ici m'a souri.
Avec son magnifique sourire, sa présence ancrée et sa détermination tranquille, Pauline Ado est solaire. Et quand on regarde son palmarès hors norme, on est impressionné par la puissance de l'athlète.
Rien n'est laissé au hasard, et Pauline gère ses capacités physiques, mentales, et son équilibre personnel en fonction des objectifs qu'elle se fixe.
Alors à défaut de partir avec elle pour Tahiti, c'est le moment de prendre la vague, et de rentrer dans le mental d'une multiple championne du monde de surf. Laissez-vous porter !
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Bonjour Pauline, tu es très connue dans le monde du surf, peux-tu nous présenter rapidement ton parcours ?
J’ai commencé le surf à l’âge de 8 ans. C’était un sport que ma famille ne connaissait pas du tout, mais pour moi ça a été de suite le coup de coeur. Rapidement, on m’a poussé à faire de petites compétitions. Je détestais ça à mes débuts. Et puis j’ai gagné ma première compétition à l’âge de 10ans et ça a été le déclic !
J’ai vite progressé jusqu’à ma première sélection en Equipe de France junior puis j’ai décroché plus tard deux titres de championne du monde Junior (ISA International Surfing Association en 2006 et WSL [1] World Surf League en 2009). Je suis passé professionnelle après mon Bac à l’âge de 18 ans. Je suis passée par plusieurs hauts et bas dans ma carrière. Parmi les hauts : 5 années sur le WCT[1] (World Championship Tour), un titre de championne du monde ISA en 2017, 7 titres de championne d’Europe WSL et une qualification aux premiers JO de surf aux Jeux de Tokyo 2020 l’été dernier !
Quand et pourquoi as-tu eu envie de faire du surf ton métier ?
C’est un moment dont je me souviens très bien. J’avais 13 ans et je participais à mes premiers championnats du Monde ISA junior avec l’Equipe de France. Là, pour la première fois, j’ai vu le niveau des meilleurs mondiales juniors. Elles étaient plus âgées que moi et je me suis dit : je peux être à ce niveau dans quelques années. J’étais passionnée par mon sport, j’aimais la compétition, les voyages et le lifestyle me faisait rêver ! A partir de ce moment là, c’est devenu mon objectif.
Est-ce que tu gardes toujours autant de plaisir à surfer maintenant que c’est ta profession ?
Cela fait plusieurs années maintenant que c’est mon métier. La passion est toujours là et je me vois surfer toute ma vie ! Je prends du plaisir dans mon sport mais aussi dans cette quête de progression au quotidien. Est-ce qu’il m’arrive de ne pas avoir envie de m’entraîner ou d’aller à l’eau ? Oui… ! Mais ça cela relève plutôt d’une gestion mentale. Globalement, j’adore toujours autant ce que je fais.
Tu as été sélectionnée pour les premiers JO dans lesquels le surf était présent, qu’est ce que ça change pour toi ? En terme de préparation, d'entraînement, de pression médiatique ?
Depuis que le surf a été annoncé aux Jeux (en 2016), c’est devenu un gros objectif pour moi. Les Jeux c’est une autre dimension ! Les principes de ma préparation sont restées les mêmes globalement. Mentalement, il a fallut gérer la pression de la qualification sur un évènement décisif. C’était intense ! On a senti l'engouement médiatique, l’intérêt des partenaires aussi… ce sont des paramètres en plus qu’il faut gérer. Mais en règle générale cela a été hyper positif.
"Tout part du mental. La concentration, l’intensité que tu vas mettre dans chaque entraînement au quotidien, chaque moment clé de ta préparation, influenceront tes performances finales."
Le mental est particulièrement important dans le surf, où les conditions changent en permanence, le danger est présent, et la concentration impérative. Le take-off [2], c’est aussi l’affaire d’un instant. Je lisais dans une interview que tu as donnée à l’Equipe [3], “la pression, il faut apprendre à l’aimer”. Comment le vis-tu au quotidien ? Est-ce que tu te prépares mentalement ?
Oui, je pense que la dimension mentale est la plus importante. Tout part du mental. La concentration, l’intensité que tu vas mettre dans chaque entraînement au quotidien, chaque moment clé de ta préparation, influenceront tes performances finales. Actuellement, je suis suivie par une psychologue du sport. Je fais aussi appel à des techniques de préparation mentale. J’ai pas mal d’outils, de routines, d’éléments de réflexion à ma disposition. J’adore ce processus d’introspection, et trouver des outils mentaux qui me permettent d’être plus performante au quotidien mais aussi plus équilibrée dans ma vie.
Par exemple, j’utilise beaucoup l’imagerie mentale. Dans mon sport, la répétition des gestes techniques n’est pas facile, l’imagerie mentale permet d’intégrer des automatismes, corriger des postures… cela fonctionne aussi pour renforcer la confiance, anticiper les moments de pression. On peut imaginer tous les scénarios, les anticiper, s’y préparer et répéter des manoeuvres à l’infini via le mental. Je fais régulièrement ces exercices et encore plus en période de compétition.
As-tu d’autres routines de performance ?
Oui quelques unes ! Notamment liée à la préparation physique : des routines d’échauffement, de récupération, yoga, respiration etc…
Ce sont des routines qui ont des bienfaits autant sur le physique que sur le mental. J’aime bien faire du yoga en début de journée pour réveiller mon corps, conserver ma mobilité mais cela me permet aussi me recentrer et d’avoir les idées claires sur ce que j’ai à faire pour la suite de la journée.
Après une journée de compétition, il est aussi essentiel pour moi debien récupérer des efforts physiques mais aussi de mes émotions et de faire une sorte de reset pour le lendemain. J’aime bien dans ce cas là faire des méditations, des scans corporels le plus souvent. Je prends aussi le temps d’écrire et de faire le point sur ma performance, mon état mental et également sur ce que je veux mettre en place le lendemain. Cela m’aide à y voir clair.
"Ce sont les petites victoires du quotidien qui font les grandes performances"
Qu’est-ce qui fait la victoire pour toi ?
La victoire, ce n’est pas uniquement une place sur la plus haute marche du podium. C’est ce qu’on recherche évidemment lorsque l’on fait de la compétition. Mais elle peut prendre d’autres formes : atteindre des objectifs dans des axes de progression que l’on s’est fixé, arriver à gérer et se sortir de situations stressantes, faire les bons choix stratégiques… etc. Ce sont les les petites victoires du quotidien qui font les grandes performances !
Tu es une femme dans un sport qui est assez masculin, est-ce que cela a influencé ta carrière, l’attention qui t’a été portée à tes débuts ?
Je ne peux pas vraiment dire que j’ai ressenti du machisme à l’eau… mais à mes débuts le surf féminin était beaucoup moins développé. Nous étions peu… Un de mes sponsors à l’époque s’inquiétait de devoir encadrer des filles pour des stages d’entraînement 😅, il n’y avait pas de catégories femmes sur les compétitions pro junior, certaines directions de compétition faisaient surfer les filles systématiquement quand les conditions de vagues se dégradaient... Mais cela ne m’a pas traumatisée. Je savais où je voulais aller, et je traçais ma route. Mais tout cela a bien changé depuis, le surf féminin en a fait du chemin !
Comme certains de nos chefs d’entreprises, tu te déplaces beaucoup, tu encaisses les décalages horaires, comment gères-tu cela avec ta récupération, et ton équilibre pro-perso ?
J’intègre ce paramètre dans le délai de préparation avant une compétition. Si je me déplace loin, alors j’arrive plusieurs jours à l’avance pour prendre le temps de récupérer. A l’arrivée, je reprends dès que possible un rythme normal et une activité physique sans trop d’intensité. Parfois c’est dur, il faut se faire un peu violence mais c’est le meilleur moyen de se remettre vite du voyage.
Pour ce qui est de l’équilibre pro/perso, j’essaie au maximum de voyager avec mon mari ou quelqu’un de ma famille. Mais ce n’est pas toujours possible. Ma vie pro prend tellement de place qu’il est dur de les dissocier. Alors je m’accorde des jours, des périodes de ma saison où je coupe du surf, où je fais autre chose. Après plusieurs années d’expérience, c’est l’équilibre que j’ai trouvé et qui me convient.
Tu as une connexion très intime à l’Océan, et tu es devenue ambassadrice de la Surfrider Foundation, peux-tu nous dire ce que cette cause représente pour toi ?
Petite, j’ai vécu des marées noires, des plages interdites d’accès, du mazout collé sous les pieds et la wax après les sessions… Je me souviens déjà que les campagnes de sensibilisation à l’école ou dans les clubs de surf, qui m’interpellaient. Lorsque l’on est à l’eau au quotidien, on est aussi témoin des pollutions qui menacent notre océan et nos plages. C’est pour ça que je trouvais important de m’engager pour un milieu qui me donne tant.
Est-ce que tu aurais un message à passer aux femmes qui aujourd’hui entreprennent, prennent des risques et des responsabilités, se mettent en visibilité ?
Personnellement, j’admire les gens qui osent et qui se battent pour atteindre leurs objectifs et leurs rêves. Je leur dirais simplement qu’elles sont une source d’inspiration !
Interview réalisée par Thérèse Lemarchand, CEO Mainpaces
mai 2022, mise à jour en aout 2023
[1] : le WCT est LE championnat de surf mondial. Il rassemble les 35 meilleurs surfeurs du monde chez les hommes, et les 17 meilleurs surfeuses du monde chez les femmes. Atteindre ce niveau est une consécration dans le monde du surf. Pour mieux comprendre le fonctionnement, une explication très claire ici : https://homieboards.fr/decryptage-du-monde-du-surf-professionnel/
[2] : Take-off : moment où la surfeuse passe de la position allongée à la position levée sur sa planche
Antoine Albeau est une légende du windsurf. Sportif français le plus titré de l’histoire, il détient 26 titres de champion du monde et en particulier le record de vitesse en planche à voile avec 53,27 nœuds (soit 98,66 km/h), obtenu à Lüderitz (en Namibie) en 2015.
Cette longévité exceptionnelle tire ses racines dans une sensation de plaisir toujours renouvelée : “Ma motivation était de passer du temps sur l'eau dans un élément que je connaissais par cœur et que j'appréciais, et sur lequel je suis très à l’aise. (...) Cette facilité me donne une grande sensation de liberté. (...) C'est encore quelque chose que je ressens à chaque fois que je vais naviguer, sur mes premiers plannings ou mes premiers vols en foil. C'est une forme d'euphorie, c'est de la joie."
Pour les records de vitesse “c’est de la performance pure. C’est beaucoup de concentration, et de force physique.” Quant au mental, tout est une question de préparation et d'entraînement “J'ai appris au fil des ans que même si tu es le meilleur, si tu n’es pas prêt le jour J de la compétition, tu as peu de chances de gagner. Être prêt, c’est être prêt sur tout, le matériel, et tous les types de conditions.”
Aujourd’hui Antoine développe avec Marc Amerigo le projet Zephir, pour allier performance de glisse et performance environnementale. Son dernier message ? “Il faut se rapprocher de l’écologie !”
Interview réalisée le 17/04/2023 par Thérèse Lemarchand, CEO Mainpaces
Les sports nautiques, une histoire de famille
Bonjour Antoine, tu es une légende du windsurf, le sportif français le plus titré de l’histoire, tu as 25 titres de champion du monde sur différentes disciplines, et tu détiens en particulier le record de vitesse en planche à voile avec 53,27 nœuds (soit 98,66 km/h), obtenu à Lüderitz (en Namibie) en 2015.
Comment en es-tu arrivé là ?
Je suis né dedans. Mes parents étaient sportifs, ils faisaient beaucoup de natation, de nage avec palme, et dans les années 70 ils ont monté un club de plage à l'île de Ré. Deux ans après ils ont monté un club de voile. Quand la planche à voile est arrivée, mon père a sauté dessus, il a fait quelques compétitions, et le premier show de France à l'île de Groix en 78.
Je suis arrivé à ce moment-là, j’ai commencé à l'âge de 5 ans. A l'époque il n’y avait pas le matériel qu'on a maintenant pour les enfants. Mon père a fait couper la tête d'une voile et m'avait confectionné un petit bout de planche. A 5 ans je m'amusais avec ça entre deux châteaux de sables.
L’engouement pour le windsurf s’est développé. Il y avait des petits entraînements pour le les jeunes de mon âge à l'école de voile, et des compétitions régionales sur l'île de Ré. Il y avait une catégorie de moins de 14 ans, donc je faisais toutes ces compétitions les week-ends de l'été avec mes amis. Ensuite je suis rentré en sport études, et j'ai gagné championnat de France minimes port Camargue. J'ai continué avec des entraînements réguliers chaque semaine, le week-end durant toute l'année, et il n’y a jamais eu un moment où je me suis dit que je n’avais pas envie de faire de la planche.
Antoine Albeau-FRA: Nouveau Record du Monde 53.27 nœuds
Cela veut dire que tu as eu toujours envie de naviguer, même si c’était hyper intense en termes d'engagement et d'emploi du temps (Ndlr – Antoine Albeau a 51 ans et vient juste de mettre fin à sa carrière sur le World Tour) ?
Oui c’est sûr, entre mes entrainements, mes compétitions, ça prenait quand même pas mal de temps, mais finalement je n’avais pas envie de faire autre chose. Pour moi c'était plus un amusement, comme si tu allais faire du vélo, jouer au tennis, ou je ne sais pas, lire une BD J
Quand je suis passé en professionnel là c'était 7 jours sur 7. Mais c’était sympa. Je m’entrainais sur le pôle de La Rochelle, je m'entraînais aussi seul, et avec d'autres gens qui faisaient la Coupe du monde on se retrouvait Tarifa ou à Maui l'hiver. Quand je suis rentré chez Neil Pryde, ils avaient des bureaux de développement là-bas, donc je passais mes hivers à Hawaï à développer et tester le matériel.
A cette époque il y avait beaucoup de riders qui allaient à Hawaï l’hiver pour pouvoir naviguer sans avoir froid, les conditions étaient vraiment bonnes. Maintenant il y en a moins, c'est devenu trop cher ils vont plutôt passer l'hiver à Ténérife.
Antoine Albeau, le plaisir et la motivation comme leviers de réussite
Tu as navigué et gagné dans toutes les disciplines, le slalom, les vagues, la vitesse. Qu'est-ce qui t'a donné cette agilité-là, est-ce que c'est courant chez les riders ?
Ce n’est pas courant mais quand j'ai commencé il y avait 3 disciplines, les vagues, le slalom, et la race. Il y avait un titre de champion du monde dans chaque discipline plus un titre Overall, donc tous les riders faisaient toutes les disciplines. Ce n’est que quelques années plus tard qu’ils ont enlevé le titre Overall et que les riders se sont spécialisés. Certains étaient gênés avec leur gabarit parce qu'ils étaient trop lourds pour faire des vagues, ou trop légers pour la vitesse, donc ils se sont concentrés dans leur discipline.
Moi j'ai toujours tout fait, parce que pour moi c'est plus ou moins la même chose, tu as une planche dans les pieds, un wishbone dans les mains. Les heures passaient sur l'eau et c'était bénéfique pour toutes les disciplines, j'étais à l'aise, j'étais agile pour mon gabarit. Quand j'ai été champion du monde de freestyle en 2001 je devais faire 95 kilos, alors que je me battais face à des gars qui faisaient 1m65 et 60 kilos, j'étais un peu l'exception.
Quelle était ta motivation, le fun sur l’eau, les victoires ? Que ressens-tu quand tu navigues ?
Ma motivation était de passer du temps sur l'eau dans un élément que je connaissais par cœur et que j'appréciais, et sur lequel je suis très à l’aise. Je m’ennuie à faire toujours la même chose, donc j’avais besoin de tout pratiquer, y compris le surf, le kite ...
Cette facilité me donne une grande sensation de liberté. Quand tu arrives à aller à une certaine vitesse et à te déplacer quasiment où tu veux avec un support qui s'appelle la planche à voile et en utilisant l'essence du vent, c'est top. C'est encore quelque chose que je ressens à chaque fois je vais naviguer, sur mes premiers plannings ou mes premiers vols en foil.
C'est une forme d'euphorie, c'est de la joie.
Antoine Albeau
Est-ce que c'est ce sentiment-là de joie qui te guide et t'indique que tu vas être le plus aligné possible aussi dans une quête de vitesse ?
Oui, sachant que la différence pour la vitesse c'est le développement du matériel, j’en ai fait quasiment toute ma vie. C’est un matériel beaucoup plus radical. C'est génial parce que tu essayes de produire des planches et des voiles qui vont être plus faciles pour toi pour les emmener le plus rapidement possible sur la mer. C'est de la recherche et développement, ce que font tous les ingénieurs qui développent des iPhone ou d’autres produits dont ils optimisent la taille ou les fonctionnalités, sauf que nous on n'a pas d'électronique. On a des formes, des profils, des matériaux, ou des placements, à utiliser au mieux pour être plus léger, pour voler sur l'eau, et ça ouvre énormément de possibilités de réglages.
Ensuite, pendant les records de vitesse, c’est de la performance pure. C’est beaucoup de concentration, et de force physique. Les conditions sont très fortes, on sait que tomber veut dire se faire mal, ou casser du matériel.
Antoine Albeau et la force du mental
A propos du mental justement, quel est ton état d’esprit dans ces situations où beaucoup d'éléments entrent en ligne de compte et créent parfois des conditions extrêmes. Je regardais une de tes vidéos à l’île aux vaches (Pointe du Raz) en décembre 2007, avec plus de 10 m de houle, 15 secondes de périodes, des claques à 50 nœuds de vent, le froid ... Il y a aussi le stress des compétitions, appréhendes-tu cela ?
Je n’ai jamais vraiment fait de préparation mentale, à l'époque ça ne se faisait pas trop, sauf peut-être dans certains sports plus populaires. Je pense que mentalement j'étais fait pour ça, j'étais programmé pour avoir un bon mental, même assez fort par rapport aux autres riders de planche à voile, c’est ce que les gens disent.
C'est important parce que tu peux avoir des sportifs qui vont être très doués, super forts, et mentalement ils vont lâcher prise. Ce qui contribue à ça aussi est ton entourage, c’est primordial d’avoir du soutien familial, de bons amis, cela te donne toujours plus de facilité à endosser les problèmes inévitables ou le stress des compétitions.
Même si tu es le meilleur, si tu n'es pas prêt le jour J tu as peu de chance de gagner.
Antoine Albeau
Je pense que j'ai aussi appris à avoir un bon mental avec toutes ces années de compétitions. Ce n’est pas venu comme ça du jour au lendemain, j'ai pu apprendre progressivement à être bien mentalement. Tout est une question de préparation et d’entrainement. J'ai toujours essayé de préparer mes saisons, et de préparer les événements qui arrivaient. Avec le PWA (Professional Windsurfers Association – qui organise les championnats du monde de windsurf) on a pu avoir jusqu’à 25 épreuves dans l'année, 2 par mois. C'est énorme et ça veut dire arriver 2 ou 3 jours avant l'événement, naviguer, et repartir vite pour aller à l’autre épreuve. J'ai appris au fil des ans que même si tu es le meilleur, si tu n’es pas prêt le jour J de la compétition, tu as peu de chances de gagner. Être prêt, c’est être prêt sur tout, le matériel, et tous les types de conditions.
Antoine Albeau, vers un après compétition plus responsable
Aujourd’hui tu es sorti du PWA, et tu passes une bonne partie de ton temps sur le projet Zephir avec Marc Amerigo, qu’est-ce que ça représente pour toi ?
Avec Zephir on essaye de révolutionner les sports de glisse avec une recherche basée entre-autres sur le biomimétisme, avec une approche durable d’un point de vue environnemental, et en développant de l'activité en France. Moi je teste le matériel, on fait des simulations sur ordinateur et en soufflerie. C’est hyper intéressant parce qu’on croise et recroise les calculs et mes ressentis, les conclusions que l’on peut en tirer, c’est très itératif et beaucoup plus précis en termes de validation.
On a démarré ce sujet sur une envie, avec des personnes qui y ont toutes contribué bénévolement. On avance en collaboration avec plusieurs laboratoires et entreprises basés sur La Rochelle, Nantes, Lorient, Brest, Saint Malo et ailleurs en France pour mettre en œuvre des solutions techniques issues du biomimétisme. C'est à présent possible avec les nouvelles techniques d'impression 3D et de nouvelles résines recyclables, en utilisant aussi des fibres plus naturelles comme le lin par exemple pour remplacer la fibre de verre. Nous voulons limiter notre empreinte carbone tout en développant la performance.
Aujourd’hui nous avons besoin de financer notre R&D, et nos campagnes de prototypage et de tests. On recherche 1.2 M€ sur 3 ans sous forme de sponsoring puis d'investissement pour atteindre nos objectifs sportifs et de sensibilisation, et déployer nos innovations.
On veut montrer que l'on peut allier la performance de glisse et la performance environnementale. On a le bon sport pour cela. On utilise une "essence" naturelle qui est le vent, mais on pollue trop avec notre matériel plastique et très carboné, on génère beaucoup trop de déchets. Il faut changer de modèle, et prendre le sujet par tous les bouts, du côté des grosses entreprises et aussi du côté de structures beaucoup plus agiles comme la nôtre et qui vont permettre de penser et de faire différemment.
Quel est le dernier message que tu voudrais faire passer à ceux qui nous lisent ?
Il faut se rapprocher de l'écologie, et je pense qu'on a les moyens de le faire. La France est un pays qui répond présent, on est en bonne voie, et il faut encore pousser parce que c'est difficile. C'est plus coûteux de produire à base de recyclage, ou des produits qui vont être recyclable, et de fabriquer en France, mais aujourd’hui c'est dans la la tête des gens, et ça rentre dans la vision des entreprises. Il faut accompagner cette prise de conscience et le passage à l’action en faveur de l’écologie, et on a la chance quand on est connu de pouvoir faire passer des messages. Pour que les mentalités changent, il y a aussi une question de confiance dans le discours politique à travailler et de cohérence du discours, car au niveau individuel on a peu de données et de compréhension globale de l’impact d’un produit sur son cycle de vie.
Après, le plus important est au niveau de l'école et de l'enseignement des tout-petits, parce que c’est là que les habitudes se prennent, que l’on se formate, et c'est difficile ensuite de revenir en arrière. Donc c'est peut-être cette nouvelle génération qui va aider la génération d'avant, des plus vieux, pour les empêcher de faire des choses qui pourraient être polluantes ou de détruire la nature.
Jean-Philippe Lachaux est directeur de recherche à l’INSERM. Docteur en neurobiologie et neurosciences, Jean-Philippe Lachaux travaille depuis 15 ans sur les sujets liés à l’attention. L'attention est le processus de sélection, d'activation et de facilitation de certains réseaux de neurones au dépend des autres. Ce processus peut être déclenché de manière réflexe, par un stimulus externe ou interne, ou bien se développer sous forme d'un contrôle endogène exerçant son influence depuis la partie la plus antérieure du cerveau, le lobe frontal.
Jean-Philippe s'intéresse particulièrement à ce deuxième aspect. Pour lui, il existe pour chaque activité, qu'il s'agisse de lire un livre, de retourner un service au tennis, d'écouter un exposé, parler à un ami ou simplement manger un bon repas, des états attentionnels optimaux, au cours desquels l'attention ajuste finement l'équilibre entre les automatismes du cerveau pour parvenir à une grande efficacité et une grande qualité d'expérience et de ressenti, accompagnées d'une sensation d'effort minime.
Dans cette interview nous entrons avec lui dans nos cerveaux souvent distraits, “il y au moins 3 systèmes qui sont en compétition. Parfois ils sont d'accord, parfois pas, et cela explique un peu toutes les dérives de l'attention qu'il peut y avoir dans une journée.” À partir d’une clé essentielle “ PIM : Perception - Intention - Manière d'agir ”, Jean-Philippedétaille un mode d’emploi pour se concentrer, ce que nous apprennent les sportifs de haut niveau sur ces sujets-là, et l’importance d’entretiens d’explicitation dans le développement d’une pratique experte.
On y parle également d’émotions “le stress est typiquement un exemple d’effet négatif de l'émotion sur la concentration “, et du secret de l’efficacité “tout le temps que tu consacres à une activité, si tu es bien concentrée, que tu as une intention claire à chaque instant de ce que tu dois faire, tu ne peux pas être meilleure, ce n’est pas possible. Donc ça n’a pas d'utilité de se mettre une pression temporelle supplémentaire”.
Ce soin porté à l’attention est pour lui majeur pour avancer vers une société pacifiée. “Au niveau sociétal, j’aimerais refaire de l'attention une vraie valeur, qu’elle soit remise au premier plan” nous livre Jean-Philippe. Etre bien dans ce que l’on fait n’est-il pas une envie largement partagée ?
Interview réalisée le 28/04/2023 par Thérèse Lemarchand, CEO Mainpaces
L’attention : la découverte d’un sujet qui est devenu une passion
Bonjour Jean-Philippe, tu es directeur de recherche à l’INSERM, spécialiste de l’attention, peux-tu nous expliquer rapidement ce qui t’a amené là depuis ta sortie de l’Ecole Polytechnique ?
En y réfléchissant, je me souviens qu’étant jeune adolescent je faisais des trucs un peu bizarres. Je mettais une montre un bout de la pièce et j’essayais de voir si j'entendais le tic-tac tout le temps, ou quand je le perdais. En fait, j'étais en train de faire des expériences d'attention, et je pense que tous les adolescents ne font pas ça ☺, donc je devais déjà avoir un terrain d'intérêt pour la question de l'attention. Ce qui a déclenché un intérêt plus important est le sport de haut niveau, et plus précisément le tennis. En regardant les compétitions de tennis et en voyant l'utilisation qu’ils faisaient de leur attention, notamment un joueur qui s'appelle Mats Wilander qui disait pouvoir se concentrer à volonté quand il en avait besoin, je m'étais dit « ça c'est génial, je veux le développer pour ma prépa ». C'était encore un intérêt un peu vague à l'époque, et c'est à l’X que je me suis demandé ce que je voulais faire dans la vie. La première année d'armée laisse beaucoup de temps. J’ai commencé à lire, et je me suis dit que c’était vraiment ça que je voulais faire, apprendre ce qu’était l’attention, à la fois sous un angle théorique avec les neurosciences, et sous un angle pratique avec le zen. Ça date donc de mes 20 ans à peu près.
Comment t’es-tu mis au zen ?
A la sortie de l’X il y avait un dojo où j'allais régulièrement le matin. Après je suis allé faire des séances un peu plus soutenues vers Blois où il y avait un grand centre, et puis j’ai développé une pratique quotidienne. Quand on a 20 ans, le cerveau n’est pas encore terminé, donc ça m'a structuré, et je pense que ça m’a beaucoup influencé ensuite.
Aujourd’hui c’est le cœur de mon travail, d'essayer de faire sans arrêt une sorte de pont entre la théorie de l'attention et l’attention dans la vie quotidienne.
Qu’est ce que l’attention ?
Alors entrons dans cet exercice avec toi. Peux-tu nous nous expliquer ce qu'est l'attention, et ce qui la commande ?
On voit souvent l’attention sous l'angle de la sélection de stimulations extérieures à soi : nos organes et nos sens sont bombardés de signaux en permanence, et c'est beaucoup plus que ce que le cerveau peut traiter efficacement. Il va donc y avoir une sélection à chaque fois de certains signaux « ça, pas ça, ça, cet objet, ce qui se passe, cette position de l'espace » et cetera… C’est une sélection constante consciente.
Cette sélection de ce qui est à l'extérieur de soi, vaut également pour ce qui est en soi, à l'intérieur. On peut porter son attention sur une pensée, sur quelque chose qu'on se dit dans sa tête, sur une image mentale, sur une émotion, … C’est le même principe de sélection de départ, qui se fait sur ce qui est plus important que le reste à ce moment-là.
Quelles sont les lois qui la régissent ?
Il y a plusieurs systèmes dans le cerveau qui peuvent entraîner l'attention dans une direction, et qui vont l’accaparer en fonction de ce que chaque système va considérer comme le plus important.
Celui auquel on s'identifie habituellement est un système volontaire, c'est ce qu'on décide de façon rationnelle.
Mais souvent on n'y arrive pas, notre attention est ailleurs, on se laisse distraire. Pourquoi ? Parce qu'un autre système dans le cerveau va prendre le contrôle et l'orienter ailleurs.
Il y en a principalement 2 :
un système qui va orienter ton attention en fonction de ce qui est saillant physiquement, par exemple un gros bruit ou un visage qui passe, donc des éléments qui capturent l'attention automatiquement. C’est un système pré-attentif, il est avant l’attention. C’est par exemple celui qui repère le camion qui te fonce dessus et oriente ton attention avant même que tu l’aies décidé ;
un autre système va l'orienter en fonction de ce que tu aimes et de ce que tu n’aimes pas, typiquement celui qu'on appelle le circuit de la récompense. Il va en fait donner des petites notes à tout ce qu'il y a autour de toi, et t’attirer pour ne pas passer à côté si c’est important. Par exemple, si tu as envoyé un message et que la personne a répondu, cela va être jugé par le circuit de la récompense comme super important, et il va déclencher l'orientation de l’attention sur ton téléphone.
Le sujet est plus vaste, mais tu as donc au moins 3 systèmes qui sont en compétition. Parfois ils sont d'accord, parfois pas, et cela explique un peu toutes les dérives de l'attention qu'il peut y avoir dans une journée.
Comment agir sur sa propre attention ?
Maintenant que nous avons compris comment fonctionnait l'attention, comment pouvons-nous agir dessus au quotidien ?
Il y a 2 typologies de chemins. La première façon, c'est de dire que la volonté doit être toute puissante et que si tu n’y arrive pas c'est que tu dois être plus fort. Dans ce cas-là, si ta concentration t’échappe, tu vas être hyper frustré dès l'instant où tu n'arrives pas à maîtriser volontairement ton attention, et tu vas la ramener le plus vite possible par la force. Ça va donner des journées qui peuvent être assez épuisantes. C'est l'approche classique, c’est celle que décrit Rafael Nadal dans son livre quand il raconte sa première finale de Wimbledon contre Federer (qu'il a gagnée). Il parle de ses pensées qui le gênent, et dit qu’il essaie de les écraser, de les inhiber. Ça, c'est l'approche macho« si je suis costaud, je vais y arriver ».
L'autre approche est plusproche de ta relation avec un animal de compagnie, un chien ou un cheval si tu veux. Tu conçois qu'il a sa propre autonomie, et tu essaies de comprendre ce qu'il aime, ce qu'il n’aime pas, ses réactions, pour ensuite le contrôler par petites touches.
Ça donne une approche de l'attention où finalement tu vas faire un petit pas de recul par rapport à toi-même et ta propre attention, et tu vas la regarder vivre. « A quoi je fais attention ? » « Tiens, mon attention a dévié vers ça » Et juste, tu l'observes, et tu vas essayer de la ramener très doucement, tranquillement, une fois que tu as compris. C'est typiquement l'approche que tu vas trouver en méditation. Très concrètement par exemple, tu te balades dans un centre commercial, et tu observes juste ce que tu as tendance à regarder, ou tu choisis de regarder un point au loin et puis tu observes que tu as envie de regarder sur les côtés, les vitrines, les gens etc… Cela te renseigne sur les forces qui tirent sur l'attention, et tu commences à la voir vivre. Cela t’amène à une approche assez pacifiée de ton attention.
Tu faisais tout à l’heure une différence entre attention, intention, et concentration, peux-tu développer ?
L'attention peut être purement passive, par exemple tu prends un plan de métro tu le regardes : tu es attentif. Si on te demande comment aller d’un endroit à un autre, tu n’en n’as en fait aucune idée parce que tu n'étais pas concentré pour cela. La concentration va utiliser ton attention dans un but. Tu vas en plus rajouter des processus actifs de mémorisation etc...
"L'attention, c'est juste sélectionner une information, une perception, mais tu n’en fais rien de spécial. Dans la concentration il y a vraiment cette idée d'en faire quelque chose."
Jean-Philippe Lachaux
Par exemple quand tu surfes, tu as plein de sensations, tu vas privilégier avec ton attention certaines plutôt que d'autres mais ce n'est pas ça qui va te faire tenir sur ta planche, tu as tout un jeu de correction de stabilisation et de direction en plus. En fait c'est ce couplage entre la perception et l'action qui fait la concentration, avec une intention.
L'attention en application dans le sport de haut niveau et chez les musiciens
Tu as beaucoup interrogé des sportifs et des musiciens de très haut niveau pour comprendre comment ils arrivaient à développer une attention accrue, et qu'est-ce que cela induisait pour eux, tu es d’ailleurs en train d’écrire un livre sur ce sujet, quels sont les enseignements essentiels que tu en as retirés ?
C’est extrêmement riche ! Pour prendre quelques exemples, en discutant avec des entraîneurs nous avons discuté des « modes d'emploi » pour se concentrer :
tu définis (i) ta cible attentionnelle, (ii) ce que tu dois percevoir en priorité, (iii) ton intention, et (iv) ta manière d'interagir avec ton objet d'attention, comment tu es actif.
Typiquement un funambule me dit que tout ce qu’il privilégie en termes de perception est ce qui vient des pieds - le contact pied-sangle essentiellement, et sa manière d'agir est de corriger avec les bras, les épaules, le haut du corps. Donc il fait une sorte de couplage entre ce qu'il ressent et sa façon d'être actif, pour que l'ensemble fasse qu’il tient et qu'il avance sur son fil sans tomber.
La question qui se posait était de savoir si pour du sport de haut niveau cette idée n’est pas simpliste, parce qu’on se dit qu’ils font attention à une multitude de choses, qu’ils font plein d’actions en même temps, qu’ils ont plein d'intentions aussi. Donc cela pose un problème par rapport à ce cadre un peu théorique, et aux limites du cerveau qui ne permet pas de faire attention à tout en même temps.
Ce que ces entretiens ont révélé, c'est qu’ils fonctionnent par tout petits segments, ce que j'appelle des sortes de micro-missions, qui vont durer peut-être une ou deux secondes à peine.
Sur chacune de ces micro-missions on va trouver une intention hyper claire, et une manière d'agir extrêmement claire également. Donc ce qu’on peut en retirer, c’est qu’en fait ils sont tout le temps concentrés, mais d'une façon qui se définit différemment presque d'une seconde à l'autre.
Et ça s'applique aussi dans la vie quotidienne !
Je vois ce que tu expliques, mais le sujet n’est-il pas alors d’avoir la bonne intention au bon moment ?
Oui, et le cerveau a une fraction de seconde pour prendre la bonne décision, pour avoir la bonne intention, et il y a pas mal de façons de faire ! Certains vont apprendre par cœur, par exemple une partition en musique, une voie en escalade… Ils vont visualiser tout ce qu’ils ont à faire. D'autres vont se programmer à gérer les imprévus quand il risque d’y en avoir trop. Et puis tu as encore des sports où tu ne prévois que le début. En escrime, tu peux programmer le fait de commencer par tel mouvement telle intention - par exemple d'être très agressif avec cette attaque - mais ensuite tu ne sais pas comment l'autre va réagir, et donc il faudra t'adapter en temps réel.
