Bulle philo #6 - partie 2
En tant que dirigeant, vous jonglez en permanence entre urgences, objectifs et contraintes de planning. Le temps est une ressource précieuse, mais aussi une source de pression constante. Comment mieux l’apprivoiser pour en faire un allié plutôt qu’un adversaire ?
Dans la première partie de cet article, nous avons exploré la distinction entre le temps mesuré et la durée vécue, et mis en lumière un paradoxe frappant : à force de vouloir optimiser chaque instant, nous avons parfois l’impression que le temps nous échappe encore plus.
Mais alors, comment retrouver une relation plus sereine au temps ? La musique, la rêverie et la philosophie nous offrent des pistes inspirantes. À travers les réflexions de Vladimir Jankélévitch sur le pouvoir de la musique, de Jean-Jacques Rousseau sur l’art de la rêverie et d’Épicure sur la pleine présence au moment présent, découvrons trois expériences qui permettent de mieux habiter le temps… et d’y puiser un nouveau souffle.
Jankélévitch (1903-1985) part d’un constat : Il est impossible de dompter le temps : il est irréversible. Le temps est ce dont on ne peut inverser le cours. De ce fait, tout ce qu'il reste, ce sont les souvenirs.
Le sentiment qui exprime notre impuissance face à l'irréversible, c'est la nostalgie : l'état de tristesse causé par l'éloignement de notre vie passée, de nos manières d'êtres antérieures…
Si la musique est un art du temps, elle parait donc au départ nous rattacher à notre douleur, à notre faiblesse… Par exemple, une chanson est plus que tout autre chose capable de nous replonger dans une période donnée. J’entends cette musique et je me revoie à 20 ans, avec tels amis… Le pouvoir des musiques tristes est extrêmement puissant. Mais en même temps, la musique nous enchante. C’est une expérience esthétisée de la nostalgie.
La nostalgie provoquée par la musique n'est pas une mélancolie indolente et éteinte pour Jankélévitch. Même si celle-ci nous ramène à des souvenirs passés, la nostalgie éveillée par la musique est en même temps une nostalgie qui nous ramène à notre propre existence et à ce que nous sommes, à la fois dans le passé et dans le moment présent : une mélodie pénétrante poétise alors notre présent.
C'est précisément en cela que la musique nous charme. C'est parce qu'elle est l'expérience qui permet le mieux de pénétrer cet instant enchanteur. Elle est ce qui porte à sa plus haute intensité « l'apparition-disparition de l'instant. »
C'est pourquoi, le moment musical permet la plus particulière et la plus considérable expérience de temps.
En nous faisant entrer en entière adéquation avec la temporalité, la musique nous donne le droit d'oublier cette irréversibilité si accablante lorsqu'elle n'est pas embellie.
💡 En coaching génératif Mainpaces, lors de votre premier rendez-vous d'exploration nous parcourons ce qui constitue pour vous des ressources. L'esthétique et l'artistique font partie des environnements abordés. Ils développent cette capacité sensible à traverser les notions de temps, d'espace, de justesse, de discernement...
Rousseau a expérimenté, avant les romantiques, l’expérience du retrait au monde et la solitude. Il a été persécuté et a décidé de se retirer de la société des Lumières pour entrer dans un monde de rêves et d’imagination. « Je suis cent fois plus heureux dans ma solitude que je ne pourrais l’être en vivant avec eux ».
Il fait ainsi l’expérience d’une véritable retraite qui le transporte hors de l’état d’être social, vers un autre monde : c’est « l’autre côté du miroir ». Désormais, en entreprenant ses rêveries, Rousseau n’écoute que sa vie intérieure. Il entre dans un monde caractérisé par une liberté absolue, où son esprit peut vagabonder.
Ce qu’il faut comprendre, c’est que n’étant plus soumis à aucun impératif moral ou social, il s’accorde avec le monde tel qu’il est réellement.
Cette fusion totale entre son moi et le cosmos résulte de la contemplation de la nature. En effet, sa passion profonde pour la botanique et la nature, traduite par l’harmonie qu’il montre entre ses sentiments et le paysage, a favorisé sa prise de conscience : elle lui permet de communier avec le « grand tout ». Il retrouve par la botanique et la nature sa vraie personnalité, et plus largement, la vraie personnalité de l’homme : en s’écartant du monde, il renoue avec cette pureté originelle qu’il avait perdue.