Si on le regarde dans le contexte d'une vie professionnelle dans un métier tertiaire, c'est beaucoup plus la 3e stratégie qui s’applique. C'est à dire que tu as en fait une ligne directrice qui va te guider, tu sais à peu près où tu veux en venir.Ce biais de base que tu t'es donné va faciliter le tri entre plusieurs intentions possibles en temps réel, et donc simplifier la prise de décision.
L’attention ne doit alors pas être trop rigide, figée, pour garder plusieurs possibilités ouvertes. Dans ce contexte-là tu peux malgré tout rester concentré, même avec une intention un peu plus globale. Donc la précision de l'intention dépend de ta maîtrise sur ce qui va se passer.
Ensuite, il y a le sujet de lacible attentionnelle. Quand on interroge les sportifs, on voit qu’ils vont développer des façons très diverses de placer leur attention pour percevoir des éléments qui peuvent leur rendre les choses très faciles.
Par exemple, tu vas avoir une joueuse de badminton qui va te dire qu'elle arrive à percevoir le filet comme s’il était corporel, qu’il faisait partie de son corps. Donc évidemment c'est alors plus facile pour elle de l'éviter et de faire passer le volant au-dessus.
Là ce qui est très intéressant,c'est d'aller chercher ce que j'appelle des perceptions expertes. C'est quelque chose qu’elle peut percevoir, mais qu’un débutant ne comprendra pas. Je pense que dans toute expertise quelle qu'elle soit, tu vas commencer à sentir cela. Si on prend l'exemple de la négociation, tu vas arriver à sentir qu’à un moment tu peux t'engouffrer, parce que l'autre a un petit moment de faiblesse dans son argumentation, un moment de flottement, qu’il y a une fragilité et que tu sais que tu peux pousser des arguments dans ce sens-là et que ton interlocuteur ne va pas pouvoir les contrer, ou qu’il va se laisser convaincre parce tu es en position d'avance sur lui. Ce sont des ressentis, et l’attention d’un expert de très haut niveau va pouvoir se poser dessus. Ce n’est pas facile à voir pour quelqu'un qui ne s'y connaît pas. Mais tu peux le développer en creusant ce qui te fait réagir, ce qui fait que d'un coup tu as pris cette décision plutôt que celle-là, et progressivement les consolider.
Comment développer son attention ?
Oui, tous ces exemples de négociation sont extrêmement parlants pour moi qui en ai beaucoup, et c'est complètement comme ça que ça se joue. On le travaille en amont, avec des jeux de rôle, et des entrainements à blanc. La question que je me posais maintenant, est : par quel côté commencer pour développer ses compétences attentionnelles ?
La clé est vraiment cette question de PIM : Perception - Intention - Manière d'agir. C'est donc acquérir une capacité à percevoir certains signes, et ensuite être capable d'agir dans une direction vers ton intention, vers ce que tu cherches à faire, et donc développer ton répertoire de manière d'agir.
Si on traduit cela en entraînement sur une interaction à enjeu, qu’elle soit sportive, ou pour reprendre l’exemple de la négociation, cela veut dire chercher à identifier quels sont les éléments auxquels la personne en face de toi est vraiment sensible, ce qui provoque chez elle une réaction, qui peut être légère, comme quelque chose de moins assuré dans la voix, ou un changement de posture, une certaine fragilité dans l’argumentation. Tu te mets aux aguets, comme un chasseur, et tu attends des signes.
Quand ces signes peuvent être explicités, tu peux travailler à amener la personne entraînée à devenir capable de les remarquer. Ensuite elle sait qu’elle doit les chercher, et à partir de là développer une certaine technique en fonction de l’objectif visé. Ce sera peut-être avancer 4 idées dans un certain ordre, savoir qu’à partir de ce moment ce geste est le bon, que sur cette psychologie là c’est cette manière d’agir qui sera vraiment efficace. Tout ça, c’est de l'entraînement, et il permet au novice de mieux savoir ce qu’il doit travailler.
C'est intéressant, je n’avais pas regardé le coaching sous cet angle là, mais c'est exactement ça. A travers son questionnement, le coach peut amener à reconstituer la scène, mettre en évidence la façon dont chacun s'est positionné, comment elles l’ont vécue, quelles sont les conclusions que le coaché peut en tirer, et cette mise en lumière verbalisée peut éclaircir des situations qui ont été plus ou moins conscientes, de manière à pouvoir ensuite prendre appui dessus, et progresser.
Oui, c’est pour cela que j'utilise la technique de l'entretien d'explicitation, parce que la difficulté est d'arriver à obtenir ces informations sans induire de réponse. Mais après tu arrives à des choses vraiment intéressantes, à des façons de se concentrer, à ce à quoi la personne prête attention, à connaître ses réactions.
Quand tu sais ce que tu cherches à détecter, que tu as défini ta cible attentionnelle, quand tu commences à dire « quand je remarque ça je réagis comme ça » en fait cela définit une façon de se concentrer : une perception – une action. Tu as totalement défini la façon dont tu te concentres, parce que tu as cet aspect coordonné de perception, d'action et d'intention.
"Dès l'instant où tu parles de réagir d'une certaine façon à certains éléments que tu perçois et pas d'autres, dans un but, en fait tu es en train de dire que tu te concentres d'une certaine façon."
Jean-Philippe Lachaux
C’est très général, cela s'applique à toute activité, et cela permet si on a perdu la partie, de remonter à la perception – réaction, et d'ajuster la réaction. L'intérêt c'est d'avancer vers quelque chose de plus de plus en plus pertinent.
On voit qu’il y a beaucoup de questions de volonté et d'entraînement, et finalement d'ouverture aussi parce qu'à partir du moment où on est en réception, il y a une forme d'ouverture et d'accueil à ce qui se passe. Quel est le rôle des émotions dans tout ça ?
Les émotions vont se situer à plusieurs niveaux. Les émotions peuvent être distractrices, ou alors il peut y avoir un véritable plaisir à être concentré. Je l'ai beaucoup vu, de nombreux sportifs m'ont rapporté qu’un état de connexion totale à leur activité est ce qu’ils préfèrent. Ce sont les meilleurs moments de leur vie. On peut dire que d'une certaine façon c'est très chargé positivement émotionnellement. Tu as l'impression de donner, ça peut aller loin ! Tu as l'impression de te dissoudre totalement dans ton activité, de ne plus exister toi comme étant séparé de ce que tu fais ou des gens autour de toi…, donc ça c'est quand même assez chouette.
Et puis les émotions peuvent aussi jouer un rôle totalement paralysant, notamment dès qu'il y a un enjeu assez fort. Il peut arriver que tu enrayes totalement tes automatismes parce que tu n’as plus le contrôle dessus. Tu repasses alors dans un mode qui est entièrement volontaire, entièrement basé sur des prises de décision. Tu attends d’être sûr que ce que tu vas faire est bien pour agir, et c'est totalement incompatible avec une action en temps réel, il faut aller vite, et c'est la catastrophe. Tu vas te crisper dans tous les sens. Ça c'est typiquement le stress, exemple d’effet négatif de l'émotion sur la concentration.
Certains me disent qu'ils ont tellement développé d'automatismes, qu’ils n’ont plus à se concentrer sur la technique et que finalement leur attention est plus sur le niveau de plaisir qu’ils ressentent à faire leur activité. Leur recherche est juste de se faire plaisir, à travers des sensations assez subtiles, de plaisir, de facilité. Par exemple en escalade, il va me parler de légèreté, de dynamisme, c’est là que se pose son intention et tout le reste se met en place.
Oui je vois, ce sont des sensations dont on sait qu’elles sont ultra-pertinentes pour la tâche, l’activité qu’on va réaliser. J'ai interviewé Antoine Albeau récemment, et on sent qu’il est sur cette sensation d'équilibre parfait entre la planche le vent et son corps, et que c'est une concentration pure sur ce sujet-là.
C'est ça, parce qu’il n’est plus sur tous les petits aspects techniques, il les connaît par cœur. En plus il semble y avoir une sorte d'antinomie entre stress et envie, plaisir : si tu as du plaisir à ce que tu fais, tu ne vas pas stresser et réciproquement.
"Le plaisir est un peu une sorte d'antidote au stress."
Jean-Philippe Lachaux
Par exemple si tu dois faire une conférence, que tu es un peu stressée et tout d'un coup tu penses au plaisir que tu as à expliquer quelque chose clairement et qui te paraît important à beaucoup de gens, que tu le vois comme une opportunité qui te tient à cœur, le stress va complètement passer au second plan.
Attention et volonté
Revenons sur ce sujet de la volonté que tu as abordé plusieurs fois, il m’a semblé y entendre une consonance un peu négative ?
Oui et non ! Si vraiment tu te laisses entièrement porter, sans contrôle il n’est pas sûr que tu arrives à bon port. La différence se fait entre volonté et volontarisme. La volonté est comme une sorte de cap, qui permet de prendre des décisions. Elle permet d'anticiper les conséquences, prendre un temps d'avance, envisager les conclusions des possibilités que tu envisages, objectiver, choisir. Mais ce temps n’est pas adapté à toutes les activités que l’on fait. C’est le temps de la stratégie, dans lequel la volonté va rentrer le plus en ligne de compte. C'est un temps long de construction. Et il y a le temps de l'action où on est plus dans un moment d'attention maximum.
C’est une question de niveau de contrôle sur nos automatismes. Ce qui est intéressant est de voir comment tu arrives à placer ton niveau de contrôle au bon niveau selon les situations, ni trop précis, ni trop large. Trouver ce niveau n'est pas forcément très facile, puisqu'il dépend de chaque situation dans laquelle on est, et il dépend beaucoup aussi du niveau de confiance que tu as en toi, dans tes automatismes. Si par exemple je bégayais, ou si j'avais tendance à dire plein de gros mots, je serais beaucoup plus en contrôle en ce moment sur chacun de mes mots. C'est parce que je sais que je suis capable en me laissant aller, d'avoir un niveau de langage assez clair et correct, que je me concentre plutôt sur l'idée. De la même façon, quelqu'un qui a été mis en échec récemment par son entourage va avoir tendance à être beaucoup plus dans le contrôle et beaucoup moins relâché, avec à la clé beaucoup plus de fatigue, et moins de fluidité et de réussite à un moment donné.
Apprendre à réguler son attention quand on est dirigeant d’entreprise pour ne pas s’épuiser
Y-a-t-il des principes de base que tu voudrais partager pour nos dirigeants, pour apprendre à réguler cela et avoir le bon niveau de concentration, d'attention selon l'enjeu, et pouvoir aller vers quelque chose de plus fluide et moins de fatigue ?
"Ce que nous disent les neurosciences, c'est que tous ces processus mentaux sont des processus biologiques qui eux aussi ont leur constante de temps."
Jean-Philippe Lachaux
Dans les activités essentiellement intellectuelles le problème est que l’on a un peu du mal à voir ce qu'on est capable de faire dans un temps donné, en termes de charge mentale, de charge cognitive, de charge de mémoire. On est assez mal à l'aise avec l'idée de se dire « je ne peux pas faire plus ». On pense que c'est une question de volonté, et que si on est assez volontaire et motivé on va pouvoir en faire 10 fois plus. En fait, ce que nous disent les neurosciences, c'est que tous ces processus mentaux sont des processus biologiques qui eux aussi ont leur constante de temps. C’est comme faire un mouvement, il n’est pas instantané, tu as des muscles à contracter. Je pense que c'est un apport essentiel des neurosciences, d’accepter le fait que tu puisses mettre un temps et tu puisses te mettre des limites. « Non je ne peux pas gérer plus de mails dans ce temps, je ne peux pas interagir avec plus de personnes dans une journée etc.. »
Comme on est dans une situation de compétition, dès que tu ralentis les autres te passent devant. Si tu ne fais pas cela, tu vas essayer de t'en mettre toujours plus, et la seule façon d'être sûr d'avoir fait ton maximum sera d'avoir été tout le temps en train de travailler. Tu te dis « de toute façon ma seule limite c'est l'épuisement, et je n’aurais pas pu en faire plus parce que je serais mort ». Je connais beaucoup de gens comme ça, qui occupent des positions de responsabilités et qui sont là-dedans. En fait, leur remède contre l'angoisse de ne pas avoir fait assez, de ne pas avoir été assez bon, est d’être tout le temps actif. Évidemment, ça mène au burn-out et autres dangers. On peut se dire à contrario « voilà, je fixe tant de temps et je vais simplement essayer d'être à mon meilleur pendant tout ce temps-là, et puis c'est tout. »
Cela passe aussi par d'autres pratiques, tu parlais du zen, mais aussi des pratiques de lâcher-prise ou d'attention corporelle qui permettent de ressentir à quel moment on est au maximum de ses capacités, et à quel moment on commence à être dans des états de de fatigue ou d'inconfort qui nécessitent une pause.
Oui, et tu veux le secret de l'efficacité ? Tout le temps que tu consacres à une activité, si tu es bien concentrée, que tu as une intention claire à chaque instant de ce que tu dois faire, tu ne peux pas être meilleure, ce n’est pas possible. Donc ça n’a pas d'utilité de se mettre une pression temporelle supplémentaire, de s'obliger à aller plus vite que son rythme habituel, tranquille, bien concentré, ou d'essayer de faire 2 tâches en même temps. Ça c'est important.
"Tout le temps que tu consacres à une activité, si tu es bien concentrée, que tu as une intention claire à chaque instant de ce que tu dois faire, tu ne peux pas être meilleure, ce n’est pas possible. Donc ça n’a pas d'utilité de se mettre une pression temporelle supplémentaire."
Jean-Philippe Lachaux
C'est un peu comme un coffre, si tu essayes de mettre plein de valises dedans pour que ça tienne, en fait ça ne sert pas à grand-chose. Il vaut mieux qu'elles soient bien rangées. Il faut juste veiller à son état de concentration, avec cette idée que ma concentration est bien posée sur une chose à la fois, calme, à chaque moment de ma vie professionnelle. Et quand j'arrête, j’arrête. Ça permet d'être plus à l'aise, parce que sinon les alternatives sont d'essayer d'en faire le plus possible pour ne pas s'en vouloir, et je ne suis pas sûr que cette pression temporelle folle soit efficace, ni pour soi, ni d'ailleurs pour ses collaborateurs.
La relation entre attention et sensations corporelles
Il me semble que c’est pour cela aussi qu’il est important d’être pleinement dans son corps, associé, en être qu’être humain biologique, et de ne pas rester dans sa tête ?
Effectivement, quand on est dissocié les sensations corporelles sont en fait plus des gênes qu'autre chose, et dans du travail intellectuel on a vite fait d'accumuler plein de petites crispations qui vont créer de la fatigue si on ne veille pas régulièrement à faire un petit check, à les détendre.
Dans le cerveau la distinction entre le cognitif et le corporel n’est pas si claire, parce tu ne vois pas si ce neurone contrôle un muscle ou s’il est en train de faire un calcul mental. Par exemple, pour des calculs assez compliqués, je sais qu'il y a des matheux qui utilisent leur corps pour la représentation de l'espace, pour voir des impressions de quantité. Leurs actions mentales et les actions du corps sont complètement liées.
Ce lien corps-esprit n’est pas encore très bien étudié. On sait que dans le cerveau il y a une structure cérébrale qui s'appelle l'insula dans laquelle arrive tous les ressentis corporels. C'est une sorte de tableau de bord qui te dit comment tu te sens. Il se trouve que l'insula s'intéresse aussi aux activités simulées c'est-à-dire à « l’envie de », ou à « l’idée de ». Par exemple, j'ai des copies à corriger, ça ne m'est jamais arrivé, et rien que d'y penser j'ai une sorte de petite sensation d'asphyxie, de dégoût. En fait mon insula va utiliser des sensations corporelles pour me dire de ne pas le faire. Elle va créer tout un petit paysage mental, qui dit oui ou non aux choses, et évidemment dans une journée plus tu fais de choses où ton insula a dessiné quelque chose de défavorable, plus tu vas avoir l'impression de passer une journée dégueulasse.
L'idée est d'arriver à se familiariser avec ces sensations-là, de prendre un petit recul par rapport à ça, et peut-être justement d’aller agir directement sur le corps à ce moment-là. Si effectivement mon insula essaye de me faire comprendre par une asphyxie qu’il ne faut pas que je le fasse, on va commencer en allant respirer. On a quand même des moyens de commencer à réfléchir sur le corps à partir des neurosciences.
Avec la pratique du zen, tu vois très clairement des tas de choses qui circulent dans le corps. Tu vois comment dans un travail très intellectuel des choses vont aller monter dans la tête, se coaguler là, bouger de façon plus fluide, ou créer cette impression de pesanteur, de lourdeur, ou d'obscurité, et tu peux le refluidifier. Tu vas apprendre à le faire circuler, c'est complètement corporel.
En neurosciences on parle aussi de synesthésie. Une synesthésie c'est quand tu prends un phénomène qui est dans un domaine sensoriel, que tu as reçu une certaine façon, et que tu lui ajoutes une autre dimension sensorielle. Par exemple, c'est quelqu'un qui va percevoir des notes de musique comme des couleurs. Tu as beaucoup de synesthésies qui apparaissent, et notamment de choses qui sont plutôt corporelles. Une pensée qui va apparaître, et être ressentie comme étant localisé dans l'espace à un certain endroit devant toi par exemple, qui va avoir une certaine densité, une sorte de lourdeur, qui peut avoir un goût, une odeur… Ce sont des choses qui sont présentes à l'état latent dans le cerveau parce que le cerveau n’arrête pas de retracer les modalités sensorielles, et tu vas finir par te rendre sensible à ces dimensions-là qui accompagnent des choses purement mentales.
Elles finiront par te servir de petits marqueurs que tu scotches sur une idée, comme des petites poignées sur lesquelles tu peux jouer au cerf-volant pour aller recontrôler ta pensée, l’amener ailleurs, ou éviter que ton attention reste engluée à un endroit. Ces synesthésies ne sont pas innées. Elles viennent, et tu apprends à les renforcer.
Jean-Philippe Lachaux, ses projets d'avenir
Comment pratiques-tu le zen ?
Je le pratique au quotidien une bonne heure formelle, et puis après dès que je peux dans la journée j'essaie de le faire de façon un peu informelle. Si j'ai à marcher par exemple, j’essaye de caser de la méditation dessus, pour essayer d'avoir une bonne partie de la journée dans un état proche de la méditation.
Peux-tu nous parler du programme AtOle « attentif à l'école » ? J’ai lu que tu l’avais créé pour organiser « une certaine forme de résistance » ?
C'est effectivement ce que je dis aux professeurs : vous essayez de contrôler 25 – 30 cerveaux, ce n’est pas possible. Un cerveau ne peut pas en contrôler 25 ou 30, il faut se partager le travail, et donc que les élèves prennent leur part de travail dans le fait qu’il y ait une connexion attentive entre l'enseignant et les élèves. Au passage cela permet d'éduquer les enfants sur ce qu’est l’attention, ses limites, comment elle peut être manipulée, comment on peut perdre le contrôle etc... Quand ils arrivent en 6è – 5è et que le téléphone débarque, ils sont alors un peu prévenus, et ils peuvent être plus en contrôle de leur attention, et avoir des intentions, plutôt que de l'utiliser juste parce que c'est rigolo et comme un doudou. Donc oui, c'est un peu une forme de résistance face à cette armada numérique qui par ailleurs propose plein de trucs géniaux, mais il faut que les enfants soient capables de décider vraiment de ce qu'ils veulent en faire.
Très concrètement on intègre des interventions dans la vie de classe. Une moitié du programme est basée sur la compréhension du fonctionnement du cerveau, les forces de l'attention, ce qu’est une intention etc.., et l'autre partie est composée de stratégies cognitives. Par exemple bien être capable de définir sa cible attentionnelle : le fait que quand tu veux être attentif il faut déjà savoir à quoi tu dois être attentif. Ou comment être attentif sur des tâches complexes : tu pourrais être perdu dans plein d'intentions en même temps, qui rendent impossible de se concentrer ? Tu ramènes cela à une suite d'étapes simples avec une intention claire.
Je souhaite à travers ces outils leur apprendre à développer ce que j'appelle un sens de l'équilibre attentionnel. On est vraiment proche de ce dont on parlait, remarquer les mouvements de l'attention, ramener l'attention qui se laisse capter « top, je la ramène tout de suite avant que ce soit trop tard » etc… En fait je développe leur capacité à se restabiliser au quotidien pendant la classe, un peu comme un surf attentionnel avec les vagues de distracteurs ☺
Ça marche pas mal, il y a plusieurs dizaines de milliers d'enseignants qui s'intéressent au programme et l’utilisent, ça doit toucher beaucoup d'enfants finalement.
Quelle est ta quête ?
Au niveau sociétal, j’aimerais refaire de l'attention une vraie valeur, qu’elle soit remise au premier plan.
Si on repense à toute cette période de débat sur la réforme des retraites, on voit que beaucoup de problèmes portaient sur le sens donné à son travail « quelle est ma récompense finalement, pourquoi je travaille, qu'est-ce qu'on me donne en échange - tant d'argent, tel avantage… ». En fait c'est forcément conflictuel, parce que tu peux toujours te dire que ce n'est pas assez. Cela génère de l'insatisfaction si tu ne doubles pas à un moment donné ce rapport transactionnel par une satisfaction que tu trouves à l'activité elle-même, au plaisir de la faire. C'est ce qui est intéressant justement dans le sport de haut niveau. Si tu prends le tir à l’arc, c'est répétitif, c'est pénible, c’est dur, mais ils ont réussi à en faire une voie de de développement de l'attention, et ils ont complètement retourné le truc pour en faire un espace dans lequel ils vont trouver une récompense intrinsèque.
C’est un état d'esprit, et il n’y a aucune raison que ça ne puisse pas s'appliquer à tous les métiers. Si on arrive à ça à travers une éducation de l'attention, on a une société qui est extrêmement pacifiée, parce que les gens ne sont plus à se demander en permanence s’ils ne donnent pas trop par rapport à ce qu'on leur rend. Il ne s'agit pas que des gens soient exploités, mais qu'il y ait un rapport un peu moins conflictuel au travail, et d’être bien dans ce que l’on fait.
Quel est le dernier message que tu voudrais à passer à ceux qui nous lisent ?
Si ceux qui nous lisent sont des personnes en position hiérarchique supérieure, je voudrais leur dire de vraiment soigner l'attention de leurs collaborateurs, de simplement s'assurer que ces gens sont dans des conditions qui leur permettent d'avoir cette concentration douce, tranquille, posée, une chose à la fois, sans pression temporelle excessive. Dans une entreprise, je pense que c'est ça qui peut créer un climat très positif. Quand je vais voir des gens dans des organisations, ils me disent « J'aimerais bien pouvoir travailler à ce rythme-là, focaliser sur mon état plutôt que sur la rapidité, mais en fait j'ai quelques contraintes qui viennent d'en haut et qui m'empêchent de le développer. » Ça demande une culture d'entreprise où l'attention est respectée, où tu ne reçois pas en permanence des alertes ou des messages auxquels tu dois répondre dans les 4 secondes, parce que c’est plus important que tout, parce que c'est ton boss qui attend une réponse dans les 5 secondes.
Je recommanderais de protéger l'attention de ses collaborateurs, et de la respecter.
Caroline Pailloux est la fondatrice d'Ignition Program. Son approche du recrutement est basée sur une expertise RH éprouvée et outillée, qui renforce l’alignement des individus avec les organisations.
Pour Caroline, " l’épanouissement personnel et la réussite économique peuvent devenir des leviers pour accompagner un changement profond au service de missions plus collectives et utiles à tous."
Dans cette interview, Caroline évoque le déclic qui lui a permis de monter son entreprise, ses valeurs, ses motivations, ce qui lui donne de l'énergie au quotidien. Depuis le milieu des ressources humaines, Caroline observe les mutations du monde du travail, notamment dans les startups, et nous en livre sa lecture. Elle développe également sa vision du management, du leadership et de l'entrepreneuriat.
Interview réalisée le 21/04/2023 par Thérèse Lemarchand, CEO Mainpaces
L'étincelle qui fait naître un projet professionnel en accord avec ses propres valeurs
Bonjour Caroline, tu as 41 ans, tu es CEO et fondatrice d’Ignition Program dont tu vas bientôt fêter les 10 ans, mère de 4 garçons, et nous avons également la chance de t’avoir au Conseil Scientifique de Mainpaces, peux-tu nous parler des pivots clés qui t’ont amenée là ?
Je me rappelle un moment important où à 8 ans je me suis dit en quelque sorte que le bonheur se décide, et qu’il faut s’en donner les moyens. Je pense que ça a conditionné le projet que je fais aujourd’hui.
J’ai eu l’envie de travailler dans l’hôtellerie, je trouvais que cela développait une attention à mettre en place ce qui permet à des personnes d’être heureux dans un espace donné, en particulier via le beau. Je me suis lancée dans cette voie, et j’ai fait du conseil et un MBA en hôtellerie. J’y ai découvert pleins d’éléments qui ne me convenaient pas, et en particulier une forme d’organisation très processée et « militaire » du secteur. J’ai réalisé que l’on pouvait rêver sur quelque chose, et se tromper sur ce que cela pouvait nous apporter, et j’ai pu pivoter pour aller vers quelque chose qui me convenait mieux.
Le besoin fondamental de liberté qui s’est exprimé à ce moment-là a participé au fait que l’on ait aujourd’hui un management plutôt libéré chez Ignition Program.
J’ai continué à monter en compétences dans le conseil, et rêver d’un futur dans lequel je pourrais être actrice, et un jour un ami m’a partagé un projet américain – Venture For America. Ça a créé l’étincelle à l’origine d’Ignition Program. L’idée forte était de s’adresser aux talents, et de leur ouvrir un accès à ce qui est essentiel pour se faire une vie professionnelle riche, comme une nouvelle forme de compagnonnage, avec
un job dans lequel ils s’épanouiront en termes d’équipe et de contenu – nous facilitons leur recrutement
de la formation pour progresser, se mettre à niveau
un vrai réseau de personnes qui les font grandir et qu’ils font grandir, avec de la récurrence et des rituels. Aujourd’hui notre réseau B to C s’est bien développé, mais on peut faire encore plus. Notre réseau B to B, qui est incarné à travers le Club Bootstrap est très fort, et repose sur un socle commun de valeurs qui permet aux membres de créer des liens communs affectifs qui sont faciles à entretenir. Il faut qu’il y ait du plaisir !
Et en y repensant, le fait que j’aie eu 2 enfants a été déterminant pour me lancer à monter ma boite. C’est la responsabilité la plus importante qui soit ! Cela a généré beaucoup de confiance en moi, et m’a ouvert cette capacité à agir seule, que je n’avais pas eue auparavant.
Qu’est-ce qui te donne de l’énergie dans ton quotidien d’entrepreneuse ?
Sans hésiter, tout d’abord le Fun et mon équipe !
Lucas mon associé a dans ses missions de vie de rire et de s’amuser. Moi c’est dans mon caractère. Notre rencontre a été déterminante, à lui plus moi nous sommes une équipe de joyeux drilles, et on s’amuse. Mon moteur permanent pour Ignition est de proposer une expérience de travail à mes collaborateurs qui soit épanouissante et source de joie.
Ce qui nourrit mon énergie sont toujours des moments avec des gens clés, avec mon bébé, mes enfants ou mon mari, avec un entrepreneur avec qui j’ai une vraie discussion. Ces moments de partage avec des gens qui me sont chers ou avec lesquels se crée une connexion me donnent une énergie fondamentale. Je travaille avec beaucoup de gens qui ont besoin de grandir, et moi aussi. Ce sont des échanges qui me stimulent.
Cette semaine par exemple j’avais une énergie de dingue, j’ai peu dormi mais ça allait. Je sais très bien qu’à l’origine de cela est cette séance de coaching que nous avons fait avec Lucas. Nous prenons tous les deux mois un temps de recul et d’alignement pour notre relation d’associés, c’est un booster formidable pour tous les deux.
Je suis une empathique au sens du modèle Process communication. Il y a un lien entre le rapport aux autres, et l’énergie dans le soin de moi. Je suis très sensitive. Nager, prendre le soleil, faire des massages et me reconnecter à moi-même, me régénèrent.
Qu’est-ce que tu as eu de plus difficile à dépasser dans toute cette partie de carrière ?
La première fois que j’ai vu souffrir dans l’entreprise, par ma faute, quelqu’un pour qui j’avais énormément d’amitié, a été le deuil le plus gros à faire. Cela a ancré dans ma chair que même dans un cadre attentivement posé pour être plus heureux il peut y avoir de la souffrance. J’ai compris également que chacun portait sa part de l’écharpe. Je le savais en théorie, mais là je l’ai imprimé, et j’ai réalisé qu’il y avait des moments où cela ne m’appartenait pas de le décider. C’est malheureux, mais ça ne me détruit pas, alors qu’une entreprise dans laquelle tout le monde s’ennuierait un peu serait pour moi impossible à vivre.
Nos missions de vie sont toutes issues d’un pattern où l’on essaye de sauver quelque chose, d’atteindre quelque chose, de prouver quelque chose, et qui nous poussent à mettre en place des stratégies plus ou moins conscientes. J’ai été confrontée très jeune à des enjeux de dépression très proches de moi qui m’ont amenée à cette quête de bonheur. Je sais maintenant que même dans l’espace dans lequel j’ai le plus de contrôle il y avait une forme de deuil à faire. C’est très sain, cela m’a obligé à passer à l’étape d’après.
Progresser grâce au coaching
Tu as fait récemment un parcours de coaching Mainpaces, qu’est-ce qu’il t’a apporté d’essentiel ?
Ce que je trouve de tout à fait remarquable chez Mainpaces est ce lien corps – esprit. Il existe beaucoup de disciplines qui permettent de progresser, et ce n’est pas toujours facile de s’y retrouver tout seul. Ce qui est particulièrement efficace et percutant ici est de les utiliser dans une unité de temps au profit du même objectif. Je l’ai vécu, c’est extrêmement puissant. J’ai par ailleurs découvert des disciplines que je ne connaissais pas, et j’ai été bluffée par certaines séances.
Enfin, j’ai fait un apprentissage un peu personnel dans mon parcours. J’avais un sujet qui me préoccupait particulièrement, mais qui ne me paraissait pas relié à mes enjeux professionnels. Mon coach m’a posé la question de la façon dont je le gèrerais si c’était pro. J’ai pu le regarder différemment, et trouver une solution pour résoudre cette situation qui ne me convenait pas, qui en l’occurrence est passée par l’utilisation de l’écrit.
On a résolu ce problème spécifique, et cela m’a donné énormément de perspectives sur les interférences entre le pro et le perso, d’un côté sur la façon dont je pouvais compliquer des interactions personnelles, et côté pro pour mieux percevoir une zone de force et une zone de faiblesse, et m’appuyer sur mes forces.
Le travail en mutation : impact, quête de sens et générations
Tu es au cœur de l’évolution des organisations professionnelles depuis 10 ans à travers les besoins RH qu’elles expriment, comment les as-tu vu évoluer … ?
Pendant 50 ans il y a eu une grosse vague de fond qui reposait sur « je vais travailler parce qu’il faut et c’est mon rôle dans la société ». Il y avait beaucoup de « il faut que ». Et puis il s’est opéré une espèce de retournement avec une montée de l’individualisme, et une quête de bonheur personnel qui prenait le pas sur le reste.
Je crois que l’on commence à se rendre compte que le travail ne peut pas y répondre dans l’absolu, si on n’y réinsère pas notre utilité pour la société. On commence à se demander comment on peut être utile à quelque chose qui est important pour nous. C’est la mutation qui est en train de se passer, c’est une lame de fonds que je ressens très fort. Elle se traduit dans cette « quête de sens », et dans la volonté d’avoir de l’impact. C'est ce qu'on appelle le fairfillment[1] chez ignition program, passer de la raison d’être à la raison d’agir, du fulfillment (épanouissement strictement individuel) au fairfillment (épanouissement au service d’une mission collective plus large et juste).
Avoir de l’impact est très large, et touche toutes les tailles d’entreprises. Penser le monde et sa propre contribution en termes durables doit permettre de remettre en perspective le rôle que nous avons à jouer dans tout ça, et me ré-enthousiasme.
Est-ce que tu as l’impression que les esprits sont plus ouverts sur les manières de travailler, et vois-tu une sorte de paix entre les générations se dessiner entre des formes d’autorités dépassées et un jeunisme angélique ?
En période de crise il y a une synchronisation des besoins entre les jeunes et les plus âgés sur les besoins sociaux primaires : le salaire, la perspective d’évolution, l’équipe.
Les jeunes au début de leur carrière professionnelle ont de gros enjeux. Ils ont besoin d’être accompagnés, d’avoir un cadre et du temps pour progresser. L’individualisme dont on parlait, associé à une certaine culture du zapping ne le permet pas. Il faut en moyenne 3 à 5 ans pour se créer un socle de compétences sur un poste.
On a eu également des mouvements de balanciers, la startup nation, avec une sur-valorisation des personnes qui avaient plutôt la trentaine. Recruter et manager des gens plus expérimentés qu’eux a été une étape de vie compliquée qui a généré une fracture assez forte.
Aujourd’hui c’est encore difficile dans le monde du digital et des startups et scale-ups de recruter des personnes qui ont plus de 40 ans. Pour les plus de 50 ans c’est vraiment très compliqué. Notre enjeu est d’expliciter ce que quelqu’un de plus expérimenté et de plus cher apporte, et en conséquence de faire les bonnes fiches de poste pour ces personnes-là, dans un monde qui évolue très vite.
On peut avoir les mêmes objectifs, mais pas forcément le même dispositif. Pour prendre un exemple, dans un dispositif marketing qui a 3 postes ouverts, on peut être amené à proposer quelque chose qui pourrait être plus efficace sur 2 postes, avec une personne expérimentée et une personne plus jeune.
On se tourne également vers des formats avec des CDI à temps très partiel, parfois une demi-journée par semaine dans une entreprise, sur des axes qui demandent des prises de décisions fortes comme la trajectoire, ou le management de projet. Pour développer des certitudes, il faut de l’expérience professionnelles et avoir vécu beaucoup de situations. C’est l’atout des plus âgés pour les jeunes, ils répondent à cette angoisse du lendemain et ce besoin de boule de cristal.Ils leur montrent que l’on peut agir sans faire une quantité d’études et hyper-rationnaliser. Certains chiffres sont utiles et d’autres non. L’expérience vécue développe des repères, des croyances, qui permettent d’avancer plus vite et de ne pas changer d’opinion tout le temps. D’ailleurs le coaching est également utile pour cela, pour mieux discerner, comprendre ce qui se joue, s’autoriser et décider.
Management, leadership et entrepreneuriat
Qu’attends-tu de tes collaborateurs ?
J’attends d’eux qu’ils soient utiles par leur travail au monde et à eux-mêmes, et qu’en termes d’état d’esprit ils aient de la légèreté dans la profondeur. Qu’ils soient à la fois capables de la plus grande légèreté, et du plus grand alignement sur la compréhension de ce qu’ils sont, de ce sur quoi ils interagissent, en développant la connaissance de soi et de l’autre, du respect et une forme de connexion.
J’aime créer des tribus, je ne peux pas le forcer, mais au fond je n’ai embauché que des gens pour qui c’est important et qui savent le faire.
Et pour les entrepreneurs, quelles sont aujourd’hui les qualités essentielles pour toi pour développer un leadership éclairé ?
Pour les entrepreneurs, ce qui compte c’est une colonne vertébrale extrêmement alignée et solide sur sa mission, y compris dans ses grains de folie. Toutes les boites que je vois qui fonctionnent bien créent quelque chose qui est un peu disruptif et vécu comme tel par l’entrepreneur pour qui c’est impératif, il faut que ça existe. Il y a forcément un peu de folie là-dedans, s’il n’y avait que de la logique et du rationnel, il y aurait déjà du monde dessus.
Pour moi, quand tu crées une offre il faut qu’il y ait des gens qui te disent que ça ne sera pas possible. Il y a quelque chose de dissonant par rapport à la logique, mais de totalement censé, intégré, et vertical pour l’entrepreneur. Si on reprend l’exemple d’Ignition et de ses communautés, tout le monde m’avait dit que ce n’était pas rationnel, que c’était extrêmement difficiles à monter... et néanmoins le succès d’Ignition program repose en partie là-dessus. Idem pour les entretiens trop longs ! En théorie c’est une improductivité majeure, en pratique ça fait qu’on existe, le reste les autres le font déjà.
Il s’agit de bien comprendre dans son irrationnel ce qui fait partie de sa colonne vertébrale et ce qui n’en fait pas partie, ce qui est vraiment essentiel et ce qui l’est moins. Le premier on arrivera à le transmettre. Le reste il faut savoir le lâcher, et savoir distinguer pourquoi on s’accroche.
Quel est le dernier message que tu voudrais passer à ceux qui nous lisent ?
Une fois que j’ai été lancée, un coach m’a dit « tu es comme Christophe Colomb, tu n’as plus assez de vivres pour faire marche arrière, donc profite de la croisière ». Profitez-bien !
Jean-Louis Étienne est un médecin et explorateur français. Il est connu pour ses expéditions en Arctique – il a été le premier homme à atteindre le pôle Nord en solitaire en 1986 – et en Antarctique, notamment la Transantarctica réalisée en 1989-1990.
Dans cette interview, Jean-Louis Étienne nous partage les éléments essentiels qui ont constitué son formidable moteur, et ses capacités de ressourcement. C'est l'aventure intime d'une vie passée à se réaliser, et à embarquer avec soi individus et organisations dans la découverte de notre environnement, et de ce qui fait notre socle vital.
« Oser, c’est engager son imaginaire au-delà des certitudes »
Interview réalisée le 05/04/2023 par Thérèse Lemarchand, CEO Mainpaces
Le parcours de Jean-Louis Étienne, de médecin à explorateur
Bonjour Jean-Louis, vous avez un parcours singulier, ayant débuté par une formation de tourneur-fraiseur avant de faire médecine. Après un internat en chirurgie, une spécialité de nutrition et de biologie du sport, vous mettez vos compétences de médecin au service d’un rêve : explorer, arpenter le monde.
D’où est né ce lien entre la médecine et l’exploration ?
Depuis tout jeune j’aimais vivre dehors, dormir dehors, imaginer des expéditions. A 14 ans, j’avais déjà dressé une liste de matériel pour aller camper dans les Pyrénées en hiver. Pourquoi en hiver ? Pourquoi seul ? J’adorais la nature. Je partais seul, souvent, dormir quelque part dans les collines du Tarn, je n’étais pas loin mais j’étais en expédition. C’était surtout la montagne qui me plaisait, mes héros étaient les grands alpinistes, je m’immergeais dans leurs ascensions.
La médecine m’a ouvert la voie des expéditions, je pouvais y proposer mes services. J’ai d’abord embarqué avec le père Jaouen et ses jeunes toxicomanes sur le Bel Espoir, puis avec Eric Tabarly. J’ai été 12 ans médecin d’expédition, et j’ai fait beaucoup d’expéditions en haute montagne.
J’ai découvert dans l’Himalaya une façon de se nourrir qui n’était pas équilibrée, je me rappelle le saucisson au K2 ... J’ai fait un DESS de nutrition et génie alimentaire (transformation des aliments), et mon mémoire de DESS a été « La nutrition en expédition », que j’ai ensuite renforcé pour les pôles. J’avais décidé d’aller au pôle Nord à un moment donné.
Cela m’a permis de creuser les contraintes d’apport calorique pour le froid et l’effort et la nécessité de porter sa nourriture, et d’étudier en profondeur la possibilité de maintenir un équilibre nutritionnel avec la recherche d’aliments légers.
Qu’est-ce que ces explorations à travers le monde vous ont appris sur l’être humain, en tant qu’être biologique et vivant ?
Le corps a une capacité de régulation qu’on a du mal à appréhender. Avant de partir au Pôle Nord il fallait que j’approfondisse ma capacité de thermorégulation au froid.
Je suis allé faire des tests à l’hôpital militaire de Lyon avec le service qui travaille avec les chasseurs alpins. Je suis resté allongé deux heures dans une pièce à +1°C, et un ventilateur produisant un vent artificiel à 0,8 m/s pour accélérer mon refroidissement. J’avais des capteurs partout, sur le bout des doigts, sur le corps, pour mesurer en particulier ma consommation d’oxygène, j’étais totalement nu. Pendant 2h, j’ai beaucoup tremblé, j’ai beaucoup dépensé d’énergie. C’était très pénible.
Il faut savoir que les tremblements sont des contractions musculaires automatiques qui visent à produire de la chaleur. Le rendement énergétique de notre machine musculaire est très mauvais, c’est le même que celui d’un moteur à explosion. Seulement 25% de l’énergie engagée produit du mouvement, le reste est de la chaleur. Pendant les tests au froid, on mobilise toute l’activité métabolique pour produire de la chaleur. Durant ces 2h d’expérience, ma température centrale était restée à 37°, mes températures périphériques étaient descendues à 8°, à partir du genou, et des bras.
J’ai refait ces tests après mes 63 jours au pôle Nord, pendant lesquels la température extérieure avait varié de -52°C à -18°C. J’ai beaucoup moins consommé d’énergie, beaucoup moins tremblé. Ma température centrale s’est tout de suite abaissée à 35,5°C, ce qui serait pour moi aujourd’hui le début d’un coma hypothermique.
Tout corps qui passe du temps au froid va mettre en place cette forme de régulation. Le corps est d’une intelligence adaptative remarquable, et j’ai pu l’observer tout au long de mes expéditions, et sur de multiples paramètres comme l’hypoxie d’altitude.
Source : https://jeanlouisetienne.com
Jean-Louis Étienne, aller au bout de ses projets : entre envie, apprentissage et audace
Vous vous êtes beaucoup préparé pour parvenir à réaliser ces exploits, et en particulier de grandes premières en solitaire - le 14 mai 1986, Jean-Louis Etienne est le premier homme à atteindre le pôle Nord en solitaire, tirant lui-même son traîneau pendant 63 jours. Qu’est-ce qui vous a également accompagné pour la réussite de ces projets ?
L’expédition est une entreprise technologique extrêmement précise et complète, il faut optimiser le matériel – avoir le traineau le mieux adapté possible, identifier le bon type de réchaud, trouver des financements, créer une structure, rassembler des personnes qui vont nourrir le projet dans le bon sens.
Il faut avancer toutes les antennes dehors, capter ce qui va enrichir, apporter une solution.
Mais c’est l’envie qui vous guide, la détermination, c’est le moteur principal de tout. Je souligne toujours l’envie au sens de quelque chose qui est profond, qui est précieux. Il s’est passé quelque chose en vous, c’est chimique, c’est comme une rencontre amoureuse. L’envie est un support, c’est solide, et c’est quelque chose qu’il faut entretenir.
Enfin il y a le fun, et chaque voie qui vous satisfait en fait partie. Le fun permet de dépasser toutes les complications.
Quand je suis parti au pôle Nord, il n’y avait que 4 finlandais qui avaient réussi 2 ans avant moi en tirant leur traineau. On part du Nord du canada, le gars de la dernière base m’a vu arriver et m’a donné 1% de chance de réussite. J’ai échoué une première fois en 85. Puis je suis revenu l’année suivante mieux préparé, avec du matériel amélioré. La construction technique est à chaque fois une avancée. Quand il m’a revu ainsi que mon matériel, il m’a dit « toi tu reviens, tu es mieux équipé, allez, je double ta chance de réussir, je te donne 2% ».
C’était fou, c’était hyper dangereux. Mais je n’allais pas là-bas pour risquer ma vie, mais pour la réaliser, cela n’a rien à voir. Si on regarde la peur de l’existence, chaque mouvement est un risque, comme vous quand vous faites du vélo à Paris. Il faut beaucoup de concentration pour cela. Je retiens de votre parcours qu’à plusieurs moments vous avez eu cette envie, qui vous a poussé à agir, et à créer votre entreprise. C’est important pour votre histoire, c’est ça qu’il faut construire.
L’envie est le moteur principal, et il faut résister à la tentation de l’abandon. On ne repousse pas ses limites, on se découvre, et il y a des récompenses dans la solution.
Que vous a encore appris le pôle ?
Le pôle Nord est un choc colossal. Il n’y a aucune référence à l’humain, vous êtes sur une autre planète, c’est un océan gelé. J’étais seul, j’étais hyper seul, il n’y avait pas de téléphone, de GPS, je naviguais au soleil. J’y ai découvert une intensité dans la solitude que je ne connaissais pas, quasi mystique.
C’est une mer gelée sur 2 m d’épaisseur, avec un courant et du vent qui déplacent la banquise depuis le détroit de Béring au Nord du Canada. C’est un chaos, ce sont des blocs de glace qui se chevauchent et forment des murailles 5 – 6 – 7m de hauteur.
Source : https://jeanlouisetienne.com
Je suis parti début mars pour avoir suffisamment de lumière pour pouvoir avancer. Les 8 premières heures de marche j’étais exténué, et je n’avais fait que 8km à travers ce chaos de glace. Les 200 premiers km sont infernaux, on a toutes les raisons d’abandonner. J’étais réveillé par le froid, -52°C, -45°C, -47°C sur mon journal de bord, j’étais en hypothermie.
Je me suis fait mal et j’ai dû renoncer. Je suis tombé dans un trou, je crois que ce trou était là pour me sauver. Je n’étais pas prêt. Je suis revenu, et j’ai appris.
Vous n’aviez pas peur de repartir ?
Quand je suis revenu c’était le même choc. Quand vous arrivez en petit avion et que vous voyez ce chaos de glace... Mais je me suis dit « je vais faire ce que je peux ».
Je voulais aller au pôle Nord, je savais qu’il y avait des dangers. J’avais fait beaucoup d’escalade – vous n’avez pas grand-chose au bout des doigts, d’expéditions en Himalaya. L’Himalaya et ses avalanches ont un aspect imprévisible plus difficile que le pôle.
Au pôle Nord on maîtrise davantage. Il y a parfois de la glace jeune, la glace de mer qui est flexible – vous êtes seul, et vous savez que si vous passez à travers vous êtes morts. Mais vous apprenez à la traverser.
La peur indique que vous n'êtes pas prêt, et c'est l'intention qui guide
Jean-Louis Etienne
Je marchais 8h par jour non-stop jusqu’à 16h. Mais quand il y avait un obstacle, je voulais passer l’obstacle et dormir après l’obstacle. Je me rappelle un jour une fracture de la banquise qui était large, avec des courants. Je voyais cette glace qui se déplaçait, je ne pouvais pas la passer en amont. Je l’ai passée en aval, ça tenait, mes skis étaient légèrement entrainés, la dérive a duré 100 m, jusqu’à ce que je parvienne à débarquer sur la glace dure.
A l'arrivée, j'ai explosé de joie. C’est une récompense constructive, et en même temps c’était de l’audace, j’aurais pu disparaître. Mais j’étais plus concentré sur ma survie. D’une manière générale j’ai eu de la chance ! Mais l’envie, l’apprentissage, l’audace et les récompenses m’ont permis d’aller au bout de mes projets.
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J’étais essentiellement nourri par l’aspect outdoor. J’étais un super campeur, j’avais fait des bivouacs, connu des tempêtes en mer, et j’étais soutenu par cette idée que je pourrais toujours avoir une cabane dans un coin, avoir des poules et voir venir. Enfant j’étais timide, la nature était mon refuge, les oiseaux me tenaient compagnie. Très manuel, je m’occupais beaucoup de mes dix doigts, je réparais la mobylette de mon père, j’ai construit ma première guitare. J’ai toujours réfléchi à faire par moi-même. Mon exercice manuel m’a toujours rassuré sur ma capacité à vivre en autonomie.
Jean-Louis Étienne, autonomie et force du vivant
L’autonomie est centrale chez vous - vous avez écrit un livre manifeste “Osez l’autonomie !”, et en particulier l’autonomie émotionnelle, “pour ne pas être démunis dès qu’il se passe quelque chose. “ Que voudriez-vous dire d’essentiel sur ce sujet aujourd’hui ?
J’ai toujours été indépendant dans mes choix – je n’appartiens à aucune institution, à aucune entreprise autre que moi, j’ai toujours gardé la liberté d’inventer ma vie.
Source : https://jeanlouisetienne.com
Il faut s’alléger du poids des souvenirs. Nous avons habité aux Etats-Unis pendant 2 ans, les enfants étaient jeunes, et quand nous sommes rentrés nous avions un garage plein d’objets et de choses diverses. J’ai réalisé la difficulté de faire le tri parmi tous ces objets qui avaient chacun une histoire, une forme d'intérêt. Je faisais des piles. J’ai fini par faire trois voyages à la décharge pour tout y déposer, et chaque fois que je mettais un objet dans le conteneur, je renouais avec l’émotion qu’il m’avait un jour apportée, mais je n’avais plus besoin de la matière. Le jour où j’ai fermé le garage j’ai été soulagé, et je n’avais rien perdu.
Objets inanimés avez-vous donc une âme qui s’attache à notre âme et la force d’aimer ?
Lamartine
Peut-être l’objet déploie en vous un souvenir, mais l’objet n’a pas d’attachement à vous, comme ce réchaud -même s’il a assuré ma survie pendant 63 jours au pôle Nord.
Il faut remettre de la perspective, et laisser au vivant toute sa place. Prenez par exemple notre système nerveux autonome : comment le vivant est-il arrivé à une telle précision avec une telle complexité ? Qui est aux manettes de tout cela ? C’est une interrogation que j’adore.
On ne sait pas créer la vie, on ne sait pas faire du vivant à partir de la matière inerte. Toute naissance est issue de cellules préalablement vivantes. On a essayé en laboratoire de refaire le big bang, en mettant dans une éprouvette du calcium, du magnésium, du carbone, ... Au fond du tube, des protéines, les briques de l’architecture du corps, mais rien de vivant n’est apparu.
La complexité – le vivant dont la quête de l’orgasme, le désir sexuel, est un engagement pour se multiplier, tout cela m’apaise. Qu’est-ce qu’on se prend le chou ! On n’est rien dans cet univers, on a eu la chance que les conditions de vie sur cette terre nous aient permis de nous déployer, de nous inventer, et quelle m… on y met !
La magie du vivant m’apaise, on porte en nous cette magie. L’autre chose qui m’apaise est le ciel, on décide de faire une expédition ou pas, regardons le ciel. Est-ce que l’univers est dans une sphère, une boite, sans limite ? Cela me donne une forme de vertige.
Vous avez un mantra, “il faut persévérer”. Parfois en haute montagne la qualité d’un alpiniste est aussi de savoir faire demi-tour. Pouvez-vous développer ce que vous entendez par là, et nous dire à quel moment se fait la différence entre persévérance et acharnement, qui peut être vital ?
Dans la persévérance, le moteur principal reste l’envie, nourri par l’engagement. Quand son engagement ne remplit pas l’attente, il y a un abandon.
Souvent dans un projet qui vous tient à cœur, la persévérance consiste à traverser tout ce qui peut construire votre projet, ou ce qui peut détériorer votre envie. L’extérieur y est pour beaucoup aussi. Mon père, tailleur d’habits, ne croyait pas en la possibilité que je fasse médecine, et que la famille puisse le supporter financièrement. J’ai toujours été habitué à me débrouiller, et si je n’y arrive pas je vais chercher la solution. C’est une route permanente. De temps en temps on réussit ce que l’on voulait faire. C’est une récompense, et c’est aussi une libération, dans le sens où quand vous avez réalisé le désir, vous avez à nouveau la capacité à réinventer quelque chose.
Source : https://jeanlouisetienne.com
Il faudrait faire un stage de liberté, de créativité quelques années de sa vie, cela devrait être obligatoire de renouer avec une part d’autonomie ! On a des compétences que l’on ignore, et que le cantonnement ou les institutions ne permettent pas de développer.
Est-ce que cette magie du vivant et ces compétences encore inexprimées vous donnent de l’espérance pour l’avenir de la planète ?
L’avenir de la planète est compliqué, on est nombreux, il faut que tout le monde mange, il faut que tout le monde reste à 37°, et on est la civilisation carbone. C’est tellement extraordinaire les fossiles, le charbon - le pétrole - le gaz, et tout ce qu’apportent la chimie, la pétrochimie aujourd’hui y compris dans le domaine de la santé.
La solution est multifactorielle, elle est complexe, et je regrette que l’on ne traite dans l’actualité que la partie colère de la jeunesse, comme si nos dirigeants n’avaient pas compris qu’il fallait mettre sur « Off » depuis le temps qu’on le leur dit. On donne une idée que le politique est impuissant.
La transition va prendre du temps. Je n’ai qu’un message simple : « Soyez chacun d’entre vous un acteur ou un investisseur de la solution ». Je crois que les manifestations extrêmes avec de la violence nous éloignent de la mobilisation de tout le monde vers la solution.
Soyez chacun d’entre vous un acteur ou un investisseur de la solution.
Jean-Louis Étienne
On manque de pédagogie et d’encouragement du citoyen à participer. Il peut y avoir du fun partout, y compris dans le fait de faire ses lessives en fonction du soleil qui va les sécher gratuitement.
Les 30 glorieuses sont devant nous. Décarboner en 2050 est un challenge colossal, il n’y aura pas d’aspirateur à CO2. Il faut que la nature recapte le plus possible, et que nous émettions le moins possible.
Source : https://jeanlouisetienne.com
La solution est devant, elle est comportementale, et elle est technologique. Le solaire instantané, la biomasse, l’énergie hydroélectrique sont indispensables, mais il faut se rappeler que les énergies fossiles que l’on brûle et que l’on utilise de façon massive aujourd’hui sont de l’énergie solaire transformée pendant 250 millions d'années. Donc on court après le temps, et si on veut aller plus vite il faut avoir une hyperdensité énergétique qui est le nucléaire, en complément de toutes les modalités de réduction de la consommation.
Jean-Louis Étienne, se ressourcer, vivre ses rêves et ses émotions
Vous parlez du fun, des récompenses, quels sont vos espaces de ressourcement ?
Entretenir le fun passe par réussir dans ses projets, et trouver ses endroits de ressourcement qui remettent de la joie dans la vie. Moi qui ai toujours voulu être autonome et savoir compter sur mes dix doigts, Castorama est un de mes lieux de prédilection. Lundi dernier j’avais eu une journée fatigante, j’avais besoin de me distraire, j’y suis allé acheter des tubes de cuivre et je me suis fabriqué ce carillon à vent, qui est devant la fenêtre. J’aime l’entendre sonner.
Je ne suis pas inoxydable, j’ai aussi mes moments de faiblesse. J’ai des morceaux de musique fétiches qui renouent avec des moments heureux de ma vie. En général cela me fait pleurer d’émotion, et puis ça me remobilise.
L’écriture est également un moyen puissant pour cela, écrire l’émotion, chercher le mot juste, celui qui a une signification, qui résonne. La rencontre avec le premier iceberg au Groënland est un moment fugace. Quand vous trouvez le mot qui ramène cette musique-là, il va faire remonter une nostalgie de l’émotion qui est beaucoup plus forte que l’émotion instantanée que l’on a vécue. L’écriture est une revisite du passé avec une certaine nostalgie.
Aujourd’hui votre projet est le Polar Pod, une mission de 3 ans autour de l’Antarctique à bord d’une Station Océanographique Internationale inédite, pour l’étude du Courant Circumpolaire Antarctique - un acteur majeur du climat de la Terre et une immense réserve de biodiversité marine encore méconnue. Pourquoi est-ce essentiel ?
Le Polar Pod est un projet hors norme de la trempe des pionniers, une aventure humaine doublée d’un défi technologique, une exploration océanographique jamais réalisée qui fera date dans la découverte des océans.
C’est 40M€ de budget, cela fait 12 ans que je travaille dessus. Ce sont des engagements technologiques très professionnels car des chercheurs du CNRS et d’autres institutions vont venir à bord, avec une maîtrise d’œuvre d’Ifremer. J’en suis l’inventeur, le lien entre Ifremer et le chantier, et celui qui trouve les financements.
Quand vous faites un projet hors norme, la difficulté est de faire évoluer la norme pour faire en sorte qu’elle devienne suffisamment flexible sans tordre le droit. Alors de temps en temps je suis l’empoisonneur de service, et de temps en temps l’inventeur génial. L’audace commence au-delà de la frontière où vous amène l’expert. L’expert est garant de la norme.
Faire ce lien entre la norme et hors norme, assurer une flexibilité maîtrisée, c’est tout l’enjeu de l’innovation du projet, et mon rôle en particulier.
Il faut réussir ce projet Polar Pod, et vous pouvez tous y contribuer à travers son financement, je cherche encore des mécènes – rencontrons-nous !
Quel dernier message voudriez-vous passer à ceux qui nous lisent ?
On ne repousse pas ses limites, on se découvre. Avancez, et terminez ce que vous entreprenez.
J’entends souvent des gens me dire « Il faudrait quand même que je marche, que je fasse un peu de sport… ». Mettez-vous dans un club de marche et faites la balade du dimanche ! Vous serez obligé de terminer la randonnée. Vous serez peut-être perclus de courbatures, fatigué, mais vous aurez réalisé ce pour quoi vous étiez parti.
Source : https://jeanlouisetienne.com
On ne peut pas se construire si on ne termine pas ce qui nous a mobilisé. C’est comme ça que l’on prend confiance en soi, et que l’on peut monter en audace.
Cela dépend également du niveau où l’on met le curseur de nos envies, et parfois on ronronne. Je suis très attaché à l’éducation, et à la formation professionnelle, beaucoup trop sous-estimée en France. J’y fais des interventions, je leur dis « Soyez ambitieux, voyez grand !N’écoutez pas ceux qui vous disent que vous ne pourrez pas y arriver. »
On ne peut pas se construire si on ne termine pas ce qui nous a mobilisé
Jean-Louis Étienne
Il faut voir dans la personne tout son potentiel de réalisation – mais il faut aussi la mettre en route, et c’est encore trop rare dans notre modèle éducatif. Lui dire « Ca c’est vraiment bien. Là tu peux encore travailler, mais à cet endroit-là c’est bien, tu peux développer ».
Il faut remettre le rêve à la surface, c’est ça qu’il faut entretenir.
Biographie de Jean-Louis Etienne
Source : https://jeanlouisetienne.com
Médecin spécialiste de nutrition et de biologie du sport, Jean-Louis Étienne a participé à de nombreuses expéditions en Himalaya, au Groenland, en Patagonie.
Infatigable défenseur de la planète, il a mené plusieurs expéditions à vocation pédagogique pour faire connaître les régions polaires et comprendre le rôle qu’elles jouent sur la vie et le climat de la terre. Et en avril 2010, il réussit la première traversée de l’océan arctique en ballon.
Il a été le premier homme à atteindre le pôle Nord en solitaire, et a réussi la plus longue traversée de l'Antarctique en traîneau à chiens : 6300 km.
Distinctions / Décorations
Docteur en médecine
Interne en chirurgie
Grand Officier de l’Ordre National du Mérite
Commandeur de la Légion d’Honneur
Membre de l’Académie des Technologies
Médaille d’or de la Société de Géographie
Fellow of the American Explorer Club
Fellow of the National Geographic Society
Ambassadeur des Pôles et de l'Océan à l'UICN
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Séverine Guerif a eu deux vie. L'une que l'on pourrait qualifier de "classique" avant 40 ans, que des insatisfactions professionnelles et des difficultés de santé viennent percuter. Séverine commence à s'entraîner en course, et réalise que ses temps sont hors du commun. Autodidacte, elle devient championne de France et championne du monde de duathlon sprint à plus de 40 ans.
" Je ne rêvais pas d'être championne du monde mais peut-être de toujours tirer le meilleur de moi et être positive. C’est cette soif de vie que je veux retrouver. Parfois on a oublié cela."
Dans cet article émouvant, Séverine partage son chemin de vie, son travail, ses victoires, et les découvertes qu’elle applique dans son entraînement, dans un corps à corps avec la maladie.
Interview réalisée le 30/09/2022 mise à jour le 24/032023 par Thérèse Lemarchand, CEO Mainpaces
Découvrir ses capacités sportives à 40 ans
Bonjour Séverine,
vous avez été championne de France de triathlon en 2020, et championne du monde de duathlon sprint en 2021 et 2022 en master 2 (5 km de course - 20 km vélo - 2,5 km de course à pied). Mais surtout votre carrière de sportive a débuté à 42 ans, et s’est déroulée dans des conditions difficiles.
Qu’est ce qui vous a amené à cet âge à ce résultat là ?
Mon aventure a commencé en 2017. A l’époque j’étais sportive loisir, je faisais 2-3 séances par semaine. Les années 2016 et 2017 ont été compliquées pour la famille. Je n’obtenais pas ce que je souhaitais en termes d’évolution de carrière. Mon conjoint a été atteint de la maladie de Lyme, et j’ai été hospitalisée pour une tumeur. En sortant, le chirurgien m’a dit “Si vous revenez au sport, revenez-y molo”.
J’ai regardé dans le dictionnaire je n’ai pas trouvé le mot molo. Je voulais me faire plaisir.
J’y suis allée avec curiosité, sans me fixer de limite, par l’écoute du corps et des sensations.
Fin 2017, mon conjoint (professeur agrégé d’EPS) a commencé à regarder mes résultats sportifs que je ne regardais pas moi-même, et a constaté que j’étais déjà dans le top 5 en duathlon sprint. Son regard a changé, il est sorti de sa maladie, et le sport est devenu pour nous un projet commun.
J’ai commencé un entraînement plus spécifique, et j’ai participé au championnat de France au printemps 2018. En 2019 je suis arrivée 6ème au championnat du monde, à 1mn du podium. La plus haute marche est devenue accessible. J’ai travaillé plus et mieux, et nous avons également inclus une approche plus stratégique avec un reporting de chaque concurrente, et en 2020 j’ai décroché l’impossible, la marche la plus haute.
Qu’est ce que ce résultat a changé pour vous ?
A partir de ce jour, plus rien n’a été comme avant. J’ai pris conscience du potentiel de ce que je pouvais mettre en place. En 2022, le 2ème titre que j’ai décroché n’a fait qu'accroître ma motivation.
A partir du moment où on réalise ce qui nous semblait impossible, rien n’est plus impossible.
J’ai réalisé l’importance de la détermination à réussir pour gagner, et je n’ai plus de doute pour la réussite. Mais j’ai aussi réalisé que ce n’est pas d’avoir gagné qui était important. Il fallait mettre en place le travail nécessaire, de la qualité de travail, et des bonnes actions, et c’est ça qui est aujourd'hui important pour moi.
Apprendre à se connaître soi-même, un cheminement
Avez-vous rencontré des difficultés en chemin ?
J’ai eu beaucoup d’autres difficultés personnelles. J’ai fait un burn-out professionnel, j’ai eu un cancer du sein, des blessures, des problèmes de vélo… J’avais envie de relever un défi personnel, et de démontrer qu’à plus de 40 ans, qui est normalement le début de baisse de performance physique, je pouvais utiliser le sport pour réussir dans quelque chose qui ne tenait qu’à moi. J’ai découvert que les embûches font partie de la réussite.
Ça a été mon chemin, et c’est devenu pour moi un terrain d’étude, de voir où mon corps, la performance, le mental pouvaient m’emmener. Ca reste l’inconnu. A la fin de mon traitement de radiothérapie, j’ai eu une grosse fatigue mentale et physique. J'ai dû arrêter la compétition pendant 4 mois à cause du nouveau traitement, je ne pouvais même plus marcher. Je reprends tout juste les courses et je viens de gagner Odysséa (course solidaire contre le cancer du sein). Je l’ai gagnée 8 mois après l'opération 🦀 et le jour des 18 ans de mon fils Mathis. Ça a été très symbolique pour moi.
J’accepte ça. Malgré tout ce qui peut arriver dans la vie, la façon dont on ressent ses ressources physiques et psychologiques, dont on s’entoure des bonnes personnes, positives, permet d’obtenir un résultat. Je vois ce qui m’arrive aujourd’hui de difficile comme une opportunité, comme un mal pour un bien.
Bien souvent on utilise la rage et les frustrations pour faire des choses, mais maintenant j’enlève toutes les frustrations pour aller plus loin. J’ai découvert que mon hyper-émotivité et mon hyper-activité faisaient partie de moi, et je les mets maintenant à profit de choses plus utiles et plus positives.
Qu’est-ce que ces difficultés, ces succès, et ce chemin vous ont encore appris ?
J’ai vécu une aventure humaine exceptionnelle. C’est ça qui me porte. Et grâce à ça je suis devenue meilleure humainement.
On prend et on donne à la fois. Je donne beaucoup, j’apprends à prendre ce que l’on m’offre et à remercier. Mon hyper-émotivité m'empêchait de partager mon émotion, j’avais peur de faire rentrer des personnes dans ma sphère personnelle, j’avais une énorme carapace. J’ai découvert qu’être hyper-émotif c’est aussi une chance, on ressent les choses, on se ressent soi-même. J’en retire une force maintenant, alors que je pensais que c’était une faiblesse.
Je me suis tellement cachée. Aujourd’hui je me réalise pleinement. Quelle erreur j’ai faite à vouloir devenir quelqu’un que je n’étais pas !
Cela me permet d’être porteuse de choses positives pour les autres, quand je partage avec eux mon expérience. Je vois des gens se mettre en action autour de moi, dans mon sillage. Trop de gens s’empêchent de se remettre en action. Pour moi la vraie question, fondamentale, est “qu’est ce qui t’empêche vraiment ?”.
La symbiose corps-mental pour dépasser ses limites
Comment avez-vous appris tout cela, quelles ont été vos inspirations, votre entraînement ?
Je suis autodidacte, je fais ma propre préparation physique et mentale. Mon programme n’est pas très strict, mais je suis très focus corps-esprit pour optimiser mes résultats, car les deux sont liés. Pour me réaliser en tant que personne, j’avais besoin de pouvoir concilier ma vie familiale et affective, ma vie professionnelle, et ma vie sportive. Ce qui ne me laissait pas beaucoup de temps !
D’un point de vue physique, je suis toujours dans la gestion de l’effort et l’écoute de ce que je suis capable d’endurer. A l'entraînement il faut puiser dans le maximum que l’on peut donner sans casser la machine et s’épuiser mentalement, car c’est difficile de remonter.
Et toutes les 3 semaines, je fais faire un effort beaucoup plus difficile à mon corps, jamais le même, ça l’oblige à réagir. Il faut vivre de temps en temps des choses plus difficiles à l'entraînement, car on est préparé cela arrive le jour J en compétition.
D’un point de vue mental je ne pensais pas atteindre ce niveau là. Je n’avais pas de méthodes ou de ressources de préparation mentale dans mon club, alors je me suis fortement inspirée de Mike Horn, que j’adore. J’ai regardé toutes ses vidéos. Comme on a plein de croyances limitantes, je matérialise mon cerveau comme s'il y avait des cloisons, et j'abats toutes les cloisons. Il faut faire croire à son esprit que c’est possible, le cerveau n’est pas capable de faire la différence.
Etre tactique, c’est connaître ses concurrentes. Dans une course mon cerveau calcule tout de suite par rapport à mes concurrentes ce que ça va donner, et me permet d’ajuster mon effort sans regarder le chrono. Regarder son chrono empêche d’avancer, ce n‘est pas le compteur qui va me dicter ce qu’il faut que je fasse ! Le pilotage aux sensations est beaucoup plus efficace. Le jour J, je sais que le travail a été fait, que j’ai mis tout ce que je pouvais mettre en place. Je pose mon cerveau et je me fais confiance.
Mike Horn a fait les choses progressivement. Tout est possible à partir du moment où on fait ce qu’il faut, une étape après l’autre. Et il faut bien analyser sereinement, objectivement, avec les ressources du moment. C’est en fonction de cela que le résultat est bon ou non.
Quel dernier message souhaitez-vous passer à ceux qui nous lisent ?
Quand on était enfant, on rêvait de qui on voulait devenir. Ce sont les valeurs qui nous guidaient à ce moment-là, qui on était. Ces rêves-là, qu'en faites-vous aujourd’hui ?
Je ne rêvais pas d'être championne du monde mais peut-être de toujours tirer le meilleur de moi et être positive. C’est cette soif de vie que je veux retrouver. Parfois on a oublié cela.
Aujourd’hui je suis en cohérence avec mes valeurs et c’est ça qui me porte dans une autre forme de réussite. Les chefs d'entreprise ont peut être des objectifs qui ne sont plus en cohérence avec leurs valeurs, et qui parfois les empêchent d’avancer.
Rêvez des trucs de fous, et faites-les !
Principaux palmarès
2022 Championne du Monde de duathlon Vice-Championne de France de Duathlon
24 Heures du Mans Vélo Vainqueur par équipe 6
2021
Championne du Monde de duathlon Championne de France de Duathlon
2020
Vice-Championne d'Europe de duathlon Championne de France de Triathlon
2019
Championnat de France de triathlon : vice championne Championnat de France de duathlon : médaille de bronze Championnat du Monde de Duathlon : 6ème Cross duathlon : championne régionale Pays de la Loire
2018
Catégorie master Championnat de france de cross triathlon : vice championne Championnat de france de duathlon : médaille de bronze Duathlon international de Meaux : 2ème Cross duathlon : championne régionale Pays de la Loire
Coach de dirigeants et de hauts responsables, conférencier et écrivain, Jean Daniel Remond est créateur d'une méthode de coaching centré sur l'optimisation du potentiel de dirigeants et de hauts responsables. Psychologue et biologiste, sa passion pour l’être humain et la compréhension de son fonctionnement ont guidé sa carrière et ses multiples contributions.
Dans cet article, Jean-Daniel Remond nous offre une réflexion sur l'intelligence de la vie et dissèque les composantes de notre volonté : qu'est ce qui nous anime, au niveau personnel ou en collectif ? Quels défis pour le dirigeant aujourd'hui et demain ?
Interview réalisée le 23/02/2023 par Thérèse Lemarchand, CEO Mainpaces
Bonjour Jean-Daniel, tu es coach de dirigeants et de hauts responsables depuis plus de 30 ans, après une longue carrière dans différentes entreprises et associations dont la Croix Rouge, écrivain, conférencier. Tu as une formation initiale en psychologie et biologie, avec une spécialisation en neuroscience. Nous avons aussi l’honneur de t’avoir au sein du Conseil Scientifique de Mainpaces.