La rêverie rousseauiste est le lieu de l’abolition du rapport avec l’espace et le temps. Détaché des devoirs extérieurs, il entre là « où le présent dure toujours sans néanmoins marquer sa durée ». C’est une adéquation entre le moi et le monde de l’homme selon la nature :
Il est intéressant de faire le lien avec les études actuelles sur les bienfaits du contact avec la nature, sur le nombre de stages de randonnées, de treks, de yoga ou de Qi Qong dans la nature… Le monde, violent, rapide, intense, tumultueux donne parfois envie d’un retour aux sources. Ces instants de contemplation semblent être des pauses, des vacances, des retraites, mais elles mettent en avant une intensité dans le présent grâce à la pleine conscience de la nature qui nous entoure, plus précisément, de notre place dans ce grand TOUT.
💡 Chez Mainpaces, nous cultivons cette capacité à prendre un temps pour soi, à méditer, à ouvrir son esprit à des dimensions spirituelles et métaphysiques plus vastes qui nourrissent profondément notre quotidien, même professionnel.
Vivre en accord avec la nature, c’est aussi le précepte d’Epicure, dans La Lettre à Ménécée1 . Mais la nature chez les Grecs n’est pas tout à fait celle décrite par JJ Rousseau au siècle des Lumières. Un petit décryptage s’impose !
L’épicurien vit au présent, ce qui ne signifie pas qu’il se vautre dans les plaisirs du sexe, de la gourmandise ou de la paresse comme le laisserait penser l’adjectif qu’on emploie dans le langage courant (« c’est un épicurien »).
Il pratique un hédonisme raisonné, qui exige au contraire rigueur et effort. Cette philosophie pose que nos souffrances viennent non pas de la réalité elle-même, mais de l’idée que nous nous en faisons. L’objectif est donc de se libérer de ces pensées trompeuses, en s’en remettant à l’essentiel, à ce qui ne trompe pas : la nature.
Vivre le moment présent revient ainsi à vivre conformément à la nature en réinvestissant son corps, en l’écoutant et en suivant ses penchants pour les « plaisirs simples et nécessaires ».
Dans la Lettre à Ménécée, Épicure définit la philosophie comme une pratique visant à améliorer la santé de l’âme, invite à rechercher les causes qui produisent le bonheur, ainsi que les principes du « bien-vivre ». Il déclare que la mort n’est rien, puisque toute sensation négative s’éteint avec la mort : la crainte de la mort est sans objet, il nous faut instaurer un juste rapport au temps. Si l’on passe son temps à craindre de mourir, on passe à côté de sa vie.
Il établit une classification des désirs entre les désirs (naturels et vains) et au sein des désirs naturels, les désirs naturels nécessaires (pour le bonheur (ataraxie), pour la tranquillité du corps (absence de douleur physique), pour la vie (sommeil, alimentation) et les désirs uniquement « naturels ».
Il appelle à trouver un état stable de vie heureuse et agréable, fondé à la fois sur le plaisir raisonnable et sur l’acceptation d’un certain niveau de souffrance, en particulier s’il est inévitable. Il appelle à se contenter de ce que l’on a, ou du strict nécessaire, c’est-à-dire de ce qui permet d’assouvir ses besoins basiques dans une sorte de sobriété sereine, loin de toute jouissance déréglée.
Cela amène à la grande distinction entre ce qui dépend de nous et ce qui ne dépend pas de nous.
Sur ce qui ne dépend pas de nous, nous n’avons aucune prise. Il faut donc accepter, lâcher prise et se focaliser sur ce qui dépend de nous, ce sur quoi nous pouvons agir.
Ce qu’on appelle savamment le tetrapharmakon : le quadruple remède d’Épicure
Elle rappelle les Quatre Nobles Vérités du Bouddhisme : la souffrance, les causes de la souffrance, la possibilité de faire cesser cette souffrance, ainsi que le chemin qui mène à l’extinction de la souffrance…
💡 Voilà une lecture puissante et qui fait du bien ! Si cette distinction entre ce qui dépend de nous et ce qui ne dépend pas de nous est source de bonheur, elle est également essentielle pour concentrer notre énergie et notre capacité à agir sur ce qui relève de notre champ d'influence.
Le coaching génératif Mainpaces nous amène par son approche globale à élargir les sens et la conscience pour mieux vivre nos responsabilités en cohérence avec les ressources qui nous nourrissent. Que ces trois expériences vous invitent à dilater le temps et à l'habiter pleinement.
Expériences philosophiques proposées par Camille Prost,
Docteure en philosophie et Personne Ressource Mainpaces