Qu’est-ce qui a guidé ces choix ?
C’est ma passion pour l’être humain, pour la compréhension du fonctionnement de l’être humain, qui ont guidé ma carrière, les entreprises que j’ai créées ou auxquelles j’ai contribué. La base de ma formation m’a aidé à le comprendre, j’ai ensuite mené beaucoup d’actions sur le plan individuel et collectif pour toujours avancer dans cette recherche. L’approche globale du coaching de Mainpaces m’a séduit car elle nourrit cela, elle prend en compte la personne dans tout ce qui la constitue.
Le coaching comme mise en mouvement
Comment la neurobiologie, la compréhension de notre mode de fonctionnement, en tant qu’être biologique et vivant, peut aider dans une démarche de coaching ?
Tout ce que le coaché, ou la personne, vit, s’explique à travers le fonctionnement de l’être humain de manière générale. Toute la dynamique d’une personne est issue de lois physiques, biologiques, de la santé au sens global de l’OMS, « un état de complet bien-être physique, mental et social », et de sa dimension spirituelle.
Quand les personnes comprennent les mécanismes qui les agissent, cela les aide beaucoup pour voir ce qui se joue dans telle ou telle situation.
C’est la même chose sur le plan psychanalytique. A partir du moment où on facilite la parole et le fait de nommer les choses, on peut nourrir la « représentation » que les personnes ont d’elles-mêmes, et donc les mécanismes qui jouent sur la constitution de sa représentation.
Il y a toujours des systèmes de représentation qui sont à l’origine de nos comportements. Plus on les éclaircit, plus la personne peut agir sur ces mécanismes, si elle le souhaite.
Le sujet est de donner l’envie de développer les mécanismes qu’on a en soi.
Passer de la compréhension au développement est tout le rôle du coach. C’est l’émotion (étymologiquement – mise en mouvement) qui va permettre de passer à l’action. La relation intime qu’il développe avec la personne provoque le déclenchement de cette émotion, qui crée l’envie de convertir la compréhension en action, en comportements plus conscients.
Peut-on dire que ce jeu de compréhension - action, est la représentation d’une interaction corps - mental ?
Oui, c’est intéressant de le présenter dans ce sens ! La compréhension passe par le plan physique, car c’est une compréhension des mouvements, une compréhension intérieure, proprioceptive, sensible, il y a une grande richesse de facteurs, et autant de possibilités d’actions dessus.
La base de l’action est l’envie que tu déclenches. En tant que coach elle est liée à la motivation que tu sais créer chez l’autre. C’est une envie de mise en action, de ce que la personne a pu comprendre d’elle-même, des représentations sur lesquelles elle peut agi, mais qui l’agissent également, souvent inconsciemment. C’est pour cela qu’un coaching de longue durée peut être profond, parce que l’action peut s’enrichir de la relation que le coach développe avec les personnes que qu’il accompagne, pour mobiliser cette énergie là.
Prenons un exemple, que se passe-t-il quand on se fixe un objectif, et en quoi le corps aide le mental, dans une utilisation de ses ressources efficace ?
La notion d’objectifs est très particulière. La première question à se poser est : est-ce que cet objectif t’a été imposé, ou est-ce qu’il a été choisi ?
L’étymologie du mot est intéressante. Il est formé du verbe jacere (« jeter ») avec le préfixe ob- (« devant »). L’objectif, c’est “jeter devant” - c’est donc quelque chose que tu projettes.
Si un objectif t’a été imposé, c’est à toi de le convertir, de le choisir, de trouver le moyen de le faire tien, de t’adapter à ce qui t’est demandé, et d’ajuster la tension qui va être nécessaire pour atteindre cet objectif. Cette notion de « tension » est capitale. Il faut toujours apprendre à identifier les deux pôles d’une tension, car c’est la tension qui crée le mouvement.
Si on t’impose un objectif, le sujet sera de l'intérioriser, pour qu’il soit adapté à tes capacités, ou pour constater qu’il te dépasse, en fonction de ta sensibilité intérieure, ou des apprentissages passés. C’est tout l’enjeu de l’atteinte d’un nouveau record pour un sportif, car par définition il n’a jamais été aussi loin auparavant.
Si on prend l’exemple du saut à la perche pour illustrer cela, la tension sera posée entre ce que je ressens au temps t0, et comment je vais engager mon corps à passer les 6m22 (record du monde qu’Armand Duplantis – 23 ans, a ré-établi samedi 25 février 2023, battant son propre record de 6m21). Je vais m’obliger à rassembler tout ce que je connais de mon corps et de mes capacités, avec l’envie de dépasser les limites.
Armand Duplantis jumps 6.0 meters at Stockholm Stadium on August 24, 2019, credit : Frankie Fouganthin
Cette envie est celle de découvrir quelque chose de moi que je ne connais pas. A chaque fois c’est une naissance nouvelle. On revient à un état d’adolescence, d’exploration de ses limites, de l’envie de les dépasser et donc de création de soi-même.
Donc en synthèse, quand on atteint un objectif ambitieux, ou un record, on gère une tension qu’on a appris à connaître, entre son état du moment, et l’état intérieur qui nous est demandé au moment où l’on dépasse ce record du monde. C’est lié à la fois à une connaissance de soi, et une envie de se dépasser.
Développement du potentiel et écologie personnelle
Comment fait-on alors pour que cette nouvelle naissance soit la manifestation d’une écologie personnelle, fructueuse, et non pas épuisante ?
C’est l’enjeu de la connaissance de soi dans la performance, quel qu’en soit le domaine.
La promesse de réussite est la promesse de naître à un autre niveau de soi-même.Tu te prépares pour ça.
Tout le moment de la préparation se déroule mentalement dans les couches sous-jacentes du cortex. Le cerveau y fonctionne de manière analogique. Tu vas te préparer, tu vas maturer ta prestation, tu vas essayer d’enregistrer l’état dans lequel tu vas être au meilleur niveau de toi. Cela crée un stock de data qui est enregistré, donc une sorte de mémoire spécifique et constamment actualisée.
La dernière couche du cortex est celle qui travaille en binaire, en digital. C’est là où se situe la prise de décision. Si les données enregistrées ne sont pas précises, on ne passe pas au niveau de cette couche du cortex.
Le coach, qu’il soit coach sportif ou coach de dirigeant, peut déclencher cela, l’envie de passer d’un système analogique dans lequel tout un ensemble de grandeurs évolue, à un système de décision, de données discrètes. Aider à éclaircir ce qui est flou dans le cerveau, pour déclencher cette décision d’y aller, franche et déterminée, est le rôle essentiel du coach, ou l’enjeu de la personne elle-même si elle n’est pas coachée. Et comme tu le sais, quand un objectif est précisément fixé, on ne pense plus qu’à ça et ce côté binaire est le gage de la réussite dans l’épreuve, car rien ne vient le parasiter.
Je vois ce que tu veux dire. A mon petit niveau, je vis cela en surf. Au moment d’un take-off un peu difficile, si je ne suis pas pleinement dedans ça ne passe pas.
Quand notre état intérieur est dissocié, il y a trop d’informations, trop de data qui se mélangent, qui ne sont pas classées. On ne peut pas aboutir à cette couche ultime du cortex. Cela peut être dû à une fatigue non ressentie, à un état qui n’est plus aussi clair inconsciemment dans notre corps.
Je vais donc émettre une hypothèse de ce qui peut se passer. Si en surf, ce scan de tous ces moments où tu as pratiqué ne se fait pas bien, tu ne te sens pas prête et tu ne fais pas le mouvement nécessaire. C’est un scan très rapide de tout ce que tu as enregistré en termes de préparation de ton corps et de ton mental en pleine performance. Si tout n’est pas réuni, tu ne passes pas au niveau où tu voudrais.
Surfeurs sur la côte basque par gros temps
C’est là qu’il y a une différence entre la volonté et la capacité ?
Oui, en effet. La capacité est liée à un système inconscient fort, à toute une multitude de paramètres enregistrés dans le corps et dans le mental dans les moments d’excellence, aux meilleurs moments de tes performances. S’il manque un élément, si tout n’est pas réuni cela ne passe pas, et un excès de volonté, c’est à dire du volontarisme risque même d’annuler l’expression de certaines datas.
Comment alors développer son potentiel sans s’épuiser, mais tout en étant quand même moteur vers cette connaissance, ce dépassement qui est également réjouissant, et énergisant ?
Quand tu veux avoir une performance plus forte encore, il faut le temps de passer en revue cette carte mentale, et donc d’arriver à la connaître. C’est là qu’un coach ou quelqu’un d’extérieur est tout aussi important que ton propre regard sur toi, de ta propre connaissance de toi, pour passer en revue ces éléments, et accompagner ce temps de maturation nécessaire. Il faut que tout soit prêt au temps t0.
La justesse dans l’optimisation est permanente.
Si on prend l’exemple d’une course, un 100m ou un 110 m haies, quand tu vois certains se préparer, leur mime des gestes est fantastique à voir. Ils réactivent leur corps à tous les endroits qui vont être en mouvement. Ils réactivent la mémoire de l'entraînement. Et il faut qu’en plus il y ait l'envie ce jour-là de battre son propre record. C’est le mélange des deux, l’activation du corps et l’envie de se dépasser, parce que c’est le moment d’atteindre l’objectif que la personne s’est fixée. Les Jeux Olympiques sont pour cela fascinants, rejouer et rebattre son record par exemple 4 ans après. Ce que cela veut dire physiquement et mentalement comme programmation, est ahurissant.
Dirigeants : quels défis personnels, collectifs et pour la société ?
Comment ces enjeux de programmation, de préparation, et de décision binaire se traduisent dans la vie courante d’un dirigeant, dont les objectifs et les décisions se jouent sur de multiples plans, de façon permanente et rapide ?
En effet, il y a tellement de paramètres. Il faut d'abord que le dirigeant en question ait une vision très claire de ce qu’il souhaite, ce qui est déjà très rare.
Prenons un objectif quantitatif de +10%, fréquent dans le monde économique. C’est un objectif qui se veut précis mais qui est relativement flou car ce n’est pas ça qui va déclencher l’envie en interne de l’entreprise, ni même l’envie de la personne qui la dirige. Pour qu’un objectif soit atteint, il faut qu’il soit absolu.
L’enjeu est de préparer ton entreprise à ces 10% théoriques, qui n’est pas un objectif en tant que tel. L’objectif du dirigeant est que tous les paramètres qui sont sous sa dépendance, sous son autorité, soient au rendez-vous pour atteindre ce chiffre.
Cela veut dire que l’entreprise suit, que son équipe suit, qu’il y a un mouvement interne fort qui va garantir la réussite.
C’est la tension du corps de l’entreprise, en interne, qu’il doit préparer et accompagner, pour que l’entreprise soit au faîte d’elle-même pour s’engager dans un objectif qu’elle est capable de dépasser.
Mais c’est aussi tout un environnement qu’elle doit être capable de maîtriser, et d’éléments contingents. C’est un travail probabiliste, qui permet de conclure qu’on a tous les éléments en main pour réussir. Qu’est-ce que je contrôle, qu’est-ce que je ne contrôle pas, et qu’est-ce que je fais avec ça ? Cela implique nécessairement une marge d’erreur.
Le potentiel interne et le potentiel externe constituent les deux pôles de tensions de l’énergie en action, en étant conscient que plus on touche à une masse de paramètres, plus la direction est fragile. On avance à l’aveuglette, avec un flou qu’il faut accepter en tant que dirigeant, même si on travaille à réduire toujours cette incertitude.
Passer de l’individu à un groupe change complètement la donne. La maturation, l'adhésion, la préparation de l’équipe, et l’analyse de l’externe, c’est toute la difficulté du rôle du dirigeant.
Quelles sont les qualités essentielles pour un dirigeant - un chef d’entreprise, pour toi aujourd’hui ?
La première qualité d’une personne dirigeante est le niveau de consciencequ’elle a aujourd’hui des tensions qu’elle doit gérer, à l’intérieur - la dynamique de l’entreprise, à l'extérieur - son environnement, et en tant que personne, une capacité en permanence de faire le point de là où elle en est.
Le bon dirigeant est également quelqu'un qui saura provoquer dans son environnement les opportunités qu’il peut lui offrir. Il aura en plus une qualité d’intuition, une disponibilité, le recul minimal nécessaire pour jouer avec, ou pour intégrer au dernier moment des données qu’il n’avait pas prévues, des choses qui ne sont pas de l’ordre de la rationalité, et qu’il va convertir.
On peut résumer cela en une « qualité de présence au monde », de présence à lui, et du recul.On y retrouve la santé, le repos, la conscience de son potentiel, et de sa capacité à réagir, de la connaissance qu’il a de lui-même, et de ce sur quoi il peut compter.
Il y a un sujet de rapport au vivant, de compréhension, d’apprentissage, de respect de ce que nous sommes, en tant qu’humains. Y-a-t-il un lien entre écologie personnelle et écologie globale ?
Tout à fait. C’est de là que naît aussi l’incertitude permanente, car c’est vivant. Si tu es vivant et que tu captes la vie le plus possible autour de toi, tu as toutes les chances de réussir.
Cela implique une connaissance du vivant et de l’environnement, qui va bien au-delà de la simple question de la technique. Être capable de capter ce qui est vivant dans une situation, est une question d’alerte permanente sur ce qui est vivant.
C’est aussi le sujet de la prospective. Le vivant s’exprimera dans les tendances et les mouvements de fond. Il faut être en alerte sur ces tendances profondes, ces trends très intenses, les signaux faibles et forts que la société et l’environnement nous renvoient.
Il y a donc à maintenir un niveau de vigilance permanent, et une curiosité, ou dit autrement une qualité de présence avec une dynamique permanente.
L'intelligence du vivant
On vit dans une société où l’information est omniprésente, comment faire le tri dans ce foisonnement d’images et de paroles si on maintient un niveau de vigilance élevé ?
Il faut revenir à la base de la notion d’information. L’information n’est pas du bruit. L’information est un différentiel que tu captes, c’est quelque chose de différent par rapport à ce qui existait avant. Donc la vigilance, la curiosité, doit reposer sur ce qui est différent.
La façon dont tu t'entraînes en tant que personne, en tant que dirigeante, à hiérarchiser tes informations est essentiel. Quelle est ta grille de lecture personnelle qui va permettre de classer ces informations ?
Qu’est-ce qui est de l’ordre
du micro, de la cellule, de l’organe, de l’organisme dans son ensemble, de la personne,
de la matière : atome, molécule, environnement
du psychologique, du sociologique, de la société dans son ensemble
A quel moment une information concerne une de ces catégories, me concerne, concerne mon corps, concerne la géopolitique, le planétaire, l’univers,... ?
Tout cela crée une échelle de valeurs, et permet de travailler sur la complexité de l’information. Si j’entends telle information, quel niveau ça touche ? Pour moi, pour mon équipe, pour les gens qui m’entourent, quelles sont les conséquences de l’information ? C’est une règle de prospective importante. Quand j'entraîne des responsables de haut niveau, je travaille toujours là-dessus avec eux en coaching.
As-tu une maxime dans ta vie ?
Mon fil directeur est “développer tout ce que j’ai en moi”. Cela veut dire que je découvre à chaque fois ce que j’ai en moi, à l’occasion de tout ce que je vis.
C’est le but de ma vie. Je suis arrivé sur terre avec un capital, des ressources, mais c’est à moi d’en prendre conscience, et après de le développer. Et à 81 ans je n’ai pas fini ! Je me donne encore 10 ans de cognition à peu près correcte pour progresser là-dedans 🙂
Quel est le dernier message que tu voudrais passer à ceux qui nous lisent ?
Je suis un amoureux de la vie, pour moi le message est de découvrir la vie sous tous ses aspects en permanence, et de la respecter.
La vie est d’une richesse ahurissante. C’est la vie qui m’anime, elle me traverse, c’est à moi de capter ce qu’elle me dit, ce qu’elle m’envoie. Je n’ai pas de puissance sur la vie, mais c’est à moi d’avoir l’intelligence de cette vie, d'écouter ce qu’elle me dit, ce qu’elle me raconte.
C’est ça qui m’intéresse, l’intelligence de la vie me tient vraiment à cœur.
Charlotte et Laura Tremble sont sœurs jumelles. Elles ont représenté la France en natation artistique aux JO de Tokyo 2020. Avec une carrière aussi exigeante que le sport de haut niveau, tout en continuant leurs études d'ingénieur, les deux sœurs ont beaucoup approfondi leurs enjeux d'équilibre et de performance. Elles nous parlent de motivation, d'échecs, de méthodes pour se gérer soi, et le collectif, de gestion du stress et de ses émotions, qu'il faut savoir accepter.
Comment trouver son propre rythme, conserver son équilibre, et développer sa performance, tout en étant pleinement synchronisée avec son associée et son équipe ?
Interview réalisée le 15/01/2023 par Thérèse Lemarchand, CEO Mainpaces
Les sœurs Tremble, croire en ses rêves
Bonjour Charlotte et Laura, vous êtes sœurs jumelles, à 22 ans, vous étiez représentantes de la France en natation artistique aux Jeux Olympiques de Tokyo, et vous êtes en école d’ingénieur aéronautique à l’IPSA. Quel a été votre moteur pour en arriver là ?
Nous n’avons pas eu un parcours très classique pour des sportives de haut niveau à l’INSEP. Nous venons d’un petit club. Nous avons commencé la natation synchronisée - maintenant appelée natation artistique - à 6 ans à Senlis, et nous avons intégré l’INSEP à 15 ans.
Quand nous étions enfant, les pôles Espoirs se trouvaient loin de chez nos parents, nous ne voulions pas quitter la maison, alors nous nous sommes organisées, de Senlis à Rueil, et c’était parfois rock’n roll ! Mais nous avions des étoiles dans les yeux pour les Jeux.
Notre moteur a toujours été nos rêves, et nous en avions deux :
faire les JO en natation synchronisée
avoir une carrière dans l’aéronautique
Nos parents sont passionnés d’aéronautique et nous ont transmis cela.
Ils nous ont aussi toujours dit “ si tu en rêves, tu travailles, tu te donnes à fond, et tu y arrives”.
C’est comme cela que nous sommes tombées dans le haut niveau, tirées par nos rêves, et soutenues par notre famille.
Nous nous sommes dit très tôt que ce projet était un projet commun du duo, mais qu’il ne devait pas effacer nos ambitions personnelles. Nous nous sommes accordées sur le fait que s’il y en avait une qui voulait arrêter, c'était OK. Cela nous a permis de nous serrer les coudes, et d’y aller toutes les deux.
A L’INSEP, nous avons très rapidement progressé, nous sommes passées en équipes de France, nous avons fait les sélections, les compétitions, nous avons été surclassées en senior en tant que duettistes et équipière sur des finales au niveau mondial.
Nous n’avons jamais lâché notre double cursus. Nous avons passé notre bac à l’INSEP. Le parcours post-bac a été un peu semé d’embuches, notre projet professionnel était très fort, mais on nous disait que ce n’était pas possible avec la synchro, qui imposait trop d’heures d'entraînement.
Nos parents nous ont dit que c’était notre rêve, qu’il ne fallait pas le lâcher. "Si on vous ferme la porte, passez par la fenêtre !". Ils sont allés aux salons étudiants pour nous. Nous avons commencé par une licence physique chimie à la Sorbonne, qui présentait des passerelles pour passer en école d’ingénieur, et puis grâce à notre petit frère nous avons découvert l’IPSA. L’école a été incroyable pour envisager notre double projet, et mettre en œuvre tous les dispositifs d’aménagement nécessaires, et l’aventure a commencé comme ça.
Les sœurs Tremble - JO
Notre objectif, ce sont les Jeux de Paris, ensuite nous arrêterons le sport de haut niveau. Ces 5 anneaux représentent énormément de choses. C’est ça qui nous permet de nous lever le matin, d’avoir la motivation, à mener ces études et cette vie très particulière où on ne s’arrête jamais. Les Jeux Olympiques sont LE rêve pour les grands sportifs.
Les sœurs Tremble, bien s'entourer et développer l'esprit d'équipe
La natation artistique est un sport très complet, il faut allier danse, natation, gymnastique, gainage, cardio, apnée... Vous mentionnez 40 heures d'entrainement par semaine, avec des horaires imposés car une grande partie - les Ballets - se fait en collectif. Comment gérez-vous votre temps ?
Nous sommes 16 sur l’INSEP dans le collectif de natation artistique. Nous n’avons pas la main sur la répartition de nos heures d'entraînement, c’est la coach qui gère cela.
Nous travaillons avec de nombreux intervenants. Comme en entreprise, c’est indispensable de bien s’entourer, avec des experts dans chaque discipline que nous avons à développer. Cela comprend :
la préparation physique (renforcement musculaire, gainage, cardio,..)
les portés
la danse
le kiné
la diète
le médecin
la préparation mentale
le psychologue
Avec des choix qui sont parfois très personnels, comme le kiné.
Nous ne gérons pas le calendrier d'entraînements, mais quand nous sentons que nous avons des lacunes, nous nous en emparons, et travaillons en plus. On a le niveau pour sentir cela. Avec internet on apprend sur beaucoup de sujets, l’alimentation, l’organisation,...
Lâchées au départ dans ce double projet, nous nous sommes un peu brûlé les ailes entre le sport et les études, à appliquer des méthodes parfois radicales (la joie du miracle morning et du lever à 5h du matin 😅). Maintenant nous nous inspirons de ce que nous voyons, et nous avons appris à tester par petites touches. Si ça marche, trop bien. Si ça ne marche pas, qu’est-ce que j’en retire, est-ce qu’il y a des choses que je peux adapter à mon temps, à mes envies, à ce qui me touche ?
Les échecs sont la meilleure des choses pour apprendre. Il ne faut pas rester dessus. On peut prendre une heure pour pleurer bien comme il faut, et après on rebondit, on regarde pourquoi ça n’a pas marché, et on trouve des clés et des solutions.
C’est un peu comme les entrepreneurs, qui ont beaucoup de casquettes différentes et de compétences à développer dans des domaines variés, et qui sont parfois pris dans des calendriers imposés, et dans lequel ils doivent retrouver leur propre temps.
Oui c’est vraiment ça. Et comme un entrepreneur, nous avons beaucoup de casquettes différentes dans le groupe. Nous pouvons être une personne référente pour certaines, leader le groupe, avoir un rôle à jouer dans la création de lien...
C’est beaucoup de préparation mentale pour gérer une équipe, et apprendre à se gérer dans une équipe. Chacun doit avoir sa place dans un groupe, se sentir légitime.
Dans un groupe, il faut établir les règles de base. A chaque fois que quelqu'un arrive, qu’une autre part, c’est un mini chamboulement. Parmi ces règles, il y a nos valeurs : la bienveillance, le non jugement,... C’est très important que chaque personne se sente légitime, à s’exprimer quoi qu’il arrive, et à faire avancer la performance.
A titre d’exemple, nous sommes 16 filles en équipe à l'entraînement. Seules 8 d’entre-elles nagent dans le ballet. Mais quand ça se passe mal, que l’on rate, que l’on n’arrive pas à avancer, les filles qui nagent à côté vont prendre le relais, encourager, apporter ce recul qu’on n’a pas sur le moment. Elles ont une grande importance dans le collectif.
Les sœurs Tremble, trouver sa place, son rythme, pour être synchro
Qu’est-ce qui est essentiel pour votre duo ? Il y a une question de synchronisation - sur un rythme, un mouvement, mais aussi de synergie - la capacité à créer ensemble un effet global supérieur à celui que vous auriez individuellement. Comment avez-vous développé cela ?
On partait avec un avantage, des sœurs jumelles, qui nagent ensemble depuis des années. On avait déjà ce lien entre nous que des entrepreneurs qui viennent de se rencontrer ont peut-être plus de mal à créer.
Arrivées à 15 ans à l’INSEP nous étions à la fois associées et indissociables. Nous étions appelées “les jumelles”. Nous étions dans la même chambre double, la même classe, le même entraînement ... C’était un âge charnière pour se construire, chacune se cherchait. Ça a été très dur. On ne dissociait plus les entraînements où c’était professionnel et le perso, le fait qu’on soit sœurs.
Nous avons été accompagnées par nos parents, notre coach, notre psy, et aiguillées à avoir chacune notre cocon, pour se retrouver soi-même. Nous avons eu besoin pour nous construire de nous séparer un peu. Cela a été le premier cap dans notre synchronisation, de nous retrouver toutes les deux, chacune de notre côté.
Ça a apporté à notre performance quelque chose de fort. Des liens plus resserrés, et notre duo est redevenu notre force, alors que c’était devenu notre faiblesse.
Ce qu'on a bien fait, c’est se faire aider par une personne tierce. Cela aide à faire la part des choses, à prendre du recul, à poser des temps de parole nécessaires. Bien re-fixer les règles, identifier ce qui nous dévie de nos valeurs.
Admettre qu’on n’a pas les compétences Bien s'entourer Savoir que l’on peut apprendre
Charlotte et Laura Tremble
Quand on est entrepreneur c’est pareil. Créer son entreprise est semé d'embûches. Il y a beaucoup d'émotions, de stress, d’affectif avec la personne avec laquelle on a créé l'entreprise. On a vu ça dans notre entourage, sur les réseaux. S’aider d’une autre personne est essentiel. Prendre du recul et se faire aider permet de mieux repartir derrière pour être encore plus performant.
Prendre du recul implique une forme d’acceptation, et ce n’est pas toujours facile
Oui, il faut accepter de prendre le temps de faire quelque chose qui n’est pas directement productif, de se faire du bien au moral, du bien au corps, de couper. Accepter qu’il y a des périodes où on est moins performantes, et que tout n’est pas toujours exponentiel.
Se culpabiliser est contre-productif. Se dévaloriser, c’est ne pas accepter que la situation est compliquée, et pas idéale. Ça ne sert pas.
Laura : “l’année dernière j’ai été opérée des genoux. Le premier s’est bien passé, mais la phase post-opératoire du 2è genou s’est très mal passée. J’ai été alitée un mois et demi, mon genou était très gonflé, c’était horrible.
Quand j’ai repris, je me suis dit “il faut que je fonce, je perds du temps !” Je n’ai pas pris de vacances de Pâques. Et en fait à un moment donné je ne progressais plus du tout. Alors j’ai pris une semaine pour ne rien faire, et me reposer. Après cette pause j’ai énormément avancé, mon genou avait dégonflé, j’ai réussi à refaire des exercices que je n’avais plus réussi depuis mon accident. C’est là que j’ai compris que de temps en temps juste couper, ou juste souffler, permet de mieux repartir derrière, et que s’acharner n’est pas toujours la bonne solution.
C’est là que j’ai compris que de temps en temps juste couper, ou juste souffler, permet de mieux repartir derrière, et que s’acharner n’est pas toujours la bonne solution.
Laura Tremble
C’est parfois difficile de se dire que l’on n’a pas un rythme conventionnel, ou que l’on n’a pas le rythme de son voisin, mais si c’est celui qui nous permet de performer et d’être productif, c’est le rythme juste.
On est les mieux placées pour savoir ce qui nous correspond le mieux. Il faut apprendre à écouter et accepter ce qui nous correspond le plus, et essayer, et cela implique de prendre un peu de temps pour soi.
Quel est le rôle de la respiration individuelle et collective dans votre équilibre et votre performance ?
On a fait beaucoup de yoga - cela nous a beaucoup aidé. A 20 ans on a appris qu’on ne savait pas respirer ! La personne qui nous a accompagnées avait cette capacité à lire les corps. En nous regardant, elle a vu que l’une était dans le corps, quand l’autre était plus cérébrale. Cela nous a aidé à comprendre comment créer une balance entre nous deux.
Nous avons enchaîné des séances de respiration, les yeux fermés, pour que nos respirations se synchronisent. Cela nous a aidé à nous sentir l'une - l’autre et nous mettre en lien. Ce qui était amusant, c’est que dans les périodes où nous en avions marre l’une de l’autre, elle le sentait tout de suite, et la phase de synchronisation devenait plus longue.
La respiration intervient partout, et particulièrement dans la performance. Elle fait le lien corps - mental. C’est hyper pertinent pour le sport, notre vie à côté, et la construction de nous-mêmes.
Les soeurs Tremble
Comment trouvez-vous votre rythme personnel, avec celui du duo ?
On l’a appris sur le tas, en se trompant. En commençant nos études supérieures nous voulions tellement donner dans la synchro et les études, qu’on a fini par se blesser. Donc on a tout repris, de façon à trouver le rythme qui nous convenait à chacune séparément, et au duo.
Se synchroniser c’est aussi une histoire de distance. Comment percevez-vous que vous êtes à la bonne distance l’une de l’autre ?
Ça passe toujours par la communication. Si a un moment donné l’une a besoin de prendre de la distance, c’est OK. Et puis il y a des moments où on ne choisit pas. Par nature à l'entraînement, on travaille très proches, c’est comme ça.
Je crois que c’est la même chose pour des associés en entreprise, je vois ça chez nos amis qui ont créé des boîtes. Ils sont reliés par une entreprise qui peut être comme un enfant pour eux, à qui ils donnent tout, comme nous en natation synchronisée, à tel point que l’on s’oublie soi-même, et on perd en performance et en efficacité. Il faut savoir prendre du temps pour soi, et se retrouver.
Nous avons chacune établi nos limites et nos besoins. Même en collectif, nous avions l’impression de toutes nous connaître parce que cela faisait des années que nous nagions ensemble. Et puis nous avons découvert certaines situations, ou certaines réactions. Aujourd’hui on comprend mieux, ces besoins qui s’expriment à certains moments de s’isoler, ou au contraire de contact, de se rapprocher du groupe, de se rassurer.
Les soeurs Tremble, émotions et gestion du stress
Dans un article de équipedefrance.com, vous vous présentez l’une et l’autre comme assez émotionnelles. Comment utilisez-vous ces émotions dans vos accomplissements, votre gestion du stress ?
Nous sommes assez émotives dans tous les sens du terme, des petits cœurs en mousse 🙂 Nous sommes des éponges à émotions envers nous, envers les autres, quand des personnes sont tristes, on prend un peu de leur tristesse. Au fur et à mesure on apprend à gérer tout ça.
En tant que sportives, gérer notre stress est l’enjeu N°1. Il faut comprendre et accepter qu’il ne partira pas, mais que c’est à nous de le gérer, de trier les informations qu’il nous indique, et de leur donner ou non de l’importance.
La respiration est essentielle dans la gestion du stress. Nous avons fait de la visualisation. La création de routines, par exemple en compétition, nous permet de nous rassurer dans la réalisation de certaines tâches. On le transfère aussi dans nos études. Récemment nous avons été amenées à faire au pied levée une conférence devant 500 personnes, cela nous a été très utile !
On apprend à gérer les imprévus, à avoir confiance dans le fait que l’on sait faire, et que quand on est lancées, ça déroule. Il faut revenir sur des choses concrètes ” j’ai travaillé, je sais faire ça, c’est dans la réalité”.
Quand on est arrivées à l’INSEP, on était persuadées qu’on allait nous donner le secret pour ne plus stresser. Ce n’était pas du tout ça ! En fait, on a appris à accepter le stress. Le stress est toujours là, même depuis les Jeux, mais chacune a les moyens de se préparer physiquement, mentalement, de se mettre dans une bulle ou pas, selon les situations.
La gestion des émotions est très personnelle, on a essayé, il y a des choses qui n’ont pas marché, et maintenant nous savons chacune ce qui nous convient.
Nous n’avons plus honte maintenant, nous acceptons nos émotions, ça nous a aidé à passer un cap.
Les soeurs Tremble
Charlotte ” Par exemple quand ça ne va pas bien, je me dis, OK ça ne va pas, je le sais, qu’est ce que je fais avec ça. Est-ce que j’ai envie que ma journée reste autour de cette émotion ? Non pas trop. En général je vais essayer de l’extérioriser. Je le dis à quelqu’un de très proche, et après ça va un peu mieux. Ces personnes vont m’aider à passer progressivement du tout négatif, du nuage noir, au soleil. “
Les sœurs Tremble, découverte et ouverture d’esprit
Vous avez présenté aux JO une chorégraphie sur le thème « Les violences faites aux femmes ». C’est quelque chose qui vous tient à cœur. Comment vous nourrissez-vous du quotidien, et arrivez-vous à maintenir une ouverture sur le monde avec votre emploi du temps ?
Nous sommes des femmes assez engagées. Ce qui nous touche particulièrement sont les violences faites aux femmes, l’écologie, et le bien-être animal.
Cela nous tient énormément à cœur. C’est quelque chose qui nous fait vibrer, et on a l’impression de ne pas faire assez. C’est émotionnel et sportif.Quand on est sportif de haut niveau on a un certain mental, on a envie de participer et de s’engager.
On se demande toujours comment on peut faire pour aider, et avec notre statut mettre une pierre à l’édifice. Les Jeux ont une couverture médiatique forte. On y a pris la parole à notre manière, de façon élégante.
On adore apprendre. On apprend en ligne, avec les réseaux on a accès à tout. On a appris à coudre, à broder, à faire des podcasts, … C’est comme ça qu’on s’est plongées dans les enjeux écologiques.
Sur les réseaux, on peut ouvrir l’esprit de certaines personnes et livrer des messages essentiels, discuter, échanger, partager, c’est hyper-enrichissant.
Quel est le dernier message que vous voudriez passer à ceux qui nous lisent ?
Laura : je dirais une phrase que nous a toujours répété notre mère “croyez en vos rêves”. C’est quelque chose qui nous a toujours guidé .
Charlotte : et je complèterais “ et se donner les moyens d’y arriver, et ne rien regretter”.
Laura et Charlotte Tremble sont deux sœurs jumelles de 23 ans, olympiennes et étudiantes. Elles font partie de l’équipe de France de natation artistique. En parallèle du sport de haut niveau elles poursuivent des études d’ingénieur dans l’aéronautique et le spatial.
Palmarès :
8eme et finalistes en duo aux Jeux Olympiques de Tokyo,
8eme en duo aux championnats du monde,
3 médailles de bronze en équipe aux championnats d’Europe
Paul Meyer est un clarinettiste et chef d'orchestre français. Depuis ses débuts fulgurants, en remportant les prestigieux concours de l’Eurovision et Young Concert Artist à New-York en 1982 à l’âge de 17 ans, Paul Meyer n’a cessé de surprendre.
Considéré dès son plus jeune âge comme un instrumentiste exceptionnel, son parcours est jalonné des plus belles rencontres musicales. Toujours à la recherche de sensations musicales extrêmes, il s’oriente très vite vers la direction d’orchestre, tout en développant son jeu qui lui confère une place unique comme clarinettiste reconnu dans le monde entier.
Dans cette interview, Paul nous explique son parcours : la place de l'intuition dans ses prises de décisions musicales et ses choix de carrière, l'impact du désir et de l'intention dans sa préparation, etl'importance du collectif et de la communication dans la direction d'un orchestre.
Interview réalisée le 10/11/22 par Thérèse Lemarchand, CEO Mainpaces
Paul Meyer, la construction d’un musicien de talent
Bonjour Paul, tu es clarinettiste, soliste international, Chef d’orchestre, ta carrière de musicien fait partie des parcours d’exception, qu’est-ce qui t’a amené là ?
Une carrière dans la musique est particulière car elle prend ses racines dans l’enfance, sans être liée à une projection professionnelle. Je n’ai pas été programmé pour être musicien, musicien professionnel, ou encore plus musicien à succès, mais il y a eu un bon enchaînement.
Je suis entré très jeune au conservatoire de Paris. J’ai toujours aimé ce que je faisais, travailler mon instrument. A 9 ans je faisais une heure de clarinette tous les matins avant d’aller à l’école. La musique est une discipline, tu es obligé d’être constant, tu ne peux pas jouer un jour, puis ne pas jouer pendant trois jours. Plus on avance, et plus cette discipline musicale est importante, ce qui n’empêche pas par ailleurs d’être joyeux et d’aimer la vie !
La musique est une discipline, tu es obligé d’être constant, tu ne peux pas jouer un jour, puis ne pas jouer pendant trois jours.
Paul Meyer
J’ai eu la chance d’avoir des rencontres avec des professeurs qui ont été importantes pour moi. Quand on est jeune, on est influençable, on tâtonne. Quand tu te retrouves avec quelqu’un qui te coache, il faut qu’il y ait une bonne rencontre. Je pense que j’avais aussi la qualité d’être ouvert aux critiques, ce qui permet de se découvrir, de voir vers où on peut aller.
Gérard Caussé - François-René Duchâble - Paul
Tout n’a pas été forcément facile pour autant. Quand j’étais au conservatoire de Paris, il y a eu une mode dans la manière de jouer que je n’aimais pas. Je me suis inscrit un peu en faux. Cela m’a posé des problèmes techniques, de réussite, psychologiques, jusqu’au moment où j’ai reçu des sentiments d’ouverture, des encouragements venant des gens du métier qui m’ont complètement libéré. J’ai gagné des concours, j’en ai raté certains, et puis j’ai joué avec Benny Goodman. Il m’a dit « vas-y à fond, tu es bon, tu es fort, tu peux y aller comme ça ». Il a ouvert le sésame, les portes. Parce que cela venait de lui, de ce musicien immense, cela a résonné, et m’a libéré de beaucoup de mes doutes.
Il faut avoir confiance dans un monde un peu plus large que son propre périmètre
Paul Meyer
La musique, c’est beaucoup de gammes, de techniques, et ce qui en fait l’excellence est l'interprétation, comment travailles-tu ?
Avec la danse et le sport, la musique a un rapport au physique et au mental intimement lié. Tu ne peux pas détacher les gammes de la réalisation, du côté intellectuel, musical, interprétatif. C’est toujours l’un au service de l’autre. Je n’imagine pas Roger Federer faire des exercices techniques sans penser à l’utilisation de son point en match. Tous les exercices que l’on fait sont intellectualisés, ils doivent servir à quelque chose.
Il y a donc toujours une intention ?
Plus qu’une intention, je pense que ce qui fait la différence, c’est la capacité à avoir un désir, à avoir une représentation de ce que tu veux faire. Même très jeune, alors qu’à 12 ans tu n’as pas encore de culture musicale, quand tu joues une partition il faut avoir une capacité à analyser les choses, savoir identifier si tu aimes la sonorité que tu crées, ce que tu ressens dans une œuvre, etavoir une projection.
Plus qu’une intention, je pense que ce qui fait la différence, c’est la capacité à avoir un désir, à avoir une représentation de ce que tu veux faire.
Paul Meyer
J’ai toujours su ça. Déjà à 14 ans les élèves du conservatoire venaient me voir pour me demander ce que je pensais de leurs interprétations. J’ai toujours eu un sentiment d’appropriation, un rapport à l’interprétation assez facile. Pour certains, la musique c’est une note, des codes, pour moi ça a toujours été plus que cela facilement. Aujourd’hui c’est ce que j’essaye de faire comprendre à mes élèves.
Paul Meyer, s’entraîner : l'alliance de la technique et du désir
On a parlé de travail, de confiance, d’intention, d’interprétation, comment relies-tu tout cela ?
Il faut déjà avoir les moyens de ces réflexions. Il n’est pas question de ne pas être bon, tu ne peux pas transfigurer une mauvaise interprétation. Comme pour n’importe quel étudiant, la confiance naît de la répétition d’exercices réussis.
De manière très simple, quand tu travailles un passage difficile, si tu le joues dix fois et que tu le réussis dix fois, la onzième fois quand tu le joues en concert tu as moins de chance de le rater, tu es confiant. Si tu ne le réussis qu’une fois dix à l'entraînement, il y a de fortes chances que tu paniques totalement au moment où tu te produis en concert.
Quand tu travailles un passage difficile, si tu le joues dix fois et que tu le réussis dix fois, la onzième fois quand tu le joues en concert tu as moins de chance de le rater, tu es confiant.
Paul Meyer
Comme je travaillais beaucoup plus vite que certains, cela m’a donné la possibilité d’aller plus loin, et d’inventer mes outils, ma manière de travailler, en fonction de ce que j’ai envie de réaliser.
J’entends beaucoup de musiciens se dire « je vais travailler ma technique, et quand j’aurai ma technique je vais jouer bien ». Moi j’ai toujours pensé l’inverse : « Comme j’ai besoin de jouer ce morceau de telle façon, je vais m’inventer une technique, et c’est comme ça que je vais travailler ».
Il faut inventer la technique après la vision, le désir, pour trouver la sonorité. Un peu comme un peintre qui mélangerait ses couleurs, ferait ses propres assemblages. Je ne pense pas que Soulages ait acheté une palette de peinture toute faite, il a passé sa vie à chercher du noir.
Paul Meyer
Je ressens quelque chose de très yin-yang dans ce que tu me dis, dans cette alliance imbriquée de désir et de technique.
Oui bien sûr, et pour visualiser, pour cristalliser au moment concert, il faut avoir l’esprit ouvert, les antennes ouvertes. C’est un travail d’esprit, de curiosité, après ça vient à soi. C’est un travail complexe et très long de connaissance, de culture, qui va t’aider à prendre un choix.
Les gens qui ne sont pas musiciens ont une idée un peu vague de ce qu’est le processus musical. La musique est un langage. Il faut déjà pouvoir le lire, le jouer, le mémoriser. Ensuite il faut avoir un avis sur la pièce, une vitesse. Quand tu diriges, il faut en plus convaincre les musiciens de l’orchestre, les chanteurs pour un opéra…
Cette conviction est ancrée dans ton ADN, dans ton passé. Tu dois choisir. Si tu fais quelque chose sans le sentir, cela sera vide et creux, et le public va s’en détacher. Cela sonnera comme artificiel, il n’y aura pas ce sentiment organique d’une évidence totale, et les musiciens ne te suivront pas.
Si tu fais quelque chose sans le sentir, cela sera vide et creux, et le public va s’en détacher.
Paul Meyer
Paul Meyer, diriger : collectif, unité et prise de décisions
Pour moi cela fait beaucoup écho à la création d’entreprise. Quand on te demande pourquoi tu crées une entreprise, il y tellement de choses qui contribuent à cela ! C’est la somme d’une vie, un ensemble d’éléments et d’expériences que tu t’appropries, et qui représentent quelque chose pour toi. Tu as l’image future de ce que tu veux créer, et après il faut arriver à la conscientiser, la verbaliser, la rendre visible pour d’autres et embarquer, fédérer. On emploie d’ailleurs souvent l’image du Chef d’orchestre pour cela.
Comment vis-tu ton rôle de Chef d’orchestre ?
Bien diriger est lié à une certaine capacité d’écoute, d’ouverture, une facilité à comprendre un système.
Paul Meyer
La direction d’orchestre est complexe au niveau humain, car tu es face à une équipe, et c’est passionnant. En dirigeant, tu passes de l’innée à l’acquis, cet apprentissage est très difficile à définir. Bien diriger est lié à une certaine capacité d’écoute, d’ouverture, une facilité à comprendre un système.
La manière dont on écoute est importante dans cet apprentissage. Je n’ai jamais porté de jugement direct quand j’écoutais une interprétation, je me suis toujours demandé pourquoi cette personne faisait cela, ce qui motivait sa trajectoire, comment elle avait pris cette décision. C’est un challenge de logiciel, de compréhension.
Paul - Seoul Philharmonic Orchestra
L’orchestre de Mannheim dont je suis le Chef d’orchestre titulaire est composé de 27 musiciens. La différence avec un orchestre où je serais invité, est que je joue plus souvent avec eux. Dans tous les cas, ce sont des musiciens professionnels, et nous n’avons que 3 - 4 répétitions ensemble avant un concert. Chacun connaît son rôle et sa partition, et en tant que Chef tu dois diriger. C’est un challenge, et il est composé de points importants :
Être au service du collectif
En tout premier lieu, tu es là pour faire en sorte que les choses se passent bien, et pour gérer les répétitions, le planning étant préparé à l’avance. Le Chef est là au service des autres.
Mais pas uniquement !
Créer une unité qui fonctionne
Pour faire en sorte que ça marche, il faut apprendre des autres, mémoriser les personnalités, leurs qualités, leurs défauts, leurs faiblesses, les reconnaître très vite, réaliser que celui-ci aura tendance à ne pas être sûr de lui, que celle-là a un sujet de discipline, l’autre un manque de volonté, une difficulté, que le dernier est en panique,… Ca, c’est ce qui est visible, et ensuite il y a l’invisible, ce qui fait leurs personnalités, et je dois rassembler tout cela.
Prendre des décisions par rapport à une partition
Prenons un exemple pour illustrer cela, par exemple diriger une œuvre de Mozart que je connais depuis que j’ai 10 ans. Les questions que je me pose alors sont « Quelle approche je vais avoir, qu’est-ce que je vais faire avec les musiciens, qu’est-ce que je recherche moi, comment je vais le leur présenter, est-ce que je me lance là-dedans ? » Tout cela dépend de l’orchestre.
C’est de l’action – réaction : tu donnes un geste, un tempo, et tu vois s’il est compris, à travers toute une attitude physique, corporelle que les musiciens vont adopter.
Prendre des décisions opérationnelles
Il faut trouver l’endroit où aller et le chemin à emprunter. Si je passe 10 mn sur un passage qui ne sert à rien, les musiciens décrochent. C’est comme si tu faisais attention à une petite tâche sur ta chemise, alors que tu as oublié de mettre tes chaussures ☺
Quand tu diriges un orchestre, chaque décision que tu prends à chaque moment t’amène à une réaction qu’il faut ensuite développer. C’est complexe, c’est passionnant, chacun joue sa partition au même moment. La musique, c’est le moment. Ça commence, ça finit. Et la minute 23 du concert, tu n’y reviens plus.
Paul Meyer, relation au public et relation aux autres
En entreprise aussi, il y a des partitions que tu ne rejoues pas. Une négociation, la première rencontre avec un partenaire clé, certains temps forts de rassemblement se jouent sur le moment !
Quelle est ta relation au public, est-ce que tu sens la salle, est-ce qu’elle est importante pour toi ?
En concert tu ressens tout, tu as des antennes, tu es complètement à l’écoute, et toujours dans cette action-réaction.
La première chose qu’il ne faut pas avoir, c’est peur. Comme un chef d’entreprise qui doit convaincre ses actionnaires, tu ne peux pas avoir peur.
Paul Meyer - Public
Ensuite il faut écouter son public, et se livrer à 100%. Le public est a priori ouvert, mais il doit aussi participer à un moment unique. C’est impossible de jouer comme un robot. Il faut qu’il ressente, qu’il comprenne, qu’il soit totalement là avec toi. Le public a son histoire, son habitude, il peut aimer ce que tu fais a priori ou pas. Il est conquis quand tu es sincère, et que tu arrives à le faire passer avec un niveau de réalisation parfaitement au point.
Je pense que c’est pareil pour un dirigeant d’entreprise, il doit savoir ce qu’il fait, au-delà d’avoir été formé pour prendre des décisions. Il faut convaincre avec des choses simples, trouver le langage adapté.
Est-ce que cette ouverture à 100 % implique une notion de vulnérabilité ?
Oui et non ! On ne s’ouvre pas psychologiquement en musique, il y a des codes, un protocole, on a le costume, la présentation, le public. On doit avoir une âme ouverte, ce qui est différent de se mettre à nu. Mais on peut explorer notre cerveau et aller où l’on veut.
Il faut bien sûr arriver à gérer le côté émotionnel. Pour moi le bon état d’esprit est d’être là pour m’éclater à fond, partager mon travail, et contribuer à la réussite de tout le monde, c’est primordial.
Tu ne peux pas bien jouer si tu n’es pas bien avec les autres, et si les autres ne t’aident pas.
Paul Meyer
Tu ne peux pas diriger si les gens ne se sentent pas bien. La personne qui t’accueille, celui qui tient le vestiaire, tes collègues, c’est le service des autres à 100%.
Je suis impressionnée à quel point c’est métaphorique de ce que l’on peut vivre en entreprise, ces codes, ces costumes, selon l’écosystème dans lequel on se trouve. C’est aussi la façon dont, sur une rencontre, on essaye de comprendre le plus vite possible l’état d’esprit de l’autre et de créer une connexion, un projet commun, d’identifier la manière d’aborder les choses avec une intention initiale.
Oui c’est absolument ça. Créer un projet commun, et jouer, tout est dans le mot ! Toi et moi, vous et moi ensemble. Moi pour que je m’éclate maintenant, il faut que tu sois là avec moi.
Tu as toujours eu cette ouverture à l’autre ?
Oui je crois.
Un ami me disait en riant que je suis très dirigiste. Oui, mais j’ai besoin de comprendre. Je ne veux pas exiger. C’est dans le rapport avec l’autre que je vois la voie qui s’impose pour moi, et ensuite je la joue, et l’impose doucement. Et après je ne lâche pas.
C’est quelque chose que j’ai appris avec l’âge et l’expérience. Quand j’ai un sentiment, si j’ai imaginé autrement, que je sens que ce n’est pas ce que je veux entendre, maintenant j’insiste, je reviens, j’y retourne, je rentre par la porte de derrière, je le dis.
Je pose beaucoup de questions, je responsabilise les musiciens. Le langage est important. En France on a un langage terrible, on n’apprend pas du tout à communiquer avec les gens.
Par exemple si je dis à quelqu’un « à ce passage tu joues trop fort » je suis forcément dans une critique, l’autre peut se sentir mal. Je prends un risque de mauvaise interprétation. En revanche « et si on essayait moins fort pour voir ce que ça donne ? » ça marche mieux. Déjà tu impliques l’autre, tu dis à l’autre « tu m’intéresses ». Il faut essayer de trouver le bon langage.
Tout cela repose sur l’intuition, la pratique, et puis à force sa voix interne.
Paul Meyer
Quand on est jeune on peut s’emporter, mais après il faut apprendre à s’adresser aux autres. Et si j’ai envie que tu fasses ça, si j’installe une couleur, qu’est-ce que je peux faire pour que tu le sentes ? En musique, c’est ça à 100%. Il faut modeler, il faut que l’autre ait envie, il faut qu’il ait la capacité, c’est un chemin.
Tu exprimes une grande sensibilité, cette capacité de perception de l’autre, comment l’approfondis-tu ?
Être à l’écoute, être ouvert, le principe même de cela est la rencontre. C’est un échange, un dialogue. Comme toi et moi aujourd’hui. On va chercher à se comprendre, comprendre l’univers mental de l’autre, vers où il va. C’est une rencontre personnelle et profonde, dans un code qui est celui de la musique.
En enseignement c’est un peu différent, car tu es dans une position dominante, une personne expérimentée avec quelqu’un qui est moins expérimenté. C’est plus facile et plus complexe car il faut guider en ouvrant des portes, et tu ne sais pas quelle va être la sienne.
Nous nous demandons en permanence comment installer notre rapport avec les autres, comment voir ce dont il a besoin. Est-ce qu’il faut être cassant, agressif, pour aider l’autre à sortir de sa zone de confort ?
Tout ça c’est la musique, c’est notre obsession du matin au soir.
J’aurais presque envie de dire que c’est la partition de ta vie, comme pourrait être la terre pour un agriculteur ?
Oui, apprendre, échanger avec les autres, avec soi-même, lutter contre l’obsolescence en travaillant dur, en ne lâchant jamais le morceau. Ce sont des qualités qu’ont tous mes collègues. Eric (Eric Le Sage, pianiste Ndlr) c’est pareil, avec une manière de fonctionner qui est la sienne. Nous avons tous cette envie d’aller plus loin chevillée au corps.
François-René Duchâble - Paul
Paul Meyer, rapport au temps et à la beauté
Je me rappelle un quatuor pour la fin du temps de Messiaen que tu avais joué au théâtre du Châtelet. C’était magnifique, le temps était comme suspendu. En musique le temps est essentiel, c’est le rythme, les silences, quel est ton rapport au temps ?
Le temps, en musique, on l’appelle le tempo. Le tempo, c’est la vitesse du temps. On peut jouer une œuvre rapidement, lentement. Il y a des nominations – allegro, andante, andantino - mais elles ne sont pas toujours précises. Le tempo est le temps qui s’écoule avec soi-même. C’est le temps qu’il faut pour dire des choses, et il n’est pas fixé, il faut le faire comprendre. Cela crée une sorte d’euphorie, à travers un discours, une participation. Par exemple, si nous jouons avec Eric Le Sage, je l’entends partir, je distingue son tempo, je vais me glisser là-dedans, transformer, aider, orienter, pour nous c’est ça le temps.
Le temps musical est également le temps qu’on a en commun. En musique il y a quelque chose que je n’ai jamais rencontré ailleurs, dans aucun moment de la vie, c’est que tu agis ensemble, précisément au même moment.
Pour comprendre ce que cela veut dire, le temps musical est divisé en beats/mn : 60 – 120 – 186 …
60 battements par minute, c’est l’échelle de la seconde. Pour nous une seconde de décalage est impossible. Cela n’existe pas en musique. La double croche est l’échelle du quart de seconde. Le décalage n’est encore pas possible.
La triple croche, c’est le seizième de seconde. C’est là où se situe la simultanéité de la musique.
Et puis il y a le temps de la partition, ce temps de jouer, où tu ne fais absolument rien d’autre, sans téléphone, sans notification, sans interruption.
On est toujours dans le temps, dans le tempo, dans la performance, on a toujours des dates, c’est très mesuré. C’est pour cela qu’on fixe aussi les répétitions de façon systématique de 10h à 13h. C’est tellement dur, tellement compliqué, qu’on ne peut pas ouvrir de souplesse en fonction de notre état du moment. Beaucoup de musiciens ont des problèmes avec ce temps décidé. Ils n’arrivent pas à se coordonner au temps des autres. Cela peut être très compliqué, très frustrant, très stressant.
Comment fais-tu pour ne pas le subir, pour t’en emparer ?
Il faut l’accepter. On est dans un processus continuel d’apprentissage. Il faut arriver à décloisonner ces moments, à mettre du lien, que ce ne soit pas un stress du moment. Un concert est juste un concert, il y en aura un autre demain. Il faut faire en sorte que ça avance et rentrer dans un déroulé. Comme dans une entreprise, il y a toujours des décisions, mais elles s’inscrivent dans un temps long. Se créer ce déroulé est essentiel, il conserve l’importance fondamentale du moment, mais le temps devient un temps long.
Tu participes au développement de nouveaux instruments pour le facteur Buffet Crampon. Qu’est-ce qui te nourrit dans ce projet ?
C’est un travail passionnant. Je suis conseiller, et je conçois avec d’autres. Moi qui sais juste jouer et apprendre, j’ai affaire à des gens qui savent faire des instruments, les percer, à ceux qui achètent le bois, aux ouvriers spécialistes, ceux qui réparent les instruments, au Directeur Général, aux actionnaires … Je vois la complexité d’une entreprise, je suis plongé dedans, au sein d’une équipe où chacun est complémentaire.
Il faut donner des impulsions, être sûr de l’endroit où aller. Ce qui est très particulier, c'est que les personnes avec qui je travaille ne savent pas utiliser ce que l’on crée. Les décisions musicales, techniques, qui doivent être prises, sont difficiles. Il faut que le produit marche, cela impacte la vie de l’entreprise (400 personnes).
Ce rapport entre expertise personnelle et réalisation me passionne. Cela me sort de ma musique. C’est important pour ré-ouvrir des perspectives.
Finalement j’ai un rôle de médiateur, je dois convaincre à tous les niveaux (recherche, conception, réalisation, essais, correction, conviction, fabrication, médias,…). Pour que les ouvriers me fassent quelque chose, il faut que je sache leur parler. On échange !
Comment ressens-tu le beau ?
Le beau pour moi c’est le ressenti, c’est la vision. C’est aussi une question de goût ! Moi par exemple, j’aime tout ce qui est vieux et délabré. Les scories, l’histoire. Le neuf m’ennuie, comme pour les habits. Je commence à me sentir bien dans un pull quand il commence à avoir des trous. Ce qui m’intéresse, c’est la continuité.
Dans l’art, j’aime tout ce qui m’interpelle. Je n’ai pas de marotte, mais j’aime ce qui est abstrait et que je n’arrive pas à comprendre. Tout ce qui est concret m’ennuie. J’aime voir ce qui est derrière. Il faut que ça me fasse imaginer.
Quel est le dernier message que tu voudrais passer à ceux qui nous lisent ?
Suivre son instinct à 100%. Quand tu as un truc qui te travailles, il ne faut pas transiger. Il ne faut pas capituler, vas-y à fond, tout en consultant bien sûr, mais écoute l’instinct, l’instinct, l’instinct…
J’ai de grands collègues, des musiciens importants, avec qui j’ai des relations de confiance et que je consulte souvent. Avec Michel Portal par exemple, nous nous appelons tout le temps, nous apprenons, nous jouons ensemble, nous faisons des essais, c’est un partage. Mais faire confiance à son instinct est la chose la plus importante de cette histoire. S’il y a quelque chose qui te travaille encore, questionne-toi encore, ne lâche pas le morceau. Si tu as le moindre doute, c’est que tu n’as pas trouvé le truc.
Notre quête en musique se trouve dans le monde des sensations des sentiments. Finalement je crois qu’il y a une forme de spiritualité dans cette recherche permanente d’orientation vers ce qui nous semble plus juste.
Paul Meyer, biographie et engagements
Paul Meyer
Depuis ses débuts fulgurants, en remportant les prestigieux concours de l’Eurovision et Young Concert Artist à New-York en 1982 à l’âge de 17 ans, Paul Meyer n’a cessé de surprendre.
Considéré dès son plus jeune âge comme un instrumentiste exceptionnel, son parcours est jalonné des plus belles rencontres musicales : Benny Goodman, Isaac Stern, Rostropovitch, Jean-Pierre Rampal, Martha Argerich, Yuri Bashmet, Gidon Kremer, Yo-Yo Ma, Emmanuel Ax partenaires avec lesquels il a joué dans les salles de concerts les plus réputées au monde.
Toujours à la recherche de sensations musicales extrêmes, il s’oriente très vite vers la direction d’orchestre, tout en développant son jeu qui lui confère une place unique comme clarinettiste reconnu dans le monde entier.
Après avoir créé l’orchestre de chambre d’Alsace, il est de plus en plus sollicité pour diriger des orchestres. Chef associé de l’Orchestre Philharmonique de Séoul de 2006 à 2010, en 2009, il est nommé Chef Principal de l’Orchestre Kosei de Tokyo.
En 2018, il devient le Chef Principal de l'Orchestre de Chambre de Mannheim.
Très vite, la reconnaissance de son travail, basé sur une compréhension et une expérience de la pratique orchestrale, lui ouvre les portes de la direction des plus grands orchestres symphoniques et de chambre en Europe, Asie et Amérique du Sud.
Sa rencontre avec Pierre Boulez et Luciano Berio - ce dernier lui dédia sa pièce pour clarinette Alternatim - fut déterminante dans la place qu’il occupe dans le développement du répertoire de son instrument grâce aux créations de concertos écrits pour lui par les compositeurs contemporains tels que Krzysztof Penderecki, Michael Jarrell, Qigang Chen, Luciano Berio, Edith Canat de Chizy ou Thierry Escaich, et qui ont été créées dans les plus grands festivals tels que Salzburg, Vienne ou Amsterdam. Les prochaines créations seront des œuvres de Guillaume Connesson et Eric Montalbetti.
La carrière discographique de Paul Meyer, qui comprend plus de cinquante disques signés chez DGG, Sony, RCA, EMI, Virgin, Alpha et Aeon, a fait l’objet de nombreuses récompenses parmi lesquelles: Fono-Forum, Diapason d’Or, Choc du Monde de la Musique, Choc de Classica, Gramophon, Grammy Awards,et autres.
Ses derniers enregistrements comme chef d’orchestre sont le Cello Abbey avec Nadège Rochat et la Staatskapelle de Weimar et les concertos de Weber joués par lui-même avec l’Orchestre de Chambre de Lausanne. Est également paru le concerto de Thierry Escaich qui lui est dédié avec l’Orchestre National de l’Opéra de Lyon sous la baguette d’Alexandre Bloch.
Passionné de musique de chambre, il a fondé l’ensemble Les Vents Français et est cofondateur avec Eric Le Sage et Emmanuel Pahud du Festival International de Musique de Salon de Provence.
Décoration : Commandeur de l'ordre des Arts et des Lettres (2012)
Médaillé olympique, de championnats du monde et de tournois du Grand Chelem, Stéphane Houdet remporte depuis 2005 des tournois internationaux de tennis en fauteuil roulant.
Dans cet article, Stéphane nous parle d’expériences de vie, d’opportunités, de changement de perception, de travail, de détermination : changer de regard et saisir le champ des possibles pour réaliser ses rêves.
Interview réalisée le 12/10/22 par Thérèse Lemarchand, CEO Mainpaces
Stéphane Houdet : détermination et longévité
Bonjour Stéphane,
Cela fait depuis 2005 que tu remportes des tournois internationaux en tennis-fauteuil, que ce soit aux Jeux, aux championnats du monde ou pendant des tournois du Grand Chelem. Une longévité exceptionnelle, qui est celle d’un Nadal. D’où tires-tu cette capacité, cette détermination à toujours s'entraîner et gagner ?
Je distingue deux points dans ta question : je remporte de très beaux tournois mais j’ai également des concurrents incroyables qui sont encore devant moi même si j’ai eu des passages dans ma carrière où j’étais en haut de la pyramide.
Il n’empêche que ce qui est beau dans notre discipline, et on peut faire le parallèle avec le monde de l’entreprise, c’est que quand on a gagné une épreuve le dimanche soir, il n’est pas question de se reposer sur nos lauriers, nous sommes confrontés dès le lundi ou le mardi à nos adversaires avec la possibilité de perdre. Et si on a perdu, nous avons également dès le lendemain la possibilité d’inverser la tendance, et ne pas pleurer sur notre sort.
Concernant la longévité, dans ma pratique sportive, le fait de jouer assis et de ne pas utiliser les membres inférieurs, les quadriceps (qui sont les muscles qui consomment le plus d’énergie), les genoux (qui s’usent le plus au tennis) nous donnent un avantage indéniable en termes de longévité physiologique.
Je me retrouve aussi, après avoir fini mes matchs, à utiliser une prothèse, à me relever, et à marcher. Marcher me permet de reposer mes membres supérieurs qui sont les plus utilisés dans ma pratique sportive. Donc d’un côté je consomme moins, et de l’autre côté je peux me reposer.
Aujourd’hui il est vrai que je ne suis pas le plus jeune du circuit, et ce sport fera de plus en plus la place aux plus jeunes. Il faut tempérer la comparaison avec des grands joueurs, à commencer par un Rafael Nadal, quand par exemple il se voit défié d’un seul coup par un jeune de 19 ans comme Carlos Alcaraz. En tennis fauteuil nous sommes moins nombreux, rester compétitifs dans un univers ou il y a moins de concurrents est plus facile, donc je peux profiter aussi de cet effet de nombre.
Stéphane Houdet - APF
Aujourd’hui il y a dans la société un nouveau regard, qui dit que l’on peut rester performant sur la durée.
Stéphane houdet
Il est vrai également que le monde a changé. J’ai vécu avec Jeannie longo, à une époque où l’approche de sa pratique était plutôt négative, son âge était critiqué, moqué parfois. Aujourd’hui il y a dans la société un nouveau regard, qui dit que l’on peut rester performant sur la durée. Je crois que les gens acceptent cette différence beaucoup plus facilement.
Stéphane Houdet : rebondir et découvrir le champ des possibles
Ton histoire est très forte. Un accident de moto t’a privé de l’usage de ton genou gauche, tu étais très bon en tennis mais tu menais une carrière professionnelle - que tu as poursuivi d’ailleurs puisque tu étais docteur en médecine vétérinaire. Pourquoi as-tu alors décidé de faire du sport ta carrière principale ?
L’accident m’a permis d’un seul coup de réaliser des rêves d’enfants, et d’envisager une carrière sportive là où des années plus tôt elle s’était envolée.
Quand j’étais enfant, j’étais champion des Pays de la Loire en tennis, ma région de naissance. J’ai participé au championnat de France, c’était assez sympa mais en même temps j’étais loin des meilleurs, et ne pas partir sur une carrière professionnelle tennistique était raisonnable. J’étais dans une famille où on adore le sport, mais où on privilégie une carrière professionnelle. C’était peut-être une question de prise de risques, je grandissais en pensant qu’il fallait que j’assure mes arrières.
Mon accident, qui va me clouer sur un lit d'hôpital pendant un moment, va m’ouvrir les voies d’une discipline pour laquelle je pouvais tenter l’aventure : je me suis alors dit “j’essaye de devenir joueur professionnel de ce sport, en l'occurrence le tennis en fauteuil roulant, et si ça ne marche pas, je retourne à mon métier de vétérinaire.” Le risque était modéré puisque j’avais une profession libérale vers laquelle je pouvais revenir à souhait.
Je comprends la motivation profonde, comment as-tu déployé cela, qu’est-ce qui t’a permis d’y arriver ?
Au départ, c’était vraiment une expérience de vie, on ne sait pas trop ce qui nous arrive. Pour tout être humain qui vit un drame quel qu’il soit, il y a d’abord un passage par une case où tout devient quasiment impossible. Des traumatismes peuvent nous freiner, nous anéantir, nous clouer au lit.
Il y a une période de digestion avant de s’engager vers de nouveaux défis, de nouveaux succès, et par la suite seulement de nouveaux objectifs, de plus en plus grands. On a des repères, et petit à petit, on découvre des possibilités.
Stéphane houdet
Quand on découvre le champ des possibles, on ne se met plus de limites et on repart de plus belle.
L’univers des possibles existe dans toutes les disciplines, chez les sportifs bien sûr mais également chez les artistes, chez les entrepreneurs, chez tout un chacun. Une première situation va nous offrir un premier succès, aussi minime soit-il, l’important est le positif associé à l’expérience. Ensuite ça fait boule de neige et on ne se concentre plus que sur les succès en transformant les échecs en moments d’apprentissage. C’est un processus sans fin.
Stéphane Houdet, Impossible - APF
Il faut se rappeler que dans mon cas, je partais d’un programme cérébral qui avait été déconnecté. Réussir à remettre cette cuillère dans la bouche, marcher, aller dans la salle de bain seul, découvrir la vie. Tout a été un réapprentissage. Tout est re-questionné. “Est-ce que l’on s’aime ? Est-ce que l’on va être aimé ? Est-ce que l’on va pouvoir travailler ? Être embauché ? Pouvoir avoir des enfants ? Est-ce que nos amis vont nous tourner le dos, continuer à être présents ?”
Je me suis remarié il y a quelques années, je serai à nouveau papa au mois de janvier, et j’étais loin d’imaginer ce parcours. L’univers des possibles change au quotidien 🙂
Je travaille aussi pour une importante fondation, le handilab, c’est un autre rêve qui est devenu réalité : créer un grand pôle d'innovations et d’excellence au service du handicap et de la perte d’autonomie.
La vie nous éclaire sur des possibles auxquels nous n’avions jamais pensé. Cela ne s'interrompt que par la mort. Chaque jour apporte ses opportunités.
Stéphane Houdet
Stéphane Houdet : Prioriser et gérer son temps
Le temps de l’opportunité est un temps éphémère qu’il faut savoir saisir, et implique donc une forme de disponibilité. Beaucoup des entrepreneurs et dirigeants qui nous lisent expriment globalement un manque de temps. Quel est ton rapport au temps ?
Le manque de temps qui est décrit là correspond à un choix, le choix de ce que l’on fait. On manque de temps sur des choses qu’on n’a pas priorisées, mais sinon on trouve le temps.
Stéphane Houdet
D’un point de vue philosophique, ceux qui ont subi un traumatisme ont appréhendé que tout pouvait s’arrêter.
Donc la question à se poser est “si demain tout se terminait, comment je prioriserais cette partie là ?”. J’aime bien ça dans notre quotidien, d’imaginer qu’il n’y aura peut-être pas de lendemain. Cela induit un apaisement des relations, des comportements, des façons d’agir.
Nous sommes sur terre pour un temps fini aujourd’hui, qu’en faisons nous ?
Ma vraie richesse aujourd’hui, c’est de ne pas avoir de dimanche soir. Je n’ai pas cette peur du lundi matin où il faut reprendre une activité non désirée. Mon temps est organisé autour du plaisir, et le plaisir pour moi c’est la liberté, la contemplation, l’imprévu, j’aime fonctionner avec l’improvisation.
Œuvre réalisée par Stéphane Houdet pour Roland-Garros 2024
Derrière ces courbes se cache un message que les plus observateurs pourront s’amuser à découvrir 🙂
Mon agenda professionnel repose sur 4 piliers : le physique, le mental, la mécanique pour le tennis et la gestion des différents projets pour la partie extra sportive.
J’ai un incompressible qui correspond aux dates des épreuves, des tournois, que je ne peux pas modifier. Je suis 23 semaines par an sur le circuit. La partie mécanique est gérée par une équipe d’ingénieurs et de chercheurs, je suis l’agenda de leurs emplois du temps.
A distance des épreuves, je peux choisir la manière d'appréhender mon temps de façon plus libre, donc je suis beaucoup plus proche des chercheurs au retour des épreuves. Plus la date du prochain tournoi se rapproche, et plus je suis sur le court.
Je fais un mélange de sports mécaniques et de tennis. Je fais beaucoup de tests, je suis passionné par ce sujet de R&D, il s’intègre très facilement dans mon jeu. On tente beaucoup de choses pour garder un coup d'avance.
Stéphane Houdet : l’impact de la science et de l'innovation pour consolider l'expérience
Le tennis-fauteuil, c’est une dextérité extraordinaire dans les mouvements, et un autre rapport au tennis, puisque tu peux perdre des yeux la balle quand tu te déplaces. Comment tu déjoues cela, qu’est ce que ça a impliqué en termes d’apprentissages, en termes de préparation physique ?
Quand on apprend à jouer sur ses 2 jambes, on a une consigne : regarder la balle. Lire la balle dans toutes ses trajectoires en fonction du sol et des gestes.
Dans un fauteuil on a une problématique de déplacement si on veut garder le fauteuil en mouvement. On décrit des grands 8, parfois dos au filet, il y a donc des moments où on ne garde pas les yeux sur la balle.
L’apprentissage qui en découle est associé aux neurosciences.
Quand j’ai commencé, c’était difficile et contre intuitif, je me disais que ce n’était pas possible. Et puis l’expérience m’a montré que ça l’était. Alors j’ai cherché à comprendre, j’ai échangé avec des gens compétents. Et il m’ont démontré que c’était normal, et qu’avec 4 points, 4 images de départ, le cerveau pouvait reconstituer la trajectoire de la balle. Donc avec l’information de la balle qui part et le mouvement de mon partenaire-adversaire, j’arrive à reconstituer dans le cerveau l’image de la balle sans utiliser les yeux.
C’est la même chose qui se joue au volant de notre voiture, quand on estime en un instant la trajectoire d’un piéton, d’un ballon, et que l’on ajuste notre trajectoire sans en être forcément conscient.
Le fait de pouvoir consolider scientifiquement ce que m’apprenait l’expérience, m’a apporté un engagement beaucoup plus fort.
Avec les chercheurs, dans notre protocole on a intégré la mesure du ressenti. Mon ressenti peut me tromper, je peux avoir l’impression que je suis allé plus vite, moins vite, alors que les mesures disent le contraire. Mon appréhension du résultat était mauvaise, et cela m’aide à m’ajuster.
Dans la mesure du ressenti, j’imagine et j’ai l’explication scientifique. J'adore. Je n’ai aucun problème à changer mon approche, là où mon ressenti n’était pas le bon. Cela ne me déstabilise pas. C’est peut-être lié à mes études vétérinaires, la science évolue, on a imaginé des choses hier qui sont fausses aujourd’hui.
C’est aussi une manière de se faire confiance, de faire confiance à notre corps, d’apprécier l’étendue de ses possibilités. Je me fais confiance, je sais que mon corps sait faire, il va faire pour le mieux dans chaque situation.
Stéphane Houdet - Tennis
Le tennis, ce sont des matchs parfois longs, qui demandent de la résistance physique, de la résistance à la douleur, de la ténacité, quelle forme de préparation mentale fais-tu, comment l’inscris-tu dans ton quotidien ?
Je me suis beaucoup documenté, et je me suis posé beaucoup de questions.
Je crois que l’éducation nous guide de façon essentielle vers cette façon d’appréhender la compétition. Il y a des outils, mais je pense qu’il y a des joueurs qui se sont fabriqués leurs outils à travers l’éducation dès le plus jeune âge. La gestion d’un échec, de la perte d’un match à 7 ans, ou d’une mauvaise note sont des situations de la vie qui te permettent d’apprendre.
Le mental se forge avec des outils mais il est en lien avec chaque caractère. Certaines personnes sont naturellement orientées pour voir le verre à moitié plein, et d’autres à moitié vide.
Tu es un ingénieur pilote, tu dis que tu pratiques un sport mécanique, ton fauteuil est décrit comme un bijou de technologie, tu mènes des recherches approfondies autour de la conception de ton fauteuil avec des chercheurs du Laboratoire de Biomécanique des Arts & Métiers et du CERAH (Centre d'Études et de Recherche sur l'appareillage des Handicapés), comment mènes-tu ces recherches ?
C’est la même chose que le développement en Formule 1 : on développe un objet pour une pratique de compétition de très haut niveau, et il va permettre des applications pour M. et Mme Tout le Monde.
Nous avons fait des thèses sur le sujet, pour comprendre quels étaient les meilleurs roulements, les meilleures roulettes, les meilleurs moyens de fixation des roues au châssis, le poids, etc.. Il faut que les fruits de cette recherche permettent d’améliorer le quotidien des gens concernés.
Je vois par exemple dans les poussettes des évolutions qui correspondent à des recherches de ce type. Elles ont des roulettes plus grandes, des roulements plus performants, elles sont plus légères, plus faciles à ranger. Il y a de nombreuses applications.
Stéphane Houdet : échanger et faire entrer l’autre dans son monde
J’ai pu voir dans certaines interviews que tu pouvais être facétieux, quelle est la part du jeu et de l’humour dans ton parcours ? Quelles forces cela t’a donné ?
L’humour, je l’associe à une éducation, avec un besoin qui est l’autodérision et qui permet l’échange.
Je vais te raconter une anecdote. Il n’y a pas très longtemps, j’étais à Roland Garros en train de m’entrainer avec un partenaire. Le service technique vient brancher les micros et faire des tests.
Ils sont 2, ils demandent s’ils peuvent venir sur le court pour passer les câbles. Un des techniciens s’installe derrière moi, je continue à jouer, je perds le point, et tout de suite je dis "n'importe quoi, y a du monde partout, on est dérangés”. Le technicien va de l’autre côté du court, tire son câble, et mon service arrive tout prêt de sa jambe. Je lui dis “désolé, j’étais attiré par la jambe”. Il me répond “t’es jaloux hein”. Je n’ai rien dit, le gars est parti, j’étais bluffé. Je me demandais “est-ce qu’il serait susceptible de dire la même chose à quelqu’un de paraplégique ?”.
Je termine ma partie, je le retrouve, et vais lui dire merci. En effet, en me charriant, il m’a intégré dans son univers, donc je peux faire partie du sien, et on peut échanger. Il me raconte qu’il a été guide de colonies de vacances, pour des enfants qui avaient des lésions importantes. L’humour était leur langage, c’est devenu le sien, c’est ce qui lui permettait d'échanger ainsi.
Donc c’est ça qui est important, échanger. C’est philosophique, et c’est la base du respect.
C’est un peu ce que je regrette dans notre monde d’aujourd’hui. En refusant de chambrer, de se faire des blagues, on n’intègre pas l’autre dans notre monde.
L’humour est une forme d'éducation pour tous. Dans les centres de rééducation dans les groupes communautaires, les gens se font des blagues entre eux.
On doit pouvoir rire de tout, avec tout le monde. L’autodérision permet de réfléchir. L’humour dépend aussi du récepteur. C’est au récepteur de choisir l'angle sous lequel il veut apprécier ce que veut dire l’émetteur, de se sentir éclairé ou puni.
Stéphane Houdet : distinctions et prochains objectifs
Tu as été porte-drapeau pour l’équipe de France paralympique en 2021 aux JO de Tokyo 2020 sur vote du public, tu as été également fait officier de la légion d’honneur par le président Emmanuel Macron (3è médaille d’or), qu’est-ce que cela implique pour toi ?
Je suis très sensible à cette reconnaissance de la nation pour les deux.
Pour le porte-drapeau, nous étions en binôme avec Sandrine Martinet, un homme et une femme. Notre mission était d’être parfois devant, mais toujours derrière nos athlètes, c’était un moment magique, un très grand moment. Il y a eu des votants, je suis très heureux que des gens aient voté pour nous, je leur en suis très reconnaissant.
Ma légion d’honneur, je l’ai reçue au retour des Jeux avec la promotion des médaillés aux Jeux. C’est la 3è distinction que je reçois et désormais je suis officier de la Légion d’honneur et de l’ordre du mérite. Je suis toujours très touché d’être honoré par un Président de la République quel qu’il soit.
C’est un honneur, ce n’est pas une consécration, car à chaque fois je ne vois pas tout cela comme un point final, mais c’est une tranche de vie agréable à vivre.
Quels sont les prochains objectifs que tu te fixes, si tu t’en fixes ?
Je regarde forcément ce qui va se passer demain, même si j’aime beaucoup l’impro 🙂
Le plus important de tous, c’est notre quotidien, accueillir mon enfant à venir pour la fin du mois de janvier (ce sera mon 5è), et avant ça de trouver le cadeau d’anniversaire de mon épouse qui se rapproche à grands pas !
D’un point de vue professionnel, nous avons reçu le permis de construire du handilab.
Ce pôle d’innovations et d’excellence de 15000 m2 verra le jour pour les Jeux en 2024 au cœur du village qui accueillera les athlètes à Paris. Ce bâtiment sera entièrement dédié à l’innovation au service du handicap et de l’autonomie.
Mais ce sera aussi un lieu ouvert à tous pour faire naître la découverte, le dialogue et l’inattendu, facteurs clefs de toute démarche d’innovation.
Sans modestie c’est un objectif magnifique et un projet qui se veut fédérateur pour l’humanité.
On y intègre un programme de formation. On a besoin de managers qui savent travailler avec des gens différents, et aussi de gens différents susceptibles de devenir des managers. Tu l’as compris, l’éducation et la formation sont des sujets importants pour moi. Une fois qu’on est éduqués, on est capables de vivre ensemble, et cela devient un collège de compétences.
En termes d’objectifs sportifs, j’aimerais bien gagner encore des grands chelem, que Paris 2024 soit une énorme fête, mais que ce ne soit pas non plus un point final. Mon objectif pourrait être Los Angeles 2028 voire Brisbane 2032 parce que j’adore l’Australie. C’est loin, mais pourquoi pas !
Quel dernier message tu voudrais passer à ceux qui nous lisent, entrepreneurs et dirigeants ?
Il y a une phrase que j’aime bien sur l’univers des possibles puisqu’on a commencé comme ça “Si c’est possible c’est déjà fait, et si c'est impossible vous le ferez”.
J’aime bien, car c’est tellement courant dans nos sociétés de se dire que c’est impossible.
J'adore les rêveurs. La dernière fois que j’ai fait ma présentation sur le handiLab, c’était au France Digital Days, et j’ai commencé par “I had a dream”. Je ne voulais pas paraphraser Martin Luther King (!) mais c’est vrai que j’avais un rêve, et qu’il est en train de devenir réalité.
Parfois on se rend compte que des gens ont doublé, ont anticipé, ont agit sur nos rêves, et que cela peut se faire à plusieurs et de manière encore plus grande.
2012 à Londres : médaillé d'argent en simple messieurs,
médaillé de bronze en double messieurs avec Michaël Jeremiasz
2016 à Rio : médaillé d'or en double messieurs avec Nicolas Peifer
2020 à Tokyo : médaillé d'or en double messieurs avec Nicolas Peifer
Grand Chelem
Victoires en simple :
Roland Garros : 2012, 2013
US Open : 2013, 2017
Victoires en double :
Roland Garros : 2007, 2009, 2010, 2013, 2014, 2017, 2018
Wimbledon : 2009, 2013, 2014
US Open : 2009, 2011, 2014, 2015
Open d’Australie : 2010, 2014, 2015, 2016, 2018
Engagement :
Le Handilab : handilab.com - site 100% accessible en front et en back-office.
Distinctions
Officier de la Légion d'honneur le 8 septembre 2021, chevalier le 19 janvier 2009
Officier de l'ordre national du Mérite le 1er décembre 2016
Le corps et le mental sont indissociables... Gévrise Emane, triple championne du monde et médaillée olympique de judo, nous parle de cette relation étroite. Elle nous donne son retour d'expérience pratique pour se transformer en combattante et permettre au corps et au mental de rester alignés, en compétition et hors compétition.
“De la même façon que je me rends physiquement opérationnelle et qu’à un moment donné mon corps a tout enregistré, et je peux sortir l’attaque, c’est la même chose mentalement, il faut que mon mental ait enregistré des gammes.”
Dans cette interview, Gévrise Émane nous explique son parcours, ses premiers combats remportés, ses échecs, ses doutes jusqu’à ses premiers Jeux Olympiques. Mais pour devenir une championne, il faut se préparer, s’entraîner, se conditionner, et savoir s’entourer ! Gévrise nous donne ses conseils pour développer des capacités durables et se transformer en combattante.
Ses méthodes préférées ? Le sommeil pour se remettre en action et la musique pour changer de rythme !
Interview réalisée le 14/09/22par Thérèse Lemarchand, CEO Mainpaces.
Gévrise Émane, la construction d'une championne
Bonjour Gévrise, vous venez d’avoir 40 ans cet été, et vous êtes triple championne du monde et médaillée olympique de judo. Quelles ont été les étapes clé de ce palmarès exceptionnel ?
J’ai découvert le judo à l’âge de 12 ans, ce qui est assez tard, grâce à mon professeur d’EPS qui était aussi professeur de judo. A partir de là, c’est allé vite, j’ai été médaillée sur un championnat de France junior quelques années plus tard et j’ai aussi passé les ceintures très rapidement. Probablement du fait de qualités physiques supérieures à la moyenne, mais aussi grâce à une grande capacité d’apprentissage et de travail.
Je suis une travailleuse, et je pense que le judo, et le sport en général, sont venus révéler ça, et renforcer cette capacité à pouvoir engranger les sciences et techniques que les professeurs m’apprenaient, sans trop rechigner.
Je pense que ça a été une vraie force, et encore plus quand j’ai intégré l’INSEP en 2001 à 18 ans. Ce qui est original ici est que c’est une demande que l’on m’a faite. Normalement on postule, la demande vient du sportif. J’ai fait un pacte moral avec mes parents pour continuer mes études jusqu’à la licence, et d’un commun accord j’y suis allée.
Là c’était la deuxième étape, et je suis passé au niveau supérieur en tout, en terme de charge de travail, en terme de réflexion sur l'activité. Avant j’étais plutôt dans le jeu, là j’ai découvert que ça pouvait être un parcours, et j’ai construit une carrière de sportive.
Ce n’était pas facile, je suis passée de deux entraînements par semaine à des entraînements bi-quotidiens, tout en continuant ma licence de droit.
J’ai fait preuve de patience, car il faut être extrêmement patient pour développer toutes les compétences techniques, mentales, technico-tactiques, intégrer le modèle de performance, la diététique. J’ai incorporé tout cela, et les premiers résultats sont arrivés finalement rapidement en 2002, lors d’une compétition internationale où je suis arrivée 3ème.
J’ai eu mon premier vrai gros résultat en 2003 sur le Paris Grand Slam, qui est l’un des plus gros tournois au monde dans le circuit international de judo, et ça a été un déclic. Je suis arrivée 3è en battant des filles beaucoup plus médaillées que moi, et plus anciennes sur le circuit.
Ça a été une compétition de référence : j’ai compris dans quel état je devais être pour pouvoir performer en compétition. J’ai été accompagnée pour comprendre ce que j’avais fait avant la compétition, 2 jours avant, le jour d’avant très concrètement, qui j’avais vu, quelle musique j’avais écoutée, ce que l'entraîneur m’avait dit, avait vu, quelle dynamique j’avais sur le tatamis…
Tout cela m’a permis d’identifier quelle judoka j’étais pour pouvoir réitérer l’exploit. Je me suis donnée l'objectif de l’être tout le temps, dans toutes les compétitions.
Là j’ai décidé d’être sportive de haut niveau et de gagner une médaille olympique.
J’ai goûté à la joie de la victoire, de l’explosion.
J’ai eu un autre déclic aux JO d’Athènes, où je n’étais pas sélectionnée mais où j’étais présente en tant que sparring partner. J’y ai donc accompagné les équipes filles et garçons, je servais de partenaire, et je regardais la compétition. Et là je me suis dis, les Jeux, c’est quelque chose de malade.
On est très sportifs chez les Emane, on regarde beaucoup les Jeux, les tournois et championnats, j’avais déjà été impressionnée par la capacité des athlètes à se dépasser. Et c’est cela que j’ai vu et vécu lors de ces Jeux. Rien que le fait d’avoir l’intention de gagner, de le montrer, et de l’exprimer avec tout son corps, j’ai trouvé ça hyper fort.
Enfin ce qui a construit mon parcours ont été les victoires, mais aussi les échecs. Quand je suis arrivée à mes premiers JO en 2008 à Pékin, j’avais tout gagné. J’arrive à Pékin avec une boule d’excitation positive dans le ventre, et je perds au 1er tour sur une espagnole, qui était très rude mais que je pouvais battre. Cela a été catastrophique pour moi, j’ai été plus que peinée, et il m’a fallu du temps pour récupérer.
J’ai pris le temps de réfléchir à quelle athlète je voulais être. Est-ce que je voulais continuer le judo ? Je pleurais en compétition même si je gagnais, j’avais du dégoût. J’ai fait un très gros travail psychologique d’introspection, sur qui j’étais en tant qu’individu, ma place dans la famille, pourquoi le sport, pourquoi le judo, qu’est ce que cela m’apportait, quelle sportive je voulais être. J’en suis arrivée à la conclusion que je n’en n’avais pas fini avec moi-même, et que j’avais pour ambition d’aller plus loin et de chercher le titre qui me manquait. Je me suis dit “plus jamais comme à Pékin”, et j’ai engagé un gros travail de transformation.
En 2008 pour pouvoir survivre dans cette période qui était très difficile pour moi, j’ai changé de catégorie de poids. Les gens ont beaucoup interprété ce changement, ils ne se rendaient pas compte à quel point ces Jeux avaient été difficiles pour moi, et à quel point j’avais besoin de pouvoir me lancer des défis. Je suis une femme de défis. Je n’étais pas capable de réussir en moins de 70 kg ? J’ai changé de catégorie de poids en 2009 et je suis descendue en moins de 63 kg.
Gévrise Émane, se préparer au combat : s'entrainer et se conditionner
Comment vous-êtes vous entraînée pour en arriver là ? Il y a toute la partie physique, technique de combat, technico-tactique, mais le judo est un art martial et un sport de combat dans lequel la force mentale est aussi essentielle, comment rassemblez-vous les deux ?
Les entraîneurs ont l’habitude de dire “nous le mental, on le travaille sur le tapis”. C’est vrai, mais pas tout le temps 🙂
Je travaille donc aussi avec la préparatrice mentale, que je vois de façon régulière mais à des fréquences non déterminées, quand j’en ressens vraiment le besoin avec un premier travail de fond qui a déjà été fait.
Mon approche est d’abord de travailler seule, et quand je n’y arrive pas je vais chercher l’aide, j’appelle à l’aide, à l’aide !! Ca vient beaucoup de mon éducation aussi, on est comme ça chez les Emane, nos parents nous ont toujours dit, d’abord tu cherches, et ensuite si tu ne trouves pas, tu nous appelles.
Je travaille aussi beaucoup le mental sur le tatamis, notamment dans cette transformation de qui je suis : la Gévrise au quotidien, qui est cool, tranquille, sympa … et la Gévrise sur tatamis qui doit se transformer en combattante.
En judo on combat, à la différence d’autres sports comme le tennis, le volley, on n’emploie jamais le mot jouer, ce n’est pas un jeu. Donc il fallait que je devienne combattante, conquérante, et agressive.
Ca, je l’ai travaillé physiquement. Au début je ne faisais pas de réveil musculaire, mais à l’INSEP j’ai fait des réveils musculaires même pour l’entrainement : tout ce qui est en amont de la compétition, je l’ai incorporé à l'entraînement
J’arrivais plus tôt que les autres, pour m’échauffer, courir dans le bois qui est en bordure de l’INSEP, faire des étirements, .. Et donc quand on commençait l’échauffement à l'entraînement, j'étais déjà sur le spécifique.
Je faisais ensuite la majorité de mes combats sur une surface de combat comme pour les compétitions. Et avec l'entraîneur nous avions identifié que le 1er combat de la journée que je devais faire, même à l'entraînement, devait être un combat fort. Je fais 1m65, donc soit je prenais une fille plus grande que moi, soit une fille d’une catégorie supérieure à la mienne, voire même un garçon. Et donc le premier combat de la journée ou de l'entraînement devait être un judoka ou une judoka qui me pose problème, de façon à ce que je me mette déjà en mode compétition.
Cette mise en condition très intense vous a permis de développer des capacités de façon plus pérenne, plus durable ?
Oui, plus je le faisais à l'entraînement, mieux je pouvais le faire à la compétition.
Alors bien sûr il ne faut pas le faire tout le temps, car c’est épuisant mentalement, en tenant compte également des consignes que j’avais parfois à appliquer qui peuvent être très précises pour développer ses capacités (chercher une adversaire droitière, appliquer tel schéma de combat,...). Parfois j’avais des consignes et parfois je n’en n’avais pas pour chercher mon propre chemin.
Tout ça mis bout à bout et répété le plus souvent possible, mais pas tout le temps, à l'entraînement, ça m'entraînait le mental pour qu’en compétition derrière ce soit plus facile, même si en compétition il y a également le stress et l’enjeu qui viennent se rajouter.
C’est comme la technique en fait, répéter des ippon seoi nage, répéter ses gammes, … on le fait parce qu’en compétition ce sera beaucoup plus facile car notre corps aura intégré cela.
De la même façon que je me rends physiquement opérationnelle et qu’à un moment donné mon corps a tout enregistré, et je peux sortir l’attaque, c’est la même chose mentalement, il faut que mon mental ait enregistré des gammes.
Tout cela représente un conditionnement important, comment faites-vous pour ressortir de l’état de combat ?
En judo les combats s'enchaînent sur une seule journée, parfois avec seulement quelques dizaines de minutes entre les combats (le minimum est de 10 mn).
Entre les combats j’arrivais à switcher rapidement : je pense déjà au combat d’après, mais je redescends l’agressivité car c’est la période de récupération.
Pour moi la méthode miracle est de dormir, je faisais des micro siestes. 15 mn avant le prochain combat, je me remettais en action. J’utilise beaucoup la musique pour cela, ça m’aide, je change de musique et alors je change de rythme. Pour être agressive j’ai besoin d’être mobile.
J’ai aussi beaucoup utilisé des mots clés que je me répétais ou que mon entraîneur me rappelait, des termes comme “bouge”, “agressive”, “mobile” .. . pour que ça puisse créer un tilt, et ré-ouvre une phase dynamique, très combative.
Après les compétitions, cela dépendait si j’étais sur le podium ou pas ! Car alors entre les interviews et tout ce qui suit, la phase d’excitation peut durer très longtemps. Et tout à coup ça s'arrête. C’est comme une petite mort en direct. Alors encore une fois la clé pour moi était le repos, une bonne petite sieste pour faire retomber l’excitation. Et puis me reconnecter à la réalité, à mes proches, mes parents, ma famille. On est parfois très déconnecté quand on est sportif de haut niveau, revenir à soi et aux siens est très important.
Faire la fête aide aussi😉
Gévrise Émane, bien s'entourer pour performer
Quelle représentation avez-vous de votre adversaire ?
J’ai toujours eu un grand respect de l’adversaire. Je la considère comme une personne humaine, et je me la représente en fonction de ses qualités plus que de ses défauts, de ses points forts qui peuvent me mettre en difficulté. C’est un jeu d'échecs, je dois l’amener là où je suis forte et là où je vais la cueillir.
Certains sportifs diabolisent leurs adversaires pour se mettre en état d’agressivité, ce n’est pas mon cas. Je me concentre sur ce qui est technique et tactique.
Ma motivation a toujours été l’envie de progresser, de gagner. C’est bien de gagner, c’est valorisant 🙂 Mais en fait en combat je ne me focalisais pas sur la finalité, je me focalisais sur le comment : comment je fais pour gagner ? Cela m’a toujours beaucoup aidé dans ma manière de voir les choses.
Un combat on le perd ou on le gagne, c’est comme dans le business, on perd ou on gagne souvent. Que ressentez-vous après un combat perdu, et quels sont vos conseils pratiques pour vous remobiliser ?
Après un combat ou une compétition perdue, je suis dépitée. La déception est aussi grande que la compétition est à enjeu. C’est difficile, et je pense que dans un premier temps il faut se recentrer sur soi, se recentrer sur soi et s’aimer. Il faut s’aimer.C’est la première chose à faire.
La deuxième chose c’est analyser : pourquoi je n’ai pas réussi à conclure ce deal, pourquoi cette réunion avec tel gros client ne s’est pas passée comme je l’aurais souhaitée.
Analyser, c’est bien sûr analyser la séquence à l’instant t, ce qui s’est passé. Mais c’est aussi analyser ce qui s’est passé avant : qu’est ce que j’ai fait avant, le jour d’avant, la semaine d’avant, les 15 jours d’avant. Il y a peut-être des éléments là à récupérer et qui pourront ou non servir, mais ce travail d’analyse sur des éléments complets est important.
Il faut toujours identifier ce qui a été fait de positif, et ce qui a été fait de négatif - mais pas que le négatif car c’est le plus compliqué. Donc le plus, et le moins.
Regarder si le plus est au taquet ou s’il peut être amélioré, ou en tous les cas comment faire pour le conserver. C’est ce qui fait la force de l’entrepreneur et de l’entreprise, c’est à réalimenter au quotidien.
Quand on analyse pourquoi ça ne s’est pas bien passé, on va chercher comment améliorer, se questionner sur comment en tant qu’entrepreneur je peux améliorer mes points négatifs, ou à qui je peux faire appel pour améliorer mes points négatifs. Car en tant qu’entrepreneur je n’ai pas toujours la solution, je n’ai pas la science infuse, je suis un être humain ! Mais je peux toujours aller chercher, faire appel à quelqu’un pour répondre à cet enjeu là, le décrypter, et m’améliorer.
Et puis il y a des points négatifs qu’on ne peut pas améliorer, et c’est comme ça. Il y a des choses qu’on ne peut pas améliorer, et dans ce cas il faut pouvoir l’accepter.
Par exemple je le sais sur certaines techniques, je sais que je ne ferai jamais un Uchi-Mata à la Abe , c’est comme ça, je l'accepte. Par contre je peux faire Uchi-Mata, mais je le ferai version Gévrise Emane.
Et ça je pense que c’est important de l’intégrer et de le comprendre, car il y a des choses que l’individu est capable de faire, mais peut-être pas à la hauteur d’un Steve Jobs ou d’une Oprah Winfrey. Il va pouvoir le faire, à son niveau et avec ses propres qualités, et si ça se trouve ça suffira. Mais par contre il faudra alors mettre l’accent sur ce que je sais faire et que je sais très bien faire, et identifier si je peux les remonter d’1 point, de 2, ou de 3.
Y a-t-il des personnes clés qui ont accompagné tout ce chemin ?
Oui bien sûr, et tout d’abord Monsieur Bicheux mon professeur d’EPS qui m’a fait découvrir le judo, puis Christian Chaumont mon entraîneur de club à Levallois, qui a été mon unique club haut niveau.
Yves Delvingt, entraîneur emblématique, m’a beaucoup impacté par sa rigueur à mon arrivée à l’INSEP
Cathy Fleury, qui m’a entraînée à l’INSEP de 2005 jusqu’en 2008, puis toute la fin de ma carrière, m’a appris beaucoup de choses, et notamment sur ces aspects-là de combativité, de quelle athlète je voulais être, ça a été énormissime. Martine Dupont qui m’a entraînée en deuxième partie de carrière quand j’ai changé de catégorie a été très importante pour moi aussi, et Magali Baton, ma préparatrice mentale.
Tous, ils m’ont permis d’avoir des déclics, d’être vraiment dans la réflexion de ce qu’est un sportif de Haut Niveau, et de ce que ça voulait dire pour moi.
Et bien sûr mes collègues, les sportifs avec lesquels je me suis entraînée ou avec lesquels j’ai partagé les grandes compétitions, et avec qui j’ai vécu des moments extrêmement forts.
Vous avez pris part au programme Bien Manger, C'est Bien Joué ! lancé en 2005 par la Fondation du Sport. pour apprendre aux jeunes sportifs les bases d'une alimentation adaptée à l'effort physique. Quelle est l’incidence de l’alimentation sur ses capacités physiques et cognitives ?
C’est hyper important - que ce soit dans un sport de combat ou pas. C’est une composante de la logique interne du sport et peu importe le sport en fait, parce que ça peut avoir des conséquences sur le physique et le mental.
De quoi mon corps a-t-il besoin pour avancer ? Quelle énergie m’est nécessaire pour être opérationnelle ? Et ça je pense que pour un entrepreneur ou un sportif de haut niveau c’est la même chose. Est ce que je suis plus efficace si je mange 100g ou 200g de pâtes ? Effectivement je pense qu’il faut l’expérimenter, mais aussi ensuite il faut avoir un expert qui vous accompagne, car sinon c’est impossible.
Cela permet de connaître les apports de chaque aliment en termes de nutrition, et connaître son corps.
Il n’y a pas de régime alimentaire standard duplicable. Il y a des règles de base à connaître, mais si on veut vraiment être dans la performance après c’est individuel. Nous n’avons pas le même corps, nous ne brûlons pas de la même façon les graisses, nous n’avons pas la même activité.
Moi je pars du principe que chaque sportif de haut niveau doit voir un.e diététicienne ou nutritionniste au moins une fois dans sa carrière, c’est obligatoire, et ensuite revoir cette personne de temps en temps si nécessaire, ou composer soi-même à partir de là, c’est très possible. Et je pense que pour un entrepreneur c’est la même chose. Car être en capacité de bien s’alimenter aura des bienfaits non seulement sur le mental mais aussi sur le physique.
La nutrition accompagne un bon état physique, et quand on est bien physiquement le reste suit. Je serai plus apte à être vive sur des réflexions à apporter, je serai plus apte à mener de front des activités de réflexion stratégique, un entretien difficile ou une présentation à enjeu.
Je pense qu’il faut vraiment faire appel à l’extérieur pour pouvoir être bien au niveau nutrition, et que c’est hyper important.
Quel mot de la fin avez-vous envie de dire aux personnes qui nous lisent, et qui évoluent dans des environnements extrêmement compétitifs ?
J’ai envie de leur dire de se faire confiance, c’est essentiel d’avoir confiance en soi, confiance en ses équipes, et ça se construit au quotidien
La confiance, c’est la base. Quand on n’est pas en confiance, on a peur, peur de se tromper, on arrive à taton, on est sur le recul, et on se fait massacrer. Et au judo on le sent, ça peut faire mal physiquement et moralement 🙂
Et enfin de mettre en place les stratégies de transformationnécessaires pour que les équipes soient plus performantes au niveau collectif pour atteindre les objectifs souhaités.
Il faut dans ces stratégies, poser son organisation en valorisant les qualités de chacun. Cela nourrit et développe également la confiance en soi. Les équipes seront ensuite plus à même de se donner à 100%.
Vice-présidente de la FFJudo chargée de l’international et de Paris 2024
Ambassadrice sport
Consultante TV / Radio
Marraine de l’association « Les Enfants du Jardin »
Culture de la gagne, gestion du stress, de l’échec, prise de décision rapide et multi-facteurs … comment maintenir sa motivation jour après jour dans un environnement extrêmement exigeant ?
Avec 200 jours de navigation par an, une médaille olympique et un palmarès exceptionnel, Jonathan Lobert nous donne les clés qui l’ont amené vers ces résultats hors norme.
Détermination, humilité, développement des sens, partage et ouverture d’esprit sont autant de qualités que doit développer un champion qui dure.
Cette interview a été réalisée le 24 juin 2022par Thérèse Lemarchand, CEO Mainpaces.
Jonathan Lobert, la naissance d’un champion
Bonjour Jonathan, tu as un parcours sportif exceptionnel en voile olympique, peux-tu nous présenter rapidement comment tu en es arrivé là ?
Quand j’ai commencé la voile, j’avais 7 ans sur la Saône à Mâcon, comme quoi on n’a pas besoin d’être breton pour être un grand régatier :)... Je faisais plein de sports mais aucun ne me plaisait vraiment au point que je m’y investisse. Mes parents m’ont inscrit dans ce club de voile, j’ai tiré mes premiers bords et j’ai trouvé l’activité super ! Être seul dans mon bateau, le faire avancer, me positionner par rapport aux autres. C’était un petit club, donc j’ai pu faire des compétitions très vite. La première fois, j’ai été dernier, et puis rapidement j’ai progressé. J’adorais partir le week-end entier avec les copains pour régater, passer toute la journée à naviguer, c’était vraiment top, ça me faisait beaucoup de bien d’être dehors.
Et puis en 2000, par hasard un matin j’allume la télévision pour regarder les jeux olympiques, et coup de chance c’était de la voile. C’était la dernière course de la semaine en laser, remake des jeux d’Atlanta où Robert Scheidt (Brésil) avait battu Ben Ainslie (Grande Bretagne). L’anglais Ben Ainslie finit par s’imposer devant le Brésilien, c’était un vrai match race. Je sortais juste des championnats du monde d’optimist où j’avais été 21ème, et je me suis dit “moi aussi je veux aller aux Jeux, et gagner une médaille”.
Ce qui est sympa dans l’histoire, c’est que 12 ans plus tard aux JO de Londres, je me suis retrouvé sur le podium (médaille de bronze) avec Ben Ainslie (médaille d’or) qui m’avait inspiré.
Comment t’es tu entraîné pour arriver à ce niveau ?
L'entraînement est d’abord technique. Il se fait beaucoup dans la répétition. Répéter les manœuvres pour que ça devienne presque automatique, ne pas réfléchir pour faire le geste, être toujours à la recherche du geste parfait. C’est beaucoup de travail de feedback avec l'entraîneur, pour confronter ce que lui observe, et ce que moi je peux ressentir sur le bateau.
La difficulté en voile c’est que chaque manœuvre peut être différente en fonction du vent, des vagues, du plan d’eau, c’est très technique. La compétence technique permet de libérer une capacité de prise de décision extrêmement rapide, par rapport aux adversaires, au vent, dans une vision très stratégique.
Quand on navigue, on récolte des informations en permanence (les nuages, l’eau, les adversaires,...). L'expérience en voile donne de la capacité à traiter l'information, reconnaître des expériences déjà vécues, à réagir très vite, et à se positionner très rapidement. Au fur et à mesure de la progression et des parcours, on devient de plus en plus expert, et on est en capacité de se positionner de façon optimale par rapport aux situations.
Jeux Olympiques de Rio, 2016
Ressentir son environnement et écouter ses sensations
Tu parles des informations perçues, des ressentis, comment développes-tu cette capacité de perception accrue ?
Le ressenti est essentiel pour nous, pour avoir une sensibilité fine de ce qui peut se passer.
c’est le sens du toucher de la main, avec la sensation de ce que nous renvoient la barre et l’écoute
c’est sentir tout ce qui est en contact direct avec le bateau, les fesses, les pieds
Nous faisons aussi beaucoup d’exercices à l'entraînement les yeux bandés, pour développer l'ouïe, le ressenti du vent sur le visage, des indicateurs qu’on a tendance à oublier.
De l’extérieur, quelqu’un qui ne voit pas qu’on a les yeux bandés ne peut pas voir la différence. Ce sont des entraînements très fatigants nerveusement car ils sollicitent une concentration très intense, beaucoup d’attention.
On travaille souvent sur le fait de bloquer un paramètre - par exemple en vent arrière, bloquer la barre, et ne jouer que sur l’assiette et le réglage des voiles pour faire avancer le bateau. De même pour le développement du matériel, on va avoir un coureur étalon qui ne change rien au matériel, et nous on fait des tests spécifiques.
Est-ce que ces sens très développés te sont encore utiles maintenant que tu as quitté les plans d’eau ?
Oui, souvent ma femme me dit que je suis hyper attentif aux petits détails. Cela me donne des clés de lecture des gens qui sont en face de moi, de leur langage corporel. Cela m’aide énormément dans le business pour percevoir les gens, savoir ce qui se passe, deviner des ressentis. Je suis très à l'écoute de ce qui nous entoure, cela me donne aussi une grande capacité d’empathie.
L’humilité et la préparation, vecteurs de réussite
Tu me disais sur ce sujet, que comprendre l’état émotionnel de l’autre pour être en puissance était essentiel dans la relation entraîneur - entraîné. Peux-tu développer cette importance de gérer les émotions de façon conjointe, qui peut être aussi une clé dans la relation associés dans le business ?
Oui, très concrètement avec mon entraîneur François le Castrec sur la PO de 2012 (Préparation Olympique - on a travaillé vraiment ensemble à partir de fin 2008), on a fait le choix assez rapidement de vraiment travailler sur notre binôme et notre façon de communiquer.
Pendant les courses, François est dans un zodiac et moi sur le bateau, donc on ne peut pas communiquer. On ne peut communiquer seulement entre les courses, et on a très peu de temps pour cela. C’est donc important de dire des choses de façon pertinente entre les manches, pour enfoncer le clou sur des très bonnes approches, ou rectifier ce qui ne passe pas. L’idée était qu’il n’y ait pas d’émotionnel qui rentre dedans, et de pouvoir communiquer simplement sur l’objectif et la stratégie. Si je suis frustré après une mauvaise manche, je dois quand même être capable de l'écouter, et lui doit être capable de me parler.
On a appris ensemble à gérer nos stress réciproques, car je peux avoir du stress, mais lui aussi. Le dernier jour des JO il était très stressé, mais on avait préparé ce moment-là, on l’avait anticipé. C’était OK pour moi, on a pu en parler, et j’ai pu partir naviguer serein.
On avait appris à bien se connaître pour mieux travailler ensemble, et surtout accepter que l’autre ne puisse pas être bien sans que cela impacte la qualité du travail, ou du ressenti de l’expérience de l’autre.
Tu m’a aussi parlé d’humilité, et ça a fait écho en moi. Je pense aussi qu’un entrepreneur, pour réussir doit avoir à la fois une ambition immense mais aussi une humilité très forte pour absorber toutes les informations qui lui sont communiquées, les faire siennes, et s’adapter, transformer son approche quand c’est nécessaire. Qu’est-ce que l’humilité pour toi et pourquoi est-elle si importante à haut niveau ?
Dans la voile l’humilité on l'apprend un peu à nos dépends au début, car on peut partir avec les meilleurs réglages, on pense qu'on est parfait mais il y a des éléments qu'on n’a pas perçus et tout ce bon travail est mis à zéro. On peut se faire battre par un adversaire qui a moins travaillé, qui est moins bien préparé, mais qui a su saisir une opportunité qui fait qu’il est devant.
On apprend qu’on ne peut pas toujours gagner, et qu’on ne peut pas maîtriser ce que font les autres, donc on se concentre sur ce qu’on fait nous.
Jonathan Lobert
Et c’est comme ça qu’on développe cette capacité qu’on a sans cesse, malgré les échecs, de pouvoir retourner régater, recommencer et refaire quelque chose qui était peut-être la bonne méthode dans une autre situation.
On évolue dans un milieu où on sait que la nature est plus forte que nous. Quand on se lève et que le vent est trop fort, ça nous rappelle à l’ordre. C’est un environnement qui est en perpétuel changement, qui est vivant. Il y a des règles de sécurité de base qu’il faut toujours respecter.
C’est très proche de la montagne pour moi, on ne part pas en montagne si on n’est pas très préparé, et si on n’est pas aussi capable de s'arrêter quand les conditions changent et présentent des risques qui peuvent devenir vitaux.
Partager pour progresser
Tu soutiens “Partager c’est gagner”. Comment cela se caractérise-t-il ?
Je suis persuadé que le partage permet de progresser. Quand tu maîtrises une technique que tu as eu du mal à acquérir ou que tu as développée, le fait de la transmettre te permet de la formaliser, de mettre le doigt sur des potentiels d'amélioration, et le questionnement te fait découvrir des choses. La personne en face de toi ne va pas l'appliquer exactement de la même manière que toi, et va ajouter des éléments à ta façon de faire, qui peuvent être très intéressants.
Podium Londres, 2012
Transmettre permet de se nourrir les uns les autres pour progresser, il faut savoir que ce n’est pas quelque chose que tu perds. Quand tu donnes, tu deviens encore plus sachant, c’est s’enrichir, se développer, devenir meilleur.
Jonathan Lobert
On voit souvent des gens qui cachent des choses, et qui ont peur de perdre ce qu’ils ont construit. En fait, dès qu’une personne s’approprie ce que tu as développé, tu peux identifier tout de suite ce qu’elle fait de différent, et tu peux l’ajouter à ta technique si c’est valable. Et tu gardes toujours un temps d’avance car la technique de départ, c’est toi qui la maîtrises le mieux.
Je l’ai appris de façon un peu difficile, car au début j’avais appris tout seul pendant 2,5 ans, et pour rentrer dans le groupe de la PO je devais partager tout ça, alors que j’avais beaucoup galéré. La PO se travaille en équipe, et il fallait que j’explique à mon partenaire tout ce que j’avais développé pour gagner, pour qu’on puisse se préparer ensemble. C’est très spécial, car ton partenaire est aussi ton compétiteur, car à la fin de la PO il n’y en n’a qu’un des deux qui part aux JO, on est donc très tiraillé.
Mais à partir du moment où tu arrives à basculer dans un état d'esprit et un fonctionnement de transmission, tu ne fais que gagner.
Jonathan Lobert
Tu te libères de cette pression psychologique et du stress. C’est comme ça que tu prends un ascendant psychologique. On est des compétiteurs, tout l’enjeu est de prendre le dessus sur l’autre, c’est aussi un jeu psychologique en amont des régates et des compétitions. Comment tu perçois ton adversaire, et comment tu te positionnes par rapport à lui est essentiel. Est-ce que tu passes 4 ans à avoir peur de lui, ou tu te mets dans une posture où à chaque fois tu progresses, et tu fais quelque chose d’intéressant ? 4 ans c’est long, et parfois certains éclatent au moment des sélections car la pression est encore plus forte.
Dans le business ça arrive souvent avec le sujet de la concurrence.
Quand on se retrouvait en compétition avec des étrangers, une des choses qu’on essayait de faire le soir était de positionner de façon hyper objective notre niveau par rapport à eux.
C’est extrêmement important pour développer ensuite une stratégie pertinente et pouvoir progresser. C’est un juste curseur, et il ne faut se voir ni trop petit, ni trop beau.
C’est une revue à faire dans chacun des domaines (technique, tactique,..), et une difficulté ne doit pas être prise comme quelque chose de négatif, mais au contraire très positif pour trouver un nouvel indicateur, un nouvel axe de travail.
Souvent, on n’accepte pas de se positionner de façon objective. Pour ça, la confiance avec l’entraîneur est hyper importante, car si on sait que tout le monde est dans cette objectivité d'analyse, on peut être très pertinent sur les feedbacks.
Le plus difficile à accepter, c’est quand tu as été bon dans un domaine, et que tu te fais rattraper et dépasser. Il faut se redonner suffisamment de motivation pour aller chercher le petit détail que tu ne faisais pas encore bien, et qui peut t’emmener plus loin.
Utiliser la frustration sur quelque chose de positif permet de reprendre l'avantage.
Motivation et relation face à l’échec
Ok, mais tout l’enjeu est là, comment remobilises-tu ta motivation ?
C’est lié à l’objectif global - où est-ce que tu veux aller de manière générale.
Est-ce que tu as toujours cet objectif en tête dans ton esprit d’aller chercher une médaille aux Jeux ?
L’objectif d’être toujours le meilleur possible pour aller chercher une médaille m’a redonné la possibilité de me remobiliser de nombreuses fois.
Et que se passe-t-il en cas d’échec ?
L’échec est une information supplémentaire pour accéder à un autre niveau. Derrière l’échec, il y a à valider quelque chose qui n’a pas fonctionné, et à changer de route.
Il n’a pas d’impact négatif, c’est une information.
Il faut rentrer dans une logique de positiver les choses qui nous arrivent, plutôt que de sans arrêt se plaindre, sinon on se tire vers le bas. C’est ce qui permet de progresser très vite plutôt que de s’handicaper.
Quelque chose que l'on réussit, mais pas parfaitement bien, est une information qui est beaucoup plus difficile à traiter. La contre-performance m’a toujours donné plus de rage.
Là je sens quand même qu’il y a aussi un sujet de confiance en soi, qui est très forte chez toi.
C’est vrai, mais en fait je me suis toujours dit que finalement on était tous des êtres humains, et donc qu’il n’y pas de raison que quelqu’un puisse faire quelque chose que je ne pouvais pas faire.
Il ne faut pas mettre les gens sur un piédestal, tout en restant tout à fait respectueux de leur niveau. Ils ne doivent pas représenter une limite.
Jonathan Lobert
C'est de cette façon que j'appréhende mes adversaires. Même Ben Ainslie, beaucoup s’imaginent qu’il est imbattable. Mais il n’y a pas de raison à ça, même si c’est une légende, on doit pouvoir le battre.
Dans cet état d'esprit, chaque fois que tu réussis quelque chose de nouveau, de difficile, devient un levier de motivation hyper fort, qui te confirme que c’est possible, qu’il n’y a pas de raison de ne pas continuer.
C’est ce que je dis toujours à ma fille : si tu veux faire quelque chose, il faut que tu essayes. Si tu n'y arrives pas, tires-en les conclusions, mais quoi qu'il arrive tu vas essayer.
Après il y a de la discipline - c’est ça qui permet de maintenir le niveau, se remettre en question, aller plus loin, être ouvert à toutes les techniques qui t’entourent. On en revient encore à ce duo ambition-humilité. Il faut être lucide par rapport à qui on se bat.
Découverte et ouverture d’esprit
D’ailleurs, tu disais dans une interview “Je pense qu’aujourd’hui ce n’est pas possible pour un sportif, notamment d’un sport peu ou pas médiatisé, d’être simplement focalisé sur sa discipline sportive. Le gain obtenu lors de ces différentes expériences représente un apport essentiel afin de me faire évoluer dans le cadre de ma pratique sportive, mais également dans ma vie d’homme au quotidien.” Peux-tu développer cette nécessité d’ouverture au monde, et ce qu’elle t’apporte dans ta pratique ?
Explorer est extrêmement fondamental. C’est découvrir, rester très ouvert sur ce qui t’entoure, récolter un maximum d’information sans arrêt pour pouvoir les analyser et en faire quelque chose.
Nous sur l’eau, on n’a pas d'outils, pas d’informations, les seuls capteurs dont on dispose sont nos yeux, nos sensations. Tous nos sens sont en éveil pour pouvoir rester en phase avec ce qui nous entoure.
Dans ta vie quotidienne as-tu cette même approche d'ouverture ?
Oui, je suis toujours en train d’explorer. En cuisine par exemple, je goûte tout ce que je peux, j’explore, j'expérimente, pour découvrir ce que j’aime ou ce que je n’aime pas.
J’essaye toujours d’aller plus loin, de ne pas me contenter de ce que j’ai. Je cherche à apprendre et à découvrir, pour pouvoir après utiliser mes découvertes et me les approprier.
Est-ce que ça te permet de faire des liens incongrus ?
Oui, j’ai un exemple très précis. Quand j’étais à Rio, j’étais parfois barbouillé sur l’eau, alors que d’habitude je n’ai pas le mal de mer.
Mon entraîneur s’intéressait aux huiles essentielles, et j'étais en train de les sentir quand j’ai senti une immense fraîcheur en respirant de la menthe poivrée. Je me suis tout de suite dit “quand je me sens mal, ce que j’aimerais ressentir c'est de la fraîcheur, on va essayer ça”.
Je m’en suis mis sous le nez, ça a hyper bien marché, ça m'a complètement enlevé le mal de mer sur cette journée-là.
La raison pour laquelle ça a marché, c’est aussi parce que j'étais très au fait de mes sensations, et je savais que j'avais envie de frais. Je peux aussi dans ces situations boire des gorgées d’eau très fraîches, ça me fait beaucoup de bien.
Savoir ce qui nous fait du bien est essentiel. On entend souvent “le sport ça se fait dans la douleur, c’est dur”. Je ne suis pas d’accord avec ça. Il faut se mettre en condition pour réaliser une performance, donc des conditions qui sont optimales pour toi. Et pour cela il faut se mettre à l'écoute du corps et savoir ce dont il a besoin.
S’autoriser à être extrêmement attentif à soi est important. Ce n’est pas égoïste, c’est se connaître extrêmement bien, ce qui permet d’aller chercher ce qu’il nous faut, et derrière de se concentrer sur autre chose. De ne pas être parasité par une sensation qui nous perturbe, et à nouveau de se focaliser sur notre objectif.
Objectifs et nouveaux défis
On retrouve le sujet de l’objectif qu’on avait abordé à propos de la motivation. Je pense que c’est la grosse différence avec le milieu du business, vous avez des objectifs très difficiles à atteindre, mais très clairs à formuler.
Oui, avoir un objectif très clair est super important. Ça veut dire savoir quel est l'objectif de ta journée, ce que tu dois faire, et très bien réaliser.
Après il s’agit de se conditionner, tout en faisant avec ce qui se passe autour de toi.
Si sur l'eau tu n'as rien à manger, il faut acter - et passer à autre chose. Peut-être rechercher moins de performance, et faire des choses plus simples. Adapter le niveau d'exigence à chaque cas, pour pouvoir réaliser correctement ton action compte tenu de ce facteur là.
La finalité a énormément d’importance au niveau émotionnel. Je crois que dans le business la notion d'argent n’est souvent pas positionnée au bon endroit, et que c’est souvent un problème pour les gens. Il faut vraiment se poser la question de son objectif final et global, et savoir ce qui est de l’ordre du moyen, ou de la fin.
Il faut avoir un objectif clair, et le questionner régulièrement est essentiel car ton objectif peut évoluer. Est-ce que tu t’entraines pour avoir une médaille, ou te qualifier aux Jeux ? L’objectif peut changer en fonction de la façon dont ça se déroule, il n’est pas figé.
De même, savoir qu’il n’y a pas une seule manière de faire quelque chose, te permet d'être beaucoup plus tranquille sur les stratégies que tu décides de mettre en place.
La transmission est pour toi essentielle, qu’est ce que tu veux transmettre absolument, et quel serait le message que tu voudrais passer aux personnes qui s’engagent dans des défis qui peuvent sembler impossibles ?
Le premier message c’est de ne surtout pas écouter les rabat-joie, les gens qui ont tendance à te dire que ce n'est pas possible. Souvent ils sont jaloux, mais surtout ils ne vont rien apporter au projet.
Et rester très objectives par rapport à là où elles en sont, ce qu’elles sont capable de faire.
Un objectif élevé est une succession de petits objectifs atteignables.
Le moteur c’est la vision, c'est ce qui tous les jours va mettre de l'essence dans la machine.
Jonathan Lobert
Ce qui te permet d'y arriver, ce sont toutes les petites satisfactions du quotidien sur lesquelles tu vas pouvoir prendre appui.
C’est un va et vient permanent, qui revient un peu à cumuler des petites pierres pour permettre de construire une pyramide !
Propos recueillis par Thérèse Lemarchand, Mainpaces
JONATHAN LOBERT
Jonathan Lobert : biographie
Coureur en Voile Olympique catégorie Finn (dériveur olympique solitaire pour les grands gabarits), j’ai commencé la voile à l’âge de 7 ans sur la Saône à Mâcon. Passionné et déterminé, j’ai réalisé quatre campagnes olympiques durant ma carrière : Pékin 2008, Londres 2012, Rio 2016 et Tokyo 2020. Ma sélection s’est confirmée pour participer aux Jeux Olympiques de Londres 2012 et Rio 2016.
Au cours de mes douze années en Équipe de France de Voile Olympique, j’ai réalisé le palmarès suivant :
Médaillé de Bronze aux Jeux Olympiques de Londres 2012,
Double Vice Champion du Monde en 2015 et 2017,
Champion d’Europe en 2017.
Ma carrière de Sportif de Haut Niveau a pris fin en 2021.
Depuis cette année, je suis en formation en Executive Master Management Général Online à l’EM-Lyon Business School.
En parallèle de cette formation, je développe différentes propositions de services sur ma société JL Sailing, comme : du coaching et du consulting en voile auprès d’amateurs et de professionnels, des conférences en entreprises me permettant de partager les méthodes de travail mises en place avec mon équipe, au cours de mes différentes campagnes Olympiques, pour atteindre mes objectifs, mais également un team-building pour une équipe de travail, à bord d’un voilier haut de gamme.
Élu membre de la Commission des Athlètes de Haut Niveau au sein du Comité National Olympique et Sportif Français, j’interviens pour améliorer l’esprit d'équipe entre les Sportifs de Haut Niveau de différentes disciplines. L’objectif est d’instaurer un fort sentiment d’appartenance à l’Équipe de France et de mettre en place un partage permanent entre les Athlètes, notamment pour le passage d’expérience entre générations. La mission de la CAHN est avant tout de faciliter l’environnement de travail des athlètes pour les aider à performer.
Navigateur régulier sur différents océans et mers, je suis spectateur d’une pollution de plus en plus présente. Pour partager ce constat et agir pour la protection de cet environnement magnifique, j’ai rejoint le Blue Collective afin de m’investir au sein de Surfrider Foundation Europe.
Entrepreneur et sportif de haut niveau, quel parallèle ?
Bonjour Alexandre,
lors de nos discussions tu me disais que tu trouvais une très grande proximité entre les sportifs de haut niveau et les entrepreneurs, peux-tu développer ?
Dépassement de soi, remise en question permanente, goût du challenge, le sportif de haut niveau ne s’endort pas sur ses lauriers. C’est pareil pour un entrepreneur. Si un jour un entrepreneur se réveille et n’a pas la niaque, c’est toute l’entreprise qui ralentit, comme dans une équipe sportive.
Avec la plupart des entrepreneurs que j’ai rencontrés, nous étions liés par cette notion de dépassement, de culture de la performance.
Pour moi un entrepreneur est un sportif de haut niveau, car il a ce même niveau de pression, d’engagement, quand tu diriges une entreprise tu es le capitaine d’un navire, c’est très lié avec le sport.
Quels sont les thèmes que tu es amené à aborder dans tes interventions ?
"Entre une équipe et un groupe, il y a d'énormes différences"
Les thèmes qui reviennent souvent sont l’équipe. On est une société de plus en plus individualiste et ce n’est pas évident de rassembler une équipe. Entre une équipe et un groupe il y a d’énormes différences.Faire que tout le monde soit imprégné de cette envie d’aller dans une même direction, en tenant compte de leurs particularités, c’est l’enjeu. Les égos sont là, il y a des différences d’âges, d'énergie. Il faut arriver à faire cohabiter cet écosystème.
Qu’est ce qui t’a amené au Water Polo ?
J’adorais nager, c’était quelque chose qui m’habitait. Je passais mon temps à aller sur les plages marseillaises, je restais dans l’eau, j’étais dans mon élément.
Mes parents ont détecté cette appétence chez moi et m’ont proposé d’aller faire un test au Cercle des Nageurs de Marseille. C’est un cercle hyper prestigieux, je n’étais pas de ce monde, je suis un enfant des cités marseillaises, j’étais très impressionné.
J’ai passé le test de 50 M avec Alexandre Jany - détenteur de 7 records du monde et 15 records d’Europe, et j’ai été reçu.
J’ai fait 5 ans de natation, mais le côté ludique, sport de balle, collectif, équipe m’a manqué, et c’est comme ça que je me suis tourné vers le Water Polo.
Alexandre Camarasa
Qu’est ce que tu as mis en oeuvre de plus significatif pour arriver à ce niveau ?
(cf Biographie - Alexandre a multiplié les titres de champion de France et champion d’Europe, a été capitaine de l'équipe de France de water-polo au Jeux Olympiques de Rio en 2016).
" Ceux qui font des choix contraires créent des situations très compliquées à gérer. L’équipe est au dessus de tout, de toutes les individualités."
Je crois que ma grande force a toujours été de comprendre profondément ce qui faisait la force d’une équipe. Dans une équipe chacun a une volonté propre, et chacun doit connaître son rôle précisément. Par exemple, moi je suis attaquant de pointe- Je sais que même si je suis à 10 m de la cage je ne dois pas tirer, car je suis bon entre 2m et 4 m. Donc je vais laisser la place à un autre qui est positionné pour ça. L’équipe et le plan de jeu sont extrêmement importants. J’ai toujours constaté que les éléments qui ne rentraient pas dans le plan de jeu faisaient que cela ne marchait pas, quel que soit leur talent individuel. L’équipe doit avoir confiance. Cela permet à chacun d'être pleinement dans le jeu et d’anticiper quand c’est nécessaire. Ceux qui font des choix contraires créent des situations très compliquées à gérer. L'équipe est au-dessus de tout, de toutes les individualités.
Alexandre Camarasa - Médaille
Quand tu as confiance, tu es serein. Tu sais que dans certaines situations ton coéquipier va faire l'effort supplémentaire pour te couvrir. Mon poste est vraiment un poste de combat, et il est courant que lors du retour en défense j’aie du retard sur mon adversaire direct. Cependant j’avais confiance dans mes équipiers, car je savais qu’ils allaient faire le travail pour me permettre de rattraper mon retard.
La médiation pour développer son leadership
Quel est le rôle du capitaine d’équipe, et comment es-tu devenu Capitaine de l’Equipe de France pour les JO ?
Le Capitaine est le lien entre l’équipe, le coach, et les institutions. C’est un tampon entre l’équipe, ce que les joueurs ressentent, les demandes du coach, et celles de la fédération. Il a pour objectif de mettre les athlètes dans les meilleures conditions pour jouer.
Le Water Polo est le parent pauvre de la Fédération Française de Natation, il manque de moyens, ce n’était pas évident. Les conditions de travail n’étaient pas bonnes, et les installations sportives, old school.
Mon but a été de permettre à cette équipe de progresser, de faire fi de ces conditions difficiles pour progresser.
C’est le Coach qui m’a choisi. Je crois qu’il a valorisé mon côté collectif, très tourné vers l’équipe. C’est ma force, ça peut être aussi ma faiblesse. Faiblesse car on peut parfois s’oublier, et déjouer.
J’avais aussi cette envie et cette capacité à être représentant de l’équipe, à la montrer, la mettre en avant.
Enfin il y a dans cette fonction un caractère diplomatique, une capacité à être médiateur importante. Quand il y a une décision à prendre le coach te consulte en amont sur le ressenti de l’équipe, c’est également le cas avec la Fédération.
Pour toi, qu’est ce qui est le plus important pour tes joueurs ?
"Si les conditions de travail ne sont pas bonnes, tu es moins dedans, tu t’évades, tu n’es pas à 100% dans ton sport."
Les conditions de travail sont très importantes.Quand ton esprit est totalement tourné vers la performance, le développement des aptitudes physiques et psychologiques, tu peux atteindre le niveau supérieur. Les athlètes sont des Formule 1 réglées au millimètre. Je crois que ça doit être la même chose pour des entrepreneurs. Si les conditions de travail ne sont pas bonnes, tu es moins dedans, tu t'évades, tu n'es pas à 100% dans ton sport.
La préparation mentale, alliée pour gagner en sérénité et confiance
Où se situe le bon réglage ?
C’est quand tu es serein psychologiquement. C’est la tête qui fait le taf. Je me suis retrouvé plusieurs fois face à des adversaires beaucoup plus forts techniquement que nous, mais qui s’effritaient au fur et à mesure des compétitions, ils ne tenaient pas la pression.
Dans le sport nous avons un côté très animal et primaire qui s’exprime. Le sport c’est aussi un rapport de force. Mon coach nous disait tout le temps que dans le Water Polo le succès repose sur les 3C :
Cerveau
Coeur
Courage
Comment vous accompagnez cette sérénité essentielle que tu soulignes ?
"Il faut hyper bien se connaître 🙂 C'est la base."
On travaille avec un préparateur mental qui agit sur nos pensées limitantes.
Et sinon le travail se fait seul. Tous les WE après les matchs, j’ai toujours pris un moment d’analyse et d’introspection, et si ça n’a pas marché pour savoir pourquoi, ce que je pouvais faire pour améliorer la situation, faire en sorte que ça marche.
En quelque sorte une analyse et un audit global pour mettre en place une stratégie et un plan d’action à moyen - long terme
Par exemple, il m'est arrivé de me sentir lourd - et de mettre un programme de perte de poids. Ou de sentir que mon explosivité n’était pas au niveau requis pour performer.
Après ces constats, j'ai pris les décisions nécessaires pour avancer.
Mais ça ça implique de bien se connaitre !
Oui bien sûr ! Il faut hyper bien se connaître 🙂 C’est la base. Savoir quelles sont mes forces, mes faiblesses, où je veux aller, ont toujours été mes objectifs.
Moi je ne nage pas à une vitesse de fou, je ne tire pas à 400 kmh. Mais j’ai un gros coeur, je donne tout, et dans les matchs c’est ma force.
S'engager pour donner du sens
Tu as fait un double Master avant d’être recruté chez KPMG comme Auditeur FInancier. Comment as-tu réussi à mener ces études et ta carrière en parallèle de tes engagements sportifs ?
Pendant mes études je m’entrainais tous les jours le matin (jusqu’à midi) et le soir, j’étais en amphi l’après-midi. De la même manière, quand j’ai commencé l’année dernière chez KPMG j’étais à à mi-temps. Maintenant j’ai quitté les bassins, je travaille à plein temps, et je joue pour mon plaisir avec les vétérans.
J’adore ça, on est tous ensemble avec le même maillot, on s’amuse. Ca ouvre d’autres expériences, par exemple la semaine prochaine Maroc nous jouons dans un tournois international Marocain, c’est motivant, ça me fait également plaisir de promouvoir le sport dans ce pays.
Je me suis retrouvé chez KPMG car la personne qui m’a fait entrer m’a parlé de l’esprit d’équipe. Senior, juniors, managers, tous ensemble sur le même projet, c’est ça qui m’a motivé. Je voulais également me former en finance, pour acquérir une légitimité pour mes futurs postes, et préparer l’avenir.
J’ai une ambition forte pour ma nouvelle carrière dans le monde économique. Je gère ça comme pour le sport. J’ai toujours voulu viser les étoiles, et je fais tout pour les atteindre.
Je me donne les moyens pour y arriver.
Alexandre Camarasa - KPMG
Tu es représentant des athlètes au sein de la commission des athlètes de haut niveau au comité olympique. Quel est votre objectif ? Sur quoi agissez-vous ?
Le sport professionnel est en fait très loin de l’image que l’on peut en avoir avec le foot. En termes de conditions d'entraînement, d’argent, de vie, de reconversion. Mon but et celui de la commission, c’est d’aider les sportifs dans l’ensemble de leurs problématiques.
Reconversion, cursus universitaires adaptés, financement, lutte contre toutes formes de discriminations,.. En France il y a plein d’endroits qui ne sont pas adaptés aux enjeux des sportifs.
Nous avons également l’objectif de créer un sentiment d’appartenance à une grande équipe de France, intersports. Nous sommes 50 athlètes rassemblés pour traiter ces sujets.
Moi, le sujet qui me tient à coeur, c’est celui de la reconversion. Du jour au lendemain ta carrière sportive se termine, et si tu n’es pas préparé, c’est compliqué. C’est très dur tous les jours, de ne plus s'entraîner, de ne plus faire partie de ce projet qui te dépasse en même temps qu’il te fait vivre. Je crois beaucoup dans l’importance de faire du mentoring, c’est la même chose que pour l’entrepreneuriat, ce genre de moments de vie très exceptionnels ne s’apprennent pas dans les livres, ils s’accompagnent par transmission.
Où se jouent pour toi les relations, si essentielles dans tous les engagements que tu prends ?
"Le respect est essentiel. C'est avoir un comportement irréprochable avec l'autre, et même quand c'est difficile pour toi, de ne pas faire souffrir l'autre."
Pour moi, la base d’une relation, c’est le respect. Le respect est essentiel. C’est, avoir un comportement irréprochable avec l’autre, et même quand c’est difficile pour toi, de ne pas faire souffrir l’autre :
Dire bonjour ;
Comprendre l’autre, se mettre à la place de l’autre ;
Communiquer - les mots sont importants.
Parfois dans l’équipe, il nous est arrivé de nous battre. Le coach nous incitait toujours la matinée suivante à aller au café, discuter, passer du temps ensemble, et parler.
Je suis pour les comportements positifs. Pour ça, les américains sont hyper bons. Cela donne de l’entrain, tu te sens appartenir à l’équipe.
Je suis très ouvert et c’est ce qui m’a permis d’être capitaine. Aller vers les autres est essentiel. Certaines personnes sont plus réservées, introverties, c’est à nous de casser la glace et de les impliquer, de faire qu’elles se sentent pleinement membres et intégrées à l’équipe. Personne ne doit rester au bord de la route.
Propos recueillis par Thérèse Lemarchand, CEO Mainpaces
Alexandre Camarasa en biographie
Je suis un ancien joueur de water-polo, capitaine de l'équipe de France de water-polo au Jeux Olympiques de Rio en 2016.
J'ai plus de 150 sélections avec cette équipe.
Avec le Cercle des Nageurs de Marseille j'ai été 9 fois 1/2 champion de France (année covid on est champion sans le titre!).
Vainqueur également d'une coupe d'Europe (1er club français à remporter cette compétition).
En parallèle j'ai passé un double Master 2: Droit des affaires avec une spécialité en droit du sport et un parcours grandes écoles à la Grenoble Ecole de Management.
Jeune retraité des bassins, j'ai rejoint KPMG en 2020 et j'occupe le poste d'auditeur financier (mais j'effectue également des missions de conseil et de prospection commerciale).
Je suis également représentant des athlètes au sein de la commission des athlètes de haut niveau au comité olympiqueet je suis membre de la Commission des relations avec dans ce même comité.
Je suis aussi membre de la Commission d'éthique du Cercle des Nageurs de Marseille.
Mon rôle le plus important est sans nul doute celui de papa de Mia depuis bientôt 3 ans !
Passer une heure d’interview avec Aloïse Retornaz, c’est sentir le vent dans les cheveux, les embruns dans les yeux, remplir ses poumons, et se laisser griser par la vitesse.
Quel chemin parcouru depuis ses débuts en optimist dans la rade de Brest, jusqu’à cette dernière médaille de bronze en 470 aux JO de Tokyo ! A chaque étape ses sensations, ses secrets de préparation, ses engagements, et toujours une motivation hors norme. Avec une telle détermination, on sent que les médailles n’ont pas fini de tomber, et que le milieu de la voile Pro doit se préparer à l’accueillir.
Bon vent Aloïse !
.......
Bonjour Aloïse, tu as gagné l’an passé la médaille de bronze de 470 aux JO de Tokyo, peux-tu nous présenter rapidement le parcours sportif qui t’a amené jusque là ?
J’ai commencé la voile à 6 ans, poussée avec mes sœurs par mon père qui était fan de voile. C’était la Toussaint, à Brest, il faut imaginer le froid, le vent et l’humidité ! Au début je n'aimais pas ça, et puis j’ai commencé les régates vers 8-9 ans et là ça m’a vraiment plu, j’ai accroché. J’ai découvert un esprit de compétition qui me correspondait vraiment, et ce sentiment de liberté d'être sur l’eau.
Vers la fin du collège, j’ai changé de support et une amie m’a proposé de faire équipage avec elle. Nous avons fait du 29er[1] et du 420[2] , le petit frère du 470[3] . Le circuit international était plus fourni en 420, donc nous sommes restées dessus. Nous avons eu de bons résultats qui m’ont encouragée à continuer. J’ai choisi de faire un sport-études, et après le bac j’ai continué dans la voile de haut niveau en parallèle de mes études.
Faustine Merret est venue nous présenter la médaille d’or olympique, et je me suis dit que ce n’était pas si loin que ça, que c’était possible.
Au centre d'entraînement du pôle espoir de Brest, j’ai été au contact des athlètes qui se préparent pour les JO, et ça m’a mis des étoiles dans les yeux. Un jour, Faustine Merret (planche à voile) est venue nous présenter la médaille d’or olympique, et je me suis dit que ce n’était pas si loin que ça, que c’était possible.
Je me suis accrochée, j’ai continué avec le 470, les régates internationales, et nous avons gagné les championnats du monde jeune avec ma coéquipière.
A la fin de mes études je me suis demandé “qu’est ce que je fais” ? Ça se passait super bien, ma priorité était d’aller aux JO, et j’ai continué le haut niveau, avec quand même un compromis pour me lancer aussi dans le monde professionnel en parallèle.
Pourquoi ?
Pour moi il y a trois raisons :
le sujet du revenu : en voile olympique c’est compliqué de gagner sa vie ;
la sérénité : savoir que derrière si un jour tu dois arrêter ta carrière sportive tu as déjà une carrière professionnelle est pour moi très rassurant. Beaucoup de sportifs ne peuvent pas arrêter car ils n’ont plus ce choix. Mentalement ce n’est pas une situation facile. Je voulais rester dans l’envie, pas dans l’obligation ;
l’équilibre de vie : à ce niveau on est toujours aux quatre coins du monde, avec des étrangers, on décroche vite de la réalité. Avoir des fréquentations avec des gens qui travaillent en entreprise, qui se lèvent tous les matins pour aller travailler, voir qu’il y a aussi des attentes de résultat dans le business, me permet de garder un pied sur terre.
Ce double projet est important pour moi. C’est mon équilibre aujourd’hui (NdlLr Aloïse a 28 ans). On verra dans 3-4 ans ce que je ferai, aujourd’hui je suis libre, les opportunités sont ouvertes.
Lecointre Camille (FRA) and Retornaz Aloise (FRA) compete in Sailing Women's 470 during the Olympic Games Tokyo 2020, at Enoshima Yacht Harbour on July 28, 2021, in Tokyo, Japan, Photo Sailing Energy / KMSP || 000378_0014 SPORT 2021 OLYMPIC GAMES JEUX OLYMPIQUES VOILE
Qu’est-ce que tu ressens quand tu navigues ? Qu’est ce qui te motive ?
C’est difficile à exprimer, quand je navigue j’ai une sensation d’être pleine. Oui, c’est un sentiment de plénitude, d’être bien dans mon élément, au contact de la nature.
Après ce qui me motive, c’est la recherche de la performance, chercher à trouver le petit geste qui va te rendre efficace, trouver l’astuce qui va faire que tu vas être plus rapide que tes concurrents.
Et ce que j’aime aussi en voile, c’est faire de la stratégie et de la tactique avec le vent, pour trouver les schémas de navigation, et jouer avec le parcours pour être les plus rapides.
J’aime vraiment régater, et j’ai besoin de tout ensemble, de la vitesse optimisée, et de la route optimisée. Ce sont des sentiments qui s’entremêlent et se complètent. Ils ne sont pas dissociés.
Quand je navigue, j'ai un sentiment de plénitude, d'être bien dans mon élément, au contact de la nature
Le 470 est un sport d’équipage, tu es équipière et tu as maintenant un nouveau barreur Kevin Peponnet, avec qui tu te prépares pour les JO de Paris, que signifie faire équipage pour toi ?
J’ai choisi de faire du bateau en équipage parce que les bateaux solitaires en olympisme ne me plaisaient pas en terme de sensations. Et puis j’ai trouvé que c’était hyper intéressant de naviguer en équipe, de partager les bons et les mauvais moments, et de réussir cette symbiose. A deux, la communication est permanente à bord. Quand on est en compétition, on se partage les tâches, l’un est concentré sur la vitesse, et l’autre sur l'itinéraire selon les allures, et on se fait confiance.
C’est la meilleure formation pour passer sur des bateaux plus gros où tout se joue équipage.
Il y aura un seul bateau sélectionné par pays pour les JO de Paris, qu’est-ce que ça change pour toi ?
Pour les JO 2024 le circuit est renouvelé, car on passe d’un équipage masculin et un équipage féminin par pays, à un seul équipage mixte. Les meilleurs gars et les meilleures filles naviguent ensemble. En France, il va y avoir quatre/cinq bateaux dans le match pour la sélection Olympique. Pour la préparation nous nous focalisons sur les étrangers, car ce qui compte c’est la médaille finale, et ce sera eux qu’il faudra battre. Donc on garde cet objectif, et on va chercher des podiums internationaux. Nous aurons des championnats du Monde et d’Europe tous les ans jusqu’aux JO, avec des objectifs de résultats. En voile c’est ta performance qui déstabilise l’adversaire, car au bout d’un moment tu instaures un statut de favori.
Les JO pour un athlète, c’est un projet complet, que l’on gère de A à Z. Bien sûr nous sommes accompagnés, mais nous sommes leaders et managers de notre projet, comme une petite entreprise. Avec notre coach, nous formons un trio très fort pour l’ensemble projet.
Notre premier enjeu est de trouver du budget, car les projets olympiques coûtent cher.
Tout d’abord en raison du matériel, indispensable pour jouer en “ligue 1”.
Et puis il y a nos préparateurs : le préparateur physique, le préparateur mental, notre coach. et toute la cellule performance humaine, kiné, médecin, nutritionniste…
Le troisième sujet important est la R&D. Avec l’Ecole Nationale de Voile, nous avons des ingénieurs qui travaillent sur le développement du matériel, sur des modélisations de coques, de voiles, de dérives, ils mettent en place des centrales de navigation pour étudier le comportement du bateau à l’eau…
Aujourd’hui nous avons besoin de 60 000 €/an jusqu’aux Jeux, donc 180 000 € en tout car jusqu’aux Jeux. Nous cherchons des sponsors ☺
Retornaz Aloise and Lecointre Camille (Bronze Medal in Sailing Women's 470) at Live from Trocadero during the Olympic Games Tokyo 2020, on August 07, 2021, in Paris, France, Photo Baptiste Paquot / KMSP || 000519_0017 SPORT 2021 OLYMPIC GAMES JEUX OLYMPIQUES PARIS 2024 VOILE
Comment vous préparez-vous, en terme d'entraînement, de pression ?
Notre coach, Gildas Philippe est au centre de notre préparation, et c’est lui qui nous entraine, son rôle est essentiel.
Nous travaillons tous les trois avec notre préparatrice mentale, car il en a besoin aussi. Il est là avec nous jusqu’à 5 mn avant le départ. Toutes les informations qu’il nous donne sont importantes. Nous débriefons le soir tous les quatre ensemble.
D’un point de vue physique, l'entraîneur voit quand il y a un déficit quelque part, et il m’en alerte. Mais aujourd’hui avec mon expérience je vois bien où sont mes faiblesses et mes forces, donc je travaille seule avec mon préparateur physique.
Ce qui est plus dur dans ce que l’on fait, c’est d’enchaîner les semaines de déplacement, de réguler sa fatigue et maintenir un équilibre, loin de chez soi. Il faut apprendre à bien se connaître, et identifier quand on dépasse la ligne rouge. La fatigue s’installe quand l’intensité physique trop dure trop longtemps.
Il faut apprendre à bien se connaître, et identifier quand on dépasse la ligne rouge
As-tu des techniques de pause, de récupération intermédiaire qui te permettent de tenir ?
Je fais des mesures d’état de forme régulières avec des tests HRV[4]
Quand j’ai besoin de récupérer, j’augmente mes séances de streching, et bien sûr j’essaye de dormir plus. Si je n’y arrive pas, je fais de la méditation, j’aime ça.
Au bout d’un moment, il n’y a pas de secret pour récupérer il faut prendre des jours off, pendant lesquels on pourra faire des séances de récupération avec des exercices cardio à basse intensité[5] .
As-tu des routines de performance en termes de préparation physique ou mentale ? Comment est-ce que tu te mets dans le flow ?
Oui, les jours de compétitions j’ai mes routines. Le matin je réveille mon corps tranquillement, je fais un test HRV sur du yoga, et 15 mn de réveil articulaire. Souvent après je prends un petit moment en autonomie avec de la musique pour me focaliser sur la journée. J’ai ma playlist personnelle, avec 2-3 musiques du moment, et des morceaux que j’écoute en boucle. Johnny Hallyday y est bien présent pour me donner la niaque ! Et nous avons souvent une musique qui sera celle de la régate – que l’on écoute alors pendant 3 semaines tous les matins.
Quelles sont les qualités essentielles que tu mets en œuvre pour gagner ? Qu’est-ce qui fait pour toi la victoire ?
Je pense d’abord à la détermination, l’abnégation, la persévérance, parce qu’il faut vraiment être vouée à ce que tu fais, être entièrement plongée dedans, être prête un peu à tout pour tenir.
Nous faisons beaucoup de sacrifices. Quand tu as des projets comme ça qui te prennent les tripes, tu mets beaucoup de choses de côté, et il faut être prêt à le faire. Si tu es tout le temps dans la rancœur, ou contre le temps, ça ne peut pas marcher. Il faut avoir confiance dans le fait que ça ne va pas être facile, mais que la passion te fera tenir.
Ce qui fait la différence, c’est l’esprit d’équipe. Être performante en équipe, c’est réussir à travailler en équipe. On voit beaucoup de marins qui ont du talent, mais qui n’arrivent pas à l’exprimer car les autres ne comptent pas pour eux. En entreprise c’est pareil, si tu ne respectes pas les gens avec qui tu travailles, derrière il y a un moment où ça ne suit plus.
Quand tu as des projets comme ça qui te prennent les tripes, tu mets beaucoup de choses de côté, et il faut être prêt à le faire.
Tu as une connexion très intime à l’Océan, et tu es devenue ambassadrice de la Surfrider Foundation, peux-tu nous dire ce que cette cause représente pour toi ?
Je suis rentrée chez Surfrider en janvier 2022. Cela faisait longtemps que je suivais ces sujets de protection de l’environnement et des océans, et j’ai franchi le cap avec l’idée de faire partie d’un collectif. Nous sommes au quotidien sur l’eau, et au fur et à mesure des années, nous voyons plus en plus de déchets dans la mer. Maintenant, il faut que l’on sauve ce qui nous reste.
C’est assez dur comme position d’être sportif de haut niveau, car nous ne sommes pas forcément l’exemple à suivre en termes de bilan carbone, mais en contrepartie nous avons une image qui nous permet de toucher pas mal de monde. Beaucoup de gens nous suivent car ils ont besoin de rêver, de vibrer. Nous pouvons leur passer ce message qu’il est temps de faire des choses pour la planète, et c’est important de le faire.
Je fais également des interventions dans les écoles autour de mon sport et là encore, je peux sensibiliser les enfants aux enjeux de la planète.
Le domaine sportif et en particulier celui de la voile est assez masculin, comment le fait d’être une femme a impacté ton parcours, as-tu rencontré des freins (personnels ou extérieurs) que tu as été amenée à lever ?
Il y a un an je t’aurais répondu « non pas du tout », car l’Olympisme a fait de gros efforts pour qu’il y ait cette équité homme-femme. Moi en 470, je ne me suis jamais sentie lésée. Il y avait une médaille pour les hommes et une pour les femmes, et aujourd’hui cette nouvelle mixité des équipages est hyper intéressante.
En revanche, quand tu descends sur les pontons, c’est une autre histoire. La course au large ou la voile professionnelle, en GC 32 ou sur la Coupe de l’América, les circuits sont plus en retard. Depuis des années, ces circuits sont presque entièrement masculins, et dominés par l’idée que comme c’est physique, il ne peut pas y avoir de femmes. Barrer un bateau ce n’est pas physique, mais comme sur les circuits de Formule 1 où il y a très peu de conducteurs femmes, tu ne trouves pas de barreur féminin en voile Pro dans le monde.
Lecointre Camille (FRA) with Retornaz Aloise (FRA) practice during Sailing Women's 470 training session ahead of the Olympic Games Tokyo 2020, at Enoshima Yacht Harbour on July 21, 2021, in Tokyo, Japan, Photo Sailing Energy / KMSP || 000282_0017 SPORT PRACTICE 2021 TRAINING OLYMPIC GAMES JEUX OLYMPIQUES
Cette semaine nous avons fait un test en équipage féminin sur GC 32. Et bien la conclusion est que l’on comprend pareil, que l’on a la même volonté, que l’on n’a pas la même force physique mais qu’il y a aujourd’hui des mécanismes qui simplifient la tache physique et le mettent à l’échelle d’une femme. Toutes les 7, nous avons très bien tourné, c’était génial.
J’ai de la chance d’être à un moment où les mentalités changent. A la Coupe de l’América 2024, il y aura un circuit féminin pour la première fois. Sur des plus petits bateaux - à l’échelle des jeunes - mais c’est déjà pas mal, et peut-être en 2028 nous serons sur les plus gros !
Les gars sont sur ces circuits depuis 15 - 20 ans, ils ont pris beaucoup d’avance, et maintenant c’est à nous de rattraper ce retard. Dans le haut niveau il faut trouver des gens performants, il n’est pas question de rogner là-dessus, mais il faut un début à tout, et c’est le temps de faire monter les femmes car nous avons le niveau.
il faut s’accrocher et croire en son potentiel, car plein de gens pensent aujourd’hui que « ce n’est pas possible ». Il y a une seule chose à faire, c’est leur montrer le contraire.
Est-ce que tu aurais un message à passer aux femmes qui aujourd’hui entreprennent, prennent des risques et des responsabilités, se mettent en visibilité ?
Je pense qu’il faut s’accrocher et croire en son potentiel, car plein de gens pensent aujourd’hui que « ce n’est pas possible ». Il y a une seule chose à faire, c’est leur montrer le contraire. Il faut se battre, et faire preuve de persévérance et de détermination pour ne pas baisser les bras, c’est ça qui fait la différence !
Propos recueillis par Thérèse Lemarchand
CEO Mainpaces
PALMARES :2012 : Vice championne d'Europe Junior
2013 et 2014 : double championnes du monde junior de 470 avec Maëlenn Lemaître.
En 2015, et pour 2 ans, Aloïse fait équipe avec Cassandre Blandin, toujours en 470.
2017 : Championne de France Elite. 3ème Isaf Sailing World Cup. 4ème Isaf Sailing World Cup Finale
En 2018, Aloïse s’associe avec Camille Lecointre pour partager l’aventure Olympique jusqu’à Tokyo.
2018 :Vice-championne de France Elite. 4ème Sailing World Championship
2019 :MARIN DE L’ANNÉE. Championne de France Elite. Championne d’Europe. Vainqueure Test Event. Vainqueure Finale de la World Cup.
2020 : Vainqueure de la World cup series 3ème Championnat nord américain
2021 : Médaille de bronze aux Jeux Olympiques Tokyo. Championne d’Europe. 4ème au Championnat du Monde
[1] Se lit « Twenty niner » - c’est un dériveur à coque planante de 4,40 m, et à spi asymétrique. Il se navigue à deux, un barreur et un équipier.
[2] Dériveur de 4,20 m qui se navigue à deux, un barreur et un équipier
[3] Dériveur de 4,70 m qui se navigue à deux, un barreur et un équipier. Le 470 est nettement plus toilé que le 420.
[4] HRV - Heart Rate Variability, ou VFC – Vérification de Fréquence Cardiaque : ces tests s’effectuent avec un cardio-fréquence mètre. Ils sont effectués au repos, en action, et l’analyse des différences de fréquence cardiaque dans ces différentes situation permet d’identifier la fatigue / le niveau d’énergie du sportif (via la capacité du corps à s’adapter à la sollicitation).
[5] Les exercices cardiovasculaire de faible intensité sont des exercices effectués en dessous du seuil anaérobie, à 60-80% de votre fréquence cardiaque cible ou maximale.
Dans cette interview, Olivier Cantet nous partage les moments de décision qui ont fait sa carrière, ses engagements sportifs et sociétaux, sa vision de la parité, du leadership, ses attentes vis-à-vis de ses collaborateurs. On y parle d’équilibre, de voyage, de mouvement, de réalisation …
Merci Olivier de nous associer si sincèrement le temps d’une lecture à ces différentes dimensions qui te composent, et d’offrir ainsi à chacun de la matière bien vivante, sur les sujets essentiels de conscience et de ressourcement des dirigeants.
.....
Bonjour Olivier, tu as un très beau parcours professionnel dans l’industrie du sport, peux-tu nous parler de tes pivots clés ?
J’ai évolué dans des univers assez différents. Chaque étape a été une confrontation à une réalité nouvelle, que ce soit en termes d’industrie, de culture, ou de passion. C’est ce goût de la découverte et de la surprise qui m’a poussé à chaque fois à bouger, et cette aspiration d’un équilibre à retrouver après une première phase de déséquilibre.
Tu souhaitais retrouver de nouveaux challenges ?
Je ne suis pas sûr que ce soit voulu, on peut aussi retrouver les challenges dans les activités que l’on pratique en dehors de notre environnement professionnel.
Ce que j’aime, c’est la prise de risque dans la continuité. Ce besoin de remises en cause qui génèrent du stress et du risque, mais qui font le sel de ce que tu vis au quotidien.
Tu as pris récemment la présidence de Moustache Bikes, qu’est ce qui t’a attiré dans cette entreprise ?
Le fil conducteur de mon parcours sont des marques avec un contenu, une âme incroyable, et une forte cohérence. J’ai retrouvé ça chez Moustache Bikes, avec en plus la découverte d’une région différente, j’avais fait toutes les gares sauf la gare de l’Est ! (sourire)
Plus sérieusement Moustache est une entreprise 100% française. J’avais envie de construire pas loin de chez moi, et dans une entreprise qui fait partie de la solution, en termes de valeurs et de sens. J’aurais eu du mal à repartir sur une activité où tu te dis quand tu doubles les ventes, "est-ce que c’est raisonnable ou pas ?"
C’est une entreprise où l’énergie et la passion s’alignent avec les intérêts des salariés, les intérêts des clients, le bien commun et celui de l’actionnaire. C’est assez rare encore aujourd'hui.
Et dernier élément : la dynamique de transmission. J’ai un rôle différent aujourd’hui dans cette boîte de celui que j’aurais pu avoir il y a quelques années. Je suis dans une posture de transmission avec des jeunes trentenaires qui ont de l’énergie, de la passion de l’envie, et à qui j’amène du recul et beaucoup d’expérience. Je continue à aller au front et être en premier de cordée car c’est nécessaire, mais j’ai aussi l’envie et le plaisir de voir les autres prendre le lead, faire, et être en confiance.
Pour beaucoup de fondateurs la question d’une prise de recul par rapport à la société que l’on a fondée se pose à un moment donné, comment se construit ce nouvel équilibre avec les dirigeants fondateurs ?
Je crois que cela se fait sur une vision commune, qui passe par un profond attachement, une véritable estime, et un très grand respect de ce que les fondateurs ont fait de l’entreprise.
Ils ont réalisé des choses incroyables que d’autres n’ont pas fait, il faut savoir reconnaître le côté extra-ordinaire de ce qui a été réalisé en si peu de temps.
Si on leur explique la vie, cela ne marche pas. On ne peut pas être sur un égo surdimensionné. Dans toutes les belles marques, les fondateurs restent emblématiques et inspirants, même quand ils prennent du recul. Quel que soit ce que tu apportes, ce ne sera jamais le moment magique de la première boîte et des premières heures, l'étincelle qui a amené la vie. Il faut accepter que cette étincelle ne t’appartienne pas.
Après il faut être pleinement dans son rôle d’accompagner la croissance, d’aller dans des choses nouvelles, et ne pas rester béat devant ce qu’on fait les fondateurs. C’est un juste équilibre de personnalités à trouver. Tu dois considérer toujours ce premier départ comme un moment essentiel de ce que tu vas faire plus tard, et en même temps le Fondateur a besoin d’avoir du répondant, de la différence, il ne recherche pas un acquiescement permanent. C’est aussi un équilibre à trouver entre la culture et à la mission de la boîte, c’est assez subtil.
J’ai tendance à penser que la génération actuelle est beaucoup plus câblée réseaux que nous ne l’étions. Elle a une soif qui est très personnelle au départ, mais l’écosystème est beaucoup plus collectif. Ils grandissent dans un monde plus connecté digitalement et personnellement, et cela leur donne la capacité à penser écosystème, à penser large, ils sont très loins du modèle du leader - one man show qui réalise tout.
Tu as récemment lancé le Blue Collective, pour développer la notoriété et les ressources de Surfrider Foundation Europe, peux-tu nous en parler ?
Il y a toujours un équilibre à trouver entre l'engagement personnel et l'engagement professionnel. Tu ne peux pas systématiquement faire de ta boite le véhicule de ton engagement personnel, d'autant plus si ce n’est pas la tienne. Tu peux influer, créer du sens, mais à un moment donné tu es dans des contraintes qui sont liées à un exercice, avec des actionnaires, une gouvernance, tes choix personnels influent mais ne peuvent pas s'exprimer totalement.
Je trouve important d’avoir un endroit où les engagements personnels peuvent être plus forts, et de ne pas tout mélanger.
Je travaille avec Surfrider depuis longtemps, et à un moment donné j’ai eu envie de faire plus, de lever ces limites, et j’ai pris un engagement plus personnel en créant le Blue Collective. Différentes dimensions s’expriment en nous, et je crois que c’est un point commun de tous ceux qui sont dans le Collectif. Ici, ils ont eu envie d’aller plus loin dans la protection de l’océan.
L’autre élément, c’est ce côté positif, joyeux, simple, nature, qui correspond vraiment au surf, et qui caractérise la Surfrider Foundation. Beaucoup de gens, de dirigeants de start-ups, de la tech, de la finance se retrouvent assez vite dans des ambiances très codifiées, très artificielles. Pouvoir entraîner toutes ces personnalités dans une démarche plus directe et plus simple répond à une attente forte, et c’est ce que Surfrider propose. C’est un moment d'engagement qui te sort de ton quotidien sans l'assombrir, au contraire en lui amenant un certain soleil, une vague, la puissance de la nature qui te nourrit, et t’amène à aller un peu plus loin dans ton engagement. L’idée de collectif est aussi en soi un élément d’énergie, cela aide à déconnecter de contraintes et de codes professionnels, pour aller plus loin dans les convictions que chacun peut avoir, mais qui souvent ne trouvent pas leur réalisation.
"Le voyage et les voyageurs sont plus importants que la destination"
Après on verra collectivement ce que l'on réalise tous ensemble ! Le voyage et les voyageurs sont plus importants que la destination, et si les ingrédients sont réunis, cela ira où ces énergies et ces personnalités vont nous emmener.
Je le vois un peu dans le même esprit que l’évolution des startups pendant leur phase d’amorçage et de croissance. Les pitchs, les BP sont très cadrés. Mais en fait ce sont les personnalités et la communauté de sens et de motivation qui font qu’on arrive à quelque chose qui réussit, mais qu'on n’avait pas forcément imaginé au départ.
Au sein du Blue Collective tu es très attentif à la parité, pourquoi ?
La parité c’est quand même beaucoup plus sympa 🙂 En entreprise en général, mais quand j’évoque le Blue Collective, il y a en plus dans le rapport à l’eau, à l’océan, un côté sensoriel qui ne peut se jouer qu’avec une vraie mixité d’êtres et de pensées.
Je trouve aussi que c’est beaucoup plus apaisant quand il y a des dynamiques qui rassemblent les femmes et les hommes, que dans une démarche qui a tendance à dériver sur des registres qui deviennent ensuite des caricatures.
Je suis aussi poussé par une envie de découverte de personnalités féminines qui arrivent à émerger et pour lesquelles cela n’a pas toujours été facile. Il y a de belles surprises dans vos parcours que l’on ne retrouve pas du côté des hommes. En général nous avons eu une évolution professionnelle plus codifiée, plus habituelle. Ces parcours atypiques participent aussi à la diversité du groupe.
Ce qui se passe dans un groupe n’a rien à voir quand il y a un équilibre.
Tout cela, c’est l’envie avant le devoir. Derrière, il y a aussi un devoir d’inclusion. Dans ma génération, nous sommes passés à côté sans nous en rendre compte. Quand on discute avec des amis, femmes et hommes, on réalise que certaines de nos réactions, de nos habitudes n’étaient pas respectueuses des femmes sans que l’on en ait conscience, ce qui est encore plus angoissant. Si on ne casse pas cela volontairement, on reste dans un état d'acceptation où la situation est satisfaisante par rapport à des codes culturels établis. Mais quand on prend un peu de recul, on n’y est pas. C’est très perturbant, c’est très récent, et généralisé, et donc aussi sur ce sujet là de la parité il faut avoir un degré d’activisme.
On voit que le sport en plein air, et en particulier la montagne, te passionnent, qu’est ce que cela représente pour toi ?
Le sport m’a construit, ça m’a modelé, ça m'a donné de la confiance, ça m'a permis d’évacuer un certain nombre de choses, de revenir sur terre, de développer et de garder des amitiés. Tu peux te faire des amis à 20 ans que tu perds car nos vies divergent, mais ceux avec lesquels j’ai fait de la haute montagne et des courses engagées restent. Les expériences se transforment en souvenirs forts qui créent des liens durables. Ce sont les liens que tu crées quand il y a peu d’artifice, en bateau, en montagne, en falaise, au milieu du désert, dans une forme de dépouillement et de sobriété qui fait que tu t’en souviens.
Dans ces moments, tu es vraiment toi, et cette connaissance tu peux l’entretenir, elle t’accompagne. Les pratiques de nature évoluent et changent avec l'âge, mais se font toujours avec autant de plaisir.
Comment ces pratiques sportives, parfois extrêmes, jouent dans ta performance professionnelle ?
Ma première réflexion est plus liée à la haute montagne. C’est la notion de relativité : de quoi parle-t-on, quel est l’enjeu - quelqu’un va mourir ? Non. Donc a priori il n’y a pas de drame.
Le dimanche, tu es sur une paroi, la nuit tombe, il faut que tu rentres, il te reste un paquet de rappels à faire et des glaciers à traverser, tu es dans des enjeux graves.
Le lundi matin, tu arrives au boulot, accueilli par un “énorme problème”, un mouvement de panique. Ton expérience de la veille te permet de garder la tête froide, de te dire "ça va, ça devrait bien se passer".
La montagne me permet de déconnecter du petit jeu à se faire peur que l’on aime bien jouer parfois, et qui finalement a peu d’importance au regard de ce qui peut arriver de vraiment grave dans la vie, et du rythme auquel la nature évolue. La nature vit au rythme des saisons, elle ne change pas toutes les minutes ou toutes les heures, c’est un ressourcement apaisant. Le rythme de la nature permet de se remettre en phase sur un temps plus long.
Il y a aussi le sujet de la déconnection. Dans des activités comme le surf ou l'escalade, l'équilibre t’impose d’être pleinement dans le moment. Je décompresse beaucoup plus quand je vais grimper ou surfer, que si je vais courir une heure ou faire du vélo deux heures, car mon corps me demande d’être pleinement présent avec lui dans la tête, et donc j’évacue immédiatement tout le reste.
"L’équilibre permet de remettre sa tête sur son corps, dans le moment présent"
Le yoga participe également à cela. Dès que tu es en équilibre, il faut que tu sois dedans. L’équilibre permet de remettre sa tête sur son corps dans le moment présent, sinon tu tombes. Donc tu débranches rapidement, et globalement, tu dors mieux.
Chaque activité physique a ses avantages propres. J’ai rencontré des passionnés de boxe qui à travers ce sport ouvraient une façon de se connecter aux autres beaucoup plus large. Dans tous les cas, le côté manuel est important. Il peut aussi se retrouver dans d’autres pratiques comme faire de la mécanique. Tu es obligé de switcher, et de laisser le corps agir.
Cette alternance joue aussi sur un temps plus long, entre des moments de ta vie ou tu es très pris par ton boulot, très pris par ta famille, ou très pris par ta passion. Tout ne peut pas être au top tout le temps. Mais si tu lâches complètement l’un de ces piliers, quand celui sur lequel tu te trouves baisse, c’est le risque de dégringolade. Mes trois piliers n’ont jamais été tous parfaitement au top, mais il y a toujours eu un maintien de cet équilibre sur trois appuis, qui sur 10 ans vont fluctuer, mais vont toujours te soutenir.
A travers ces différents sujets, on sent ta capacité, et le plaisir que tu as, à entraîner, à fédérer, à développer. Qu’est ce que pour toi le leadership ?
Pour moi, le leadership c’est la confiance que les autres mettent en toi. Le fait que l’été dernier je dis à Jean-Claude, un pote que je connais depuis toujours, “On va faire l’intégrale du Peuterey”, et qu’il me dise “Ok, j’y vais. C’est toi. On va le faire ce truc. ”
"Pour moi, le leadership, c’est la confiance que les autres mettent en toi"
Ca, c’est vrai aussi en entreprise. A un moment donné les gens y vont, avec confiance. Par contrainte ça ne marche pas, par condition, ça ne marche pas non plus.
Le leadership c’est quand tu as confiance dans l’endroit où l’autre va t'emmener, et comment ça va se passer. Quand il y a beaucoup de gens qui avancent en confiance, il se passe des choses incroyables. C’est cette confiance que les gens te donnent qui font ton leadership. Chacun le fait de façon différente, mais au final ce qui est créé, c’est de la confiance.
Quelles sont les qualités que tu attends de tes collaborateurs ?
Ce que j’attends, c’estqu’ils avancent sur leur chemin. Chacun à sa façon, différente, sur un chemin qui correspond à son style, son épanouissement. Mais que je voie qu’ils avancent.
J’attends un ajustement dans le mouvement. J’ai du mal à accepter l'immobilisme, mais je n’ai pas de souci à accepter la différence. Cela pose des défis, de confort, de réassurance, de temps, de niveaux d’énergie différents. Mais quand la personne est en mouvement dans ses propres aspirations, on peut trouver le bon ajustement entre son envie, sa capacité, et ce qu’on lui demande.
Une fois que cet ajustement est trouvé, la personne peut avancer sur son propre chemin.
La diversité est essentielle pour moi. Il y a un côté un peu bizarre parfois de retours de certaines start-ups à des approches mono-maniaques, unidimensionnelles, monobloc. Je n’y crois pas. Tu ne peux pas attendre cela des gens qui travaillent avec toi.
Tout cela prend du temps à comprendre et à ajuster, et tu ne trouves pas toujours l’équilibre entre tes attentes et le chemin de la personne qui sont parfois divergents. Il faut être lucide et savoir se séparer, mais c'est une manière qui est enrichissante pour tous quand la personne a trouvé son propre chemin.
Quand tu arrives à mêler tous ces chemins, à partir du moment où tu pars sur l’idée que ce sont des chemins personnels, et que tu arrives à entrelacer des chemins personnels pour faire avancer la boite, tu fais un bon job. Il faut parfois 40 joueurs pour faire une équipe - et pas que des avant-centre.
Un bon moyen de comprendre tes collaborateurs est de regarder ce qu’ils font dans leur temps libre, quand ils sont hors contrainte. Le meilleur DRH que j’ai connu, Frédéric, chez Jules, avait 15 copains à déjeuner le samedi midi, et toute sa famille le dimanche. Il passait son temps à cuisiner pour les autres. Le collectif correspondait à son métier, et à ce qu’il était pleinement.
Ces moments de temps libre sont ceux où chacun fait vraiment ce qu’il veut faire, ce sont des révélateurs intéressants. Il y a parfois des surprises sur les temps libres, qui informent sur cette volonté personnelle de se réaliser.
En fait, c’est ça ce que j’attends de mes collaborateurs : qu’ils aient envie de se donner la chance de se réaliser, ce qui implique parfois de sortir de sa zone de confort, de se mettre en difficulté, et toujours d’être en mouvement.
Propos recueillis par Thérèse Lemarchand
CEO Mainpaces
Biographie :
Olivier Cantet est depuis le début de l’année 2022 Président de Moustache Bikes.
Fondateur de Private Sport Shop dont il reste Président non exécutif, Olivier est ancien CEO de Rip Curl, Oakley, Millet et Lafuma.
Olivier pratique les sports de glisse et de montagne, et partage son temps entre
Montpellier, Annecy et Paris.
Il a soutenu à plusieurs reprises Surfrider Foundation Europe avec les différentes entreprises qu’il a dirigées. Engagé pour l’environnement, il préside aujourd'hui le Blue Collective et en est membre fondateur.
« Suis ton moteur profond, chaque brique que tu poses a un sens, même s'il ne se dévoilera peut-être que plus tard.»
Fille sportive, je suis issue d’une famille nombreuse et d’origine bretonne. J’aime la glisse, la mer est mon élément, et j’ai gardé de mes années de gymnaste le plaisir du mouvement et l’esprit de compétition. Ma scolarité pourrait être qualifiée d’exemplaire, ouvrant un chemin tout tracé. C’est sur cette voie que je commence ma carrière chez EDF à l’ingénierie nucléaire. Mais la vie réserve des surprises !
Je suis enceinte de mon premier enfant quand mon mari a l’opportunité professionnelle de partir à Singapour pour quelques années. En 1998, le projet du nouveau réacteur EPR sur lequel je travaille est encore loin du déploiement et Singapour est exotique, pleine de promesses et facile à vivre avec un nouveau-né. Nous sautons sur l’occasion de partir.
Au premier café d’accueil auquel je me rends, un peu solitaire, je prends dans la figure la représentation de « femme d’expat », et je me sens beaucoup trop jeune pour ça. Je prends donc mon CV d’ingénieure sous le bras et, poussée par un désir esthétique et l’envie profonde de me rapprocher de la création, je fais le tour des galeries d’art contemporain de Singapour pour me remettre au travail.
Opera Gallery était la plus grosse galerie d’art contemporain de Singapour et Gilles Dyan, son directeur, m’écoute me présenter en souriant et me lance : « OK, reste là quelques heures, observe et essaye de vendre quelque chose ».
Gilles me fait confiance. Je resterai chez Opera Gallery pendant tout notre séjour à Singapour, et c’est là, au contact des œuvres et des collectionneurs que j’apprends à écouter, ressentir, et vendre. Une ouverture quotidienne sur le monde, et un sentiment de plénitude renforcé par mon kilomètre de natation rituel, seule dans le bassin de la résidence à l’aube. Mais c’est déjà l’heure de rentrer en France.
J’accueille la naissance de mon deuxième enfant, ma fille, et prends un congé pour création d’entreprise d’EDF. Je continue en free-lance dans le domaine de l’art contemporain, à l’époque où le webexplose (2002). Avec Enviedart.com et Arcturus je pose un premier pied dans le web et le monde de l’entrepreneuriat, et me nourris de la création contemporaine.
Jusqu’à ce que mon congé arrive à son terme et que les choses se précipitent. J’ai la joie d’accueillir mon troisième enfant, et ne trouve pas de projet suffisamment concret et ambitieux pour prendre la décision de quitter définitivement le Groupe. Brouillard. Je retourne chez EDF, à la Direction Commerciale, au moment clé de l’ouverture du marché de l’électricité. Je découvre un nouveau terrain de jeu, celui des contrats stratégiques, de la négociation, de la représentation, et de la vente complexe. J’y suis légitime et appréciée, et mon avenir professionnel est assuré. Yoga, méditation ou jogging sont redevenus mes routines quotidiennes d’incarnation. Me voilà revenue sur les rails, mais lesquels ?
Ma hiérarchie m’intègre dans le programme « hauts potentiels », dans lequel je bénéficie d’un coaching. Cet accompagnement devait préciser mes ambitions au sein du Groupe, mais paradoxalement il fera émerger le désir de le quitter. Cette fois je démissionne.
Mon envie d’entreprendre dans le domaine de la culture, où je continuais pendant ces six ans chez EDF à entretenir des rencontres et des idées, revenait au premier plan. Le projet de fusionner l’émergence du crowdfunding et le mécénat s’impose sous la forme de Commeon, une plateforme de mécénat participatif, pour promouvoir l’implication citoyenne dans ce secteur essentiel à notre humanité.
Sa création et son développement sont une vraie aventure entrepreneuriale et, sans filet, je suis pleinement à ma place. J’apprends au contact d’entrepreneurs à me défaire des règles de grandes entreprises, et je deviens autonome. Je me révèle encore plus efficace, plus inventive, plus audacieuse. Je me mets au surf à la même période et c’est une autre révélation. Été comme hiver, il prend le pas sur nos séjours en montagne. Persévérance, humilité, et plaisir intense de ressentir cette alliance avec la puissance de la vague s’y combinent. J’adore cela et ce n’est pas anodin. Car je vis également comme beaucoup de mes pairs, des montagnes russes émotionnelles. En 2019, je cède l’entreprise à un Groupe de communication et marketing pour le secteur caritatif, et j’accompagne pendant plus d'un an cette fusion, jusqu’au tout début de cette fameuse période de confinements successifs de 2020.
Soudain j’ai du temps. Le temps de me ressourcer, et de chercher l’inspiration auprès d’entrepreneurs qui partagent la même envie d’impacter positivement le monde.
Des connexions commencent à se faire dans ma tête, et des idées maîtresses autour des enjeux de développement en émergent. Des principes fondateurs. En résonance avec les changements et l’accélération du monde, sont indispensables dans nos métiers : notre capacité à apprendre et à progresser, à penser nos organisations, à développer la qualité de nos interactions, à renforcer notre capacité de décision et la justesse de nos choix. Une entreprise est toujours à l'image de ses dirigeants. Comment mon expérience peut-elle servir à accompagner ces changements ?
C’est au réveil que l’idée de Mainpaces est née un matin d’avril 2021. L’idée que le corps, comme pour les sportifs de haut niveau, doit faire partie de l’accompagnement des dirigeantes et des dirigeants.
Nos ressources sont immenses, et les mobiliser s’apprend.
Tout s’accélère quand on a rendez-vous avec soi. Je clarifie la vision, je rassemble un conseil scientifique, un collectif d’experts, et en janvier 2022 Mainpaces ouvre ses services. Dès le premier mois les retours de nos clients et de nos experts m’indiquent que cette vision était la bonne.
J’ai mis de longues années à comprendre des choses simples. Chaque parcours est unique, et chacune des briques qui le compose a un sens, même s'il ne se dévoile parfois que plus tard. Il faut écouter ses intuitions profondes, répondre à cette nécessité intérieure, s'engager, explorer ses limites, pour tracer son propre chemin. Voilà ce qu’aujourd’hui, je souhaite pleinement à toutes les personnes que Mainpaces accompagne : accomplir pleinement ce qu'elles ont envie d'accomplir, qui les pousse profondément à agir, avec énergie, et dans la joie.